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À l'origine du
château d'Ardenne, à Moulidars, existait juste une tour. Et la tour resta
seule, depuis sa construction vers 1100, jusqu'à l'édification du corps de
bâtiment qui l'engloba à la fin du XVe ou début XVIe siècles. La création de
cette "turris" en bordure occidentale du comté d'Angoulême au début du XIIe
siècle, est révélatrice d'un changement dans l'histoire politique de ce
comté dont elle faisait partie. Vers 1100, elle inaugure, à sa façon,
"l'aube du déclin politique" du comté d'Angoulême, malgré la reprise qu'il
pourra connaître plus tard, au XIIIe siècle, sous les Lusignan. C'est là ce
que nous apprend la thèse d'A. Debord. Ce déclin a trouvé son origine dans
la lutte entre les comtes Taillefer d'Angoulême et leurs suzerains, les ducs
d'Aquitaine qui sont également comte de Poitiers. Ces derniers étaient de
plus en plus actifs depuis 1062. A partir du Poitou, ils viennent de mettre
la main, au sud, sur la Gascogne. Les terres du comte d'Angoulême,
interrompent donc géographiquement, l'espace de domination directe exercé
par les comtes de Poitiers. Cela d'autant plus que depuis l'An Mil, les
Taillefer d'Angoulême contrôlent tous les chemins nord-sud sur relient Paris
et l'Europe du nord-ouest à Bordeaux et l'Espagne. Une de ces routes, très
ancienne, mais peut-être assez peu utilisée à l'époque médiévale, passait
par Moulidars (elle sera du XVIe siècle au XVIIIe siècle, le Chemin de la
Poste). La guerre que Guillaume V Taillefer (1087-1120) mena à Blaye,
Barbezieux, Cognac, Archiac, etc. fut rude, et se solda par l'échec de ce
comte d'Angoulême; les châtelains saintongeais rentrèrent tous dans la
clientèle du duc d'Aquitaine, comte de Poitiers. L'Angoumois se trouva
réduit à sa portion congrue; quasiment les limites de l'ancienne "Civitas"
du Bas-Empire romain. Limites qui passaient au pied de la colline de
Moulidars, à trois kilomètres à l'ouest (ruisseau de la Guirlande).
Dans ce contexte de replis forcé au coeur de l'Angoumois, Guillaume V fit
construire par un fidèle chevalier, Richard de Montbrun, une "turris", "ad
Montem liardi, alias Ardena"; Cette tour contrôle ainsi la frontière, la
vallée de la Charente jusqu'à Cognac et un mystérieux retranchement, "le
fossé au comte", ligne défensive qui devait relier Montignac à Vibrac et qui
est encore attesté au XIVe siècle pour sa traversée de la paroisse de
Moulidars. "Turris" d'origine publique donc, puisque construite sur la
volonté du comte qui y exerce ses droits de suzerain jusqu'en 1117, en
effet, date à laquelle Richard de Montbrun fut rappelée à l'ordre par l'abbé
de Saint-Cybard, abbaye bénédictine d'Angoulême; ces terres en Moulidars,
avaient été frauduleusement accaparées par le comte au profit de son vassal,
alors qu'elles appartenaient à la dite abbaye. La situation fut régularisée
et Ardenne fut repris en fief par l'abbé de Saint-Cybard. Pour la première
fois, les moines résistaient au comte d'Angoulême, lui dont les ancêtres
avaient si souvent puisé dans le domaine de Saint-Cybard; pourquoi? Car dans
ces dernières années du XIe siècle, l'abbaye était rentrée sous la tutelle
de Cluny. Celle-ci engendre un renouveau monastique qui exclue tout rôle aux
puissants laïcs dans la gestion des biens d'Église. Ce principe sape le
pouvoir comtal en Angoumois, qui dispose de moins de revenus que le duc
d'Aquitaine. La construction de la tour médiévale d'Ardenne illustre à
merveille ce double renoncement forcé de l'autorité publique des pays
charentais, à l'aube des XIIe et XIIIe siècles, période de normalisation,
après cette nouvelle donne pour "une nouvelle politique". La tour et ses
dépendances (fossés, pont-levis, basse-cour, poterne…) fut secouée par la
Guerre de Cent Ans. Quelques décennies après, sans doute fin XVe siècle ou
début XVIe siècle, le château proprement dit, c'est-à-dire le corps de
logis, est construit par la famille Nourrigier (1482-1598). Les Nourrigier
possédaient donc Ardenne lorsque, le 13 mars 1569, fut lancé des hauteurs
des paroisses de Moulidars et Saint-Simeux, l'assaut des troupes catholiques
et royales, menées par le futur roi Henri II, et connu sous le nom de
bataille de Jarnac.
C'est sans trop de dommages néanmoins que le château traverse les guerres
religieuses du XVIe siècle, à s'en référer à la gravure de Chastillon qui,
selon Bruno Sepulchre (1992), nous représente Ardenne vers 1602. Le château,
tel qu'on le voit sur la gravure, a été modifié par la suite au sud (côté
église), avec une grande terrasse à balustre, deux pavillons encadrants le
corps de logis, un second étage remplaçant les toits hauts et la suppression
de tours, le tout aux XVIIe siècle et XVIIIe siècle. Ardenne eût quelques
seigneurs d'Ancien Régime assez hauts en couleur; par le jeu des alliances,
se furent successivement les Le Musnier, Méhée d'Anqueville et Terrasson, de
1633 à 1884. Citons Pierre Méhée, alias d'Ardenne (1677-1760) plus connu par
son surnom "d'épée du roi". Mousquetaire de la garde du roi, puis de la
Compagnie des gendarmes de Sa Majesté, il semble avoir eu à plusieurs
reprises à défendre les intérêts de la couronne par des faits héroïques
transmis dans des légendes locales. On lui doit, à Moulidars, le pigeonnier
du château d'Ardenne ou la cloche de l'église. Citons aussi le fort riche
abbé Cyprien-Gabriel Méhée (seigneur d'Ardenne de 1765 à 1783); abbé
commendataire de Fontaine-Jean près de Sens, pour les revenus; avocat puis
conseiller à la Grande Chambre du Parlement de Paris, pour l'activité
professionnelle. Au total, il constitue un bel exemple d'un personnage
d'influence dans les domaines qui comptent au XVIIIe siècle (membre du haut
clergé et homme de loi au niveau de l'État). La Révolution, passée sans
dommages apparents, la vie reprend son cours à Ardenne et l'on se soucie de
rendre la vieille forteresse toujours plus plaisante; démolition des
dépendances au nord du château, agrandissement du parc, ou la discutable
suppression des poivrières des tours...
En 1896, Ardenne se trouvant alors dans des mains républicaines et
protestantes (la famille Hine), on reçoit à déjeuner le Président de la
République, Félix Faure, dans la région pour assister à des grandes
manoeuvres militaires. C'est également en ces temps-là que l'on place, non
sans une certaine émotion, dans le hall d'entrée, la table de marbre qui
passe pour être celle où fut exposé mort Condé, après la bataille de Jarnac.
Depuis 1977, elle se trouve à l'Hôtel-de-Ville de Jarnac. Les Hine, connus
dans le monde entier pour avoir donné leur nom à leur maison de Cognac, sise
à Jarnac, possédèrent Ardenne pendant quatre générations, de 1891 à 1978.
Depuis quinze ans, les nouveaux propriétaires y ont mené une efficiente
restauration. L'intérêt du château d'Ardenne est indissociable de son cadre
ombragé et de sa situation dominante. De ses terrasses de style classique,
on devine se dérouler la Charente entre Vibrac et Jarnac. Au premier plan,
dans le coteau planté de vignes, est la fuie ronde. Cette tour, pigeonnier
de huit mètres de diamètre, sept de hauteur, couverte d'une poivrière, avec
ses 850 boulins, est toujours en bon état. Elle doit dater des années 1720.
De son époque médiévale et militaire, Ardenne n'a gardé que sa tour de 1100,
qui était alors la pièce principale. Il s'agit d'une tour ronde dont la base
est plus large sur une hauteur d'un mètre, et qui possède, à l'intérieur,
des pièces carrées. On remarquera un puits au rez-de-chaussée, l'épaisseur
de ses murs et l'escalier à vis en hors-d'oeuvre qui relie ses trois
niveaux. Le château du début XVIe siècle impose sa structure à l'ensemble.
Il intègre en son angle nord-ouest la grosse tour 1100 restaurée alors
(moulurations des fenêtres), et réalise une autre tour à angle nord-est. Sa
principale réalisation consiste en un corps de logis Renaissance qui relie
les deux tours sur vingt mètres. Il n'avait, dans un premier temps, qu'un
seul étage. Les pavillons, au sud de chacune de ces deux tours, furent
ajoutés au XVIIIe siècle, faisant la longueur de la maison à 36 mètres.
Quelques temps après, l'adjonction d'un second étage, augmentait encore le
logement du château et lui donnait une physionomie nouvelle et plus moderne.
L'intérieur XVIe siècle, fut lui aussi, largement remanié au XVIIIe siècle;
le hall central avec son escalier à belle rampe de fer forgé en est un bon
exemple. (1)
Éléments protégés MH : les façades et les toitures; la terrasse sud avec sa
balustrade; le grand escalier et sa rampe en fer forgé; l'escalier à vis de
la tour Nord-Ouest : inscription par arrêté du 29 décembre 1978.
château d'Ardenne 16290 Moulidars, propriété privée, ne se visite pas.
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