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Château de Falaise (Calvados)
 
 

          Le château de Falaise, un des monuments les plus intéressants de la Normandie au point de vue historique, archéologique et pittoresque, se dresse sur d'énormes rochers auxquels cette ville doit son nom. Il a conservé son enceinte entière avec douze tours et deux portes, flanquées chacune de deux autres tours; le donjon normand, avec quelques dépendances; la tour circulaire du XVe siècle; une jolie chapelle du XIIe siècle et une belle porte du XIIIe, prise dans des constructions plus modernes. Ce sera en 1840, par la volonté du premier ministre des "Beaux Arts", Prosper Mérimée, qu'on classe le château. Les archéologues qui ont décrit le donjon de Falaise ne s'accordent guère sur l'époque de sa construction. Frédéric Galeron le fait remonter au IXe ou au Xe siècle; Eugène Viollet-le-Duc au XIe siècle; Arcisse de Caumont le classe parmi les monuments du XIe ou du XIIe siècle; Dibdin avoue qu'il est postérieur d'un siècle au moins à l'époque de Guillaume le Conquérant; M. Ruprich-Robert, architecte du gouvernement, chargé en 1864 de la restauration de ce donjon, dit dans son rapport au maréchal Vaillant, ministre des Beaux-Arts, que le château de Falaise est un des plus beaux et rares spécimens de l'architecture du XIIe siècle. Enfin, M. Louis Régnier, correspondant de la Société des Antiquaires de France, constate aussi que les fenêtres, en plein cintre, partagées par une colonnette centrale et recouvertes d'une voûte en berceau appareillée, annoncent tout à fait le XIIe siècle. D'ailleurs, c'est l'opinion de tous les archéologues qui ont étudié à fond ce monument en le comparant avec ceux de cette époque. Il faut donc renoncer à la poétique légende qui fait naître Guillaume le Conquérant dans le donjon, ce qui n'empêchera jamais les cicerones du château de montrer aux visiteurs la fenêtre où Robert le Magnifique aperçut la belle Ariette à la fontaine moderne qui se trouve en face, et porte encore son nom, ainsi que la petite chambre avec alcôve, située à l'angle nord-ouest, où naquit le vainqueur de l'Angleterre.
La tradition la plus répandue à Falaise fait naître Guillaume le Conquérant dans le manoir ducal, situé place du Marché-Saint-Gervais. La maison du XVIe siècle, construite sur cet emplacement, a toujours été désignée dans les anciens titres, comme actuellement, sous le nom de Manoir de Guillaume. La Cosmographie publiée en 1584, par André Thévé, contient le dessin et la description du buste en pierre du duc-roi, qui est encastré dans la muraille de l'escalier de cette habitation. Mais revenons au château, ce spécimen si intéressant de l'architecture militaire au moyen age. D'après l'abbé Langevin, le premier historien de Falaise, le donjon avait primitivement trois étages, et le troisième, qui fut démoli en 1770, était orné de trois belles fenêtres semblables à celles qui existent encore. Les deux façades du nord et du sud sont soutenues dans toute leur hauteur par cinq énormes contreforts. Les murs ont près de 12 pieds d'épaisseur dans la partie la plus élevée. Trois fenêtres s'ouvrent à l'étage supérieur du côté du nord, et deux seulement au sud. Chacune d'elles se divise en deux baies cintrées, réunies par une colonnette dont les chapiteaux sont curieux. On y remarque des enlacements en forme de nattes et des figures informes, notamment un homme à tête monstrueuse, étendu sur le côté et tenant dans ses mains une corde attachée au cou de deux animaux, qui paraissent être des sangliers et dont les queues se réunissent et s'entrelacent. Ce sujet bizarre s'étend sur les quatre faces d'un chapiteau. A l'angle nord-ouest du donjon, à côté de la chambre dite de Robert et d'Arlette, les cicerones montrent le cachot d'Arthur de Bretagne. Mais M. Hurel pense que ce cachot devait se trouver sous la chapelle Saint-Prix. Cette chapelle, située au sud, dans un angle saillant, date du XIIe siècle et possède encore quelques chapiteaux de cette époque.
Le petit donjon, qui a été restauré à la fin du XIXe siècle, est aussi une construction du XIIe siècle, modifié au XVe siècle. La tour Talbot, haute de quarante mètres, que Munster et Belleforest disaient être la plus belle de France, en 1575, s'élève à l'angle sud-ouest du donjon normand. M. Louis Régnier la décrit ainsi dans son excellente Étude archéologique sur le château de Falaise: "C'est, dit-il, une belle construction cylindrique en pierre, reposant sur un empattement de même forme, et dans un bon état de conservation, sauf cependant au sommet, où des réparations ont été mal exécutées. Elle se termine par une couronne de consoles en pierre, dont les intervalles formaient mâchicoulis et qui supportaient autrefois une rangée de créneaux, derrière lesquels se dissimulait une toiture plate en tuiles. On accède aux cinq étages intérieurs par des escaliers placés dans l'épaisseur des murailles, dont ils suivent la courbure, escaliers construits selon le système gothique, c'est-à-dire avec des marches apparentes en dessous, et terminés par des portes en tiers-point. L'étage le plus bas a servi de cachot ou de magasins de provisions. Cet étage, le troisième et le cinquième sont seuls pourvus d'une voûte en pierre, portée sur six nervures épaisses coupées par deux chanfreins. Les deux autres étages sont surmontés simplement d'un plafond en bois. Un puits cylindrique est creusé à même la muraille jusqu'à la hauteur de l'un des derniers étages. Les dimensions de la tour sont assez considérables: les salles intérieures, de forme circulaire, mesurent 6 m. 20 cent. de diamètre, et les murs ont 3 m. 5o cent. d'épaisseur, ce qui donne un diamètre total de 13 m. 20 cent., un peu plus important à la partie inférieure, où les murs atteignent une épaisseur de 4 m. 10 cent.".
M. Ruprich-Robert dit avec raison que les faces extérieures de ce donjon donnent lieu de remarquer que la partie supérieure est moderne jusqu'à trois mètres en contre-bas des encorbellements, et qu'à partir de ce point une autre zone d'environ quatre mètres a été bâtie au XVIe siècle. L'appareil, en effet, ajoute M. Ruprich-Robert, n'est plus le même, et une fenêtre à croisillon de pierre, portant bien le caractère de cette époque, a été refaite après coup. Plusieurs historiens falaisiens affirment que la tour Talbot porte le nom du capitaine anglais qui l'aurait fait bâtir après le siège de 1418, et, d'après l'abbé Langevin, les paiements furent effectués de 1420 à 1422, par Gérard d'Esquay, vicomte de Falaise et receveur du domaine, qui avait dirigé les travaux. Comme M. Louis Régnier, nous nous demandons si tout cela est bien exact, et s'il ne faut pas voir plutôt dans la construction indiquée une addition faite au château par Philippe-Auguste après qu'il s'en fut emparé, en 1204, addition dont il a laissé des exemples à Gisors, à Verneuil, à Issoudun, etc. "Il est impossible, en effet, fait judicieusement observer M. Régnier, de ne pas être frappé de la ressemblance des dispositions de la tour Talbot avec celles du donjon de Dourdan et de la tour Jeanne-d'Arc à Rouen, œuvres authentiques de Philippe-Auguste. Les dimensions et les proportions sont tellement analogues dans toutes ces constructions qu'on peut les croire élevées d'après une inspiration commune". A l'angle sud-ouest de l'enceinte, à peu de distance de la tour Talbot, on voit encore quelques vestiges de la tour de la Reine et une muraille dégradée.
Les historiens locaux affirment que cette brèche a été faite par Henri IV, quand il prit le château d'assaut, le 6 janvier 1590. La poterne du sud, placée entre deux petites tours, servait d'ouverture aux souterrains. Les étangs couvraient autrefois tout l'espace qu'occupent actuellement l'abreuvoir, le grand cours et les profondeurs du Val-d'Ante. Dans l'enceinte murale du château, au-dessus des trois énormes roches que l'abbé Langevin prend pour des monuments druidiques, on voit une intéressante chapelle romane du XIIe siècle. Le célèbre archéologue normand, Arcisse de Caumont, nous apprend que cette chapelle, placée sous le vocable de saint Nicolas, avait autrefois le rang d'église paroissiale, qu'elle possédait des fonts baptismaux et que les habitants de l'enceinte du château s'y étaient mariés; aujourd'hui c'est une dépendance du collège, installé en cet endroit depuis 1802. La porte d'entrée du château, flanquée de deux tours, remonte au XIIIe siècle et est située près de l'Hôtel de Ville. Devant la façade de cet édifice moderne, on admire la magnifique statue équestre en bronze de Guillaume le Conquérant, par Louis Rochet, inaugurée en 1851, huit siècles après la mort du plus illustre enfant de cette antique cité. Ayant décrit le château de Falaise au point de vue archéologique, nous allons résumer les principaux faits historiques qui s'y rattachent.
Falaise est mentionnée pour la première fois dans la Chronique de Normandie en 946, dans un discours que Bernard le Danois adressa à Louis d'Outremer. Robert Wace et Guillaume de Jumièges ne la citent que plus tard, à l'époque où Robert le Libéral ou le Magnifique, se trouvant trop resserré dans les limites du comte d'Exmes et profitant de la mort de Richard II, arrivée le 23 août 1026, refusa de reconnaître l'autorité de Richard III. Robert se jeta dans Falaise, qu'il occupa, en 1026. Richard III, aidé de Guillaume, comte de Bellème, accourut pour assiéger et reprendre cette ville; mais les deux frères s'étant réconciliés, Richard partit pour Rouen, où il mourut peu de temps après, sans enfants, laissant à Robert la possession de Falaise et sur la Normandie un pouvoir que nul ne lui contesta. Robert paraît avoir choisi Falaise pour sa résidence habituelle, sans doute à cause des bois et des forêts qui l'avoisinaient, ce qui lui permettait de se livrer à la chasse, son plaisir favori. Ce fut pendant son séjour dans cette ville que Robert, revenant un jour de la chasse, rencontra la belle Ariette. Robert Wace, Benoît de Sainte-More, Guillaume de Jumièges, Orderic Vital, Nagerel, Dumoulin, etc., nous ont laissé le récit naïf de leur union, qui donna naissance au futur conquérant de l'Angleterre. Leur fils Guillaume naquit le 14 octobre 1027, au manoir ducal et fut baptisé dans l'ancienne église Sainte-Trinité de Falaise. Quelques années plus tard, le duc Robert partit pour un pèlerinage en Palestine, et mourut au mois de juillet 1035, à Nicée, à son retour de Jérusalem; il eut pour successeur son fils Guillaume, qui avait alors huit ans.
Ce fut à Falaise, en 1041, que le jeune duc Guillaume fit ses premières armes, en reprenant cette ville que le traître Toustain avait tenté de livrer au roi de France. La Normandie commençait à jouir des douceurs de la paix, lorsque Guillaume résolut de faire valoir les droits qu'il prétendait avoir sur l'Angleterre. Il prépara cette mémorable expédition avec ses fidèles Falaisiens et un grand nombre de seigneurs voisins, qui l'accompagnèrent et combattirent avec lui sur les champs d'Hastings. Après la conquête, Guillaume le Bâtard prit le nom de Conquérant; il revint rarement en Normandie depuis son avènement au trône d'Angleterre et ne reparut plus dans sa ville natale; cependant, il la favorisa toujours autant qu'il put en fortifiant le château fort, en agrandissant l'enceinte, en donnant une nouvelle impulsion au commerce, à l'industrie et en établissant la célèbre foire de Guibray sur l'emplacement où elle existait encore à la fin du XIXe siècle. Guillaume le Conquérant mourut à Rouen, au prieuré de Saint-Gervais, le 9 septembre 1087, âgé de soixante ans, et fut inhume à Caen, dans l'église de l'abbaye de Saint-Etienne, qu'il avait fondée. L'historien Robert du Mont rapporte qu en 1123, Henri 1er fit réparer le château de Falaise. Sous Henri II, le donjon servit de prison d'État; car, après ses guerres avec ses fils et plusieurs de ses vassaux, le roi y renferma, en 1173, le comte de Chester, plusieurs autres seigneurs, et, l'année suivante, Guillaume, roi d'Écosse, et un grand nombre de barons anglais. En 12o3, Jean-sans-Terre fit emprisonner à Falaise son neveu, Arthur de Bretagne, qu'il fit conduire peu de temps après à Rouen, où il l'assassina lui-même, n'ayant pu trouver un bourreau dans toute la province.
Lorsque Philippe-Auguste envahit la Normandie pour venger sur Jean-sans-Terre le meurtre du duc de Bretagne, Falaise fut une des premières villes qu'il attaqua, au commencement de l'année 1204; elle se rendit par capitulation, comme elle l'avait fait plusieurs fois. Pendant la guerre de Cent ans, Falaise, assiégée par Henri V, roi d'Angleterre, en 1417, dut encore capituler après quarante-sept jours de siège. Cette place fut reprise aux Anglais par Charles VII, le 28 juillet 1450, et rentra alors définitivement sous la domination française. Au mois de mai 1562, les protestants s'emparèrent de Falaise, qui fut bientôt reconquise par les catholiques, reprise par Coligny, l'année suivante, puis en 1568 et en 1674 par Montgommery et Matignon. Cette ville embrassa, en 1585, le parti de la Ligue. Une affreuse disette et une terrible épidémie qui survinrent ne diminuèrent pas le courage des habitants; ceux-ci persistèrent dans leur résistance jusqu'au mois de janvier 1590, époque à laquelle Henri IV prit le château d'assaut. A partir du XVIIe siècle, les annales militaires de cette ville se confondent avec l'histoire générale de la Normandie. (1)

Éléments protégés MH: le Château en totalité : classement par liste de 1840

château Guillaume le Conquérant 14700 Falaise, tel. 02 31 41 61 44, ouvert au public de février à décembre (sauf 25/12), tous les jours de 10h à 18h, en juillet et août de 10h à 19h et visites guidées en anglais à 11h30 et en français à 15h30. Visitez le site du château de Falaise : http://www.chateau-guillaume-leconquerant.fr

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(1)
    source: La Normandie Monumentale et Pittoresque, (Calvados) Lemale & Cie. Imprimeurs, Éduteurs, achevé d'imprimer le 25 septembre 1897.

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