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Entre Quintenas et Ardoix, sur un plateau boisé
circonscrit par deux ruisseaux qui vont alimenter la Cance, se campe le
château de Manoha, rappelant assez bien par ses divers aspects les rôles
qu’il joua successivement. Nous ne sommes pas là en face des rochers
couronnés de murs, repaire de seigneurs vivant du fruit de leur rapine.
Manoha présente déjà l’aspect de ces résidences mi-guerrières, mi-agricoles,
dont les possesseurs, vivant du produit de leurs terres, savaient défendre
leurs existences et leurs récoltes enfermées dans ces sortes de sûres et
vastes enceintes, fréquentes dans notre Haut-Vivarais. Nous ne lui
attribuerons pas d’ancienneté trop reculée. Cependant les grosses tours
d’angle, rondes et trapues, le donjon plus élancé, véritable guetteur
vigilant, les cours et portes étroites et encaissées, les restes de
murailles en partie abaissées par le temps, et la construction récente de
nouveaux bâtiments d’exploitation, révèlent aux yeux les moins avertis la
participation du château aux luttes intestines de la Ligue, de son Histoire,
le témoignage explicite. En 1573, Charles du Peloux, seigneur du fief de
Colaux dont il portait le nom, et de celui de Bayard du chef de sa femme,
fut nommé, par son frère aîné, Nicolas du Peloux, qui commandait alors pour
le roi en Vivarais, gouverneur de Chalancon. A ce titre les Huguenots
s’étant emparés au mois de novembre des maisons-fortes de Munas, Lotoire et
Manoha, Colaux marcha à leur rencontre à la tête de quelques cavaliers. Il
fut blessé dans cette expédition devant Munas d’un coup d’arquebuse dont il
resta boiteux. Non content de déposséder le seigneur de Manoha de ses biens,
qui ne lui furent rendus que par le traité de Lotoire ratifié à Brogieux,
les capitaines Bey et Trémolet emportèrent le blé, le vin et les meubles que
les villageois des environs avaient dé posés dans le château suivant les
vieilles habitudes féodales.
Quelques années après, nous voyons le château échapper à un plus réel
danger: la destruction par l’artillerie du roi. Ce fut en 1577, quand le
capitaine Bouchet avec d’autres rebelles d’Annonay s’emparèrent de Lotoire
et s’y fortifièrent pour dévaster les environs, pillant et brûlant. L’état
des constructions permit au château de résister à l’incendie complet, sans
offrir de refuge assez sûr aux soldats de Bouchet. L’artillerie de du Peloux,
expédiée par le gouverneur du Lyonnais, Mandelot (abbé Filhol) n’eut pas à
laisser la trace de ses boulets sur la demeure de Charles de Manoha. Durant
de semblables alternatives, le châtelain, qui ne pouvait, à l’aide de
quelques serviteurs et paysans, résister aux hordes pillardes, devait,
partiellement ruiné, songer à éloigner les siens pour sauvegarder au moins
leur existence. Six ans après, nous trouvons Marguerite d’Ardret, veuve de
Charles de Manoha, réfugiée au château de ses pères. C’est là que demoiselle
Marguerite, sa fille, épouse, le 18 octobre 1583 (généalogie fournie par M.
Michel de Chazotte, Armorial du Vivarais), Charles de la Roche, seigneur de
la Garde, petit-fils lui-même d’une demoiselle Claire d’Ardret. D’une
famille fixée en Auvergne, depuis Jean de Wetz, venu fonder au bourg d’Antoings
une lignée noble qualifiée dès lors du nom de la Roche, Charles commença par
y résider. En 1586, la peste dévaste Manoha. Gamon (abbé Filhol, Histoire
d’Annonay) parlant des localités qui eurent le plus à souffrir de cette
maladie provoquée par la disette de 1585, cite Ardoix; Quintenas est aussi
parmi les villes atteintes.
Marguerite ayant hérité de tous les biens de sa famille, vint alors
s’établir avec son mari au château paternel. Une ère plus calme commence,
marquée par l’avènement de Henri IV, reconnu sans difficulté dans la région
annonéenne. Le fils aîné de Charles et de l’héritière de Manoha habita le
château et le laissa à ses fils qui moururent sans postérité. Leur cousin
germain, Jean-Raptiste de la Roche, fils de noble Charles et d’Antoinette de
la Rochette, leur succéda le 7 septembre 1689. Lui-même, n’ayant pas eu
d’enfant, institua son héritière universelle sa sœur, demoiselle
Marie-Martiale de la Roche, femme de noble Antoine du Puy de Dienne.
Marie-Martiale de Dienne, dame de la Garde et Manoha, y mourut le 17 août
1715. Jean-Raptiste du Puy, son fils, épousa, le 22 janvier 1716, demoiselle
de Bergède, fille de feu noble François et d’Anne de Parchas. Il mourut le 2
octobre 1746 à l’âge de 60 ans et fut enseveli en l’église d’Ardoix,
chapelle de Saint-Sébastien. Il laissait cinq filles, et Jean-François, né
le 15 avril 1721. Ce dernier épousa, le 4 décembre 1748, Catherine-Madeleine
de Rayard, fille de Jean-Raptiste et de Madeleine Le More de Lotoire. Le
seigneur de Manoha et de Lotoire laissa douze enfants. C’est l’apogée de
l’histoire du fief au point de vue territorial. Ensuite la Révolution
passera, et plus terrible que la première crise, portera un coup fatal au
château, resté jusqu’au début du XXe siècle une exploitation rurale, déchu
de ses anciens titres: maison forte puis maison des champs.
Manoha appartenait à cette époque à Madame de la Cheysserie.
Jean-Baptiste-Marie-Eugène du Trémolet de la Cheysserie, second fils
d’Antoine, docteur en médecine, marié, le 30 janvier 1800, à Marie-Mélanie
Mésangère, épousa, le 31 mai 1831, Marguerite Valentin de Dienne, d’où
postérité. La Cheysserie: "d’azur, à trois trèfles d’or; au chef cousu de
gueules chargé de trois étoiles d’argent". Marguerite-Sophie de Dienne, par
son mariage, le 4 septembre 1796, avec Nicolas Jullien de Villeneuve, porta
momentanément le domaine dans cette famille. En 1815, nous voyons même un
Villeneuve se titrer de Manoha, et se joindre avec le comte de Vogüé et le
marquis de l’Estrange, au Conseil Municipal allant à Lyon présenter les
hommages de la ville d'Annonay au comte d’Artois, frère du roi, de passage
dans la capitale du Lyonnais. Sous les de la Roche et les du Puy de Dienne,
la vie de garnison fit place à la vie de château simple et large. Les beaux
chênes qui entourent le domaine virent passer sous leur ombre d’autres
groupes que les hommes d’armes, et l’écho des collines plantées de pins put
répéter des mots plus doux que des cris de guerre. Chacun des propriétaires
se plut à l'embellir et l'enrichir où il trouvait le bonheur et la paix,
laissant ainsi trace encore vivante de son passage: l’un réparant les
méfaits des ans et des intempéries, seuls pillards auxquels il eut à faire,
l’autre par une jolie porte rendant sa demeure plus hospitalière. On éprouve
encore dans ce site une sensation de prospérité et de calme, qui font
regretter la vie passée de ces gentilhommières, vrais nids de races fortes.
(1)
Aujourd'hui le château de Manoha présente un aspect quelque peu hétéroclite,
dû à l'imbrication, à la juxtaposition de bâtiments construits au fil des
siècles. Le corps de logis est composé de deux bâtiments perpendiculaires. A
leur intersection se trouve une tour, de plan circulaire, elle est confortée
à sa base par deux contreforts, postérieurs à sa construction. Dans sa
partie supérieure, quatre mâchicoulis. A l'intérieur se trouve l'escalier à
vis qui se termine par six ogives, sur lesquelles reposent aujourd'hui un
simple plancher de bois. En avant du corps de logis, la cour est délimitée
par des murs autrefois crénelés. Une meurtrière dans le mur nord, une tour
trapue, talutée, d'un large diamètre, confèrent à cette avancée une allure
légèrement défensive. Un escalier conduit à la partie supérieure de la tour
; il devait conduire autrefois à une sorte de chemin de ronde. Témoin d'une
époque plus calme et plus récente, le portail Louis XV, aux armes des Dienne,
dont les pentures côté cour s'ornent de fleurs de lys.
château de Manoha
07290 Ardoix, propriété privée, ne se visite pas, visible de la route.
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