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Le promeneur qui, venant du littoral,
pénètre dans l'intérieur des terres par la route de Douvres à
Villers-Bocage, rencontre tout à coup, à huit kilomètres de la mer, un
vallon boisé, contraste heureux avec la campagne un peu nue qui l'environne.
Ce vallon semble se dissimuler, étroitement enserré dans des rochers
poudreux, et le passant de la route ensoleillée ne se doute guère que, dans
cette fente de terrain, au bord d'une petite rivière que personne ne
soupçonne, se cachent un site charmant et l'une des merveilles
architecturales de notre pays. Le village de Fontaine-sur-Thaon,
Fontaine-Henry, Fontaine-Harcourt est tout entier dans ce vallon. Ses noms
indiquent et sa situation et son histoire. M. Léon Palustre, dans l'étude
qu'il en a faite, est frappé du cachet particulier que présentent les
monuments de la Renaissance en Basse-Normandie, "Nous remarquons, écrit-il,
moins d'originalité sur les bords de la Seine que sur ceux de l'Orne". Cette
assertion est entièrement justifiée lorsque l'on contemple dans son ensemble
le château de Fontaine-Henry. Ses proportions étranges frappent, en effet,
aussi bien par leur harmonie que par l'opposition qui existe entre le corps
de logis principal, relativement moins important, et l'énorme pavillon qui
le termine. Sa masse semblerait devoir écraser les constructions
environnantes, et cependant tout a été si bien calculé, l'ornementation si
heureusement entendue, que le colosse, loin de nuire au bâtiment plus
modeste qui se cache à l'abri de son ombre, semble au contraire le faire
ressortir, et permet de mieux en apprécier les détails exquis, détails qu'il
répète lui-même avec plus de force et de vigueur.
Passé de la main des Tilly dans celle des d'Harcourt, Fontaine, après avoir
pris le nom de ses nouveaux possesseurs, revint rapidement à sa première
appellation. C'était justice d'ailleurs, car Henry de Tilly fut en quelque
sorte le créateur même du village, et le premier constructeur du château. Le
fils de Guillaume de Tilly était, au XIIe siècle, un seigneur avec lequel il
fallait compter. Son père, grand sénéchal de Normandie, avait épousé une
Magneville, de la famille des comtes d'Essex. D'abord baron de Nerwod au
droit de sa mère, il perdit cette baronnie pour avoir quitté le parti du roi
Jean sans Terre en faveur de Philippe-Auguste. Il se retira alors à
Fontaine-sur-Thaon qui devint Fontaine-Henry; c'est là qu'il mourut, en
1205. Son corps fut inhumé à l'abbaye d'Ardennes, et son nom inscrit parmi
ceux des donateurs. C'étaient d'étranges personnages que ces bienfaiteurs
d'abbaye; il faut les étudier de près pour se faire une idée exacte sur leur
compte; à ce point de vue le testament d'Henry de Tilly est fort curieux
comme étude de mœurs. Il meurt dans de vifs sentiments de piété, et à ses
derniers moments il cherche à mettre un peu d'ordre dans ses affaires
temporelles; ce n'était pas besogne facile, aussi de longues pages se
succèdent-elles, où il restitue les terres usurpées. Les limites de cette
étude ne nous permettent pas d'en reproduire l'énumération, mais elle
prouve, à n'en pas douter, que le bon seigneur avait gardé pour la fin de sa
vie les trésors de délicatesse que renfermait son coeur. Ce testament nous
intéresse encore parce qu'il nous montre le luxe dont s'entouraient les
châtelatelains de cette époque. Henri de Tilly possédait également un haras,
une collection d'animaux rares, des moutons et des chèvres, etc. De tout
cela, il fait des legs en faveur des lieux saints et des abbayes normandes,
dont pas une n'est oubliée.
Ces souvenirs historiques et le surnom conservé par le village sont les
seules traces qu'aient laissées d'ailleurs les Tilly; car le château, dont
nous allons nous occuper, est tout entier d'une époque postérieure: il doit
son existence aux d'Harcourt, descendants par alliance des Tilly. Comme nous
le faisions remarquer au début de cette notice, lorsque pour la première
fois l'œil aperçoit dans son ensemble le château de Fontaine-Henry, il est
d'abord surpris par la masse colossale du pavillon de gauche. On a besoin de
quelques instants pour s'habituer à ce colosse, pour constater qu'en somme
les proportions en ont été savamment étudiées. L'impression que l'on
ressent, l'admiration que l'on ne saurait cacher, ne viennent qu'après,
quand un examen approfondi a permis de se rendre compte de l'élégance des
bâtiments, du fini des détails, de cet état de conservation extraordinaire
qui rend si remarquable la façade tout entière. Et l'on se plaît à songer
quelle devait être la force de génie de ces architectes, qui ont su
maintenir l'unité et l'harmonie absolue des parties entre des constructions
faites à plus d'un siècle de distance et à des époques de goût si différent.
Les bâtiments de droite sont les plus anciens; Caumont leur assigne comme
date la fin du XVe siècle. Les fenêtres, surmontées d'arcades en forme
d'accolade, sont ornées de panaches et de feuillages frisés. Cet ensemble
présenterait peut-être une certaine monotonie, s'il n'était coupé par deux
tours carrées, l'une, la moins ancienne, remarquable surtout par ses
moulures, l'autre plus sobre comme ornementation et datant du XVe siècle,
comme le bâtiment lui-même. Celle-ci semble former la transition, ou pour
mieux dire le trait d'union entre deux styles différents. A droite, la sobre
simplicité du moyen âge; à gauche, des arabesques, des rinceaux de la plus
grande finesse couvrent les murs avec profusion.
Nous sommes bien à cette époque où, comme le fait remarquer M. Palustre,
"l'art de bâtir, simple et grossier à ses débuts, s'enrichit de beaux
ornements d'architecture et de sculpture, lorsque l'intelligence, dont les
effets sont toujours couronnés de succès, vint à se développer en même temps
que le luxe et les richesses", à cette époque de la Renaissance,
manifestation éclatante du génie français éclairé par l'étude de l'antiquité
et de ses monuments, mais néanmoins restant bien lui-même et ne copiant
jamais. Le doute d'ailleurs n'est pas permis, car un arc des fenêtres de
l'aile gauche porte le millésime de 1537. Cette aile constitue la partie la
plus importante de l'édifice; c'est le gros pavillon dont nous avons parlé:
"Jamais, a dit le savant archéologue cité plus haut, l'amour du colossal n'a
été poussé si loin. Il frappe tout d'abord et par sa masse et par les
proportions extraordinaires de sa toiture qui occupe plus de la moitié de sa
hauteur totale". Une cheminée monumentale domine tout ce bâtiment; comme
richesse d'ornementation, elle ne peut être comparée qu'à celle du château
de Chambord: ce qui montre qu'à cette époque ces accessoires étaient des
œuvres soignées où l'architecte se laissait aller aux fantaisies les plus
inattendues et les plus gracieuses. Une tourelle élancée à pans coupés,
ornée de nombreuses moulures et médaillons, occupe un des angles du
pavillon, tandis qu'à l'angle opposé se dresse une tour plus élevée et
terminée par un long toit conique. Les fenêtres sont gracieusement fouillées
et forment un ensemble élégant; des têtes en bas-relief en décorent la
partie supérieure, et l'on ne saurait trop remarquer la finesse des détails,
admirablement préservés des injures du temps. A ce point de vue également la
façade de Fontaine-Henry est digne d'attention. Le côté opposé, qui n'a
d'ailleurs jamais été orné de la même façon, est loin d'être dans un état de
conservation aussi parfait. Plus exposé aux injures du temps, il a, de plus,
été réparé à diverses reprises d'une manière plus ou moins heureuse.
Signalons encore une porte en cintre surbaissé donnant accès à un escalier
en spirale; le tympan présente une accolade un peu lourde malgré le fini des
détails; sa forme peu usitée lui donne un intérêt out particulier. Les
sous-sol, dont la description n'a pas été faite, sont cependant dignes d'une
mention spéciale, ainsi qu'une petite crypte située sous les caves. Sa
disposition bizarre en forme de chapelle, les plaques qui l'entourent et qui
semblent avoir jadis recouvert des sépultures, tout la signale à l'attention
des archéologues. Les caves elles-mêmes s'étendent sous les cuisines et une
grande partie du château; elles devaient autrefois se trouver pour la plus
grande partie de plain-pied avec le sol extérieur, si on en juge par les
fenêtres et la porte, maintenant bouchées presque complètement, et dont la
partie la plus élevée remplit le rôle de soupirail. Un perron de quatorze
marches, c'est-à-dire de plus de trois mètres de hauteur, donnait accès aux
pièces du rez-de-chaussée, et l'on se demande à quel mobile a bien pu obéir
le marquis de Canisy, lorsqu'il a fait exécuter ce malheureux remblaiement.
Le propriétaire actuel, mieux inspiré, a déjà enlevé une certaine quantité
des terres rapportées, mais il reste encore beaucoup à faire. Combien
cependant l'aspect du château ne gagnerait-il pas s'il était ainsi dégagé.
Les monuments de la Renaissance ont en général besoin d'étangs ou de vastes
douves pour baigner leur pied et refléter les dentelles de pierre qui les
couvrent. A défaut de cette eau qui lui manque et qui le ferait si bien
valoir, Fontaine-Henry, par l'enlèvement de cette masse de terre, perdrait
cette lourdeur de base qui contraste avec la légèreté exquise des parties
supérieures.
Quant à l'intérieur du château, à la différence de Lasson et de Chanteloup,
monuments de la même époque, il présente un intérêt beaucoup moindre. On
doit cependant signaler, dans l'escalier du gros pavillon, au-dessus d'une
porte, une sculpture en bosse représentant Judith à mi-corps, tenant de la
main gauche la tête d'Holopherne, et de la main droite serrant sur sa
poitrine l'épée qui vient de venger son peuple. Dans les autres pièces
quelques boiseries, mais, en somme, rien de comparable aux ornements
extérieurs, sauf peut-être dans une petite salle attenante aux cuisines, où
l'on remarque une gracieuse retombée de voûte supportée par une figurine
grotesque fort originale. Et si maintenant, après cette analyse, on veut se
rendre compte de l'effet général produit par le château de Fontaine-Henry,
on voit que c'est la grâce des détails qui séduit plutôt que leur ensemble
même. Cette époque de la Renaissance a fourni des motifs d'une délicatesse
exquise qui indiquent chez leurs auteurs une sûreté de goût que l'on
constate trop rarement. Le culte de la forme, l'harmonie des lignes, la
richesse de l'ornementation, propres au règne de François 1er, se retrouvent
dans chaque partie du monument, et cependant l'architecte a tenu à rester
lui-même et à faire de la partie nouvelle le complément, plus orné mais tout
naturel, du bâtiment ancien. Quel est cet artiste habile? A qui doit-on
attribuer la construction de Fontaine-Henry?
Comment s'appelait l'architecte auquel Jean d'Harcourt, lieutenant général
au bailliage de Caen, avait confié le soin de compléter le château? En
l'absence de documents précis, tout ce que l'on peut faire est, il nous
semble, de formuler un doute; mais nous n'oserions dénier à Blaise Le
Prestre l'honneur possible d'être l'auteur de ce chef-d'œuvre. A quelque
distance du château, dans le parc, se trouve une petite chapelle qui a dû
primitivement être comprise dans l'enceinte formée par le fossé, entourant
suivant l'usage, les bâtiments d'habitation. Cette chapelle est un vestige
des constructions primitives, contemporaines d'Henry de Tilly et maintenant
disparues. Dans le mur extérieur du côté septentrional, on remarque, en
effet, des fenêtres en lancettes et une corniche en dents de scie qui fixent
bien au XIII siècle l'époque où elle fut bâtie. Les parois extérieures
portent des traces de croix, que la légende prétend avoir été gravées en
souvenir d'un voyage en Terre-Sainte entrepris jadis par un seigneur de
Fontaine-Henry. Qu'il y ait eu parmi les Tilly des croisés au XIIIe siècle,
rien de plus probable, mais que ces croix rappellent ce fait, on peut en
douter. A l'intérieur on remarque une disposition assez rare et fort
curieuse: les murs de la nef sont ornés d'arcatures ogivales à colonnettes,
et dans chaque entre-colonnement se trouve un siège creusé dans la pierre et
formant une espèce de stalle, ce qui donne un aspect très particulier à
cette partie de la chapelle. Quant au sanctuaire, il est remarquable par
trois élégantes lancettes percées dans le chevet, et par l'autel sur lequel
est une niche, supportée par des colonnes, évidemment destinées à abriter le
tabernacle. Ajoutons, pour terminer, que le château de Fontaine-Henry, après
avoir été aux mains des Carbonnel de Canisy, appartenait à la fin du XIXe
siècle au marquis de Cornulier-Lucinière, ancien député du Calvados. (1)
Éléments protégés MH : le château, y compris la terrasse avec le mur de
soutènement, la chapelle et le puits : classement par arrêté du 22 novembre
2011. (1)
château de Fontaine Henry 14610 Fontaine-Henry, tel : 02 31 26 93
67, ouvert au public de Pâques au 2 novembre de 14h30 à 18h30. Fermé le
mardi. Non loin des plages du Débarquement, ce château de la Renaissance
domine la vallée de la Mue, sur demande, des devis de réceptions privées ou
d’entreprise peuvent être établis. Gîte dans l’ancienne sellerie du Marquis
de Cornulier...
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