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La petite ville de Brienne, située en Champagne, près de la rivière d'Aube,
à dix lieues de Troyes, est remarquable par son magnifique château, et
célèbre tant par le séjour qu'y a fait Bonaparte, que par la bataille qui
s'y est livrée dans nos dernières guerres. Elle est divisée en deux parties
bien distinctes, dont l'une, où est le château, s'appelle
Brienne-le-Château, et l'autre, plus rapprochée de la rivière d'Aube,
Brienlle-la-Vieille, et dans quelques ouvrages, Brienne-la-Ville. Cette
petite ville est fort ancienne, et son origine se perd dans la nuit des
temps. Sous Jules-César les habitants s'appelaient Brannovii et Brannovices.
Dès les premiers temps de la monarchie, elle porte le titre de comté, qu'on
ne donnait guère alors qu'aux villes. Jusqu'au milieu du Xe siècle, il ne se
passe rien d'important au sujet de notre petite ville. Seulement, en 938,
nous voyons Henri, comte de Brienne, assister avec plusieurs autres
seigneurs à un tournoi qui eut lieu à Magdebourg, sous l'empereur Henri 1er.
L'année 951 est une époque mémorable de l'histoire de Brienne. L'historien
Flodoard rapporte que dans le cours de cette année, et sous le règne de
Louis d'Outremer, deux brigands, Gotbert et Angilbert, son frère,
fortifièrent le château de Brienne. Il ajoute qu'aussitôt que Louis
dOutremer en eut connaissance, il se hâta d'arriver à Brienne, forma le
siège du château, parvint enfin à le prendre par la famine et le détruisit.
Ceux qui connaissent la situation du château de Brienne, sur une montagne
qui domine tous les lieux voisins, et qui était jadis plus élevée
qu'aujourd'hui, conçoivent parfaitement qu'on put y établir des
fortifications redoutables. Par le passage qui précède, on voit que Louis d'OuLremer
n'y pénétra qu'après de longs efforts. Au reste, il ne faut pas croire que
ce soit là l'époque de la fondation du château de Brienne, et que l'on ne
commença à bâtir des châteaux forts que dans le Xe siècle.
L'histoire ci-dessus dit que Gotbert et Angilbert ajoutèrent des
fortifications à celles qui existaient déjà à Brienne. Le château était en
effet antérieur à cette époque, puisque dans l'histoire de saint Bercbaire,
qui existait au VIIe. siècle, Brienne a été mentionné sous le nom de Castrum
Breonense. D'un autre côté, César nous apprend que de son temps il existait
dans les Gaules beaucoup de châteaux, castella, et ce mot, dans la langue
latine, emporte l'idée d'une maison fortifiée. Le château de Brienne,
détruit de fond en comble en 951, ne tarda pas à se relever de ses ruines;
car il existe un acte mentionné plus bas, lequel a été scellé sous le règne
de Robert (de 996 à 1031) à Brienne-le-Château, actum Breotie castello.
Jusqu'à présent les rois de France disposaient à leur gré des terres faisant
partie du comté de Brienne; parce qu'alors ceux de leurs sujets qu'ils y
plaçaient, soit avec le titre de comte ou tout autre, étaient révocables à
leur gré. Il en était de même dans toute la France. Mais une grande
révolution s'opère dans le Xe siècle, au début de la troisième race. Les
comtes et barons, qui ne possédaient leurs terres qu'à titre de bénéfices et
viagèrement, commencèrent à les posséder à titre héréditaire. Les rois de la
troisième race, dans l'impuissance de déposséder ceux de leurs sujets qui
avaient usurpé des terres appartenant à la couronne, transigèrent avec eux,
et les maintinrent eux et leurs descendants dans les domaines usurpés, à
condition qu'ils reconnaîtraient le roi de France comme suzerain, et qu'ils
seraient obligés envers lui à certaines redevances. C'est dans le Xe siècle
que commence la chaîne, non interrompue depuis, des comtes héréditaires de
Brienne. Quatre familles ont possédé tour à tour le comté de Brienne, la
famille de Brienne, la famille d'Enghein, la famille de Luxembourg et la
famille de Loménie.
La première en a pris son nom, qui était déjà héréditaire dès le XIIe
siècle. On verra en effet qu'Erard de Brienne, quoique comte de Rameru et
non de Brienne, a toujours pris ce dernier nom: circonstance qui a induit en
erreur plusieurs écrivains. Cette famille qui n'existe plus aujourd'hui, fut
une des plus illustres. Elle a rendu le nom de Brienne célèbre dans toute
l'Europe et jusque dans l'Orient: un Brienne ayant été roi de Jérusalem et
empereur de Constantinople; un autre, roi de Sicile et duc de la Pouille,
plusieurs, ducs d'Athènes; et Marie de Brienne, femme de Baudoin II,
impératrice de Constantinople. Cette famille a été la tige des comtes d'Eu
et de Guines, des vicomtes de Beaumont au Maine, des seigneurs de Rameru,
des comtes de Bar-sur-Seine, et des seigneurs de Conflans. La famille
d'Enghien a possédé peu de temps le comté de Brienne, qui a passé ensuite à
celle de Luxembourg. Cette famille n'est guère moins illustre que celle de
Brienne: plusieurs de ses membres ont été connétables de France. La famille
de Loménie, qui lui a succédé au comté de Brienne, est la dernière qui l'ait
possédé. Elle a acquis aussi beaucoup d'illustration, cinq de ses membres
ayant dirigé les affaires comme ministres d'état. Pendant ce long intervalle
de temps, qui comprend près de neuf siècles, le comté de Brienne n'a pas été
vendu une seule fois (du moins d'une manière efficace), et qu'il a toujours
été transmis jusqu'au début du XIXe siècle par succession et par alliance,
de sorte que ces quatre familles alliées entre elles, n'en forment, pour
ainsi dire qu'une seule (Voyez à la fin de cette notice, la liste
chronologique des comtes de Brienne). Dès l'époque où le comté de Brienne
fut pour la première fois possédé à titre héréditaire, il paraît avoir
relevé en plein fief, foi et hommage, du comté de Champagne. Les seigneurs
de Brienne devinrent par conséquent vassaux et hommes liges des comtes de
Troyes, qu'ils appelaient leurs suzerains.
En 1122, nous verrons Gauthier IV, comte de Brienne, faire hommage lige au
comte de Champagne, et dans un acte de 1277 nous le verrons appelé homme et
féal dudit comte. Cette qualité de vassal obligeait le seigneur de Brienne à
des redevances envers son suzerain, et notamment à lui fournir un nombre
déterminé d'hommes de guerre, lorsqu'on publiait en Champagne les bans et
arrière-bans. Du château de Brienne relevaient aussi plusieurs terres, dont
les seigneurs étaient vassaux de nos comtes à qui ils devaient à leur tour
foi et hom-mage, et service de guerre à la première réquisition. Tout nous
porte à croire que, dans ces temps de féodalité, les comtes de JBrienne
étaient fort puissants, et pouvaient au besoin se mettre à la tête de
troupes assez nombreuses pour faire trembler les barons voisins; qu'ils
avaient une garde réglée; et que leur château était entouré de
fortifications redoutables. On assure que ce château communiquait par des
signaux avec celui de Vandœuvre et celui de Chacenay. Dès l'époque de
l'établissement de la féodalité, vers le Xe siècle, les comtes de Brienne
devinrent pairs de Champagne, avec les six autres seigneurs les plus
puissants de cette province. En cette qualité, ils devaient assister aux
assemblées dites Grands jours de Trores. Engilbert est le premier qui ait
possédé le comté de Brienne à titre héréditaire. Il vivait sous le règne de
Hugues Capet, en 990, époque où il comparaît dans une charte de Montierramey.
Engilbert, deuxième du nom, succéda à Engilbert qui précède. Les chroniques
d'Albéric nous apprennent que ce dernier, qualifié comte de Brienne-sur-Aube,
épousa la veuve d'un comte de Joigny, laquelle avait une fille de son
premier mariage. Par les soins du comte Engilbert cette fille fut donnée en
mariage à un vaillant chevalier, nommé Étienne de Vaulx, qui faisait partie
de sa table, sans doute en qualité valet. Étienne de Vaulx devint par sa
femme comte de Joigny: c'est lui qui, aidé des secours et sans doute de
l'argent d'Engilbert de Brienne, jeta les fondements du château de Joinville
"de ce biau chastel", où est né le fameux sire de Joinville, "chastel qu'il
avait fort à cœur".
Du vivant d'Engilbert II , le nouveau comte de Joinville usurpa des terres
appartenant à l'abbaye de Montierender. C'était alors chose fort ordinaire
que ces usurpations; mais les moines étaient protégés par les rois. Ceux de
l'abbaye de Montierender se plaignirent ; et, par un décret de l'an 1027,
Robert, roi de France, ordonna que les terres usurpées fussent restituées à
l'abbaye. Le comte de Brienne détermina son gendre à acquiescer à ce décret,
et obtint même pour lui de Dudon, abbé de Montierender, le titre d'avoué de
la terre de Blaise, dont Engilbert était revêtu. Ce même Engilbert, qui eut
pour frère Widon, fit au profit de l'abbaye de Montierender le transport des
redevances qui lui étaient dues par le village de Dodincourt (Saint-Christophe).
L'acte en fut dressé à Brienne-le-Château, sous le règne de Robert, et
revêtu du sceau d'Adélaïde, comtesse de Brienne, sans doute femme
d'Engilbert. Suivant les chroniques d'Albéric, Engilbert II vivait encore en
1055. Il eut pour successeur Gauthier au comté de Brienne. En 1068, il fit,
conjointement avec sa femme, Eustache, comtesse de Bar-sur-Seine, quelques
donations à l'abbaye de Montierramey, au diocèse de Troyes. Il vivait encore
en 1080. Il eut plusieurs enfans, et notamment Erard, Milon, dont les
descendants furent comtes de Bar-sur-Seine, et Engilbert de Brienne,
seigneur de Conflans, tige de la maison de Conflans. Gauthier II du nom,
fils du précédent , et d'Alix de Roucy, dame de Rameru, fut comte de Brienne
à la mort de son père. Il se signala comme lui par sa piété. C'est lui qui
fonda l'abbaye de Basse-Fontaine, près de Brienne, sur les bords de l'Aube.
Le même Gauthier signala sa bienfaisance envers le prieuré de Rameru, où il
avait des propriétés du chef de sa femme. Il fit le voyage de la
Terre-Sainte, et, à son retour (en 1152), il ratifia le don qu'il avait fait
à l'abbaye de Beaulieu. Il ne vivait plus en 1156.
Erard II du nom, fils de Gauthier, lui succéda dans le comté de Brienne. En
1182, il fut présent à la donation que Simon de Broye fit à l'Abbaye de
Boulaneourt. Il termina, en 1186, un différend qu'il avait avec l'évêque de
Troyes, et vivait encore en 1189. La bonne intelligence qui avait régné
entre l'Abbaye de Basse-Fontaine et Gauthier II n'exista pas avec le
successeur de ce dernier. Mais toutes les difficultés furent levées par une
transaction de l'an 1185. Les frères de Basse-Fontaine abandonnèrent à Erard
tout ce qu'ils possédaient à Précy, et Erard, du consentement d'Agnès, son
épouse, et de Gauthier, son fils, leur concéda, entre autres biens ,
l'église de Basse-Fontaine , et les terres qu'ils avaient défrichées dans ce
lieu et au Mesnil. Gauthier III devint comte de Brienne à la mort d'Érard II,
son père. On le voit comparaître comme témoin dans un acte de donation qui
fut faite, en 1182, à l'Abbaye de Boulancourt. C'est de son vivant, en 1197,
que mourut Henri II, comte de Champagne. Il laissait deux filles: Philippe,
qui avait épousé Érard de Brienne, seigneur de Rameru; et Alix, dont
Gauthier IV de Brienne, épousa la fille. Elles seules avaient droit au comté
de Champagne. Néanmoins Thibaut III, frère du feu comte de Champagne,
s'empara du comté. Cette usurpation fut par la suite la cause d'une guerre
qui dura plusieurs années. L'affaire devint assez sérieuse pour obliger les
pairs du royaume à se réunir à Melun, en l'an 1216. Ils déclarèrent que les
prétentions de la femme du seigneur de Rameru étaient mal fondées. Cette
décision ne découragea pas Érard de Brienne, qui continua la guerre, aidé du
duc de Lorraine et de plusieurs autres barons; mais, en 1220, le duc de
Lorraine son allié ayant été tué, il fut obligé de se désister de son
entreprise. Au début du XIIIe siècle, sous le règne de Philippe-Auguste, une
croisade se forma afin d'aller combattre les infidèles en terre sainte.
Les seigneurs Champenois furent des premiers à prendre la croix, ayant à
leur tête Thibaut, comte de Champagne, alors suzerain de 1800 fiefs qui lui
devaient l'hommage lige. A sa suite marchèrent Gauthier, comte de Brienne,
et Jean de Brienne, son frère, avec les hommes de leur terre en état de
porter les armes. Parmi ces Champenois, on remarquait Jeoffroy de
Villehardoin, maréchal de Champagne, seigneur d'un château situé à deux
lieues de Brienne, et qui se couvrit de gloire dans cette croisade. Il lui
était réservé d'en être l'historien, et de nous transmettre l'illustration
que s'y acquirent ses compatriotes Gauthier et Jean de Brienne. C'est encore
un Champenois, le sire de Joinville, parent et voisin des comtes de Brienne,
qui sera plus tard l'historien d'une autre croisade, où se signalèrent
d'autres de Brienne. Gauthier de Brienne, accompagné de soixante chevaliers
et de quarante écuyers champenois, conquit en partie le royaume de Sicile,
sur lequel il avait des droits du chef de sa femme; et il prit le titre de
roi de Sicile et de duc de la Pouille. Mais il ne jouit pas longtemps de sa
conquête; car il périt presque aussitôt en 1205. Quant à son frère, Jean de
Brienne, rien n'égale l'illustration qu'il acquit. Les chrétiens de la
Palestine étant venus demander à Philippe-Auguste, roi de France, un époux
pour Marie, héritière du royaume de Jérusalem, le roi choisit Jean de
Brienne comme propre au commandement, courageux, habile dans la guerre et
sage dans les conseils. Il épousa l'héritière du royaume de Jérusalem, et
fut, en 1209, sacré et proclamé roi de cette ville. Plus tard, en 1229, il
devint empereur de Constantinople. Il mourut le 23 mars 1237. Sa fille,
Marie de Brienne, devint impératrice par son
mariage avec Baudoin II. Gauthier III eut pour successeur au comté de
Brienne Gauthier IV, dit le Grand, son fils posthume. Sanuto nous apprend
que durant sa minorité et pendant qu'il séjournait en Pouille, Jean de
Brienne, son oncle, fut son tuteur et tint le comté de Brienne à titre de
bail. C'est pourquoi ce dernier, suivant la coutume du temps, s'intitula
comte de Brienne. Il est ainsi qualifié dans quelques titres du cartulaire
de Champagne de l'an 1209, et par Albéric en l'an 1210. Il tint le comté,
dont il gouverna les terres et seigneuries, jusqu'à ce que son neveu fût en
âge de les régir par lui-même. Pendant que Jean de Brienne était roi de
Jérusalem, il nomma des gouverneurs au comté de Brienne: parmi eux on voit
Jacques de Durnay, chevalier champenois, qui prend la qualité de "comitatus
Brenensis procurator pro domino rege Hierosolunæ, comite Brenœ". Le roi de
Jérusalem aurait pu tenir ce comté jusqu'à ce que son neveu fût âgé de 21
ans, âge fixé par les lois pour la majorité. Mais il le lui restitua avant
ce temps, comme nous l'apprend la lettre qu'il écrivit au mois d'avril 1221,
à Blanche , comtesse de Champagne, et à Thibaut, son fils. Par cette,
lettre, il les prie de mettre Gauthier, son neveu, qui à cette époque
revenait en Champagne, en possession du comté de Brienne, et de ne pas le
retenir en leurs mains, sous prétexte qu'il en a été fait hommage à lui
tuteur, ou que son neveu n'a pas encore atteint l'âge de majorité, son
intention étant qu'il entre de suite en possession. L'année suivante, au
mois de novembre, le jeune comte, qui était de retour dans sa terre, fit
hommage lige au comte de Champagne des seigneuries d'Oignon et de Luyères,
que le roi de Jérusalem lui avait données; mais, dès avant cette époque, il
était vassal lige du comte de Champagne à cause de son comté de Brienne. Le
même Gauthier IV obtint du roi Jean la cession de tous les droits, que ce
dernier pouvait avoir, sur les bourgeois du roi, demeurant à Brienne, et
dans les terres dépendantes du comté. Après s'être mis en possession de ses
biens et de ses revenus, Gauthier le Grand retourna à la Terre-Sainte; où il
obtint le comté de Japhe, et où il signala sa valeur contre les Sarrasins
mais le firent cruellement mourir.
L'histoire des successeurs de Gauthier IV n'offrant rien d'intéressant pour
l'histoire; nous dirons seulement que sous Jean de Brienne, son successeur
immédiat, et quelque temps après 1262 , époque de la promotion d'Urbain IV à
la papauté, le comté fut acheté par ce pape pour doter le chapitre
Saint-Urbain de la ville de Troyes. Mais sa mort fit échouer ce projet, et
Brienne resta à la famille de ses anciens seigneurs. Gauthier VI de Brienne,
comte de Liches, duc d'Athènes et connétable de France, fut le dernier de
cette illustre famille qui posséda le comté de Brienne. Il mourut sans
enfants à la bataille de Poitiers, le 19 septembre 1356. Sa sœur Isabeau qui
lui succéda, porta le comté de Brienne à Gauthier d'Enghein, qu'elle avait
épousé en 1320. Suivant le Dictionnaire de la noblesse, Louis d'Enghein leur
fils commun, comte de Brienne, eut, entre autres enfants, Marguerite d'Enghein
qui porta à son tour le comté de Brienne dans la famille de Luxembourg, par
son mariage avec Jean de Luxembourg, comte de Piney. La famille de
Luxembourg posséda le comté de Brienne pendant plus de deux siècles. Durant
cet intervalle, on trouve peu de détails historiques sur Brienne. Il est
probable que ces nouveaux seigneurs, propriétaires de beaucoup d'autres
domaines considérables, habitèrent peu le château de Brienne. Les terres du
comté, rarement visitées par leurs maîtres, durent être mal cultivées. Une
partie restait en friche. On en trouve la preuve dans un acte daté de 1558,
par lequel Jean Yardin, écuyer, capitaine de la ville et châtel de Brienne,
reçoit de Jean de Luxembourg, comte de Brienne, la permission de prendre
terres et lieux vacants et étant en friche dans tout le comté. Jean de
Luxembourg était mort vers l'an 1397.
Sous le roi Charles VII, la France était en partie occupée par les Anglais.
La guerre se continuait depuis longtemps, et la Champagne en était un des
principaux théâtres comme elle le fut presque toutes les fois que le
territoire français fut envahi. Baugier nous apprend, sans nous donner de
plus amples détails, que pendant ces guerres, et en 1451, le château de
Brienne fut pris par famine et démoli. Il est remarquable, et c'est une
coïncidence assez bizarre, qu'il avait déjà été pris et détruit, cinq cents
ans avant cette époque, en 951, et que Brienne avait de même été pris mille
ans auparavant en 451, par Gébavulte, roi des Allemands, qui avait emmené
les Briennois captifs. En 1466, le comte de Brienne, Louis de Luxembourg,
connétable de France, sous lequel cet événement s'était passé, fut condamné,
"comme crimineux de lèze majesté, à avoir la tête tranchée sur un échafaud,
devant l'hôtel de ville de Paris". Là sentence fut exécutée le 19 décembre
1475. Par suite de cette exécution, tous les biens de Louis de Luxembourg
furent confisqués au profit de la couronne. Le comté de Brienne fut donné à
Charles d'Amboise, seigneur de Chaumont. Mais Antoine de Luxembourg, fils de
Louis, rentra en faveur à la cour, fut nommé à la place de connétable de
France qu'avait occupée son père, et fut aussi réintégré dans tous ses
biens, par lettres du 29 mai 1504. Depuis lors la terre de Brienne rentra
dans la famille de Luxembourg. C'était la seconde fois qu'elle sortait des
mains de ses comtes héréditaires. Sous Jean de Luxembourg, comte de Brienne,
arrière-petit-fils d'Antoine, et à l'époque des guerres civiles qui
déchirèrent la France, le château de Brienne, qui avait été reconstruit,
subit un nouveau siège. Courtalon, qui nous a transmis ce fait, ne nous dit
pas quel en fut le résultat, et à quelle époque précise il se passa. Nous
devons croire que c'est dans l'intervalle des années 1574 à 1576. A cette
époque la Champagne était fort agitée, et Brienne se trouvait près du foyer
des guerres civiles, les Guises qui les fomentaient, demeurant au château de
Joinville dont on a déjà parlé.
Charles de Luxembourg, fils de Jean, qui précède, fut comte de Brienne en
1576, que mourut son père. Il obtint en 1587 du roi Henri III, que le comté
de Brienne fut érigé en sa faveur en duché-pairie. Mais le parlement refusa,
on ne sait pour quelle cause, d'enregistrer les lettres du roi, et Brienne
demeura simple comté. Charles de Luxembourg étant mort sans enfants le 18
février 1608, le comté passa à sa sœur Louise qui le porta à Bernard de Béon,
par son mariage avec ce dernier, mort en en 1647. Enfin Louise de Béon, leur
fille commune, le fit entrer dans la famille de Loménie , par suite de son
mariage, en 1623, avec Henri-Auguste de Loménie. Avec la famille de Loménie
commence, pour ainsi dire, une troisième époque de l'histoire de Brienne.
Les nouveaux comtes de Brienne furent d'une bienfaisance mieux entendue que
les pieux comtes de la première race. Dès 1625, Louise de Béon-Luxembourg,
épouse de Henri-Auguste de Loménie, fonda un couvent de minimes, destiné à
l'éducation des enfants du bourg. Louise de Béon-Luxembourg fonda en 1653,
un hôpital gouverné par des directeurs et quatre sœurs de la charité, dites
sœurs grises. Le comte Henri-Auguste de Loménie mourut le 5 novembre 1666,
après avoir été ministre et secrétaire d'état. Louis-Henri de Loménie, né en
janvier 1636, devint comte de Brienne, à la mort d'Henri-Auguste, son père.
Comme lui, et dès l'âge de seize ans, il fut ministre secrétaire d'état. Il
voyagea beaucoup et paraît avoir peu habité le château de Brienne. On dit
que, sur la fin de ses jours, sa raison fut altérée par suite de chagrins de
cour. Il mourut le 14 avril 1698. Il a laissé plusieurs ouvrages, notamment;
"Une relation en latin de ses voyages; un poème sur les fous, où il ne
s'oublia pas; et des mémoires", qui ont été imprimés au commencement du XIXe
siècle.
Henri-Louis de Loménie, mort en 1743, et Nicolas-Louis de Loménie, fils et
petit-fils du précédent, furent successivement comtes de Brienne. L'histoire
n'en fait pas mention. Il paraît qu'à la différence de leurs aïeux, ils
vécurent tous deux dans leur terre, loin de la cour. Les grandes dépenses
qu'avait faites Louis-Henri de Loménie, et le peu de fortune qu'il dut
recueillir du chef de sa femme, qui avait un grand nombre de frères et
sœurs, permettent de croire qu'ils passèrent leur vie sans l'éclat qui
accompagne les richesses. C'est du moins ce que l'on doit conjecturer de la
note sui-vante du cardinal de Loménie, l'un des fils de Nicol as Louis: "Le
dernier secrétaire d'état de notre nom, M. de Brienne, qui fut disgracié en
1663, sous Louis XIV, avait laissé des papiers importants. Ni mon
grand-père, ni mon père, ne s'en étaient occupés. Tous deux négligèrent
l'administration de leurs biens: tous deux vécurent dans l'obscurité; si
bien que, quand ma mère mena mon frère aîné qui était tout jeune, à
Versailles, Madame de Ventadour, qui vivait encore, et qui avait vu M. de
Brienne, fut étonnée d'apprendre qu'il y eut encore quelqu'un de ce nom".
Nicolas-Louis de Loménie laissa à sa mort, dont on ignore la date,
Charles-Etienne et Louis-Marie-Athanase. Charles-Etienne était l'aîné, et
devait par conséquent hérité du comté; mais il céda à son frère son droit
d'aînesse, pour embrasser l'état ecclésiastique. Le comte de Brienne fit
entrer dans sa maison une immense fortune par le mariage qu'il contracta, en
1757, avec Étiennette Fizeau de Clémont, fille d'un riche fermier-général.
La nouvelle opulence du comte de Brienne lui permit de satisfaire son double
penchant pour la splendeur et la bienfaisance. Il acquit des terres les plus
considérables qui avoisinent Brienne, et conçut le projet de faire
reconstruire le château sur de nouveaux plans.
Si l'on en croit les anciens du pays, le coteau, sur lequel est situé ce
château, était beaucoup plus élevé qu'aujourd'hui. De là ses tours gothiques
semblaient menacer le ciel. Bientôt, il fut détruit: le coteau fut diminué,
et, sur les plans de l'architecte. Fontane, s'éleva le superbe édifice que
l'on admire aujourd'hui. Il est en effet digne d'admiration, et par son
architecture; et par la beauté des jardins qui l'entourent. Quoique moins
élevé que celui qu'il remplace, il l'est encore assez pour dominer au loin
les plaines voisines; aussi disait-on que le comte de Brienne pouvait de son
château apercevoir tous les fiefs qui en relevaient, et qui étaient fort
nombreux. Sa blancheur éblouissante le rend encore plus remarquable, et
forme un beau contraste avec la couleur sombre des bois, dont il est
environné. Le comte de Brienne et son frère consacrèrent une partie de leurs
revenus à des établissements, utiles pour leur pays, et à des actes de
bienfaisance, dont les récits, à peine croyables, s'ils n'étaient unanimes,
se sont conservés dans la mémoire de tous les Briennois. Ils firent rebâtir
à neuf l'hôpital de Brienne; ils confièrent aux sœurs le soin d'élever les
jeunes filles du pays, et de diriger une filature de coton, qui offrit aux
pauvres une ressource assurée contre la misère, et où des prix étaient
distribués aux plus habiles ouvrières. Vers 1730 ou 1735, les religieux du
couvent des Minimes, dont nous avons déjà parlé, avaient converti leur école
en un collège. Enfin, en 1788, le gouvernement désigna le collège de Brienne
pour l'éducation de cadets gentilshommes destinés au génie. Le jeune
Napoléon est entré à l'école le 23 avril 1779, à l'âge de neuf ans, huit
mois et cinq jours. Il y a passé cinq ans, et en est sorti le 17 octobre
1784, âgé de 15 ans. Ce fut à Brienne que Napoléon obtint ses premiers
triomphes; il eut en effet l'honneur d'être couronné, pour un prix de
mathématiques, à une distribution que présidait le duc d'Orléans. Ce prince
vint à Brienne en 1783 avec plusieurs seigneurs de la cour. Les fêtes
étaient brillantes, pendant un mois, le château de Brienne offrit tout
l'éclat d'un château royal.
La révolution arriva et M. le comte de Loménie fut appelé au ministère de la
guerre, au moment où son frère le cardinal de Loménie occupait les finances.
Ce fut la dernière faveur que lui accorda la fortune, si toutefois ce fut
une faveur. Elle ne fut pas de longue durée. L'ex-ministre alla se consoler
dans sa terre, où il recueillit les bénédictions des Briennois. Là, il
attendait que le calme revint, et que la France jouît enfin du bonheur que
tous les hommes de bien espéraient. Dans le plus fort de nos tempêtes
politiques, il n'imita pas la plus grande partie de la noblesse française.
N'ayant rien à se reprocher, il crut pouvoir rester dans son château. Mais
il vint un temps où la naissante, la fortune et le crédit étaient autant de
titres de proscription. On vint l'arracher de son asile dans le printemps de
1794, et on le traîna dans les prisons de Paris. Aussitôt que son
arrestation fut connue à Brienne, des pétitions nombreuses de cette ville et
des environs furent adressées en sa faveur. Mais son sort était décidé, et
l'intérêt qu'on lui portait ne pouvait que hâter sa mort. Il fut exécuté le
10 mai 1794, avec un de ses neveux et ses trois enfants adoptifs. Ainsi
périt le dernier comte de Brienne. La terre de Brienne fut alors confisquée
au profit de l'état; mais, n'ayant pu être vendue, elle fut restituée plus
tard par Napoléon à madame veuve de Loménie, dont il n'avait pas oublié les
bienfaits. Depuis la mort de M. de Loménie, le château semblait avoir pris
le deuil de son ancien seigneur. Tout y était triste: plus de fêtes, plus de
magnificence. Cette monotonie fut interrompue pendant deux jours. En 1805,
Napoléon, qui de l'état le plus humble était arrivé au pinacle des
grandeurs, consentit à se rendre à Brienne, sur la prière de madame veuve de
Loménie. Il arriva au château dans la plus belle saison de l'année. Ce
n'était plus le jeune Bonaparte timide, pauvre, isolé: c'était Napoléon dans
toute sa gloire, et entouré du plus brillant cortège. Par un retour bizarre
de la fortune, madame veuve de Loménie, qui autrefois avait été sa
protectrice, était devenue sa protégée. Le séjour de l'empereur au château
de Brienne est encore présent à toutes les mémoires. Les fêtes
recommencèrent, et pendant quelques jours Brienne brilla de son ancienne
splendeur.
Neuf ans après, la scène a bien changé. Napoléon revient à Brienne le 29
janvier 1814. Mais ce n'est plus le héros que suivait partout la victoire.
Prêt à entrer dans la capitale de la Russie, la fortune l'avait abandonné.
Depuis lors, il n'avait éprouvé que des revers; et il revenait à Brienne, où
il espérait faire un coup d'éclat, en raison de la connaissance particulière
qu'il avait des lieux. C'est dans la nuit du 29 janvier que Napoléon, à la
tête de son armée, se dirigea de Mézières sur Brienne. Le général Blucher
était alors au château avec son état major. Au moment où il allait se mettre
à table, les grenadiers de la garde pénétrèrent dans le parc, et le
forcèrent à prendre la fuite à travers les bois. Bientôt les Français, à la
suite dune lutte des plus sanglantes, se rendirent maîtres de la ville. Dans
cette nuit affreuse Brienne fut couvert de morts, et une partie de ses
maisons fut embrasée par l'artillerie. Au milieu de cette nuit sanglante,
Napoléon regagnait Mézières, où il avait établi son quartier général, lorsqu
il fut assailli par une troupe de cosaques. L'un d'eux, qui allait le
frapper, fut, dit-on, étendu mort par le général Gourgaud. A la pointe du
jour, Napoléon revint au château. On assure qu'attristé des désastres
auxquels était en proie la ville où il avait reçu les premiers bienfaits de
l'éducation il se promettait de la rebâtir, d'acheter le château, d'en faire
une résidence impériale, et d'y fonder une école militaire. Mais la fortune
en avait décidé autrement. Le surlendemain, 1er février, eut lieu la
bataille de la Rothière, dans la plaine de Brienne, bataille si funeste aux
Français. Ce jour là Napoléon coucha encore au château, qu'il quitta à
quatre heures du matin. Cette bataille appelée bataille de Brienne est
décrite avec beaucoup de détails, ainsi que le combat du 29, dans les
campagnes de Napoléon, par Monsieur Victor Maingafnaud. (1)
En 1852 le domaine est acheté par Madame Laurence de Montmorency, épouse du
prince Théodore de Bauffremont dont le fils Gontran, duc de Bauffremont,
sera conseiller général de l’Aube. En 1933, une nouvelle vente, cette fois à
un marchand de biens, entraîne l’entière dispersion du mobilier, des
souvenirs historiques et du décor intérieur. Très éprouvé par l’hébergement
de prisonniers, à l’issue de la guerre, puis par un abandon prolongé, le
château ne doit son salut qu’à sa transformation en centre psychothérapique.
Précédée d’une grandiose cour d’honneur encadrée de pavillons isolés et
immenses, communiquant avec le corps par des souterrains, cette majestueuse
demeure s’organise à partir d’un avant-corps chargé d’un fronton et d’un
important toit à l’impériale. Aux extrémités, d’élégantes travées incurvées
relient les courtes ailes au corps principal. L’élévation présente une
disposition originale, analogue à celle du palais des Rohan, à Saverne,
au-dessus des hautes fenêtres du rez-de-chaussée, sous le cordon qui sépare
de l’étage principal, viennent s’insérer les petites baies rectangulaires
d’un entresol. Dans l’avant-corps central, sur la cour, ces percements font
place à des tableaux sculptés en bas-reliefs, représentant des jeux
d’enfants d’après Clodion. Les pièces de réception ont perdu leur somptueuse
décoration Louis XVI, faite de stucs peints à l’imitation du marbre, de
glaces et de boiseries sculptées et dorées, rehaussées de pilastres dans le
grand salon et de trophées dans la salle à manger. Le cardinal et son frère
n’y avaient pas réuni de collections de tableaux, mais y avaient créé un
cabinet d'histoire naturelle, une bibliothèque riche et nombreuse et un
cabinet de physique. (2)
Liste chronologique des comtes héréditaires de Brienne. famille de
Brienne: Engilbert 1er, vivant en 990; Engilbert II de Brienne, vivant
en 1055; Gauthier 1er de Brienne, fils du précédent, vivant en 1068; Erard
1er de Brienne, fils du précédent, vivant en 1104; Gauthier II de Brienne,
fils du précédent, comte de Brienne en 1143, ne vivait plus en 1156; Érard
II de Brienne, fils du précédent, vivant encore en 1189; Gauthier III de
Brienne, roi de Sicile et duc de la Pouille, fils du précédent: mort en
1205; Gauthier IV de Brienne, dit le Grand, fils du précédent, on place sa
mort en 1251. Jean de Brienne, fils du précédent, mort avant l'an 1270;
Hugues de Brienne, frère du précédent, comte de Liches, duc d'Athènes, ne
vivait plus en 1301. Gauthier V de Brienne, fils du précédent, comte de
Liches, duc d'Athènes, mort en 1312. Gauthier VI de Brienne, fils du
précédent, comte de Liches, duc d'Athènes, connétable de France, mort en
1356, sans enfant.
Famille d'Enghein: Gauthier d'Enghein, comte de Brienne par son
mariage, en 1320, avec Isabeau de Brienne, sœur de Gauthier VI de Brienne,
elle vivait encore en 1362. Sohier d'Enghein, duc d'Athènes, fils du
précédent; Gauthier d'Enghein, duc d'Athènes, fils du précédent, tué en 1381
au siège de Gand; Louis d'Enghein, oncle du précédent, frère de Sohier.
Famille de Luxembourg: Jean de Luxembourg, comte de Brienne, par son
mariage avec Marguerite d'Enghien, fille de Louis d'Enghein, Jean de
Luxembourg est mort vers l'an 1397; Pierre de Luxembourg, fils du précédent,
mort en 1433; Louis de Luxembourg, fils du précédent, connétable de France,
exécuté, pour crime politique, le 14 décembre 1475; Antoine de Luxembourg,
fils du précèdent, connétable de France, baron de Rameru et de Piney, mort
en 1510; Charles de Luxembourg, fils du précédent, mort en 1530; Antoine de
Luxembourg, fils du précédent , mort en 1557; Jean de Luxembourg, fils du
précédent, mort en 1576; Charles de Luxembourg, fils du précédent, mort le
18 février 1608, sans enfant; Bernard de Béon, comte de Brienne par son
mariage avec Louise de Luxembourg, sœur du précédent, il mourut
en 1647.
Famille de Loménie: Henri-Auguste de Loménie, secrétaire d'état,
comte de Brienne, par son mariage, en 1623, avec Louise de Béon, fille de
Bernard de Déon et de Louise de Luxembourg, il est mort en 1666; Louis-Henri
de Loménie, fils du précédent, secrétaire d'état, mort en 1698; Henri-Louis
de Loménie, mort en 1743; Nicolas-Louis de Loménie; Louis-Marie-Athanase de
Loménie, ministre de la guerre, dernier seigneur de Brienne, condamné à mort
et exécuté le 10 mai 1794. (1)
Éléments protégés MH : la grille d'honneur et le pont commandant l'accès du
château ; les façades et les toitures du château et des deux pavillons
isolés qui l'accompagnent, avec les cours et escaliers extérieurs ;
l'escalier d'honneur et l'escalier de service à l'intérieur du château :
inscription par arrêté du 4 juin 1935. (3)
château de Brienne le Château 10500 Brienne-le-Château, depuis 1959,
Centre Hospitalier de soins spécialisés.
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