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A l'extrémité d'une plaine
froide et monotone, fermée du côté du midi par des bois, s'élève, à peu de
distance de la frontière du département de l'Eure, le vieux château de
Fumichon. Son aspect n'est point en désaccord trop marqué avec celui du site
mélancolique qu'il occupe. Une vaste cour le précède, flanquée aux deux
angles, du côté de l'entrée, par deux lourds pavillons sans étage, auxquels
des tourelles en encorbellement ne réussissent pas à donner quelque
légèreté. Au fond de la cour s'étend le principal corps de logis, construit
également sans étage et surmonté d'un toit dont la surface est beaucoup plus
considérable que celle des murailles. A l'extrémité, du côté de l'est,
s'élève un pavillon de bonne hauteur, orné d'une tourelle en encorbellement,
et pourtant incomplètement exempt de ce cachet de pesanteur qui semble
destiné à régner en ces lieux. Le tout est en pierre et brique; mais la
brique domine dans une très forte proportion. Pour achever le tableau, il
faut dire qu'une petite partie de la façade basse ayant été dévorée par un
incendie, au milieu du XIXe siècle, le propriétaire d'alors a eu la
fantaisie bizarre de remplacer ce que le feu avait détruit par un édifice en
pierre, à deux étages, dans le style le plus orné du temps de
Louis-Philippe. La plupart de nos villes de quatrième ordre possèdent
quelque monument de ce genre d'architecture, occupé habituellement par le
café à la mode de la localité. Mais tournons les yeux vers l'angle
nord-ouest du château. Dominant de haut les longs bâtiments qui semblent
ramper sur le sol, un toit conique s'élance dans les airs, portant à son
sommet une gracieuse lanterne.
Nous sortons de la cour; nous contournons les dépendances qui la ferment du
côté du couchant, et nous contemplons dans sa robuste et sévère beauté la
grosse tour de Fumichon. Entourée d'une enceinte de fossés qui la sépare du
château et ne permet l'entrée que par un pont volant, se dresse une énorme
masse cylindrique que couronne une corniche de mâchicoulis surmontés d'un
large bandeau. La construction tout entière n'a d'autre caractère que celui
de la force; mais telle est l'heureuse proportion du toit élevé qui la
domine, que l'édifice dans son ensemble produit l'effet le plus
satisfaisant. L'oeil ne se lasse pas de le considérer; plus on s'y arrête,
plus on admire, et mieux on ressent l'impression saisissante obtenue par la
combinaison la plus parfaite des éléments d'architecture les plus opposés.
Cette tour, comme tout le reste du château, date de fort près de l'an 1600;
elle a été évidemment destinée à servir de lieu de refuge et de place de
défense aux habitants de ce château; mais comme tout y a été subordonné au
désir d'opposer une vigoureuse résistance à l'attaque d'une force armée, il
ne s'y trouve que des ouvertures de minime dimension. Il eût donc été
presque impraticable d'y habiter en temps ordinaire; elle avait pour emploi
de servir de colombier. On reste confondu en pensant que les mêmes hommes
ont pu élever les disgracieuses constructions du château et cet édifice d'un
si heureux effet et de si harmonieuses proportions. Le fait ne paraît
cependant pas de nature à faire l'objet d'un doute.
La seigneurie de Fumichon, longtemps possédée par une famille de ce nom, qui
n'a jamais marqué, passa, au XVe siècle, dans la maison de Longchamp, aussi
ancienne que distinguée. Elle apparaît dès le temps du duc Richard II, et a
joué un rôle important aux XIIe et XIIIe siècles. Etienne de Longchamp
combattit à Bouvines en qualité de chevalier banneret. Plusieurs Longchamp
ont porté, au XVe siècle, le surnom de Brunet; l'un d'eux fut député de la
noblesse aux États de Normandie. Jean de Longchamp dit Brunet était seigneur
de Fumichon sous le règne de Louis XI. Il eut pour fils Geoffroy, et pour
petit-fils Guillaume de Longchamp, qui épousa Jeanne de Raveton et fut père
de Guy de Longchamp, seigneur de Fumichon, nommé capitaine et gouverneur de
Lisieux en 1554. Quoique, à plusieurs reprises pendant les guerres de
religion, le commandement de cette ville eût été remis en d'autres mains,
Guy de Longchamp conserva sa charge entière jusqu'en 1587, où il s'en démit
en faveur de son fils, Jean de Longchamp. Il avait épousé Marie des Buats
qui, outre ce fils, lui donna plusieurs filles, mariées dans les familles
Thiesse de la Fontaine, Le Fort de Bonnebosc et Labbey de Lombelon. Jean de
Longchamp, seigneur de Fumichon, se jeta avec détermination dans le parti de
la Ligue, dont il devint le principal chef dans le pays de Lisieux. Chassé
de cette ville par le roi Henri IV, il se retrancha dans la vieille
forteresse à Courtonne-la-Meurdrac et en fit le centre de mille
déprédations. Expulsé en 1590 de ce refuge, que le Parlement royaliste
siégeant à Caen se hâta de faire raser, Longchamp s'établit à
Beaumont-le-Roger, où il maintenait les communications entre les ligueurs de
Rouen, que dirigeait Villars, et ceux de Verneuil où commandait Médavy.
De cette nouvelle place d'armes partaient sans cesse des détachements qui
parcouraient les environs de Lisieux, emmenant prisonniers tous ceux dont on
pouvait espérer une rançon, et ceux-ci ne sortaient des mains de Longchamp
qu'après avoir dûment contribué; ses proches parents eux-mêmes n'étaient pas
épargnés. Il faut pourtant que ce chef ait inspiré à ses adversaires un
certain degré d'estime, car, des 1597, le roi Henri IV le remit en
possession de la charge de gouverneur de Lisieux, qu'il conserva jusqu'à sa
mort, survenue plus de trente-cinq ans après, et qu'il transmit à ses
héritiers. Il reçut même, sous le règne suivant, les titres de chevalier de
l'ordre et de conseiller du roi en ses Conseils d'État et Privé. Jean de
Longchamp, n'ayant pas eu d'enfants d'un premier mariage contracté en 1584
avec Jeanne Dumoulin, fille du seigneur de Saint-Aubin-de-Scellon et de
Barbe de Lyée, épousa en secondes noces une veuve, Marie de Frotté, qui lui
donna deux filles entre lesquelles fut partagée sa succession. Catherine,
l'aînée, mariée en 1625 à César d'Oraison, baron de Livarot, choisit la
châtellenie d'Ouillye-la-Ribault, acquise en 1605 par son père. Fumichon
échut à la plus jeune, Marie de Longchamp, qu'avait épousée, en 1635, Louis
de Rabodanges, baron de Guley-sur-Orne. Ce seigneur était le descendant, au
cinquième degré, de Jean de Rabodanges, gentilhomme des environs de
Saint-Omer, que Marie de Clèves, duchesse d'Orléans, mère du roi Louis XII,
avait pris pour maître d'hôtel, et dont elle finit même par faire son mari.
Le prince, son fils, vit de fort mauvais œil le sire de Rabodanges; mais
celui-ci sut, à force de prudence et grâce aux marques de profond respect
qu'il ne cessa de prodiguer à la duchesse, se faire pardonner sa témérité.
Louis de Rabodanges obtint, en 1649, l'érection de sa belle terre de Culey
en marquisat de Rabodanges. Lui et ses descendants ne parurent plus à
Fumichon qu'à de rares intervalles. Ces successeurs furent: Guy, marquis de
Rabodanges, fils de Marie de Longchamp, marié en 1660 à Charlotte
Lescalopier; Louis-César, marquis de Serineterre en 1693; Henri-François,
marquis de Rabodanges, qui épousa, en 1731, Elisabeth-Thérèse de
Neufville-Cléray; enfin Jean-Louis, marquis de Rabodanges, colonel du
régiment de Bourbon, mort sans postérité. Il avait vendu Fumichon à
Jeanne-Anne Hermant, veuve de Jean, baron du Houlley, qui nomma, en 1761, à
la cure de cette paroisse M. Michel-Louis Haudard. Mais le dernier fils de
cette dame, Alexandre-François-Pierre, baron du Houlley, seigneur de
Fumichon, étant mort en 1786 sans avoir été marié, cette terre passa à sa
soeur, Madame de Loynes, puis à un de ses enfants qu'on nommait le baron de
Fumichon. Celui-ci résida quelque temps en ce château au début du XIXe
siècle. A sa mort, Fumichon passa par vente à M. Thulou de la Bectière,
président du tribunal de Bernay, qui mourut le 5 juillet 1833, laissant
cette terre à son fils, mort plusieurs années après sans postérité. Elle a
été acquise depuis par M. Méry-Samson qui, par les améliorations agricoles
les mieux entendues, a complètement transformé ce domaine. (1)
Éléments protégés MH : le château en totalité : inscription par arrêté du 19
janvier 1927. (2)
château de Fumichon 14590 Fumichon, propriété privée, ne se visite pas.
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