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Le bourg est construit en forme de croix latine,
ainsi que l'avait décrété l'illustre architecte François Mansard. Le sommet
de l'arbre est le magnifique château du XVIIe siècle, sis à l'ouest; les
deux bras, partant de la place publique, sont la rue des Étangs et celle des
Forges, au sud et au nord; le tronc, c'est la rue du Sapin par laquelle nous
venons d'arriver. Le château, pour l'embellissement duquel fut plantée
l'avenue autour de laquelle s'est groupé le bourg, est situé à mi-pente
d'une colline. Entre son sommet et le château s'étend une magnifique avenue,
d'où l'œil embrasse un des plus captivants horizons. C'est, sur un immense
tapis de verdure, la construction de François Mansard; à droite, la
perspective des deux rangées de maisons; en face et en contre-bas, les
jardins du château et la pente rapide qui conduit à l'emplacement des
vieilles forges et, en bordure sur le versant d'une autre colline, l'antique
forêt de Bur-le-Roy, dont les futaies et les sombres voûtes de feuillage
semblent convier l'homme tout à la fois à la contemplation des choses d'en
haut et des arcanes de la vie. Après avoir franchi la grille élevée entre le
château et la chaussée, on pénètre dans une première cour récemment
convertie en un jardin des mieux dessinés et dont les allées, teintées de
différentes couleurs, par un habile mélange de sables et de briques pilées,
rappellent le beau temps de André Le Nôtre. Ce sont les communs (orangerie,
écuries, remises), construits en dehors de la ligne des bâtiments et assez
bas pour ne gêner en rien la vue. Ensuite, c'est un petit pont jeté sur un
large fossé maçonné, défendu par deux colombiers, qui mène dans une cour
d'honneur, autour de laquelle un rez-de-chaussée approprié à différents
services domestiques.
De là, par un escalier de onze marches semi-circulaires, on monte à un
perron surélevé des côtés, entouré d'une balustrade en pierre de taille qui
enserre deux pavillons détachés, puis va rejoindre les deux ailes du corps
de bâtiment principal. Ces trois constructions sont éclairées par environ
cent ouvertures de grande dimension aux deux étages. Le toit central est
couronné par une plate-forme quadrangulaire, entourée d'une rampe de pierres
en balustres et surmontée d'une lanterne hexagonale, couverte par un dôme en
plomb, où est une horloge. De là, l'œil surplombe un panorama délicieux,
aussi remarquable par la variété des sites que par la richesse que révèle la
végétation environnante. Tous les matériaux employés à ces constructions
proviennent du sol qui les entoure. Le château est donc sorti du sol. Plus
heureux que beaucoup d'autres castels contemporains, Balleroy n'eut pas trop
à souffrir de la Révolution, grâce à la protection dont le couvrit un enfant
du pays, M. Bouisset, chanoine de la prébende d'Esquay, fils d'un
maréchal-ferrant de Balleroy, plusieurs fois lauréat des palinods de Caen et
de Rouen, précepteur des enfants du baron de Fontette, membre de la
Commission des Arts à Bayeux. D'un autre côté, il n'a cessé de demeurer en
riches mains, qui n'ont rien négligé pour l'entretenir, voire même le parer,
depuis Jean de Choisy jusqu'au marquis actuel.
Le pavillon de gauche abrite la famille du gardien, dont la femme, vieillie
au service des propriétaires, décrit avec une faconde, vierge de toute
critique, les richesses du château. Le pavillon de droite est consacré comme
un monument intime à la mémoire du père du marquis, le comte Albert de
Balleroy, gentilhomme artiste, dont M. de Chennevières écrivait qu'il était
"supérieur au plus habile amateur". A l'entrée, se trouve le portrait de son
maître, M. Schmitz, exposé en 1861, élève de David et peintre des chasses de
la maison de Condé; toutes les parois sont couvertes de nombreuses études de
sujets de vénerie et d'équitation. Nous retrouverons dans le grand corps de
logis nombre d'autres productions de son pinceau. Né le 15 août 1828, au
château de Lonné, près Bellesme, chez son grand-père le comte d'Orglandes,
Albert de Balleroy exposa au salon de 1853 son premier tableau, "Chiens
courants". Il exposa à tous les salons suivants jusqu'en 1869 inclusivement.
En 1863, il obtint une mention honorable; en 1867, une médaille; en 1868 et
1869, il était exempt. Conseiller général, commandant de la garde nationale
de Balleroy en 1870, il se présenta avec un fort détachement pour s'opposer
aux progrès des Prussiens, alors à Lisieux. Député en 1871, avec 78309
suffrages qui le mettaient en tête de liste, il mourut le 10 août 1872, à
quarante-trois ans, miné par le chagrin de la perte de deux enfants, ne
laissant de toute la gracieuse et si distinguée Marie d'Ivry, sa digne
veuve, qu'un fils, sur la tête duquel la fin prématurée de son père fit,
plus tard, passer la couronne de marquis.
Le vestibule où nous pénétrons est de grandes proportions et donne accès à
un escalier vraiment seigneurial. En face de la porte d'entrée est le grand
salon du rez-de-chaussée, décoré par le peintre Albert, de grands panneaux
de chasse d'un réel mérite. Ces cinq toiles, parmi lesquelles une nature
morte, et les hallalis du cerf, du sanglier et du loup, figurèrent au salon
de 1857. Au-dessus de la porte, un portrait, un peu fatigué, de femme jeune
et jolie avec cheveux annelés, vers laquelle vole un amour, est d'un faire
intéressant, presque digne de Mignard. En dessus de cheminée, dans un cadre
ovale, un ange conduit le jeune Tobie, coiffé comme les personnages de
l'école hollandaise. La peinture est grasse, colorée, harmonieuse; elle a la
magie de la couleur et la vigueur du pinceau de Rembrandt. On la croit un
portrait de famille. Des meubles anciens, des sièges du style le plus pur,
recouverts de tapisseries artistement réparées, et un foyer très ancien
ornent cette pièce, qui communique avec le parc par une porte-fenêtre
s'ouvrant sur un pont-levis qui ne s'abaisse que pendant le séjour des
châtelains. Au même étage, un cabinet florentin, artistement sculpté de
scènes bibliques et profanes, authentique au moins dans sa partie
supérieure, avec des compartiments intérieurs d'un beau travail et des
mosaïques, provenant de la famille Bignon, dont certains membres ont leurs
portraits dans un appartement donnant sur la forêt. Une glace, une table et
une couche, essayées dans le même style, ornent une autre pièce, qui, comme
beaucoup de ses pareilles, et les menus salons, regorge de portraits, de
miniatures et de souvenirs de famille, portraits de Nattier, dessins de
Carmontelle, tableautins d'Horace Vernet. Là est la toile sur laquelle le
pinceau de son époux reproduisit les traits de Mademoiselle d'Ivry. Elle fut
exposée au salon de 1868.
Que dire des admirables tapisseries qui décorent la salle à manger? Ce sont,
au témoignage de M. de Chennevières, allié des d'Orglandes, les plus
étonnants morceaux de bergeries d'après Boucher. Les lustres, les feux de
cheminées, les meubles qui se rencontrent dans toutes ces pièces sont de
magnifiques spécimens de l'art français sous les trois princes qui
occupèrent le trône, de la fondation du château au cataclysme qui engloutit
toute une société pour ouvrir l'ère des temps nouveaux. Les parois de la
cage d'escalier sont semées de toiles dont quelques-unes ne sont pas sans
valeur: beaucoup sont dues au pinceau du dernier maître de céans. Le grand
salon d'honneur, au premier étage, possède un plafond pompeusement décoré
par Pierre Mignard. Dans l'ovale du milieu on voit Apollon sur son char,
précédé de l'Aurore et d'une autre demi-déesse dans la splendeur éclatante
des rayons du soleil levant. Dans les voussures de la voûte, encadrant cet
ovale, les quatre saisons, d'une magistrale et poétique ordonnance. N'est-ce
point une flatterie à l'adresse du roi Soleil? On le croirait volontiers.
Cette fresque dut être exécutée vers 1670, et semble postérieure aux nobles
portraits qui décorent les parois: rois, reines, princes et princesses,
depuis Marie de Médicis jusqu'aux enfants de Louis XIV. Vis-à-vis de la
porte d'entrée, dans les deux entre-fenêtres, on voit d'un côté Marie de
Médicis (peinture flamande?) assise sur un lion; de l'autre, en Bellone, la
grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans, dont Jean de Choisy était le
conseiller. A droite et à gauche sont deux grands tableaux historiques; l'un
représente Anne d'Autriche et ses deux enfants, de grandeur naturelle. Sur
un trône demi-élevé est Louis XIV; sa mère, également assise, occupe le côté
gauche de la toile; à droite, le duc d'Orléans, frère du roi. L'autre
tableau figure une princesse, jeune et belle, dans des atours du XVIIe
siècle, avec quatre enfants...
Le château renferme une magnifique bibliothèque: beaux-arts, sciences,
lettres son également cultivés dans ce beau domaine. Elle comptait déjà 3680
volumes lors de la Révolution en 1794, ainsi que des objets consacrés aux
sciences et aux mathématiques, quand la bienfaisante commission des Arts de
Bayeux les fit transférer en cette ville pour les arracher aux mains des
vandales d'alors. Après 1801, ils furent rendus à leurs légitimes
propriétaires. Madame la comtesse de Balleroy transforme en partie
l'aménagement pour le seul fils que Dieu lui laissa, une galerie destinée
aux tableaux et objets d'art, est installée dans les bâtiments de gauche, là
où se cachèrent la comtesse d'Hervilly, née de Balleroy et ses filles, pour
échapper aux recherches des troupes du général Barbazan, quand son mari eut
été blessé à mort dans l'équipée de Quiberon. Restée dans le pays, cette
dame avait acquis révolutionnairement le domaine de Balleroy, moins les
rentes seigneuriales supprimées; en 1806, elle le partagea, par un pacte de
famille, avec la marquise de Jaucourt et Philippe-Auguste-Jacques de la
Cour, marquis de Balleroy, sa soeur et son frère. Ce dernier n'eut que le
château et la ferme du Parc. Né en 1763, marié en 1807, il eut de sa
première femme, Mademoiselle Maignard de la Vaupalière,
Auguste-François-Joseph-Pierre, et de sa seconde, Rose de Cyresme-Banville,
une fille. Désireux de lui constituer une dot et craignant que sa fortune
restreinte ne lui permît pas de faire bonne figure à Balleroy, il vendit ce
domaine, en 1819, à M. Lecordier, marquis de la Londe des Bigards, maire de
Versailles. Le nouveau propriétaire y réunit le moulin de Balleroy et ses
dépendances et d'autres terres achetées de Madame d'Hervilly.
Philippe-Auguste-Jacques mourut en 1840.
Dès 1827, son fils, alors comte de Balleroy, chevalier de la Légion
d'honneur, décoré des ordres de Malte, de Saint-Louis, de Saint-Ferdinand
d'Espagne, époux de Clémentine d'Orglandes, racheta le domaine paternel. En
1829, il donna sa démission de lieutenant-colonel de la garde royale. Il fut
maire et conseiller général. Il eut la douleur d'enterrer son fils
Albert-Félix-Justin. Vieille et noble race que ces seigneurs et châtelains
de Balleroy, leurs armes sont d'azur à 3 cœurs d'or, avec cette devise "Honeur
y gist". Le premier connu, Aïulphus de Foro, fonda l'abbaye d'Ardennes. Leur
nom de Foro, de Curia, de Corte, de la Cour, de la Court, ira se francisant
avec la langue. Joannes de Curia est évêque d'Évreux, chancelier de France
et garde des sceaux en 1256. Les archives du Calvados renferment un certain
nombre d'actes du XIIIe siècle, qui témoignent de la libéralité de ces
seigneurs envers l'Église. Saint Louis leur fit largesse. En 1360, Joannes
de Foro est pardonné pour ses maléfices dans le parti de Jean de Navarre. Un
Marcel du Four guerroye avec Charles VII contre les Anglais; en 1450, à
Formigny, bataille Gabriel du Four. Rémond de Montfaoucq le certifie noble,
en résidence à Maltot, sergenterie de Préaux, élection de Caen. Ils
s'allient aux d'Héricy, de la Bigne, de Croisilles, de Missy d'Estouteville,
Le Sens, de Parfouru, d'Achey d'Harcourt, de Goyon-Matignon, Mondrainville,
de la Rivière, Hérault, Morel, de Fusée et Lefrançois. En 1566, un arrêt de
la Cour des Aides autorise la substitution, en réalité la traduction de du
Four en de la Cour. Jean et Louis de la Cour furent vicomtes de Caen; le
second fut, en outre, conseiller d Etat, chef du Conseil souverain de
Pignerol et ambassadeur en Savoie et en Suisse. Son petit-fils, Jacques de
la Cour, chevalier, seigneur de Manneville, puis de Balleroy en 1697,
petit-neveu de l'évêque Duboscq, conseiller du Roy et maître des requêtes,
clama à droit lignager, du chef de sa femme, Emilie de Caumartin,
petite-fille de Madeleine de Choisy, le domaine et le château de Balleroy
que celui-ci avait vendu à la comtesse d'Harcourt.
Pour lui, en 1704, le roi unit et érigea en marquisat, les fiefs du Vernay,
du Parc et de Portes ou de Courteil. De lui descendent
Jacques-Claude-Augustin, père de six enfants, qui servit sous les ordres de
Villars, réunit à ses domaines la terre et seigneurie de Montfiquet et
mourut en 1773; Charles-Auguste, l'aîné des six, qui servit sous Louis XV,
dans la guerre de Sept ans et en Corse, fut blessé à Raucoux, vainquit les
Anglais à Saint-Caast, remplaça les forges par une poterie de grès et mourut
sur l'échafaud, en 1793; Philippe-Auguste-J acques, et
Auguste-François-Joseph-Pierre, grand-père du marquis actuel. Le dernier
représentant des Choisy fut l'abbé François-Timoléon, prieur de Saint-Lô,
Rouen et Saint-Benoist-de-Sault, haut doyen de Bayeux, l'un des Quarante,
trop connu par l'Histoire de Madame la comtesse de Barres. L'un de ses
ascendants, le comte Jean de Choisy, intendant de Metz, conseiller du Roy et
de Gaston duc d'Orléans, seigneur de Balleroy, Beaumont-le-Richard,
Grandcamp, Saint-Pierre-du-Mont et Létanville, construisit le château
(1626-1636) et l'église où reposent, au milieu du chœur, Jeanne de Brionne,
décédée en 1637; à gauche, son mari Jean de Choisy, mort en 1663; dans la
chapelle Saint-Martin, Jacques de la Cour, mort en 1725, et Emilie de
Caumartin, sa femme, morte en 1749; dans la chapelle de la Vierge,
Marie-Elisabeth Goyon de Matignon, morte en 1745, et son mari,
Jacques-Claude-Augustin de la Cour, décédé en 1773. Jean de Choisy habitait
auparavant le vieux manoir des Trexot, et fonda en 1655 la forge ou
haut-fourneau. Fils du baron Jean, gendre de Madeleine Le Sauvet, veuve Le
Charron d'Ormeilles, adjudicataire des biens des Trexot, anciens vassaux des
des Essarts, barons d'Aunay, qui, moyennant finance, leur cédèrent leurs
droits en 1511. Les Trexot, gens de robe et surtout d'église, furent à la
fois seigneurs de Balleroy, chanoines de Bayeux, curés de leur seigneurie et
conseillers au Grand Conseil. Raoul Thézard des Essarts avait reçu de Rollon
le territoire de Balleroy. Eudes et Raoul, son frère, défendirent le duc
Richard contre Louis d'Outremer; Herbert, Guillaume et Hubert, frères, sont
à la conquête d'Angleterre; Robert aumône le lieu Verdier, emplacement du
château actuel, aux Templiers; ce dernier et Hugues furent des bienfaiteurs
du prieuré de Saint-Vigor; Guillaume est à Damiette avec saint Louis, Pierre
fait la guerre avec Duguesclin; Louis est évêque de Bayeux, puis archevêque
de Reims. Henri V d'Angleterre, irrité de savoir Herbert Thézard des Essarts
au nombre des défenseurs du Mont-Saint-Michel, donna en 1418, sa seigneurie
à un Anglais, Michel Trégory, qui fut recteur de l'Académie de Caen en 1440,
et mourut archevêque de Dublin. La journée de Formigny rendit le fief de
Baleré aux des Essarts. (1)
Éléments protégés MH : le château, les pavillons d'angle de sa cour
d'honneur, les douves, les jardins et le parc, les façades et les toitures
des bâtiments des communs et les deux tours qui précèdent ces derniers :
classement par arrêté du 18 janvier 1951 (2)
château
de Balleroy 14490 Balleroy, tel. 02 31 21 60 61 - Fax. 02.31.21.51.77,
ouvert au public, visite du 15 mars au 30 juin et du 1er septembre au 15
octobre de 10h à 12h et 14h à 18h, fermé mardi, en Juillet et août le
château est ouvert tous les jours de 10h à 18h.
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