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Le sanctuaire du Xe siècle et ce
donjon qui, depuis le début du moyen-âge, se dresse, superbe, sur sa
plateforme, parlent assez éloquemment à l’ami des vieilles pierres pour
l’obliger à lui consacrer quelques heures. Entouré de remparts bastionnés,
le donjon domine la ville et cette belle vallée où serpente le fleuve aux
flots rapides, et dans lesquels se reflète l’azur de notre beau ciel de
Provence. Ne sont-elles pas les témoins du passé, ces salles voûtées où
vivaient et priaient des moines bénédictins, ces épaisses murailles sur les
bastions desquelles veillaient les sentinelles. L’abbaye de Cruas, dont
dépendait le château, fut fondée en 804. Elle doit son existence au comte
Eribert, le premier comte du Vivarais dont le nom soit parvenu jusqu’à nous.
Eribert y appela, en 804, les moines bénédictins de la réforme de Saint
Benoît d’Aniane. A la demande du comte Elpodorius, son fils et successeur,
l’empereur Louis le Débonnaire octroya à la nouvelle abbaye une charte de
privilèges, datée d’Aix-la-Chapelle (817). Vers 840, l’empereur Lothaire
plaça l’abbaye sous la dépendance immédiate de l’archevêque d’Arles et en
confirma les privilèges, en 855. En 970, l’archevêque d’Arles étant venu
visiter l’abbaye, une dame du pays, nommée Gotolinde, le pria de consacrer,
sous l’invocation de Saint-Michel, une église neuve qu’elle avait fait
élever sur la crypte primitive, ce qui eut lieu. On croit que l’église fut
consacrée, en 1095, par le pape Urbain II, car c’est précisément cette
année-là que ce pape vint en France et tint le concile de Clermont.
(Bulletin d’histoire ecclésiastique du chanoine U. Chevalier, 1898. Bien
avant les guerres religieuses, l’abbaye de Cruas avait beaucoup souffert à
cause des épidémies, des guerres et des accidents fortuits. C’est pourquoi
une indulgence spéciale lui fut accordée, en février 1433, "afin que ce
monastère puisse se conserver long temps dans ses structures et édifices, et
soit doté d’autres ornements".
Un autre document, de 1436, constate qu'alors le monastère était en ruines
et que ses revenus suffisaient à peine pour l’entretien des moines. L’année
suivante, il est dit que l’abbé Etienne travaille depuis cinq ans "pour la
défense de son pauvre monastère", et que du temps de son prédécesseur, la
plupart de ses biens meubles avaient été vendus, ou mis en gages. "Les
revenus annuels étaient alors de 150 livres tournois; maintenant ils sont de
400 florins d’or". L’abbaye ou château est remarquable avec ses arceaux qui,
sur trois façades, paraissent soutenir la partie supérieure de l’énorme
donjon, et servent en même temps de mâchicoulis. Deux tours défendent
l’entrée du côté de l’ouest. Par une belle porte romane on pénètre dans une
vaste chapelle voûtée, dont le chœur est encore assez bien dessiné. Deux
étages voûtés étaient superposés au-dessus de la chapelle. Des restes de
cheminées, moulures, nous montrent que ces deux étages étaient habités. La
terrasse du second qui servait à la défense du donjon au moyen des
mâchicoulis est complètement détruite. A l’intérieur du cloître, à droite de
la chapelle est une petite loge qui donne sur le chœur. C’est là que
couchait le veilleur. Quelques pièces assez belles ont encore des traces de
peintures. L’intérieur du fort contenait non seulement l’abbaye proprement
dite, mais aussi les habitations de nombreux vassaux et amis de l’abbé. Nous
apercevons encore plusieurs portes fortifiées et un chemin couvert, percé de
meurtrières et renforcé de distance en distance de tours carrées. La
construction de l’abbaye, telle qu’elle existe aujourd’hui, nous paraît
remonter à la belle époque de transition. Cruas eut beaucoup à souffrir des
guerres des XVIe et XVIIe siècles. Les moines eurent souvent à se défendre
contre les huguenots et des bandes de pillards.
Le 23 juillet 1585, l’évêque de Viviers, Jean de l’Hôtel, fit procéder, par
son grand vicaire, Nicolas de Vesc, à la visite de l’église de Cruas. Le
visiteur trouve "le Révérend-Père en Dieu, messire Etienne Déodel, par la
grâce de Dieu, évêque de Grasse, en Provence, abbé dudit Cruas. Il lui
expose l’objet de sa mission, à quoi l’abbé ré pond n’être pas soumis à la
visite de M. l’évêque de Viviers. Après, continue le procès-verbal,
accompagné de messire Faure, curé dudit Cruas, nous sommes transportés en
l’église parochialle qu’avons trouvée quasi comblée de pierres et sable par
l’inondation des eaux; toutefois, pour cela, ne se gardait de faire
continuellement l’office dans l’église de l’abbaye qu’avons visitée et n’y
avons trouvé point d’autel qu’une table. Les cloîtres et maisons monacales
toutes rompues et inhabitables, faisant à présent ledit sieur abbé résidence
au château de Cruas. Nous avons exorté ledit curé tenir Corpus Christi en
quelque part honnête et autres choses nettes". Ce curé de Cruas était un
moine de l’abbaye, dont les notables, le consul Jean Michel, en tête, se
déclarent contents. "Il a sa vie au monastère et outre ce, dix escus de
revenu, sans le baise-main". L’état de délabrement dans lequel se trouve son
abbaye, empêche M. de Cruas de remplir plusieurs de ses obligations. Il ne
garde même avec lui qu’un seul moine; quatre ou cinq autres desservant les
prieurés dépendants de ce monastère, dans lequel il devrait y avoir douze
religieux de chœur. Parmi les charges de l’abbé sont mentionnées les
suivantes: "Tenir un prêcheur pour le carême, les avents et les fêtes
solennelles. Faire aumône ordinaire tous les jours, au son de la cloche, et
deux aumônes générales l’année, la première le jeudi Saint, et l’autre le
jour de Saint Luc".
Nous avons dit que l’abbaye avait eu à souffrir des attaques des huguenots,
nous empruntons aux mémoires du chanoine de Banne, un passage relatif à
l’attaque de Cruas: "Les huguenots firent jouer une mine qui renversa une
tour du fort du côté de septentrion, entrèrent par cette brèche dans le
fort, enfoncèrent avec un pétard la première porte du château, et étant dans
la basse-cour, ils appliquèrent le mantelet contre les murailles du donjon
et se mirent à couvert des arquebusades et coups de pierres que ledit
seigneur évêque et les moines leur tiraient dans les chambres et écuries qui
étaient autour de la basse-cour, y faisant pour tirer, sans être vus, contre
les assiégeants. Cette incommodité les fît résoudre à penser prendre des
fagots de sarments, des cordes et autres matières combustibles et les
jetèrent allumés sur lesdits couverts qui s’enflammèrent. Tout aussitôt les
huguenots faisaient poser le pétard à la porte du donjon; mais le pétardier
et les maçons qui travaillaient sous le mantelet furent assommés, par deux
grands chapiteaux de pierre que les moines leur firent choir du plus haut de
la muraille. Lesdits moines, voyant que l’ennemi était étonné tant du feu
que de la mort du pétardier et des sapeurs, montèrent avec ledit seigneur
évêque sur le toit et, des deux mains, ils jetaient les tuiles dans la
basse-cour. Le fracas d’iceux faisait tant de bruit que lesdits huguenots
prirent la fuite en laissant dix ou douze de leurs morts ou blessés dans la
basse-cour. Mais en fuyant, les huguenots laissèrent dans le village un
ennemi bien cruel qu’était la peste qui pour lors était partout dans le bas
Vivarais. Ledit seigneur évêque avec les moines secouraient de tout leur
pouvoir les pauvres habitants. L’évêque fut victime du fléau". (1)
Éléments protégés MH: le château proprement dit avec la chapelle inférieure
et la partie du bâtiment en aile qui contient la petite chapelle; courtine
du front nord, tour carrée incluse jusqu'à la porte nord: classement par
arrêté du 3 septembre 1912 (2)
château des Moines 07350 Cruas, la municipalité est propriétaire de
l'ensemble du site médiéval et dans le cadre de la valorisation de son
patrimoine, elle a lancé un projet plutôt ambitieux qui va s'étendre sur 25
à 30 ans.
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