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L'important château de
Mirambeau a été trop longtemps rangé au rang des pastiches du XIXe siècle,
avec tout le mépris qu'une telle classification implique. Pour cette raison,
il n'a fait l'objet, jusqu'ici, d'aucune étude approfondie. Pourtant, dès
1839, Gautier écrivait que le château de Mirambeau avait été "renversé dans
quelques parties et restauré dans d'autres où l'on a allié, avec une adresse
merveilleuse et un goût exquis le moderne au gothique", ce qui laisse penser
que le pastiche en question avait été entrepris à une date avancée du XIXe
siècle. Effectivement, une inscription et des comptes montrent que
d'importants travaux furent entrepris vers 1826-1828. À cette époque le
chantier avait été confié à un architecte de Bordeaux en vue, auquel on doit
notamment l'introduction en Bordelais, vers 1830, des premiers motifs
néo-gothiques. Il faudra toutefois attendre les résultats d'une étude plus
détaillée pour savoir avec certitude ce qu'on lui doit dans l'aspect actuel
du château, d'autres campagnes de construction ayant eu lieu plus tard, en
particulier en 1865, lorsqu'on éleva la chapelle. Cependant, le montant
total de la dépense indique déjà des travaux d'une ampleur certaine, ce que
confirment les écrits de Gautier de 1839, et qui place sans doute le château
de Mirambeau parmi les tous premiers exemples français de "restauration
historique". Curieusement, aucun historien ne s'est attaché à montrer le
réel intérêt de l'édifice, si ce n'est, très récemment, Christian Gensbeitel,
qui note que l'ensemble est traité de telle façon qu'il fait preuve d'une
"crédibilité que l'on ne rencontre pas toujours dans ces châteaux néo-historisistes",
sans toutefois préciser qu'il s'agit d'un exemple particulièrement précoce,
puisqu'il écrit également que la conception de la réédification relève d'une
formule très prisée au milieu du XIXe siècle: la restauration idéale".
La première mention d'un château à Mirambeau remonte à 1083, lorsque Artaud
de Mirambeau donna l'église Saint-Sébastien, près du château, à l'abbaye de
Savigny. La généalogie de ce lignage reste malheureusement confuse et des
lacunes subsistent. Il semble que la famille Mirambeau ait possédé la terre
jusqu'en 1276, au moins. Cependant, cette période reste particulièrement
confuse. En 1291, un certain Guillem de Cheyning, "étranger", était seigneur
de Mirambeau. Dans la première moitié du XIVe siècle, la place revint à Pons
de Mortagne, vicomte d'Aulnay, gouverneur du royaume de Navarre en 1317 et
1321. Sa petite fille, Marguerite de Mortagne, vicomtesse d'Aulnay, épousa
Jehan de Clermont, auquel elle apporta, parmi les dix-sept forteresses
armées qu'elle tenait pour le roi de France, le château de Mirambeau.
Toujours par mariage, Louise de Clermont le transmit à son époux, François
de Montberon. Ceux-ci vendirent leurs terres de Cosnac et de Mirambeau, en
1415, à un puissant personnage, Jean Harpedanne, seigneur de Belleville,
Montaigu, Nuaillé et autres places, chambellan du Roi, pour 8000 écus d'or.
La famille Belleville posséda Mirambeau pendant plusieurs générations. La
dernière de la branche, Françoise alias Félicité, épousa, en 1511, Jacques
de Pons, écuyer, seigneur de Carlus, l'un des fils de François, sire de
Pons, et de Marguerite de Coëtivy. Le dernier représentant de la branche des
seigneurs de Mirambeau, Jacques, ne laissa que des filles. L'aînée,
Madeleine de Pons, épouse en premières noces de Gabriel de Saint-Georges,
seigneur de Vérac, puis en secondes noces, en 1617, d'Armand d'Escodéca de
Boisse, baron de Pardaillan, hérita de Mirambeau qu'elle transmit à son
second mari, lui-même époux en secondes noces, en 1631, de Victoire de
Bourbon-Maulause, issue d'un bâtard de sang royal.
Ce curieux personnage, qui prenait un malin plaisir à porter des vêtements
proscrits en public, qu'il retirait une fois monté dans son carrosse, se
prenait pour le meilleur comédien du monde, et n'hésitait pas à monter sur
une estrade improvisée en public. Son second mariage lui avait donné le goût
de la grandeur. Vers 1650, dépensant sans compter, il entreprit de faire
transformer de fond en comble le château de Mirambeau, où il mourut le 1er
mars 1657. Il laissait un château inachevé et deux enfants: Charlotte d'Escodéca
de Boisse mariée, en 1654, à Jean de Bardonnin, comte de Sansac, lieutenant
général des armées du Roi en Italie, et un fils mineur à peine âgé de 19
ans, Henri d'Escodéca, marié plus tard à Élisabeth de Brétinauld, fille de
Jean, baron de Saint-Seurin-d'Uzet. La succession que lui laissait son père
n'était guère enviable, car non seulement Armand d'Escodéca avait contracté
de nombreuses dettes, mais de surcroît il avait promis à sa fille, la
comtesse de Sansac, une dot considérable, qu'il ne put payer. C'est alors
que commença une très longue procédure qui n'aboutit qu'en 1707. A cette
date, les terres de Mirambeau et de Courpignac furent adjugées par un arrêt
du parlement de Bordeaux de plus de 150 pages, en faveur de Charles de
Lorraine, comte de Marsan, sire de Pons, souverain de Bédeille, marquis d'Ambleville,
baron de Coaraze et autres places qui avait présenté une surenchère
par-dessus celle de Jean Thévenin, marquis de Tanlay, conseiller secrétaire
du Roi et de ses finances, gouverneur pour Sa Majesté de la ville de
Saint-Denis, qui avait déjà acheté le château de Tanlay en Bourgogne, en
1704.
Le comte de Marsan mourut l'année suivante, en 1708, et le château revint à
son fils, Louis de Lorraine, prince de Pons et de Mortagne, souverain de
Bédeille, lequel dut l'abandonner, en 1749, aux syndics et directeurs de ses
créanciers. En 1756, ceux-ci revendirent Mirambeau au fils de Louis de
Lorraine, Camille-Louis, prince de Marsan et de Mortagne, sire de Pons,
souverain de Bédeille, lieutenant général des armées du Roi, gouverneur du
pays et comté de Provence et des villes d'Arles, Marseille et Toulon. Il
mourut sans postérité, et le château et marquisat de Mirambeau échurent à sa
sœur, Louise-Henriette-Gabrielle, épouse de Godefroy-Charles-Henri de La
Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, d'Albret et de Château-Thierry, comte
d'Auvergne, d'Évreux et du Bas- Armagnac, pair de France, grand chambellan
en survivance, gouverneur pour le Roi des pays de Haut et Bas Auvergne, qui
les vendit par adjudication passée à Paris, le 29 mars 1787, moyennant
526000 livres, à Jacques-David-Léonard, comte de Caupenne, capitaine au
régiment de Forez. Le 30 juillet 1813, il revendit le domaine à
Charles-Jacques-Nicolas, comte Duchâtel, et à son épouse, Marie-Antoinette
Papin, qui fut dame du palais de l'impératrice Josephine. Le comte Duchâtel,
originaire de Normandie où il était né, en 1751, fit une belle carrière
politique. Il était directeur et receveur général des domaines du Roi à
Bordeaux lorsqu'éclata la Révolution. Arrêté comme suspect en 1793, il
parvint à s'évader et revint après le 9 thermidor. En 1799, il fut nommé
conseiller d'État. Deux ans plus tard, il prenait les fonctions de directeur
général de l'Enregistrement et des Domaines. Créé comte d'Empire en 1808, il
fut disgracié sous la Restauration, puis élu député de la
Charente-Inférieure en 1827 (il siégeait au centre gauche), enfin élevé à la
pairie, en 1833.
Il mourut au château de Mirambeau en 1844, laissant deux fils:
Napoléon-Joseph-Léon, vicomte Duchâtel, député de la Charente-Inférieure de
1834 à 1837, et surtout Charles-Marie-Tanneguy, comte Duchâtel, député puis
ministre de l'Agriculture de 1834 à 1836, ministre des Finances l'année
suivante, et enfin ministre de l'Intérieur de 1839 à 1848. Ce personnage
d'État laissa un fils, Charles-Jacques-Marie-Tanneguy, conseiller général de
la Charente-Inférieure, député de 1885 à 1889, qui mourut sans postérité en
1907, laissant le château de Mirambeau à son neveu, le duc de La Trémoille,
après avoir tenté de le donner à la municipalité qui n'en avait pas voulu.
Lors de la déclaration de guerre, en 1914, celui-ci l'offrit à l'État qui le
transforma en hospice militaire. Très récemment, le château a été vendu puis
restauré de fond en comble, pour être transformé en hôtellerie de grande
classe. De l'ancien château fort qui occupait tout le haut de la colline,
formant une vaste enceinte ovale flanquée de plusieurs tours et dont tout le
tracé est connu grâce à un relevé de Claude Masse, il ne reste qu'un pan de
courtine et la porte d'entrée flanquée de tours, très restaurée. Le château,
qualifié de magnifique par Nicolas Alain, au XVIe siècle, occupait l'angle
nord de l'enceinte. Endommagé au cours des guerres de Religion, il avait été
en partie reconstruit par Arnaud d'Escodéca de Boisse, au milieu du XVIIe
siècle, mais non achevé. Claude Masse notait, dans un de ses mémoires, en
1718, que "le comte de Pardaillan avait commancé à raccomoder ce château et
avait fait bâtir du côté de son entrée une terrasse des mieux bâties
(terminée) par deux pavillons". On devait aussi au comte de Pardaillan les
deux gros pavillons de la façade sud encadrant un porche monumental couronné
par un chemin de ronde, le tout bâti peu avant 1657. Il avait laissé
subsister l'aile ouest, de style gothique et avait commencé à faire rebâtir
les corps de logis du nord et de l'ouest qui restèrent dérasés, le chantier
ayant été interrompu à sa mort. Ce n'est que vers 1826-1828, que le
comte Duchatel et son épouse entreprirent de faire restaurer la demeure.
L'aile gothique fut restaurée, les deux gros pavillons de la façade sud
remontés et habillés d'un décor néo-Louis XII. Entre les deux, à la place du
porche, on fit bâtir un corps de bâtiment de même style, formant ainsi le
corps de logis du côté sud. Les vieux bâtiments inachevés et dérasés
occupant les fronts nord et ouest furent démolis. Sur le côté ouest, on
entreprit la construction d'une nouvelle aile de style néo-Renaissance,
placée en biais. Quant au côté nord, il fut laissé libre, inversant ainsi le
sens du U primitif. Le tout reçut une base rappelant le style militaire du
XVIIe siècle. La chapelle, isolée, ne fut construite qu'en 1865. Dans le
courant du XIXe siècle, l'intérieur reçut un décor particulièrement soigné
et vint s'enrichir d'une multitude d'objets précieux. Avant de mourir, le
second comte Duchâtel, ministre de l'intérieur, avait pris soin de léguer sa
collection de tableaux au musée du Louvre. Cumulant le néo-médiéval, le
néo-gothique, le néo-Renaissance, le néo-Louis XIII et un faux style
militaire du XVIIe siècle, le château de Mirambeau offre avec bonheur une
multitude de styles qui seront repris au XIXe siècle. En outre, il ne s'agit
pas à proprement parler d'un pastiche, mais plutôt d'une restauration idéale
menée à une période particulièrement précoce, au moment même où le comte
d'empire Duchâtel parvenait à faire reconnaître sa noblesse comme étant
d'ancienne extraction (1825). Même si il convient de déterminer ce qui
appartient à des ajouts postérieurs, il n'en demeure pas moins que la
métamorphose de l'édifice, qui impressionna tant Gautier en 1839, fut sans
doute l'une des toutes premières de cette ampleur, ce que devrait confirmer
une étude en cours. (1)
château de Mirambeau, avenue des Comtes Duchatel, 17500 Mirambeau, tel. 05
46 04 91 20, ^hôtel restaurant de luxe.
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Monsieur Chumwa pour les photos qu'il nous a adressées afin d'illustrer
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