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Il faudrait un livre entier pour faire
l'histoire du prestigieux château de Taillebourg, siège d'un comté dès la
seconde moitié du XVe siècle. Cinquante deux paroisses en dépendaient, ainsi
que cent-vingt fiefs et seigneuries dont quelques-uns en Poitou et en Aunis,
et non des moindres. Le rôle considérable du château-fort, un des mieux
connus de Saintonge grâce aux archives de la maison de La Trémoille, a
souvent éclipsé le grand chantier entrepris par Frédéric-Guillaume de La
Trémoille, à partir de 1714, le plus important de Saintonge, pour le XVIIIe
siècle. De la puissante forteresse, établie sur un éperon barré dominant la
vallée de la Charente, il ne reste que le site d'où émergent les ruines
d'une tour du XVe siècle. Le château contrôlait une chaussée surélevée
franchissant les prairies basses, un moulin et un pont franchissant la
rivière, terminé par une porte fortifiée donnant accès aux quartiers bas de
la ville entourée de murailles. Il appartint successivement aux Rancon au
début du XIe siècle jusqu'en 1263, aux Parthenay-Larchevêque (1269-1407) aux
Harpedanne de Belleville (1407) avant de revenir à la couronne, le roi
Charles VI ayant fait valoir son droit de retrait féodal. En 1423, Charles
VII céda Taillebourg à Henri de Plusqualec, gouverneur de La Rochelle en
récompense du service que ce dernier lui avait rendu en lui avançant des
sommes couvrant les frais de transport par une flotte castillane de 5 000
archers écossais. Henri de Pluqualec, d'origine bretonne, n'eut point
d'enfant et se retira à Taillebourg après 1423. Il fit rebâtir la forteresse
et fonda un chapitre de chanoines. Ses neveux, qu'il avait fait venir auprès
de lui, laissèrent au château la réputation d'un repaire de brigands. Une
ordonnance royale de 1438, révoquant toutes les aliénations du domaine royal
faites depuis vingt ans, obligea les Plusqualec à rendre la forteresse au
Roi qui la transmit presque aussitôt à Prégent de Coëtivy, amiral de France,
chambellan du Roi.
Il en prit possession en 1442. Avec la puissante famille Coëtivy,
Taillebourg allait connaître de brillantes heures. Après la mort, en 1450,
de Prégent, le château passa aux mains de son frère, Olivier, marié en 1458,
à Marie de Valois, fille naturelle de Charles VII et d'Agnès Sorel. Les
Coëtivy firent de Taillebourg leur résidence favorite, transformant le
château-fort en une demeure richement meublée. Le fils d'Olivier et de Marie
de Valois, Charles de Coëtivy, parvint à faire ériger sa baronnie de
Taillebourg en comté, en 1486. Par son mariage avec Jeanne d'Orléans, qui ne
lui donna qu'une fille, Louise, il devint cousin du roi Louis XII et plus
tard oncle de François Ier. Louise de Coëtivy épousa, en 1501, Charles de La
Trémoille, prince de Talmont (Vendée) et lui apporta outre Taillebourg,
d'importantes terres Saintongeaises parmi lesquelles les seigneuries de
Royan, de Didonne, de Mornac et de Champdolent. La famille La Trémoille
conserva Taillebourg jusqu'en 1792. Un inventaire dressé en 1528, montre une
demeure meublée de façon princière contenant au total 180 pièces de
tapisseries. En 1652, lors de la Fronde, le château, qui avait survécu à de
nombreux sièges et coups de main pendant la guerre de Cent Ans et les
guerres de Religion, fut pris et détruit. Il faudra attendre 1714 pour que
le château vive à nouveau de brillantes heures en devenant la résidence
favorite d'un grand personnage. À la suite d'une transaction du 4 septembre
1713, Charles-Bretagne, duc de La Trémoille, de Châtellerault, de Thouars et
de Loudun, cédait à son oncle paternel, Frédéric-Guillaume de La Trémoille,
prince de Talmont, le comté de Taillebourg. Aussitôt, ce dernier
entreprenait de faire reconstruire un château à la hauteur du renom de la
maison qu'il représentait.
Un mémoire, non daté, du XVIIIe siècle, mentionnait qu'il "serait difficile
de faire une estimation juste des dépenses faites au château, les terres
qu'il avait fallu renverser pour rendre régulier un terrain extrêmement
inégal, les édifices qui avaient été élevés, les plantations qu'on y voyait;
tout cela annonçait une dépense de plus de 300 000 livres". Sur place, les
travaux étaient surveillés par Gabriel-Jean-Baptiste Pavée, écuyer,
intendant du prince de Talmont. Claude Masse, qui leva le plan du château en
1716, mentionne qu'en 1716 on avait fait aplanir la place du château, raser
les vestiges d'une église et du donjon, construire un mur en terrasse, sur
l'esplanade. Pour mener à bien ces travaux, on y employait le détachement
d'un régiment, encore présent en 1720. On travaillait toujours en 1717 aux
terrassements et à la démolition des vestiges de l'église, puisqu'au mois de
mars, on découvrit, dans les décombres, un cercueil contenant un corps
embaumé, de petite taille "la teste toute entière avecq une partie des
cheveux, les dents de la machoire supérieure avecq la barbe rousse, la teste
jointe au col, les bras joints au espaulles, les pieds joints au jambes…".
Le chantier avançait vite, puisque dès la fin de l'année 1719,
Gabriel-Jean-Baptiste Pavée passait un marché avec Aubin Turpaud, de
Surgères, qui s'engageait à faire la charpente de l'édifice. Depuis 1718 au
moins et jusqu'en 1721, les travaux étaient placés sous la conduite de
l'entrepreneur Thomas. Au début de l'année 1720, Jean-Baptiste Pavée
commandait les bois de la charpente à Louis Sazerac, marchand de Saintes.
Quelques mois auparavant, celui-ci avait passé un marché avec Seguin Gentil,
écuyer, seigneur de Brasseau. Il devait couper certains arbres autour de son
logis de Valade. L'importance du chantier de Taillebourg fit oublier à Louis
Sazerac les conventions passées avec le seigneur de Brasseau et il coupa
plus d'arbres que convenu, en particulier dans des allées "autres que celles
quy luy avoist esté indiquée et notamment dans l'allée quy conduist a son
portal dans laquelle il a fait coupper un des plus gros pieds de chesnes quy
y fut".
Les comptes font apparaître que les travaux se prolongèrent au moins
jusqu'en 1725. Frédéric-Guillaume mourut au château de Taillebourg le 21
janvier 1739. L'inventaire fait après son décès montre une demeure richement
meublée, avec plusieurs pièces boisées, avec de nombreux appartements dont
certains portent le nom de Talmont, Benon, Laval, Taillebourg et dans les
mansardes Châtellerault, La Grêve, Les Essarts, Saint-Savinien,
Tonnay-Boutonne, terres appartenant à la maison de La Trémoille. Il y a fort
à parier que le prince de Talmont avait fait appel à un architecte parisien.
On peut penser à Jean-Baptiste Loir, architecte, juré du Roi, expert des
bâtiments et maisons de Paris, hôtels de Versailles et Saint-Germain, à qui
les héritiers de Bullion, dont Anne-Élisabeth, épouse de Frédéric-Guillaume
de La Trémoille, avaient demandé l'expertise des bâtiments dépendant de la
succession. Le château connut encore des heures de gloire. En septembre
1749, Louis XV érigeait par lettres patentes, en faveur du petit-fils de
Frédéric-Guillaume, Louis-Stanislas de La Trémoille, le comté de Taillebourg
en duché-pairie. Mais Louis-Stanislas mourut quinze jours après, et les
lettres n'eurent aucun effet. Élisabeth de Bullion décéda en 1758, et
l'inventaire dressé à cette date montre encore une demeure remarquablement
meublée. Les pavillons neufs signalés dans l'inventaire de 1739, ceux du
bout des ailes de dépendances situés le plus près du château, avaient été
aménagés entre ces deux dates pour recevoir des hôtes de marque. On y
trouvait les chambres de la princesse et du chevalier de Rohan, la chambre
du duc de Bouillon, celle de la princesse de Turenne et encore celles du
comte et de la comtesse de Grammont. L'année suivante, c'est le fils
d'Élisabeth de Bullion et de Frédéric-Guillaume de La Trémoille,
Anne-Charles, qui mourait à son tour. Son fils aîné étant mort
prématurément, Taillebourg allait revenir à la branche aînée de la famille
La Trémoille, jusqu'à la Révolution.
Le château est alors vidé de ses meubles, fermé et entretenu au minimum. En
1784, on réparait et faisait à neuf des balustres qu'un cheval avait fait
tomber. Quelques années auparavant, en 1781, Piqueray, écrivait à
l'intendant de la duchesse de La Trémoille "j'ai regardé le château comme je
l'avais déjà vu, comme une maison d'un très grand seigneur absolument
abandonnée et totallement oubliée: les croisées, si vous en exceptez celles
où il y a des contrevents, sont presque toutes pourries, les plafonds sont
en très mauvais état et il y en a beaucoup de tombés en partie et les
meilleurs ne vallent pas grand chose". La Révolution allait sonner le glas
de ce grand château. Saisi, il est vendu en plusieurs lots comme bien
national. Les parties construites en pierre de taille sont détruites en
priorité et les matériaux vendus, et ce qui restait du château, l'aile
droite, est incendié en 1822. Du prestigieux château, il ne reste que deux
grandes esplanades. La première, depuis le village, porte deux vastes ailes
de dépendances symétriques, aujourd'hui transformées en habitations
particulières. Il s'agit de deux corps de bâtiments à façade sur cour en
pierre de taille, encadrés par deux pavillons carrés, le tout couvert
d'ardoise. Le centre de chacune des façades est rythmé par un fronton
triangulaire. Ces deux beaux morceaux d'architectures précédaient la seconde
esplanade. Dans l'axe, s'élevait le château de Frédéric-Guillaume de La
Trémoille. C'était un grand corps de bâtiment en U, flanqué de deux
pavillons, le tout couvert de toitures à combles brisés d'ardoise. L'aile
gauche, dont la base se voit encore sous une école, et le bâtiment central,
œuvre de Frédéric-Guillaume de La Trémoille, venaient se greffer sur deux
autres ailes sur caves entièrement remaniées, seuls restes de l'ancien
château, avec une tour en fer à cheval sur laquelle on avait placé une
horloge. Seules les caves, la tour remontant au XVe siècle, et les terrasses
subsistent aujourd'hui. Un petit corps de bâtiment a été rebâti plus au sud,
sur la terrasse, au XIXe siècle. Il abrite l'hôtel de ville. Il se compose
d'un logis inachevé avec avant-corps central sur trois travées coiffé d'un
fronton triangulaire se détachant sur une toiture à l'Italienne. L'ensemble
a encore beaucoup d'allure malgré toutes les destructions et laisse imaginer
ce que fut le plus important château du XVIIIe siècle en Saintonge, et
auparavant une puissante forteresse à laquelle avait succédé une luxueuse
résidence de la fin de l'époque gothique. (1)
Éléments protégés MH : les façades et les toitures des deux bâtiments des
communs du XVIIIe siècle, le pavillon d'entrée, les vestiges du château :
inscription par arrêté du 8 mars 1991. Les fortifications en totalité,
comprenant : les murs de soutènement et les fossés avec les ponts, les sols
des deux esplanades nord et sud et des deux terrasses à l'est pouvant
recéler des vestiges de bâtiments, avec le parc, la tour médiévale, les
salles voûtées souterraines : classement par arrêté du 10 mars 1995.
château de Taillebourg 17350 Taillebourg, ouvert au public, propriété de la
commune.
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