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Château de Courcy (Calvados)
 
 

     A l'extrémité Est de l'arrondissement de Falaise, sur la limite de celui de Lisieux, dans un bas-fond qu'entoure une plaine infertile, s'élèvent les débris d'une vaste enceinte de murailles privées de leur revêtement. Des tours crevassées, des voûtes effondrées, des courtines à moitié renversées, se suivent sans avoir l'air de tenir ensemble et présentent l'aspect de la désolation. Cependant l'œuvre de la destruction n'a agi sur elles que d'une façon très incomplète, et l'on peut, en examinant les ruines du château de Courcy, se faire une idée assez exacte de ce qu'il était autrefois. C'est là le seul genre d'intérêt qu'elles présentent au point de vue architectural. Aucune de ses parties n'offre quoi que ce soit qui rappelle l'aspect imposant du donjon de Chamboy, des forteresses de Falaise ou de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Cette riche parure d'une végétation exubérante, dont la nature s'est plu à couvrir nos ruines normandes, comme pour cacher leurs blessures sous un manteau de fleurs et de feuillage, fait d'ailleurs ici complètement défaut. Courcy n'est attachant que par ses souvenirs historiques: l'attrait du pittoresque lui manque de la façon la plus absolue. Les murs de la forteresse sont encore en grande partie entourés de leurs fossés, à moitié remplis des détritus que plusieurs siècles y ont accumulés. Une seconde enceinte, beaucoup plus étendue, a été comblée, mais on en distingue encore assez les traces pour qu'il soit possible d'en déterminer le plan. A l'intérieur, quelques édifices adhérant aux remparts ont été conservés ou reconstruits pour l'usage des fermiers du domaine; le surplus ne présente que l'image de la dévastation.
Le château de Courcy se trouve à l'extrémité du village de ce nom, du côté du levant: pauvre village, auquel une curieuse église du XIIe siècle, d'un style roman assez orné et très caractéristique, donne seule de l'intérêt. Cet édifice, par ses arcatures en plein cintre, s'entre-croisant de manière à dessiner une ogive sous leur intersection, par les détails d'une ornementation barbare mais recherchée, fournit un spécimen original et digne d'être étudié, de l'architecture qui prévalait en Normandie sous le règne de Henri, fils de Guillaume le Conquérant, dans son application aux édifices religieux de médiocre importance. L'église de Courcy n'a cessé, depuis le XIIe siècle, d'être fréquentée par de nombreux pèlerins. Ils y sont attirés par la présence d'une chaîne de fer consacrée à saint Léonard, à laquelle la tradition attribue une vertu miraculeuse. Un seigneur de Courcy l'aurait, dit-on, rapportée de Terre Sainte. On veut qu'elle fût alors recouverte d'une couche d'argent, ce que rien dans son état actuel ne paraît indiquer: il faut bien pardonner aux légendes populaires quelques embellissements. La renommée de la chaîne de Courcy a du moins le mérite d'une respectable antiquité, ce qui ne l'a cependant pas empêchée de conserver jusqu'à nos jours une partie de son ancienne vogue. Elle est connue parmi les habitants des campagnes à bien des lieues à la ronde.
Courcy était une des principales baronnies du duché de Normandie et comptait au nombre de celles qui, jusqu'au règne de Louis XII, eurent droit de séance à la cour de l'Echiquier. Cette terre a donné son nom à une des plus illustres familles de la province, dont l'origine remonte à Robert de Courcy, un des six fils de Baudry le Teutonique, chevalier allemand qui vint se fixer en Normandie au commencement du XIe siècle, sous le règne du duc Richard le Bon. Robert eut pour fils Richard de Courcy, un des compagnons de Guillaume à la conquête de l'Angleterre; il y reçut en apanage la baronnie de Stoke-Courcy dans le comté de Somerset, avec un grand nombre d'autres seigneuries. Richard, dans ses vieux jours, eut à soutenir un siège mémorable dans son château de Courcy en l'an 1091. Il fut attaqué par une armée entière aux ordres de Robert de Bellême, comte d'Alençon, un des plus redoutables tyrans de ce siècle de violences; le duc de Normandie lui-même, Robert Courte-Heuse, fils imprudent et malavisé du plus habile des princes, vint prêter son appui à cette inique agression. A l'aide de ses fils, de ses vassaux, de ses amis, surtout des seigneurs de Grandmesnil, ses voisins, Richard de Courcy soutint avec une indomptable énergie les attaques de ses puissants adversaires. La première enceinte ayant été en partie emportée, les défenseurs de Courcy disputèrent pied à pied l'espace qui s'étendait entre les deux lignes de fossés.
Orderic Vital, l'historien de ce siège, cite un four à pain comme ayant été notamment le théâtre des combats les plus acharnés. L'armée assiégeante ne parvint pas à s'emparer de Courcy, et dut même s'en éloigner rapidement à la nouvelle du débarquement de Guillaume le Roux, roi d'Angleterre, sur les côtes du pays de Caux. Richard de Courcy continua à braver impunément la haine de ses dangereux ennemis. Il eu pour fils un second Robert de Courcy qui laissa cinq fils de son mariage avec Rohais de Grandmesnil. L'un d'eux, nommé aussi Robert, eut sous le règne de l'Impératrice Mathilde, la charge de sénéchal de Normandie, la plus considérable dans le gouvernement du duché. Son fils, Guillaume de Conrcy fut également sénéchal de Normandie sous Henri Plantagenet et mérita d'être compté parmi les personnages les plus notables de son temps. Le nom de Courcy ne s'illustrait pas moins à cette époque dans les possessions insulaires des monarques de l'Angleterre, que dans le duché, berceau de leur puissance. Un des cinq fils du second Robert avait reçu en partage la baronnie anglaise de Stoke-Courcy; il fut l'aïeul de Jean de Courcy qui prit une part signalée dans la conquête de l'Irlande par les Anglo-Normands, et fut investi du comté d'Ulster, grand fief dont il fut dépouillé quelques années plus tard. Une légende rapporte que telle était la vigueur de son bras, que d'un coup de sabre il fendit en deux un pesant casque de fer et fit pénétrer son arme si avant dans le bloc de bois sur lequel ce casque était posé, que lui seul eut la force nécessaire pour l'en arracher. Il eut pour fils Myles de Courcy, créé, en 1181, lord Kinsale.
Cette pairie irlandaise appartient encore aux Courcy, ses descendants; elle est la plus ancienne des trois royaumes unis. Le titulaire jouit d'un singulier privilège: il a seul le droit de rester la tête couverte chez son souverain, le roi d'Angleterre. Il peut être curieux de remarquer que certains généalogistes anglais, les plus intrépides de tous les généalogistes, ne se sont pas contentés de l'illustre et ancienne origine historique de la maison de Courcy. Ils ont fait de Baudry le Teutonique, son premier ancêtre connu, un arrière-petit-fils de Charles de Lorraine, descendant de Charlemagne et compétiteur d'Hugues Capet au trône de France, énumérant quatre générations successives, sans se laisser effaroucher par la difficulté de les placer dans un espace d'environ quarante ans. Leurs travaux abondent en assertions de cette valeur, ne méritant d'être citées que pour leur ridicule. La famille de Courcy se perpétua longtemps en Normandie dans plusieurs de ses branches; il en subsiste encore une dans le département de l'Orne. Mais l'éclat dont avaient brillé ses premiers ancêtres alla toujours en s'affaiblissant. Robert de Courcy déploya sa bannière sur le champ de bataille de Bouvines en 1214, et Richard de Courcy, en 1242, dans la campagne illustrée par les victoires de Saintes et de Taillebourg. On nomme Guillaume de Courcy comme ayant fait partie de l'armée française dirigée contre le roi d'Aragon en 1271 et 1272. Puis le rôle des seigneurs de Courcy devient peu distinct dans les pages de l'histoire. Cependant un baron de Courcy, nommé aussi Guillaume, fut encore un des personnages marquants du règne de Charles VI.
Il se signala dans plusieurs campagnes en Ecosse et en Espagne, et fut chargé de la défense de Carentan, menacé par une armée anglaise. Il avait épousé Marguerite Paynel, fille du puissant baron de Hambye. Cette dame de Courcy reçut, en qualité de dame d'honneur, la mission de conduire en Angleterre Isabelle de France, la jeune épouse de l'infortuné Richard II. Elle resta à Londres auprès de cette princesse à peine sortie de l'enfance, et eut à remplir le pénible rôle de la ramener en France après avoir pourvu à sa sûreté pendant la révolution qui coûta la couronne et la vie au roi son mari. La pompe et le luxe dont la dame de Courcy s'était entourée en Angleterre, n'y avait pas laissé une impression favorable, et l'on assure que le roi Richard avait pris des mesures pour l'éloigner de la reine. Elle se faisait, disait-on, toujours suivre de dix-huit chevaux; elle entretenait sans relâche à son service deux ou trois orfèvres, autant de tailleurs et de pelletiers, et sept ou huit ouvriers en broderie. Ces habitudes fastueuses, qu'Isabeau de Bavière faisait régner dans toute leur exagération à la cour de France, choquaient les traditions de simplicité qui régnaient encore dans les mœurs anglaises, et causaient à Londres un véritable scandale. Décriée dans l'opinion du peuple anglais, la dame d'honneur passa en France pour avoir su se ménager des amitiés dans la faction de Lancastre. Le baron de Courcy fut peu après chargé de l'emploi important de capitaine de Paris. Mais le luxe et la magnificence qui s'étalaient dans sa maison, ne tardèrent pas à éveiller l'attention d'une manière fâcheuse. Il fut accusé d'avoir reçu de fortes sommes d'argent du nouveau roi d'Angleterre, Henri IV.
Jeté en prison, il recouvra la liberté en 1404, soit qu'il eût réussi à se justifier, soit qu'il bénéficiât d'un de ces changements rapides par lesquels prédominait tour à tour l'influence des partis rivaux qui se disputaient le pouvoir au nom d'un roi réduit à l'impuissance. Guillaume de Courcy termina toutefois sa vie avec honneur, étant resté, avec ses deux fils, au nombre des morts sur le champ de bataille d'Azincourt, le 25 octobre 1415. Il laissait un petit-fils, dont la postérité s'éteignit deux générations plus tard, en la personne de Robert, baron de Courcy, mort en 1505. La baronnie de Courcy passa alors en des mains étrangères. Elle fut acquise par Geoffroy Hébert évêque de Coutances, abbé commendataire de Saint-Pierre-sur-Dives, et premier président du Parlement de Normandie. Prélat éclairé et administrateur habile, il fut dans le gouvernement de la province le bras droit du célèbre cardinal d'Amboise, son ami. Passionné pour l'architecture de son temps, qui déployait tant de richesse et de grâce, il prit une part active à l'érection de plusieurs des édifices les plus remarquables de la fin du XVe et des premières années du XVIe siècle. Le Palais de Justice de Rouen, cette merveille de la dernière phase du style ogival, fut en grande partie son œuvre; il est fort probable que son goût personnel eut une influence prédominante dans le choix du plan qui fut adopté. Non content d'avoir fait reconstruire son palais épiscopal de Saint-Lô, Geoffroy Hébert éleva pour les évêques de Coutances, ses successeurs, le superbe château de la Motte, dans la terre de Bonfossé, peu éloignée de cette ville.
Toustain de Billy, qui nous en a laissé la description s'étonne du choix d'un site peu avantageux, "Ce lieu, dit-il, est une parfaite solitude au bord d'un bois dans un vallon étroit et marécageux, le tout, à mon avis, sans aucun agrément. Pour le terrain, il est fort stérile. La vue est très bornée". Après cette part donnée à la critique, l'historien du Cotentin détaille avec admiration les beautés de la construction elle-même; il vante la grandeur des proportion l'élégance des dispositions, la richesse et la perfection des sculptures, surtout la ravissante beauté de statues qui ornaient la chapelle, "d'un travail si naturel et si délicat, que je doute si nos meilleurs sculpteurs pourraient faire mieux". Enfin, il ne croit pas pouvoir se passer de citer un panégyriste de l'évêque de Coutances: "Il a fait bâtir le château de la Motte avec tant de somptuosité, de génie, de régularité et d'élégance, qu'il n'y a personne qui ne le regarde comme l'œuvre d'un roi". Le nom de Geoffroy Hébert doit être conservé comme celui d'un des protecteurs les plus éclairés des beaux arts, un de ceux dont l'influence leur a imprimé la plus heureuse impulsion. Il est permis de soupçonner que ce prélat, baron de Courcy, était moins appréciateur des beautés de la nature. Il était natif de Paris, fils de Jean Hébert, seigneur d'Aussonvilliers, un des principaux agent du roi Louis XI dans l'administration de ses finances, qui avait eu l'art d'y accumuler une fortune très considérable. Geoffroy Hébert mourut en son château de Courcy, le 4 février 1510, après y avoir dicté son testament le 1er janvier précédent. Il léguait sa baronnie de Courcy à Jean, son frère aîné, celui-ci s'empressa de quitter le nom patronymique d'Hébert, pour ne plus se faire désigner que sous celui de Jean d'Aussonvilliers, baron de Courcy.
La petite-fille de ce seigneur apporta cette terre en mariage à François de Montmorency, seigneur du Hallot, qui périt assassiné à Vernon par Christophe d'Alègre, en 1592. Il laissait deux filles: Françoise, mariée à Sébastien de Rosmadec, baron de Molac, et Jourdaine-Madeleine, épouse de Gaspard Pelet de la Vérune, bailli et gouverneur de Caen. Cette dernière eut en partage la baronnie de Courcy qu'elle transmit à sa fille, Claude Pelet de la Vérune, mariée en 1607 à René de Carbonel, seigneur de Canisy, gouverneur d'A vranches et lieutenant du roi en Cotentin. Ce seigneur obtint du roi Louis XIII, en décembre 1619, des lettres patentes unissant les baronnie de Courcy, du Hommet et de Canisy pour en former un marquisat sous le titre de Canisy. La seule baronnie de Courcy, s'étendait alors sur trente-deux paroisses; cinquante-six fiefs nobles en dépendaient. La longue et brillante carrière du marquis de Canisy fut cependant fatale à la vieille forteresse de Courcy. Ayant en quelques circonstances inspiré des soupçons à l'ombrageuse autorité du cardinal de Richelieu, celui-ci en prescrivit la destruction. On tenta de faire sauter avec de la poudre ses tours et ses anciens remparts, mais leur masse ébranlée et disloquée resta en grande partie debout; il parut trop dispendieux de les raser d'une manière plus complète.
Ces ruines sont depuis lors demeurées dans l'état où elles se présentent encore aujourd'hui, résistant par leur amas énorme à l'action du temps, de l'abandon et des intempéries. La terre de Courcy fut vendue quelques années après par le marquis de Canisy à Jacques d'Oilliamson, vicomte de Coulibœuf, seigneur de Villerville et de Bavent, dont les descendants portèrent, de père en fils, le titre de marquis de Courcy. C'est encore à cette famille distinguée que Courcy appartenait à la fin du XIXe siècle, et l'on ne peut que désirer lui voir conserver entre ses mains des restes auxquels se rattachent tant de souvenirs historiques. Ces vieux murs échapperont ainsi, il faut l'espérer, à des chances trop habituelles d'entière destruction; ils resteront encore longtemps un témoignage des siècles déjà si éloignes qui les ont vus dans leur splendeur, et des efforts impuissants à les anéantir tentés par les agents de Richelieu. On ne verra pas un possesseur inintelligent déplacer à grands frais ces vastes monceaux de décombres et niveler les fossés, moins dans le but d'obtenir quelques ares d'une surface bien chèrement achetée, que pour donner à son domaine un aspect semblable à celui d'une ferme ordinaire. Courcy conservera, avec son nom mémorable, les vestiges apparents de son passé glorieux. (1)

Éléments protégés MH : les parties subsistantes de l'ancien château, y compris le portail sur le chemin des Tôtes et le portail de la deuxième enceinte : inscription par arrêté du 7 février 1975. (2)

château-fort de Courcy 14170 Courcy, propriété privée, ferme. La bâtisse est en danger du fait de l'absence de mesures de protection, alors même qu'elle fait l'objet d'une inscription à l'inventaire des monuments historiques depuis 1975. L'enceinte, le fossé, le portail, la chapelle et la grange aux dîmes se dégradent faute d'entretien...

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(1)
    source: La Normandie Monumentale et Pittoresque, (Calvados) Lemale & Cie. Imprimeurs, Éduteurs, achevé d'imprimer le 25 septembre 1897.
(2)    source :  https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee

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