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Au centre de la riche vallée d'Orbec,
le château de Mailloc présente sur toutes les faces sa masse imposante. Ses
murs de pierre ont conservé en grande partie leur primitive blancheur; le
jardin anglais, les bouquets de plantations qui l'environnent, l'absence un
peu trop complète des alentours ordinaires d'une vieille habitation, la
suppression des douves profondes dont la ceinture était autrefois son
accompagnement obligé, semblent conspirer à lui donner l'apparence d'une
création récente. En même temps, ses quatre tours aux dimensions puissantes,
aux corniches fortement accusées, couronnées d'un bandeau de mâchicoulis,
lui conservent quelque chose du caractère d'un château-fort, malgré toutes
les modifications à l'aide desquelles on s'était efforcé de le faire
disparaître. Si le château de Mailloc a été modernisé, infiniment plus que
ne le souhaiteraient les amis de l'art et les amateurs du pittoresque, c'est
le XVIIIe siècle, et nullement l'ère contemporaine, qui en est responsable.
Le propriétaire, M. le comte de Colbert-Laplace, député de l'arrondissement
de Lisieux, fait au contraire les plus louables efforts pour rendre à cette
belle habitation sa véritable physionomie, et déjà Mailloc a repris une
partie du cachet artistique dont on s'était précédemment si soigneusement
appliqué à le dépouiller. Tel que de prétendues restaurations l'avaient
laissé, ce château offrait une véritable énigme en architecture. Le corps de
logis portait les indices de dispositions propres au début du règne de Louis
XIV, tandis que les tours semblaient appartenir au XVIe siècle, peut-être
même au temps de François 1er. Cependant aucune trace de reconstruction ne
permet d'admettre, entre la partie centrale de l'édifice et les tours qui
l'accompagnent d'une manière si heureuse, une différence de date aussi
importante.
Nous croyons donc qu'on doit regarder la construction comme remontant tout
entière au XVIe siècle, dont cependant le caractère a complètement disparu
du grand corps de logis par suite d'un remaniement des plus exagérés. S'il
ne s'est pas étendu aux quatre tours, c'est qu'on a reconnu combien il était
impossible de leur donner une apparence plus moderne et plus conforme aux
goûts désastreux du possesseur qui entreprit cette œuvre mal inspirée.
Mailloc n'a d'ailleurs, il faut en convenir, jamais répondu à l'idée qu'on
peut se faire d'un château du siècle de la Renaissance. On y chercherait
vainement la moindre trace d'une sculpture. La sobriété de son ornementation
est des plus austères. Mais il ne faut point oublier que l'art bien entendu
consiste, dans l'architecte, à tirer parti des circonstances en présence
desquelles il se trouve, et non à violenter la nature pour la forcer à se
plier à des idées préconçues. La qualité de la pierre dont est construit
l'édifice, ne se serait pas prêtée au travail du sculpteur, et l'état des
chemins ne permettait pas alors de faire venir des matériaux empruntés à
distance: on a donc agi fort sagement en renonçant à ce genre
d'embellissement. Le château de Mailloc est entouré de quatre communes qui
portent aujourd'hui ce nom; ce sont: Saint-Julien, Saint-Pierre,
Saint-Martin et Saint-Denis-de-Mailloc. On racontait autrefois que chacune
des quatre tours de la demeure seigneuriale était construite sur le
territoire d'une de ces quatre paroisses. Rien n'est moins fondé; le château
a toujours appartenu exclusivement à Saint-Pierre-de-Mailloc, anciennement
nommé Saint Pierre-du-Tertre. La paroisse de Saint-Julien a longtemps été
seule à porter le nom de Mailloc; Saint-Martin et Saint-Denis étaient dits
du Val-d'Orbec. Saint-Denis a changé ce nom en celui de Mailloc, l'an 1680;
Saint-Martin et Saint-Pierre ont reçu cette dernière désignation en 1729.
La terre de Mailloc doit son nom à la famille des seigneurs qui l'ont
possédée dès une époque sur laquelle les documents précis nous font
absolument défaut. Mais Mailloc est un nom d'homme et, chose étrange, il
appartient exclusivement à la langue gaëlique. Quoi qu'il en soit, Mailloc
fut possédé de père en fils, pendant plusieurs siècles, par une longue suite
de chevaliers qui maintinrent honorablement leur rang, sans toutefois
parvenir à graver leur nom dans les annales de l'histoire; il ne paraît pas
qu'aucun d'eux ait jamais porté bannière. De nombreuses branches
collatérales sortirent de cette antique souche. De celle des seigneurs de
Sacquenville était issu Louis de Mailloc-Sacquenville, commandeur de l'ordre
de Malte au XVIe siècle. S'étant fait remarquer par sa participation à une
révolte dirigée contre le Grand-Maître, Jean de la Cassière, il fut envoyé à
Rome par les chevaliers rebelles pour soutenir leur cause auprès du
Saint-Siège. Il reçut un mauvais accueil du cardinal Montalte, depuis pape
sous le nom de Sixte-Quint. "Si j'étais le Saint-Père, lui dit le fougueux
prélat, je vous aurais déjà fait trancher la tête". La branche aînée,
dépouillée de la terre de Mailloc et de ses autres fiefs pendant
l'occupation anglaise, en raison de la fidélité de Jean de Mailloc à la
cause nationale, en avait recouvré la possession quand Charles VII eut
expulsé les envahisseurs. Mais le château-fort qui, de temps immémorial,
était le séjour de cette ancienne race, avait été détruit pendant la guerre,
et il s'écoula près d'un siècle avant que les seigneurs de Mailloc eussent
recouvré les ressources nécessaires pour en entreprendre sa reconstruction.
Enfin la fortune entra dans cette maison, sous la forme de deux riches
héritières. Nicolas de Mailloc épousa, vers l'an 1500, Suzanne de Mannoury;
elle était fille d'Etienne de Mannoury du Tremblay, seigneur du
Mont-de-la-Vigne, capitaine de Lisieux, Evreux et Exmes, et d'Austreberte de
Dreux, issue elle-même d'une branche éloignée de la maison royale de France.
Mais Suzanne ne semblait point destinée à recueillir l'opulente succession
de sa famille, enrichie par la faveur de Louis XI; elle avait deux frères et
deux sœurs. L'un des frères embrassa l'état ecclésiastique; l'autre ne
laissa, de son mariage avec Marguerite Le Veneur, qu'un fils, louis de
Mannoury lequel mourut sans postérité, et Suzanne eut à partager avec ses
sœurs l'héritage de ce neveu. La terre du Mont-de- la-Vigne entra ainsi dans
la maison de Mailloc. De Nicolas de Mailloc et de Suzanne de Mannoury
étaient nés trois fils: Jean, seigneur de Mailloc, Charles et Pierre,
seigneurs de Saint-Denis et de Monteilles, personnages turbulents, qui
eurent à se reprocher assez d'actes de violence pour avoir besoin de
bénéficier du privilège de Saint-Romain. Charles se distingua comme
capitaine de mille légionnaires. Après lui, Jean, seigneur de Saint-Denis,
époux d'Antoinette de Mézières, fut père d'Hamon de Mailloc, célèbre dans
les guerres de la Ligue sous le nom de Saint-Denis-Mailloc. Ayant embrassé
la cause royale, il la servit avec ardeur à la tête d'un corps
d'arquebusiers à cheval; mais ni le chef, ni les soldats ne brillaient par
une discipline scrupuleuse; et leurs déprédations qui n'épargnaient amis ni
ennemis, excitèrent beaucoup de plaintes.
Commandant à Lisieux, puis gouverneur de Conches, ayant le rang de mestre de
camp, le seigneur de Saint-Denis n'avait pas à se plaindre de la fortune;
mais il était d'une trempe à se plaire davantage dans le désordre des
dissensions civiles que sous le règne pacifique des lois. Ne recevant pas
toutes les satisfactions auxquelles il prétendait, il se rangea parmi les
mécontents, quitta la France et se retira à Bruxelles pour se mettre au
service de l'Espagne. Cette incartade, qui lui valut la perte de ses
charges, fut suivie de plusieurs autres. Enfin il se trouva compromis d'une
façon tellement grave que sa tête fut en péril, et s'il parvint à se mettre
en sûreté, il encourut la confiscation de ses biens, que toutefois la
munificence royale concéda à un de ses alliés les plus proches, le comte de
la Suze, de la maison de Champagne, l'an 1621. Saint-Denis-Mailloc n'eut
qu'une fille de son mariage avec Madeleine de Melun, dame des Landes et de
Normanville; ce fut Madeleine de Mailloc, mariée, en 1618, à François de
Lyée, seigneur du Coudray, Heurtevent et Saint-Jean de Livet. De cette union
naquit une fille unique, Madeleine de Lyée, qui, étant veuve de MM. de
Vieupont et de Braque, épousa, par admiration pour ses talents littéraires,
Gautier de Costes, sieur de la Calprenède, auteur alors célèbre de longs
romans qui firent les délices du public au temps de Mazarin. Jean de Mailloc,
l'aîné des trois frères, éleva au plus haut point la fortune de sa famille
en épousant, en 1537, Louise Quiéret, héritière d'une famille de Ponthieu
ancienne et même illustre. Elle lui apporta, du chef de son père, les
seigneuries de Tours-en-Vimeu, le Quesnoy, Bouricourt, Neuville-sur-Eaulne,
Caurroy, Hamicourt, la Porte-Montreuil, Saint-Nicolas, Esquincourt,
Saint-Martin, et la baronnie de Bosc-Geoffroy; du côté d'Antoinette de
Boissay, sa mère, la baronnie de Cailly, la châtellenie de Saint-Germain, et
une vingtaine d'autres seigneuries que nous nous dispenserons d'énumérer.
Jean de Mailloc profita de cette opulence pour faire construire sur sa terre
patrimoniale le château actuellement existant; dès lors, il joignit au titre
de seigneur de Mailloc celui de châtelain du lieu. Il laissa, outre
plusieurs filles, deux fils dont le plus jeune fut seigneur du
Mont-de-la-Vigne, terre que sa fille unique apporta en mariage, en 1583, à
Guy d'Aché, seigneur de Marbeuf, vicomte de Fontenay-le-Marmion. L'aîné,
Nicolas de Mailloc, baron de Cailly, seigneur châtelain de Mailloc, épousa,
en 1563, Charlotte de Monchy-Moncavrel, qui fut dame d'honneur de la reine
Catherine de Médicis, et le rendit père de François de Mailloc, aussi baron
de Cailly et châtelain de Mailloc, chevalier de l'ordre du roi, marié, en
1587, à Marie Bruslart de Genlis, que la reine Marie de Médicis prit à son
tour pour dame d'honneur. Un second François de Mailloc, né de cette union,
épousa en 1610, Françoise Le Brun, héritière des seigneurs de Sallenelles,
et obtint l'érection en baronnie de la terre de Mailloc; il était en même
temps baron de Cailly, de Tours-en-Vimeu, chevalier de l'ordre et
gentilhomme de la chambre du roi. Son fils, Gabriel de Mailloc, baron de
Mailloc et de Cailly, premier veneur de Gaston duc d'Orléans, épousa, en
1641, Renée de Créquy-Bernieulles et mourut en 1681, laissant neuf enfants
et des affaires un peu obérées. Mais de ses six filles, quatre furent
destinées au cloître; deux fils moururent prématurément; il ne resta que
Gabriel-René de Mailloc, en qui allait s'éteindre cette brillante lignée,
après être parvenue au comble de la prospérité. Il joignit, en effet, à une
bonne part des biens paternels, l'héritage de son oncle de Créquy, qui lui
laissa le comté de Cléry-Créquy, la baronnie de Combon, moitié de celle du
Neubourg, et la terre du Champ-de-Bataille. Ce fut en sa faveur que la
baronnie de Mailloc fut érigée en marquisat, en 1695.
N'ayant pas eu d'enfants d'un premier mariage avec une veuve déjà mûre, mais
fort riche, Marie Henry de Cheusses, le marquis de Mailloc, parvenu à l'âge
de soixante-quatorze ans, épousa, en 1720, Claude-Lydie, fille du maréchal
duc d'Harcourt; elle n'avait que vingt-trois ans. Nul ne pouvait se tromper
sur les motifs d'une union aussi disproportionnée, "il lui fait de grands
avantages en l'épousant, dit le Journal de Dangeau. Il avait épousé en
premières noces, ajoute-t-il, Madame de Loury, qui était fort vieille et
fort riche, et qui lui avait fait de grands avantages". Ce mariage mal
assorti d'un vieillard et d'une jeune et jolie personne ne promettait le
bonheur à aucun des deux époux: les prévisions ne se trouvèrent point
trompées. Le marquis de Mailloc passa pour être horriblement jaloux. Il
n'est cependant pas exact qu'il ait fait enfermer sa femme par lettre de
cachet, comme le raconte l'auteur des prétendus Souvenirs de la marquise de
Créquy. D'ailleurs au bout de quatre ans, en 1724, sa mort lui rendit
l'indépendance, et lui permit de jouir d'une grande fortune, qu'elle eut
pourtant à disputer devant les tribunaux aux héritiers naturels du marquis.
C'était Catherine de Mailloc sa seconde sœur, qui, déjà avancée en âge,
avait épousé, en 1717, Jacques Bonnet de Montgommery, marquis de la Tour,
gentilhomme muni de beaucoup plus de prétentions que de patrimoine; puis les
enfants et petits-enfants de sa sœur aînée, Renée de Mailloc, mariée, en
1669, à Philippe Toustain, marquis de Carency, et morte avant son frère.
Pendant nombre d'années on plaida avec acharnement; on fit tant et si bien
que cette succession s'évanouit pour la plus grande partie en frais de
procédure.
Claude-Lydie d'Harcourt conserva cependant la jouissance des terres de
Mailloc et du Champ-de-Bataille jusqu'à sa mort, survenue en 1750; mais
comme elle préférait la dernière de ses résidences, le château de Mailloc se
trouva bien délaissé. Après elle, il passa en la possession de son frère,
Anne-Pierre, duc d'Harcourt, qui vendit quelques années après le marquisat
de Mailloc à César-Louis-Marie-François-Ange, vicomte d'Houdetot. Celui-ci
n'était qu'un fils de famille, mais il avait trouvé les ressources
nécessaires à cette acquisition dans son mariage avec une riche héritière,
Louise Périnet de Faugnes. Cependant, en 1785, il revendit cette terre à
Louis-François-Charlemagne de Couvert de Coulons, président à mortier au
Parlement de Normandie. Ce nouvel acquéreur n'habita jamais le château de
Mailloc; le trouvant trop délabré, il préféra résider au château qui
existait alors à Saint-Denis-de-Mailloc, demeure moins spacieuse, mais plus
agréablement située. Propriétaire éclairé, bienveillant et généreux, le
président de Coulons semblait ne devoir rencontrer que la sympathie
universelle. Il fut pourtant le premier dans le pays à ressentir, en 1789,
le contre-coup des événements révolutionnaires; son château de Saint-Denis
fut saccagé, incendié et complètement détruit. Le motif qui excita contre
lui les passions populaires, mérite d'être rapporté: il s'était appliqué à
propager dans la contrée la culture de la pomme de terre, et c'était,
disait-on, traiter le peuple en bête de somme que de lui destiner une
nourriture ne convenant évidemment qu'aux bestiaux. Une partie de ses biens
lui fut toutefois conservée. A sa mort, qui survint en 1801, Mailloc
appartint à son fils, Charlemagne-Armand-Timoléon de Couvert de Coulons,
décédé en 1812. Les deux sœurs de ce dernier, mariées l'une au comte de
Couvert, son cousin, l'autre à M. de Grimouville de Cussy, firent vente de
cette terre, en 1813, à la marquise de Portes, née Laplace, fille de
l'illustre astronome. Mailloc passa après elle à sa fille unique, épouse du
marquis de Colbert-Chabanais, député au Corps législatif. A la fin du XIXe
siècle, son fils en fit sa résidence favorite, et a beaucoup contribué à
restaurer et à embellir ce beau château (1). Dans la nuit du 10 au 11
décembre 1925, un incendie se déclara dans les quatre tours, anéantissant
tapisseries, mobiliers, épée de Charles Quint, bibliothèques contenant des
livres ayant appartenu à Colbert et des documents de Laplace, une cuisinière
serait à l’origine de cet incendie... Inestimable fut la perte de ces
souvenirs historiques. Devenu un amas de ruines calcinées, le château
autrefois ceinturé de jardins à la française, d’avenues d’arbres et de
pelouses, fut enseveli sous un linceul de lierre et de ronces. Le château de
Mailloc a été restauré et à nouveau habité. Même s’il a perdu ses tours
Renaissance, il conserve quelques chose de farouchement superbe, le nom de
Laplace y résonne encore.
Éléments protégés MH : les façades et les toitures du château : inscription
par arrêté du 17 mai 1933. (2)
château de Mailloc
14290 Saint-Julien-de-Mailloc, situé à 2 km du bourg, propriété privée, ne
se visite pas, vestiges.
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