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Près de Bayeux on voit un
vieux manoir qui sous les rayons de l'aurore est toujours gris. Ce manoir,
dont parle ainsi Alphonse Le Flaguais, est celui d'Argouges jadis minuscule
paroisse de six feux, connue successivement sous les noms d'Arguges en 1204;
Argogia en 1224; Argogae en 1250; Argoges en 1277, et Argougia au XIVe
siècle, réunie enfin à Vaux-sur-Aure en 1829. Construit à la fin du XVe ou
au commencement du XVIe siècle, défendu par une enceinte garnie de tours et
de fossés qui, autrefois, étaient remplis d'eau, cet édifice présente, à
droite de l'entrée, un bâtiment assez considérable, éclairé par huit
fenêtres de différentes grandeurs, carrées et arrondies, quelques-unes ayant
des modillons, subdivisées par des croix de pierre et encadrées de plusieurs
rangs de nervures prismatiques. Quelques-unes sont surmontées d'un cordon
portant sur des cariatides; d'autres sont enrichies d'ornementations
végétales. On y voit deux tourelles en saillie; l'une terminée par un toit
pyramidal recouvert en ardoises et flanquée de deux contreforts représentant
assez exactement la quarte partie d'une poivrière, avec deux baies décorées
de frontons, l'un ogival, l'autre triangulaire; la seconde, qui renferme un
escalier, est à pans coupés par le bas et se termine par un carré obtenu au
moyen de pendentifs; elle est couverte d'un toit à double égout dont les
rampants sont garnis de crochets. Partie du toit de ce bâtiment, quelques
faîteaux avec épis et la cheminée du nord sont encore intacts. De ce côté,
on saisit les détails de la tête de cette cheminée, composée de deux
arcatures romanes, surmontées de trois triangles juxtaposés par la base et
dont les deux extrêmes sont garnis de crochets.
Une construction accolée et reliée par des contreforts en forme de
demi-tourelles, a aussi un toit similaire à celui de la tour d'escalier; les
gables sont troués de fenêtres du XVIe siècle. Sous deux d'entre elles, un
écu et un losange, jadis historiés d'armoiries, aujourd'hui frustes. A
gauche du bâtiment principal, il y en a deux autres de moindre importance où
on retrouve des fenêtres de la même époque; leur situation, non moins que la
simplicité relative de leurs ornements, indiquent que c'étaient des
appartements d'importance secondaire, des logis pour les hommes d'armes,
voire même des dépendances. La porte d'entrée, du XVIe siècle, est cintrée;
elle était surmontée de trois créneaux à nervures prismatiques dont un,
celui de droite, a disparu. Un lierre, ce parasite grimpant des ruines, y
développe les rameaux d'une tige qui est au dehors. Dessous étaient trois
sculptures: à droite et à gauche, des coquilles Saint-Jacques de l'écusson
des Beaumont en la Hague, et au centre, deux écus accolés, ou les restes
mangés d'un casque. Seraient-ce l'écusson d'un Argouges et celui de sa
femme? A droite et à gauche du cintre étaient aussi deux pierres sculptées
dont la première a disparu. L'autre représente un médaillon d'homme, en
ronde bosse dont on ne saurait fixer le caractère. A l'extrémité d'un mur
accotant des bâtiments d'exploitation et dans lequel est une baie du XVe
siècle, se trouve une tour à créneaux dont quelques-uns sont tombés, mais
dont les mâchicoulis sont bien conservés. A gauche de l'entrée est un pignon
sur lequel court aussi le lierre. En son milieu un oculus surmonté d'un
cordon prismatique; plus bas, une porte dont la baie a été rétrécie et sur
laquelle, entre un cordon et une corniche prismatiques, une tour entre deux
roues.
M. Lambert a vu les initiales de François 1er sur la cheminée d'une des
chambres, ce qui indiquerait que cette partie a été construite où réparée au
XVIe siècle. Saint-Pierre d'Argouges valait, au temps du livre Pelut, 40
livres et était taxée à 14. Le patron était le seigneur, alors Guillaume d'Argouges,
chevalier. Les d'Argouges portaient: "écartelé d'or et d'azur, à 3 quinte
feuilles, 2 et 1 de gueules, l'écu penché, timbré d'un casque et pour cimier
une fée de front jusqu'à la ceinture". Sur un sceau apposé en 1470, par
Jehan, sire d'Argouges et de la Champagne, on voit la foi, coiffée d'un haut
bonnet en genre de tiare, tenant une banderole sur laquelle on lit: "Argouges
a la fae". Ces armes, pense Pluquet, auraient, la prononciation populaire
aidant, été la source de la légende de la fée d'Argouges, enrichie de
plaisantes broderies en prose et en vers, notamment par les Castel, les Le
Flaguais, les Lavalley, les Joret-Desclosières, nos fines plumes normandes.
Une fée bienfaisante aurait aidé Robert d'Argouges, en 1106, dans son duel
sous les murs de Bayeux assiégé, avec un chevalier allemand nommé Bruin,
puis épousé, à condition qu'il ne prononçât jamais le vocable Mort devant
elle. Un jour il oublia son serment, et l'épouse s'envola en imprimant sa
main sur la porte du château (celui assurément de 760, dont parle Béziers),
où elle revient la nuit en criant: "la mort ! la mort". La marque de la main
était sans doute l'écusson des Pléville aux Mallesmains. Tant qu'à ce
Robert, certains chroniqueurs prétendent qu'il s'enfuit en Fouille, après la
prise de Bayeux, afin d'éviter le ressentiment d'Henri d'Angleterre. Quoi
qu'il en soit "Craignant la voix d'une âme en peine, qui fait grand bruit,
le villageois fuit ce domaine quand vient la nuit".
Berceau d'une famille que les historiens proclament noble et ancienne du
duché de Normandie, Argouges était le chef d'un plein fief de haubert sis à
Vaux-sur-Aure, Marigny, Saint-Malo de Bayeux, etc., avec extension dans les
vicomtés de Vire et de Valognes et relevant de la seigneurie de Landelles.
Quant aux individus de cette race, "apparent rari", et c'est à peine s'il
s'en rencontre un par siècle qui ait marqué. Vaultier, chevalier, fut nommé
par Guillaume le Bâtard, membre du Conseil de régence qu'il laissa à
Mathilde quand il passa le détroit. De sa fille, Colette d'Argouges, naquit
Philippe de Harcourt, chancelier d'Angleterre, doyen de Lincoln, archidiacre
d'Evreux, puis évêque de Bayeux de 1142 à 1164; qui, investi de la confiance
de plusieurs Papes, laissa à l'abbaye du Bec cent quarante volumes de sa
bibliothèque. L'auteur du roman de Rou, où est raconté le tournoi de Robert
et de Bruin, Wace, chanoine de Bayeux, vécut sous son épiscopat et se
trouvait avec lui, en décembre 1154, au couronnement de Henri II, roi
d'Angleterre. Les aînés possédèrent la seigneurie jusqu'en 1632. A cette
date, Joachim, dix-huitième descendant du fondateur de cette famille, la
vendit à Madeleine de Choisy, veuve de Louis Lefèvre de Caumartin.
Paul-Victor-Auguste, petit-fils de l'acquéreur, la revendit, en 1728, à
Claude-Olivier Regnault, président trésorier de France à Caen, dont le fils,
époux, en 1750, de demoiselle Lequeus de Varreville, fut le dernier
seigneur. Les puînés furent marquis de Gratot et de Ranes. Dès 1251, on
trouve un Guillaume d'Argouges marié à Jeanne de Gratot, terre confisquée
par Philippe-Auguste en 1204. Ses descendants, sauf une légère interruption,
la possédèrent pendant quatre siècles. Raoul, son fils, épousa Jeanne de
Granville, fille de Thomas, chevalier, seigneur du fief de Lihou.
Des d'Argouges furent curés de Granville aux XIIIe et XIVe siècles. En 1440,
Thomas, lord Scale, seneschal du roy d'Angleterre, achetait de Jean d'Argouges,
seigneur de Gratot et de Granville, tous les droits qu'il pouvait avoir sur
le roc et mont de Granville, dépendant de son fief de Lihou, par un chapel
de roses vermeilles, au jour saint Jean-Baptiste, pour y construire une
forteresse. Le marquisat de Ranes fut créé en 1672, des baronnies d'Asnebec
et de Ranes, appartenances, au XVIe siècle, de la maison d'Harcourt, en
faveur de Nicolas d'Argouges. Raoul, Guillaume et Jeanne d'Argouges sont
parmi les bienfaiteurs de Longues et de Cordillon aux XIIe et XIIIe siècles.
En 1335, un Raoul est enquesteur dans un procès entre le curé de Manvieux et
cette dernière abbaye. Au XVe siècle, Pierre s'allie au sang de France en la
personne de Madeleine de Dreux. Les d'Argouges, cités aux registres de
l'Échiquier, se rencontrent aussi aux Etats Généraux de Tours en 1484. Raoul
d'Argouges, le premier curé connu de Saint-Malo de Bayeux, dont le patronage
appartenait à sa famille, procédait, en 1462, avec le haut doyen Le
Bailleul. La pierre tombale du Musée de Bayeux révèle un Jehan et un Jacques
d'Argouges. Un Jacques d'Argouges fut grand panetier de François 1er. En
1509, Jean d'Argouges, vénérable et scientifique homme, protonotaire du
Saint-Siège, conseiller du roy très chrétien, prince et seigneur français
dans la cour souveraine de l'Echiquier de Normandie, est, dit Béziers, nommé
curé de Banville. Au XVIIIe siècle, Messire Georges d'Argouges, chevalier,
marquis de Gratot, est lieutenant général du roi en Basse-Normandie. Enfin,
en 1752, un d'Argouges, religieux de Fontenay, vend aux bénédictins de
Saint-Maur, pour 200 livres de rente, sa maison, son jardin et son office de
sacristain et se retire dans sa famille. Le temps a rongé cette race: à la
fin du XIXe siècle, le château est devenu ferme, et l'épée soc de charrue.
(1)
château d'Argouges 14400 Mosles, tel. 02 31 92 52 90, entièrement
restauré, avec cinq chambres d'hôtes de charme et des gîtes. La demeure
comprend une salle de billard, un salon bibliothèque avec une belle cheminée
et et une salle à manger...
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