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Le voyageur partant de Lisieux par le train de Caen n'a dépassé que depuis
quelques instants le tunnel de la Motte, quand il aperçoit à peu de distance
un groupe d'anciennes constructions formant un assemblage pittoresque. Elles
commandent l'entrée d'un vallon resserré, au pied d'une pente rapide, et
présentent une singulière diversité d'édifices de toutes sortes, se faisant
voir sous les angles les plus variés. Ce sont l'église, le château et les
dépendances du manoir de la Houblonnière. Peut-être le terme de château
pourrait-il paraître ambitieux, appliqué à la maison d'habitation; mais il
est consacré par un usage immémorial. Dès le moyen âge, il y était d'un
emploi constant; la seigneurie de la Houblonnière est désignée dans les
documents les plus authentiques sous le nom de fief du Chastel: ce mot ne
désignait alors qu'une enceinte fortifiée. Il est surprenant qu'on ait songé
à faire une place de défense d'un lieu dominé d'une façon aussi complète, et
où, d'ailleurs, on ne pouvait même pas compter sur le genre de protection
que procuraient souvent des fossés pleins d'une eau profonde. A la
Houblonnière, ils auraient été aussi difficiles à remplir qu'aisés à mettre
à sec. On s'explique sans peine pourquoi, dès le début du XVe siècle, il
n'est plus question de ce château comme lieu fortifié. Dans son état actuel,
la Houblonnière présente cependant un peu l'apparence d'un château-fort. La
grande porte, la poterne qui l'accompagne, surmontées d'arcs en accolade,
décorées de crosses sculptées dans la pierre, semblent réclamer encore
l'adjonction d'un pont-levis. Une grosse tour ronde faisant saillie à côté
de cette porte, en commande l'entrée; dépouillée de son toit, elle n'en
possède qu'à plus haut degré un certain air de forteresse. Ayant dans les
temps ordinaires la destination pacifique de colombier, elle pouvait
cependant, en cas de besoin, servir de place de refuge aux habitants du
manoir. La maison d'habitation elle-même a peu de caractère et offre un
médiocre intérêt. Plus près de l'église, un édifice à toit aigu montre à son
pignon une fenêtre ogivale; il a l'aspect d'une chapelle abandonnée; mais il
le doit à la fantaisie d'un des précédents propriétaires, qui a inséré cette
tracerie ogivale de provenance étrangère dans un mur auquel elle n'avait pas
été destinée.
L'histoire de la Houblonnière est des plus obscures pour tous les temps
antérieurs à l'expulsion des Anglais. On trouve, au XIIIe siècle, un évêque
de Paris et un chanoine de Lisieux qui en portaient le nom, mais aucun
document ne révèle leurs rapports avec cette localité. A cette époque les
membres du clergé prenaient souvent le nom des lieux où ils avaient reçu le
jour, lors même que leur famille en portait un autre. Une tradition veut que
le château de la Houblonnière ait appartenu aux Templiers; mais elle ne
s'appuie sur aucun document et reste fort suspecte. De pareils récits ont
cours dans plusieurs autres lieux, sans avoir le plus léger fondement.
L'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, qui a été l'héritier du Temple à titre
universel, n'a jamais possédé la terre de la Houblonnière. Il est permis
toutefois de soupçonner qu'à une époque éloignée, elle a pu être l'objet
d'une confiscation, car sa mouvance féodale, après avoir appartenu à l'
évêché de Lisieux sous le règne de Philippe-Auguste, ne s'exerçait plus
qu'au profit de la couronne dès les temps antérieurs à celui de Charles VII.
Cest à ce règne que commencent sur la Houblonnière les renseignements
positifs. La seigneurie du lieu appartenait alors, et longtemps avant
peut-être, à une famille Guérin, dont les membres ont été les seuls
possesseurs de ce château qui en aient fait leur résidence habituelle. Jean
Guérin rendit aveu au roi, le 28 avril 1458, pour ce plein fief de
chevalier; il déclare avoir droit de présentation a la première et a la
seconde portion de la cure de la paroisse, comme aussi don des écoles qui y
avaient leur siège. Alors deux titulaires se partageaient le service
religieux de la paroisse, et au XVe siècle, les moindres localités du pays
d'Auge possédaient des écoles.
Les seigneurs s'étaient le plus souvent réservé le droit de pourvoir à la
nomination des maîtres qui y distribuaient un enseignement dont leurs
propres enfants étaient les premiers à profiter. Jean Guérin revendiqua
aussi le droit d'inspecter les voies, chemins et cours d'eau. Guillaume
Guérin rendit un aveu semblable en 1519. Peu d'années après, la terre de la
Houblonnière était passée en d'autres mains. Le 1er avril 1529, c'était Jean
d'Oynville, seigneur de Saint-Simon en Beauce, qui en rendit aveu au nom
d'Antoinette de Tessé, son épouse. Mais, le 17 février 1585, un autre Jean
d'Oynville, seigneur de Saint-Simon et de Carbonnières, apparemment un
petit-fils du premier, vendait la Houblonnière à Corbeyran de Cardillac,
seigneur de Sarlabous, premier gentilhomme de la chambre du roi, pour le
prix de 64007 livres, somme énorme à cette époque. Sur ce prix, il n'y avait
pour ainsi dire rien à toucher par le vendeur: il fallait auparavant
rembourser de nombreuses rentes, constituées au prix de bien des milliers
d'écus; il fallait désintéresser divers acheteurs ayant acquis à titre
d'engagement plusieurs des parties les plus importantes de la seigneurie,
comme Robert Lambert, seigneur d'Herbigny, qui détenait le moulin, la maison
et les terres les plus voisines; Jean de Hautemer, seigneur du Mesnil-Tison;
Antoine de Hautemer, curé de Saint-Eugène, son frère; Guillaume de Reviers,
seigneur d'Anisy et d'Ingremare; Pierre Morel, seigneur de Brucourt et de
Morières, qui disposait des rentes féodales et casuelles. Le domaine entier
comprenait 336 acres. Sarlabous était un capitaine gascon qui s'était
signalé à la guerre, de même que son frère Raymond, dit le jeune Sarlabous.
Brantôme a dit: "Ces deux frères Sarlabous ont eu l'estime d'avoir esté deux
fort bons capitaines de gens de pied; mais l'on estimait plus le jeune. L'aisné
fut pourtant gouverneur du Havre, pour y avoir très bien hasardé sa vie à la
reprise". Celui-ci laissa une mémoire entachée par la part qu'il prit au
moment de la Saint-Barthélémy, où il figura personnellement parmi les
meurtriers de Coligny.
Ce fut sans doute le séjour du Havre qui amena son mariage avec une riche
veuve du pays d'Auge, Marguerite Le Vallois, dame de Gouvix, à
Courtonne-la-Meurdrac, fille du seigneur de Putôt; elle avait épousé en
premières noces, l'an 1552, Jean d'Annebault, seigneur du Mesnil-Cordelier,
issu d'une branche séparée, au XIVe siècle, de celle de l'amiral d'Annebault.
Corbeyran eut pour successeur Jean de Cardillac, seigneur de Sarlabous et de
la Houblonnière, qui florissait pendant le remier quart du XVIIe siècle; il
eut une fille nommée Jacqueline de Cardillac. Jeanne de Cardillac, épouse de
Constant d'Aubigné et mère de Madame de Maintenon, appartenait sans doute à
une autre branche de la même famille. Après les Cardillac, on trouve comme
seigneur de la Houblonnière, au moins de 1632 à 1659, François Le Georgelier,
d'une famille parlementaire qui a possédé la terre de la Motte-en-Tainney.
Mais, dès 1669, c'est Guy du Val de Bonneval, président à mortier au
parlement de Normandie, qui figure comme châtelain de la Houblonnière. Ses
descendants, possesseurs de très grands biens dans la province, surtout au
pays d'Auge, où les belles terres de Bonnebosc, de Manneville-la-Pipard et
autres leur appartenaient, se sont transmis de père en fils, pendant
plusieurs générations, la charge de président à mortier et la seigneurie de
la Houblonnière. Ce n'est qu'en 1860 que M. le comte de Bonneval a vendu le
château de la Houblonnière à M. Malhéné, qui y a fait exécuter divers
travaux d'un mérite contestable. Cette terre, de nouveau mise en vente, a
été acquise par M. Alexandre Poussin, d'Elbeuf; elle était à la fin du XIXe
siècle le siège d'une importante industrie beurrière. (1)
Éléments protégés MH : le château en totalité : inscription par arrêté du 19
janvier 1927. (2)
château de La Houblonnière 14340 La Houblonnière, propriété privée, ne se
visite pas.
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