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On ne connaît pas la date précise de la construction du
château de Lasson. L'apparence extérieure indique évidemment l'époque de
François 1er. On n'a malheureusement aucuns détails sur les noms des
architectes et des sculpteurs, peut-être normands ou même caennais, qui ont
dressé les plans et orné la façade de cette admirable construction de la
Renaissance. Est-il permis de supposer que Hector Sohier, auquel nous devons
l'abside de Saint-Pierre, a été le dessinateur et le décorateur de Lasson?
Les deux édifices sont contemporains, puisque ce fut en 1521 que cette
abside, bâtie sur pilotis, fut ajoutée à l'église. On retrouve dans toutes
les deux la même exubérance de cette architecture qui, suivant l'expression
d'un écrivain moderne, "tomba de la poésie au roman, et du merveilleux à
l'absurde". Absurde! le mot est un peu dur pour un chef-d'œuvre d'élégance
et de délicatesse, et un monument des plus curieux qu'ait produits la
Renaissance en Basse-Normandie. C'est un problème très intéressant et qui
n'a pas encore été résolu, que celui de savoir à qui, à quelle école doit
être attribuée cette flore d'ornementation si vivace et si touffue qui
s'épanouit sur l'hôtel d'Ecoville, la tour des Gendarmes, Fontaine-Henry, la
maison de Falaise connue sous le nom de la tour David, et tant d'autres qui
rendent si attrayante l'étude de la Renaissance à Caen et aux environs. La
première influence est évidemment italienne, et c'est presque une banalité
de dire que nos artistes se sont inspirés des merveilles des bords de la
Loire. Mais il ne faudrait pas en conclure que ces ouvriers sculpteurs,
architectes étaient italiens, tourangeaux ou parisiens.
On ne peut douter aujourd'hui de l'existence d'ateliers caennais très
florissants au moyen âge, et d'une école caennaise au XVIe siècle. Après
Victor Sohier, il faut rappeler Blaise et Abel Le Prestre, dont l'éloge se
lit dans l'ouvrage de Gahaignes. Biaise Le Prestre était à la fois habile
architecte et sculpteur, imaginier ou tailleur d'images, car ces deux
talents étaient souvent réunis. On a pu lui attribuer une fameuse statue
équestre détruite en 1793 et qui ornait l'hôtel de Valois, ce qui valut à
cet édifice l'appellation d'Hôtel du Grand Cheval. C'est précisément à
l'existence de cette école d'ornemanistes caennais qu'il faut attribuer le
caractère spécial et local de la Renaissance à Caen: caractère incontesté et
très différent de la Renaissance des bords de la Loire et de l'
Ile-de-France. C'est à cet ensemble de causes particulières que nous devons
ce gracieux château de Lasson, qui ne le cède en beauté qu'à celui de
Fontaine-Henry sans lui ressembler, et dans lequel on est frappé de
l'à-propos et de l'harmonie parfaite des sculptures et dès matériaux
employés. Comme toutes les œuvres du même temps, cet édifice est plus
remarquable par ses détails que son ensemble, et échappe à la description
par la richesse de ses moulures, par ses frises et ses médaillons; disons
toutefois que la disposition des deux corps de logis faisant saillie l'un
sur l'autre, les lucarnes cintrées, les grandes cheminées qui dominent tout
le travail, l'aiguille qui surmonte l'angle du corps de logis le plus
saillant, la tourelle octogone de l'escalier, sont pleins d'effet et de
mouvement. Il y avait dans le château une chapelle dédiée à saint Antoine.
Le château a été fréquemment remanié, nous ne disons pas restauré.
L'escalier actuel est moderne. L'escalier ancien se trouve du côté de la
cuisine; il n'en reste guère que la cage. C'est une construction hexagonale
de la Renaissance, décorée extérieurement dans le goût de la façade. De
larges baies encadrées de moulures éclairent l'intérieur. Quant à la
cuisine, elle est divisée dans sa largeur par plusieurs colonnes supportant
un entablement un peu lourd et assez disgracieux. Ceux qui nous ont précédé
dans la description de ce château parlent d'une curieuse salle servant de
billard, en réalité un salon ou chambre de parade et de réception. La
cheminée est des plus curieuses, et dans un état de conservation vraiment
rare. Les peintures ont été, sans aucun doute, rafraîchies à une époque très
récente; mais la menuiserie, les encadrements, les supports sont intacts et
ne laissent deviner aucune réfection. Les caissons du plafond, de même que
le trumeau de la cheminée, sont couverts de peinture du milieu du XVIIe
siècle, et appartiennent à cette époque, qui a été si bien caractérisée par
le talent d'Abraham Bosse. Ici, nous sommes fort embarrassé pour attribuer
ces charmantes et si originales peintures à quelque artiste de notre
province, à moins peut-être qu'à Saint-Igny; mais il était si peu
provincial, que cette attribution, alors même qu'elle serait justifiée, ne
révélerait aucun cachet artistique spécial à ce pays. Il nous paraît
difficile d'admettre que des peintures aussi soignées et aussi importantes
ne soient pas d'un bon artiste, et ne portent dans quelque coin une
signature ou monogramme connu. Le trumeau de la cheminée représente Apollon,
et chaque caisson du plafond une Muse et des accessoires mythologiques.
Un énorme pilier se trouve dans une grande salle voûtée de la seconde moitié
du XVe siècle. Cette salle qui a pris l'apparence d'une cave, devait avoir
primitivement une autre destination qu'il est difficile de préciser
aujourd'hui. La simplicité des lignes, jointe à une absence complète de
décors ou d'ornements quelconques, est d'un grand effet. Ce pilier qui
supporte une partie de l'étage supérieur se relie aux constructions les plus
anciennes du château. Il forme le point d'angle de la grande équerre des
deux corps de logis. A l'extérieur, rien ne fait soupçonner cette
intéressante architecture: la façade la recouvre de son manteau
d'arabesques, produisant ainsi le plus frappant contraste avec sa nudité
romantique. On ne peut terminer cette description sans parler d'une devise
qui se lit dans la frise de la façade, et qui a intrigué des générations
d'antiquaires. Nous pensons qu'il est bien difficile d'y trouver un sens; la
Renaissance nous offre de nombreux exemples de ces inscriptions
énigmatiques. La voici: SPERO LACON BI ASSES PERLEN. Dans une note publiée
dans le Bulletin monumental de M. de Caumont, M. de Neuville, voyant dans le
mot asses le pluriel de l'anglais ass (âne), explique ainsi l'inscription:
J'espère que les ânes se tiendront loin de Lasson. Horace avait dit: Odi
profanum vulgus et arceo. C'est la même pensée, mais exprimée un peu
différemment, avouons-le. Plus récemment, le Bulletin de la Société des
Beaux-Arts de Caen, a donné une traduction qui se rapproche peut-être
davantage de la pensée secrète de l'architecte ou du châtelain: l'auteur de
cette inscription lapidaire aurait voulu faire preuve d'érudition, en
rassemblant des mots de plusieurs langues, latin, français, anglais et
allemand donnant le sens suivant: J'espère Lasson être assez orné. Nous ne
quitterons pas cet édifice sans signaler la salle à manger du
rez-de-chaussée, circulaire et ornée de colonnes appliquées contre les murs,
décoration du milieu du siècle dernier.
La famille de Croixmare a été pendant longtemps propriétaire du château de
Lasson. Un des seigneurs de Lasson doit une certaine notoriété à ses démêlés
avec le fameux abbé de Saint-Martin. Le procès que l'abbé de Saint-Martin
eut avec MM. de Lasson et d'Engranville, donna lieu au traité qu'il fit sur
le Respect dû aux Églises et aux Prêtres. Cet ouvrage est dédié à Messire
Alexandre Salet, seigneur de Quilly, Sainteaux, Cauvicourt, Bretteville,
Jacob-Mesnil, Locart, la Hérondière, etc., conseiller du Roi en ses Conseils
et conseiller d'Église en son parlement de Normandie. La prolixité de cette
dédicace fait le principal mérite de cet opuscule dont la rareté ne provoque
pas le moindre regret. Au XIVe siècle, Guillaume de Corchon (Willelmus de
Corchone Miles) donna, en 1312, à l'abbaye d'Ardennes, 10 sols de rente, à
prendre sur son moulin de Lasson: Decem solidôs annui redditus in molendino
suo de Lachon. Le domaine de Lasson appartenait, ià la fin du XIXe siècle, à
Madame la marquise de Livry, née de Montalembert. Il est sorti de cette
famille, pour devenir la propriété de M. Lesaunier, un des plus importants
éleveurs de la plaine de Caen. Nous croyons savoir que M. Lesaunier apprécie
l'intérêt archéologique du château, et qu'il a à cœur non seulement de ne
pas le laisser dépérir, mais bien de lui conserver son apparence
seigneuriale et artistique. (1)
Éléments protégés MH : le château, à l'exception du bâtiment des dépendances
compris dans le pavillon carré établi au sud-ouest de l'édifice : classement
par arrêté du 17 juillet 1917. Les façades et les toitures du bâtiment des
communs : inscription par arrêté du 7 avril 1975. (2)
château de Lasson 14740 Rots, propriété privée, se visite aux journées du
patrimoine.
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