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Le manoir de Maulgarayt, en la paroisse d’Arlebosc,
n’eut jamais rien de féodal, ni droit de cens, ni justice. Le soin avec
lequel il fut construit semble cependant témoigner que ce n’était pas un
simple mas rural mais une habitation bourgeoise, une "maison-forte", suivant
l’expression en usage dans nos montagnes où elles sont nombreuses, résidence
d’une de ces vieilles familles agricoles ou notariales, que leur genre de
vie et souvent la confraternité sur les bancs de l’école rapprochait
tellement de la petite noblesse, qu’elles contractaient ensemble des
alliances, qui bien souvent, et bien que la noblesse utérine ne fut pas
reconnue dans la province, engageaient les descendants de ces vieilles et
honorables familles bourgeoises à prétendre à la noblesse. Ce manoir de
Maulgarayt était en effet enveloppé par une cour que protégeait une enceinte
de murailles assez hautes pour que l’escalade en fut difficile et dans
laquelle ouvraient toutes leurs ouvertures, non seulement l’habitation sise
au levant, mais encore l’écurie qui la terminait au couchant, et les autres
dépendances adossées au mur du nord et parmi lesquelles se trouvait un
pigeonnier. Deux portails donnaient accès dans cette cour, dont les vantaux
étaient fortement assujettis par des barres de fer et des traverses de bois
glissant dans les murailles, de sorte que l’on pût dormir la nuit sans
redouter une surprise, et même être à l’abri d’un coup de main. L’un de ces
portails ouvrait au sud sur le chemin d’accès; l’autre se trouvait dans le
mur du nord, spécialement destiné au service de la fenière dont la porte se
trouvait placée tout contre, dans un mur coupé en biseau pour prendre le
passage plus aisé. Des meurtrières percées dans la muraille défendaient même
l’accès de ces portails.
Quant à l’habitation elle-même, elle ne se composait que de deux pièces
juxtaposées à mi-hauteur l’une de l’autre d’étage en étage, de telle sorte
que l’accès de l’une à l’autre se fît par des escaliers séparés. La première
pièce où l’on pénétrait, en venant de la cour, était la cuisine; éclairée
seulement de deux petites fenêtres hautes solidement barricadées, ouvrant à
l’ouest sur la cour; la face nord étant presque entièrement occupée par une
cheminée dont la vaste "chalfagne" toute en pierres de taille s’ouvrait par
un vaste arceau d’environ quatre mètres de longueur avec un bel écusson
taillé en relief au-dessus, et assez profonde pour que les bancs placés de
chaque côté donnassent place à tous les habitants de la maison, à gauche et
à droite du foyer, et que le devant demeurât libre à la ménagère pour
manœuvrer sa poêle, faire bouillir les marmites suspendues au "crémail" et
étaler au devant ses "biches" de laitage. A gauche de cette cheminée, une
petite porte donnait accès dans la souillarde; et à droite une autre porte
surmontée d’une accolade pourrait faire croire au XVe siècle. Elle conduit
sur un escalier étroit dont les deux rampes conduisent à la cave voûtée en
pierres de taille qui forme le sous-sol de l’appartement qui se trouve à
l’est de la cuisine, et auquel on accède par un escalier droit de sept ou
huit marches établi dans l’intérieur de celle-ci. De chaque côté de la
porte, placée sur la face sud, se plaçaient les buffets de service, et aussi
le grand lit à rideaux habituel. L’appartement à l’est de la cuisine formait
la salle d’apparat, et s’éclairait sur la campagne par une grande croisée à
meneaux. Deux grands lits à rideaux au moins, devaient s’allonger contre les
murs du midi, et au milieu, dans celui du nord, on voit encore la cheminée
dont le manteau droit à corniche est supporté par des pieds droits qui
s’avancent par le haut en forme de console, forme qui semble indiquer le
XVIe siècle.
Dans l’angle nord-ouest, une petite porte qui ouvrait sur un petit escalier
qui, par dessus la voûte de celui de la cave conduisait à la chambre
au-dessus de la cuisine, laquelle ne s’éclairait que par une demi-croisée
donnant au couchant, devait servir de logis à la jeunesse ou aux servantes;
les serviteurs ayant selon l’usage du pays leur couche dans les écuries.
Enfin, de cette pièce, l’on pouvait par le moyen d’une échelle mobile
arriver au grenier qui se trouvait au-dessus de la salle. Ainsi cinq pièces
en y comprenant la cave et le grenier, c’est tout ce que renfermait ce corps
de logis dont cependant la bâtisse soignée et en bons mœllons indique que
son propriétaire jouissait d’une certaine aisance. Mais cette exiguïté était
alors en harmonie avec la pauvreté du pays et la médiocrité des fortunes. Il
nous reste à dire qu’au XVIIIe siècle un corridor fut établi, longeant le
sud de l’ancien manoir, et au delà deux appartements furent ajoutés à
l’habitation, largement ajourés de fenêtres au-dessus en arc fortement
surbaissés; et la toiture entièrement refaite, formée de quatre pents
réguliers, ce qui donne à Maulgarayt la forme d’un quadrilatère qui était
celle généralement en usage dans les habitations de nos pays. Il semble
difficile d’attribuer cette construction à d’autre qu’à Sire Jean Rouchet,
et il faut alors la fixer entre l’année 1714, qu’il se rendit acquéreur de
cette terre, et l’année 1728, qu’ayant acquis le château de Chazotte il y
transporta ses pénates. Vers 1870, quand de Chazotte résolu à se fixer à
Maulgarayt qui faisait partie des biens de famille à lui attribués, et y fit
quelques réparations qui étaient indispensables, cette habitation n’ayant
plus été habitée que par des fermiers depuis plusieurs siècles, mais sauf
par une galerie un peu claustrale par laquelle il fortifia le mur du midi
qui menaçait de céder sous la poussée de la voûte des caves, et qui eut le
défaut d’assombrir les appartements de cette façade en le forçant à boucher
deux des fenêtres qui les éclairaient; il fit achever l’intérieur de
l’habitation. Il transporta au delà des écuries tout le service de ferme
pour lequel il créa des bâtiments vastes et commodes, et sauf l’ancien
pigeonnier, fit disparaître toutes les dépendance qui obstruaient la cour
d’entrée, et les murs qui la fermaient au sud, après avoir, pour faire
disparaître l’irrégularité de niveau, créé au devant de l’entrée une
terrasse en forme de promenoir.
Il nous faut maintenant parler de ceux qui ont successivement possédé la
terre de Maulgarayt. Nous y voyons tout d’abord établir une famille
notariale dont le premier que nous connaissions est Maître Pierre Gros, que
nous voyons y habiter et exercer sa charge dès l’année 1427 et qui
l’exerçait encore en 1465, et peut-être l’exerça-t-il jusqu’à sa mort que
nous supposons être arrivée autour de l’année 1480. Nous trouvons en effet à
la date du 15 mars 1483 une commission donnée à son fils Claude Gros par le
bailli et par le juge royal du Vivarais pour expédier quand il en serait
besoin les actes reçus par son défunt père. Claude Gros succéda donc à son
père dans la possession du manoir de Maulgarayt, dont il faut peut-être lui
attribuer la construction, et aussi dans son office de notaire. A la date de
1504, de concert avec noble Jean de Sahune, son gendre, il fit construire
contre le mur septentrional de l’église d’Arlebosc, et juste après le
transept, une chapelle qu’il mit en communication avec la nef par un large
arceau ouvert dans la muraille, chapelle qu’il plaça sous le patronage de la
Vierge Marie et le vocable de la Sainte Croix, puis au-dessus il éleva un
clocher pour le service de l’église; les cloches n’ayant jusque là eu pour
logement qu’une "moirette" placée au-dessus de la porte de l’église, comme
il était d’usage dans le roman-auvergnat. Ils y fondèrent un service à
perpétuité d’une messe par semaine, le vendredi, et d’une messe matinière à
célébrer chaque dimanche et jour de fête, en tout 118 messes, service à la
dotation duquel ils affectèrent une terre de 96 ares sise près du village,
et un collier d’argent du poids de 260 grammes; et se réservèrent le
patronage de cette chapelle dont ils jouissent toujours depuis, eux et leurs
successeurs.
Claude Gros vivait encore en 1522, mais se déclare fort vieux. Il avait
épousé, vers 1475, demoiselle Algay de Crossaber, d’une famille noble du
Haut-Vivarais. Il n’en eut que des filles, entre autres Catherine Gros qui
fut mariée autour de l’année 1500 à Messire Jean de Sahune, seigneur de
Villeneuve en la paroisse de Saint-Félicien, d’une ancienne famille
chevaleresque de la baronnie de Saint-Agrève. Nous ne leur connaissons
qu’une fille et un fils: Jeanne de Sahune à qui fut attribué en dot le
domaine de la Combe, détaché de la terre de Maulgarayt, et 1/2 de la terre
de Villeneuve. Elle fut mariée, le 30 août 1523, à Messire Jean de Clavières,
fils et héritier de Bernard de Clavières, gentilhomme auvergnat fixé à
Saint-Agrève par son mariage avec Catherine. Le fils, Noble Claude de Sahune
qui ne laissa que des filles, entre autres: demoiselle Catherine de Sahune
qui posséda après son père la terre de Maulgarayt et la 1/2 de la terre de
Villeneuve, avec sa seigneurie. Elle épousa, le 21 août 1558, Messire
Gaspard de Bar, écuyer de la ville de Désaignes, fille de noble Jean de Bar
et de demoiselle Marguerite des Mottes. Leur fille, Isabelle de Bar, épousa
vers l’année 1580 noble Guillaume de Burine, seigneur du fief et
maison-forte de Pouyol où il habitait, en la paroisse de Saint-Victor. Elle
lui porta en dot les fiefs et domaines de Villeneuve et de Charencé, et
aussi la terre et maison-forte de Maulgarayt; et lui donna de nombreux
enfants, parmi lesquels nous noterons Sébastienne de Burine à qui fut
constituée en dot la terre de Maulgarayt, et qui épousa, le 15 décembre
1600, noble Alexandre du Mourier, sieur du Port de Jonchères. Celui-ci, par
acte du 11 juin 1624, vendit son domaine et la maison-forte de Maulgarayt à
Messire Balthazard de Bonnaud, sieur de Chazotte, au prix de 15.000 livres
tournois.
Messire Pierre-Louis de Bonnaud, sieur de Chazotte, fut héritier de son
père, et à ce titre posséda le dit domaine de Maulgarayt, et ayant, le 29
septembre 1659, acquis le domaine de la Combe-sous-Maulgarayt de Messire
Claude de Clavières, arrière petit fils de Catherine Gros, il se trouva
réunir en sa main toute l’ancienne terre de Maulgarayt, telle que l’avait
possédée cette famille Gros. De ce Pierre-Louis de Bonnaud qui ne laissait
pas d’enfants, la terre de Maulgarayt comme celle de' Chazotte passèrent, en
1698, à la famille de Monteils en la personne de Messire Jean de Monteils,
son beau-frère; après lui ces deux terres passèrent à son fils et héritier
Pierre-Louis de Monteils-Saint-Quentin, et au 26 avril 1714, celui-ci vendit
cette terre et maison-forte de Maulgarayt, à Messire Jean Blachier du
Bouchet, auquel, le 21 mai 1718, le fils dudit Pierre-Louis, Messire
Balthazard Aymar de Monteils, marquis de Durfort, vendait à son tour la
terre et le château de Chazotte. Dans cet intervalle de 14 ans qui sépare
ces deux ventes, nous savons que M. Jean du Bouchet voulut s’établir à
Maulgarayt, ce qui nous détermine à lui attribuer les réparations qui furent
faites dans cette période à cette habitation, mais après la seconde il vint
se fixer au château de Chazotte. Jean Blachier du Rouchet, dont le frère
aîné, Messire Philibert Blachier de la Chau habitait la propriété des
Romaneaux, qui avait en 1714 acheté la propriété de Maulgarayt, épousa, en
1719, demoiselle Suzanne de Monteils et mourut en 1764. Son fils et
héritier, Jean Blachier de Chazotte, possède après lui cette terre de
Maulgarayt, mais dès l’année 1772 il la cède à son frère cadet Antoine
Blachier du Rouchet. Celui-ci avait en effet à ce moment l’intention de s’y
fixer, mais peu après il changea de résolution et rechercha en mariage sa
parente Mademoiselle Marguerite de Pleyné à qui leur cousin à l’un et à
l’autre, Messire Jean-Philibert Blachier de la Chau venait de léguer sa
propriété des Romaneaux en la même paroisse d’Arlebosc, et leur mariage
ayant été célébré le 27 février 1775 dans l’église de cette paroisse, il
transporta ses pénates aux Romaneaux, d’où le nom de Romanet qui lui fut
souvent donné depuis. Il y mourut le 27 février 1801, et sa veuve le 25
novembre 1811.
Ils laissèrent deux fils; à l’aîné desquels le partage fait en 1812 de cette
double succession attribua la propriété de Maulgarayt, tandis que le cadet,
Balthazard du Rouchet, gardait la propriété des Romaneaux.
Louis-Antoine-Clément du Rouchet hérita donc de la propriété des Romaneaux
évaluée 27.000 livres; il exerçait à Annonay la profession de médecin, et
épousa, le 13 juin 1812, demoiselle Françoise Dangles ou d’Angles plutôt,
d’une ancienne famille de nos montagnes. Le sieur du Rouchet mourut le 18
août 1842, mais ses sept enfants qu’il laissait de ce mariage estimèrent
qu’il leur était avantageux de se défaire de la propriété de Maulgarayt; ils
la vendirent donc presque aussitôt après la mort de leur père, au prix de
10.000 francs à leur parent, Monsieur Auguste du Rouchet de Chazotte, lequel
mourut le 30 janvier 1864 en son habitation de Duclaux, paroisse d’Arlebosc;
sa femme, Herminie de Saintard, qu’il avait épousée le 20 juin 1820, lui
survécut peu et mourut le 19 octobre 1864. Par le partage que leurs enfants
firent le 26 avril 1865 des deux successions réunies en un seul bloc, la
terre de Maulgarayt fut attribuée au second des fils, Paul de Chazotte, né
en 1830, et qui était alors lieutenant dans le régiment des zouaves pontifi
caux ou il demeura jusqu’à la prise de Rome par les Piémontais en 1870. Il
rentra alors dans sa famille avec la croix de chevalier de Pie IX, et peu
après commença à réparer Maulgarayt où il mourut après une longue maladie,
le 24 avril 1897. Il n’avait jamais contracté d’alliance, et par testament
du 30 septembre 1895, il laissa la jouissance viagère du reste à ses frères,
et institua son héritière universelle sa jeune cousine Marguerite de
Chazotte. Celle-ci, fille cadette de M. Ferdinand de Chazotte, comte de
Clavières et de Annabelle de Longchamp, a épousé, le 1er mars 1905, Monsieur
Henri Sonnier de la Roissière d’une très ancienne famille de la région de
Vernoux où son père Léopold de la Roissière habita l’important château de
Vaussèche. Ils se sont installés à leur tour dans le vieux manoir de
Maulgarayt et eurent un fils Jean de la Roissière et deux filles. (Notes
tirées des archives du château des Romaneaux à M. Michel de Chazotte;
communication de M. H. de La Boissière). (1)
château de Malgaray 07410 Arlebosc, propriété privée, ne se visite pas.
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