|
Il n'est point dans
l'arrondissement de Lisieux d'ancien château qui offre un aspect pittoresque
et plus saisissant qu'Ouillye-du-Houlley. Son heureuse situation, son air de
vieille forteresse, jusqu'à l'assemblage singulier de constructions
d'époques diverses, associées les unes aux autres sans le moindre souci de
la symétrie, éveillent l'intérêt et excitent la curiosité. D'ailleurs ce
château n'a subi aucune de ces retouches, de ces restaurations qui, même
exécutées avec le goût le plus pur, le soin le plus scrupuleux de respecter
les styles, font cependant perdre à un édifice quelque chose de son cachet
primitif. Par un privilège bien rare cette noble demeure a échappé à la
ruine; elle n'a pas souffert de la main des hommes et a résisté aux injures
du temps. Elle subsiste encore intact sans que le siècle qui s'est écoulé et
qui partout ailleurs a produit tant de changements, ait en rien altéré son
aspect extérieur. Le château d'Ouillye occupe l'extrémité d'une sorte de
promontoire peu élevé, mais dont les pentes rapides lui permettent de
dominer d'une manière assez imposante les vallons qui l'entourent de trois
côtés. Au midi s'étend l'étroite vallée qu'arrose le cours d'eau prenant
naissance à Saint-Hippolyte-de-Canteloup pour aller se jeter dans la Touque
à Ouillye-le-Vicomte. Au nord et à l'ouest, un frais et sinueux vallon se
déroule gracieusement, encadré par des futaies de hêtres. Au levant, le
terrain s'élevant en pente douce jusqu'à un bois nommé la forêt d'Ouillye,
non en raison de son étendue qui est médiocre, mais à cause des belles
futaies qui le couvraient autrefois.
L'origine du château d'Ouillye remontait sans doute à une époque reculée;
mais, comme tant d'autres, il avait essuyé le désastre le plus complet lors
des guerres des Anglais. Un aveu de la baronnie de Tillières, dont il était
la dépendance, rendu le 20 novembre 1455 par Philippe Le Veneur, fait
mention de "la place, motte et fossés, où souloit estre anciennement le
chastel d'Ouillye-le-Ribault, où de présent est la chapelle". Cette
chapelle, rasée au XIXe siècle, se trouvait dans la cour intérieure du
château actuel. Nous savons donc par un témoignage certain que rien de ce
qui subsiste ne remonte à une époque aussi ancienne que celle de l'expulsion
des Anglais. Une partie cependant de la construction existante doit dater du
XVe siècle. C'est d'abord le mur extérieur de l'ouest, que caractérise la
présence de plusieurs tours rondes, la plupart de médiocre dimension; la
maçonnerie en est peu soignée. La tour placée à l'angle sud-ouest de la cour
intérieure, bâtie à pans coupés avec plus de soin, et dont le toit, jadis
aigu, a été depuis couronné d'un lanternon, le corps de logis adjacent a
celle-ci du côté du nord, où se voient des arcs en accolade, doivent
appartenir l'un et l'autre aux dernières années du même siècle ou au
commencement du XVIe siècle. La portion du corps de logis faisant face au
midi, voisine des tours et, comme elles, construite en pierres de taille,
peut dater de la première moitié du XVIe siècle. Telles sont, avec le mur
extérieur du nord peut-être, car il est trop grossièrement construit pour
offrir de caractère certain, les parties les plus anciennes du château;
elles se distinguent nettement des constructions plus récentes par l'absence
complète de la brique.
La réédification des autres parties du château fut nécessitée par un grave
désastre subi pendant les guerres de la Ligue. Ouillye, qui avait reçu une
garnison royaliste, fut assaillie, le 15 août 1592, par un corps de troupes
espagnoles sous les ordres du capitaine Antunez, sorti à cet effet de
Pont-Audemer. Les agresseurs pénétrèrent dans la place par une brusque
attaque, et mirent le feu aux portions dont ils s'étaient emparés. Le
château fut aux trois quarts détruit. Entreprit-on de suite de le rétablir?
Ne fut-ce qu'après l'an 1605, où il passa par vente en de nouvelles mains,
qu'il en fut question? Nous ne saurions le dire. M. de Longchamp,
l'acquéreur, habitant le château voisin de Fumichon, n'avait pas de motif
bien urgent pour en hâter la reconstruction. C'est toutefois au règne
d'Henri IV qu'il faut attribuer l'érection du pavillon du pont-levis, qui
occupe le centre de la façade orientale, et celle du bâtiment de dépendance
placé au nord-ouest, à la suite du plus ancien corps de logis. Ces parties,
par l'harmonie de leurs proportions, la gracieuse disposition de la pierre
et de la brique, qui entrent par moitiés assez égales dans le revêtement de
leurs murailles, l'emportent de beaucoup en bonne grâce sur celles de date
postérieure, qui ont pourtant dû les suivre d'assez près. Peut-être faut-il
y voir l'œuvre de M. de Longchamp. Peut-être, après sa mort, fut-ce à M.
d'Oraison, devenu, par suite de son mariage, possesseur d'Ouillye,
qu'incomba la tâche d'en achever la reconstruction; il faudrait en ce cas
lui attribuer le surplus des faces orientale et méridionale du château. Le
long bâtiment de dépendance placé au nord avec retour sur le côté de l'est,
porte les caractères d'une date plus récente: il n'est certainement pas plus
ancien que le règne de Louis XIV; il peut être l'œuvre de M. d'Oraison, ou
plutôt d'un de ses successeurs.
Il est à remarquer qu'à l'intérieur de la cour, les parties qui s'étendent
entre le corps de logis du XVe siècle et le pavillon du pont-levis, sont
simplement bâties en colombage. Comme elles étaient complètement masquées
par la chapelle alors existante dans la cour, à gauche de ce dernier
pavillon en entrant, on avait cru pouvoir en négliger ainsi la structure.
Tout le reste de ces constructions est en bon appareil de pierre et brique.
A l'intérieur de l'édifice on remarque dans une salle basse de la partie la
plus ancienne, un puits alimenté par une source d'eau vive. Un même défaut
dépare la totalité des appartements: ils sont démesurément bas d'étage. Il
se trouve deux vastes salles au rez-de-chaussée et autant au premier; tout
le reste du château se compose de très petites pièces placées à la file,
sans aucun moyen de dégagement et sans autre accès indépendant que des
escaliers donnant dans la cour. Ouillye-du-Houlley était autrefois nommée
Ouillye-la-Ribauld. Il ne faudrait pas chercher, comme l'a fait un historien
de Lisieux plus affirmatif que véridique, l'origine de ce qualificatif mal
sonnant dans les désordres dont ce lieu aurait été le théâtre. Ce vocable
n'était qu'une altération du nom propre d'un ancien seigneur, Ribauld, fils
de Gislebert Crespin, châtelain de Tillieres, et d'Hersende son épouse; il
figura dans une charte de l'an 1109. La famille Crespin, une des plus
puissantes en Normandie aux XIe et XIIe siècles, possédait, outre les
baronnies du Bec-Crespin au pays de Caux, d'Étrépagny, de Neaufle et de
Dangu en Vexin, celles de Blangy, de Livarot, et plusieurs autres
seigneuries dans le pays de Lisieux; Ouillye-la-Ribauld, aussi nommée
Saint-Martin-d'Ouillye, et Saint-Léger-d'Ouillye, paroisse limitrophe,
étaient du nombre.
Gislebert Crespin, le premier ancêtre connu de cette race, reçut vers l'an
1030 la garde de la forteresse de Tillières, de grande importance pour la
défense des frontières normandes vers le sud. Tillières devint une des
principales baronnies de la famille Grespin, et, malgré la distance, les
deux seigneuries d'Ouillye en devinrent une partie intégrante; elles
appartinrent, à ce titre, jusqu'au XIVe siècle, à la branche dès Crespin qui
portait exclusivement le nom de Tillières. Le roi Charles V, ayant acquis en
1370 de Gilbert de Tillières la baronnie de ce nom, en fit don, en 1376, à
un de ses chevaliers, Guy Le Baveux, issu d'une branche de la maison de
Garancières. Le fils de celui-ci, Robert Le Baveux, laissa de son mariage
avec Agnès Paynel, sœur de la dame de Courcy, trois fils qui moururent sans
postérité, et trois filles dont les fils se partagèrent la baronnie.
Philippe Le Veneur, issu de l'aînée, Jeanne Le Baveux, eut le tiers formé
par la châtellenie de Tillières, que ses descendants ont conservé sous le
titre de comté jusqu'à la Révolution de 1789. Philippe de Magneville, né de
la seconde sœur, eut la châtellenie d'Ouillye-la-Ribauld, et
Saint-Léger-d'Ouillye échut à la plus jeune, Catherine Le Baveux, et à
Pierre Lestendart, son fils, ainsi qu'il résulte de l'aveu de Tillières
rendu au roi par Philippe Le Veneur, le 20 décembre 1455. Ouillye-la-Ribauld,
après avoir appartenu, en 1469, à Jean de Magneville, chevalier, se trouva
réunie, par vente ou succession, au troisième lot de la baronnie, celui de
Saint-Léger-d'Ouillye, entre les mains de la famille Lestendart. C'est à
elle que doit être attribuée la reconstruction première du château d'Ouillye.
Jean Lestendart, chevalier, était, en 1523, seigneur d'Ouillye-la-Ribauld où
il résidait. Il eut pour successeur, avant 1536, René de Maintenon, d'une
famille ayant porté le nom de Loresse, et puis plus tard celui du célèbre
château de Maintenon au pays chartrain, qu'elle avait possédé. Ce seigneur
fut constamment désigné sous le titre de baron d'Ouillye, de même que son
fils, Gaston de Maintenon, qui épousa une demoiselle de Nollent de Sassey.
Mais celui-ci obéra sa fortune, et, en 1589, la terre d'Ouillye fut saisie
par ses créanciers et adjugée à Charles de Carvoisin d'Achy, marié à
l'héritière de Sassey, Marguerite de Nollent. Quelques années après, cette
terre se trouvait entre les mains de sa mère, Marguerite de l'Isle, veuve de
Jean de Carvoisin seigneur d'Achy, mais elle lui survécut peu, et la
baronnie fut de nouveau décrétée par des créanciers, c'est-à-dire vendue par
expropriation, en 1605. Cette fois, l'acquéreur était le seigneur de la
terre voisine nommée Fumichon, Jean de Longchamp, qui avait figuré à la tête
des seigneurs de la contrée pendant la guerre civile, et n'en avait pas
moins reçu du roi Henri IV la charge de gouverneur de Lisieux. Il mourut
vers 1632, laissant de son mariage avec Marie de Frotté, deux filles qui se
partagèrent sa succession: Marie de Longchamp, mariée à Louis de Rabodanges,
et Catherine de Longchamp, qui avait épousé, selon contrat reçu par les
tabellions de Thiberville, le 8 septembre 1625, César d'Oraison, seigneur de
Soleillas et baron de Livarot. Celui-ci appartenait à une des premières
familles de la Provence, d'origine napolitaine. Philibert d'Aqua, grand
chambellan du roi René, avait épousé Louise d'Oraison, héritière d'une
ancienne maison, dont ses descendants adoptèrent le nom.
Son arrière-petit-fils, André d'Oraison, seigneur de Soleillas et comte de
Boulbon, mestre de camp des vieilles bandes françaises, chevalier de
l'Ordre, épousa Jeanne d'Arces, seule fille et héritière de Jean d'Arces,
seigneur de la Bastie en Dauphiné, baron de Livarot, et sœur de Guy d'Arces-Livarot,
un des mignons de Henri III, tué en duel le 4 mai 1581. De ce mariage
étaient sortis quatre fils: Louis, l'aîné, mourut jeune, non sans laisser
beaucoup de dettes; le second, Ozias d'Oraison, quitta le monde et la charge
de gentilhomme de la chambre de Monsieur, le frère de Louis XIII, Gaston duc
d'Orléans, pour se faire jésuite; Alphonse, le troisième, recueillit les
grands domaines paternels de Provence; César, le plus jeune, quitta l'Ordre
de Malte et devint par son mariage seigneur châtelain et baron d'Ouillye, et
gouverneur de Lisieux. Il prit le titre de marquis de Livarot; mais comme la
terre de Livarot ne lui avait été laissée que sous la charge de 36000 livres
de dettes, somme alors considérable, il fut toute sa vie un seigneur très
malaisé. Il fit du château d'Ouillye son séjour habituel, celui de Livarot
étant déjà fort délabré, et mourut en 1673, après avoir, depuis quelques
années, remis la jouissance de ses biens personnels et le soin de faire face
à ses embarras d'affaires, à son fils aîné, Jean d'Oraison, qui se faisait
appeler le marquis de Longchamp. Celui-ci ne survécut à son père qu'un petit
nombre d'années, et ne laissa qu'un fils de son mariage, contracté devant
les tabellions d'Echanfrey le 8 mars 1636, avec Charlotte Le Conte de Nonant,
veuve de Nicolas Heudey, seigneur de Pommainville; ce premier époux avait
été tué dans les rues de Guibray, victime d'une odieuse trahison. Le jeune
héritier de la baronnie d'Ouillye, se nomma, comme son aïeul, César
d'Oraison, marquis de Livarot, et fut, même du vivant de son père,
gouverneur de Lisieux par une disposition spéciale de cet aïeul.
Mais quoiqu'il eût aussi recueilli la succession de Catherine de Longchamp,
qui avait eu soin de se faire séparer de biens de son époux, sa situation de
fortune ne laissait pas que d'être difficile. Un brillant avenir sembla
cependant s'ouvrir devant lui; il fut choisi pour futur époux de Madeleine
d'Oraison, sa cousine, unique héritière de la grande fortune de cette
famille, restés en Provence. Le mariage, longtemps différé à cause du jeune
âge de la fiancée, allait avoir lieu, quand le marquis de Livarot,
grièvement atteint à la bataille de Fleurus, le 1er juillet 1690, succomba
deux jours après à ses blessures. Il avait montré les qualités personnelles
les plus estimables, et sa mort excita d'unanimes regrets. Madeleine
d'Oraison épousa quelques années plus tard le duc de Caderousse, de la
maison d'Ancezune, et ruina ce mari par sa passion pour le jeu. La
succession du marquis de Livarot fut recueillie en partie par sa tante,
Charlotte-Elisabeth d'Oraison, mariée à Charles Nicolle, seigneur de
Briqueville, près Coutances, en partie par un cousin germain, Jean-César de
Guerpel, fils de Pierre de Guerpel, seigneur du Mesnil-Monchauvet, et de
Marie-Anne d'Oraison. La première, grâce à la fortune de son époux, put
conserver la baronnie de Livarot; le second se contenta de la petite terre
d'Héricourt, avec exemption des dettes. Le château et la baronnie d'Ouillye
ne purent éviter d'être vendus; ce ne fut toutefois que plusieurs années
après, quand s'éteignit la jouissance de Charlotte Le Conte de Nonant, qui
avait survécu à son fils. L'acquéreur était Adrien du Houlley, seigneur de
Firfol, paroisse limitrophe d'Ouillye. Il rendit aveu de ses acquisitions en
1699, et obtint, en 1719, l'érection de la terre d'Ouillye en baronnie du
Houlley, avec privilège de haute justice, et le changement du nom des
paroisses, Ouillye-la-Ribauld et Saint-Léger-d'Ouillye, qui furent appelés
Saint-Martin et Saint-Léger-du-Houlley.
La baronnie passa successivement à son fils aîné, Jean, baron du Houlley,
conseiller au Parlement de Paris, puis à ses deux petits-fils,
Adrien-Marie-Jean, baron du Houlley, mousquetaire du roi, et
Alexandre-François-Pierre, aussi baron du Houlley, seigneur de Firfol,
Fumichon et autres terres. Ce dernier mourut en 1786, laissant son héritage
à sa sœur, Anne-Renée-Cécile du Houlley, épouse de Daniel de Loynes de
Mazères. Au moment de la Révolution, Saint-Martin-du-Houlley reprit son
ancien nom, qu'on écrivit Ouillye-la-Ribauld, tandis que la commune voisine
conservait celui de Saint-Léger-du-Houlley la réunion de cette dernière à la
précédente ayant eu lieu en 1825, on a associé les deux noms pour en faire
celui d'Ouillye-du-Houlley. La succession de Madame de Mazères fut partagée
entre plusieurs enfants. Un de ses fils s'appela M. de Loynes du Houlley,
nom qu'il a transmis à sa postérité; mais ce ne fut pas à lui qu'échut la
terre d'Ouillye. Possédée par M. de Loynes de Mazères, elle passa ensuite à
M. Charles Baguenault et fut vendue par lui en détail au milieu du XIXe
siècle. Le château, avec un entourage, de médiocre importance, a été acquis
par le propriétaire d'une ferme voisine, M. Pottier, qui a pris à tâche de
le préserver de la destruction, donnant ainsi un exemple de respect pour les
monuments du passé, digne d'être cité avec éloge. Combien d'édifices du plus
haut intérêt, jadis l'ornement de leurs cantons, ont à jamais disparu, faute
de trouver chez leurs possesseurs cet esprit de conservation, qui mérite la
sympathie de tous les amis éclairés des arts et de l'histoire. (1)
Éléments protégés MH : le château en totalité : inscription par arrêté du 19
janvier 1927 (2)
château d'Ouilly-du-Houley 14590 Ouilly-du-Houley, propriété privée, ne se
visite pas.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous. Propriétaire de cet édifice, vous
pouvez enrichir notre base de données en nous adressant des photos pour
illustrer cette page, merci.
A voir sur cette page "châteaux
du Calvados" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
|