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Au nord
des Deux-Sèvres, Oiron, modeste village, recèle un immense château, dont
l'échelle inhabituelle apparaît encore plus frappante au milieu de cet
horizon dégagé. Château et collégiale dressent leur silhouette éclatante de
la blancheur du tuffeau au cœur d'un îlot de verdure, vestige de l'immense
parc de 2500 hectares qui, avant la Révolution, formait l'écrin de cette
architecture précieuse. L'histoire de Oiron se confond avec la destinée
brillante mais trop courte d'une famille, les Gouffier, aujourd'hui tout
aussi oubliée que leur maison, chef-d'œuvre méconnu pour n'être pas situé au
cœur de ce Val de Loire si touristique. Guillaume Gouffier, valet de chambre
de Charles VII, fit élever à cet endroit, après que le roi lui eut donné la
seigneurie en 1450, confisquée à Jean de Saincoins, compromis dans la
disgrâce de Jacques Cœur dont Guillaume avait présidé le procès l'année
précédente, une vaste demeure fortifiée, ordonnée autour d'une cour carrée
fermée, avec corps de logis principal face à l'entrée, dont les courtines
étaient flanquées de tours rondes à chaque angle. A la fois château de
plaisance au plan régulier et forteresse de plaine défendue par un fossé sec
du côté de la poterne d'accès, le premier Oiron devait s'apparenter au
Plessis-Bourré en Maine-et-Loire. Il n'en subsiste aujourd'hui que le plan
général et le gros-œuvre de la courtine nord-est et de deux tours,
rhabillées postérieurement. Avec ses enfants, l'étoile des Gouffier va
briller de tout son éclat: Artus fut le gouverneur du futur François 1er,
puis en 1515 grand-maître de France, avant de mourir en 1519. A Oiron, il
avait entrepris d'agrandir le logis d'une galerie adossée à la courtine
nord-est, en même temps que d'édifier une grande collégiale à faible
distance du château. Sa veuve Hélène de Hangest se consacra jusqu'à sa mort
en 1538 à l'achèvement de cette dernière, destinée à abriter les mausolées
familiaux. Devenue église paroissiale, elle nous est parvenue intacte, avec
sa conception héritée du style gothique tardif, tandis que le portail du
bras nord du transept et les chapelles latérales du chœur offrent un
déploiement d'arabesques de pierre typique de la première Renaissance.
Claude Gouffier, fils d'Artus, surpassera son père et son grand-père en tant
que bâtisseur. Grand écuyer en 1546, premier gentilhomme de la chambre et
capitaine des cent gentilshommes de la maison du roi, il réussit à faire
ériger en duché sa baronnie de Roannez. Son chiffre est partout répandu sur
les constructions du château, qu'il s'employa à parachever pour y accueillir
ses exceptionnelles collections. Depuis les grands travaux du XVIIe siècle,
seule subsiste sans doute une faible partie de son œuvre, mais elle est
marquée par une qualité toute particulière. Une peinture à demi effacée nous
restitue l'aspect de la demeure vers 1550, où l'on note l'irrégularité de la
silhouette due à la juxtaposition des constructions anciennes et nouvelles.
C'est essentiellement l'aile nord-est et une partie du corps central, ce
dernier entièrement rhabillé, qui subsistent de nos jours et constituent les
éléments les plus précieux du château: l'escalier à volées droites et
quartier tournant sur noyau évidé, la chapelle haute avec son très rare
pavement à carreaux vernissés portant la devise familiale hic terminus
haeret, la galerie du rez-de-chaussée autrefois décorée des portraits des
chevaux des écuries du roi figurés grandeur nature, et surtout la galerie
d'étage, dont les niches extérieures abritaient des termes en terre cuite
aujourd'hui dispersés entre le Louvre et les Etats-Unis; celle-ci renferme
l'un des plus grand cycle de peintures de la Renaissance après
Fontainebleau, le seul dû à un Français avant 1550: c'est entre 1547 et 1549
que Noël Jallier peignit ici l'histoire de la Guerre de Troie; la salle a
également conservé son pavement vernissé d'origine, dessinant des
labyrinthes.
Claude Gouffier eut le malheur de voir avant sa mort, en 1570, ses
collections pillées par les huguenots à deux reprises. Il faut attendre
Louis, son petit-fils, pour que Oiron retrouve son éclat. Il est à la fois
le dernier grand seigneur de sa race et l'artisan de la chute de sa famille.
Capitaine des cent hommes d'armes, gouverneur de Poitiers et conseiller
d'État en 1619, duc et pair en 1620, il se heurte à l'autorité du cardinal
de Richelieu; disgracié puis condamné comme faux-monnayeur en 1630, il passe
dès lors le restant de ses jours en exil à Oiron. Là, il entreprend de
rebâtir de façon grandiose le château familial, élevant la moitié du corps
central actuel et le pavillon sud, dit Pavillon du Roi, parce qu'il abrite à
l'étage l'appartement de parade. A la richesse de l'ornementation de façade:
bossages, cartouches, niches et chiffres, répond la profusion du décor
intérieur dont ne subsistent que des éléments épars. Cette œuvre a été
souvent mal jugée par les commentateurs qui lui ont reproché sa lourdeur.
Elle est pourtant le témoin, devenu rarissime, de la tentation baroque du
goût français dans la première moitié du XVIIe siècle, et l'on ne peut guère
lui comparer que les ensembles exécutés pour Jacques du Blé au château de
Cormatin en Saône-et-Loire. C'est à des artistes parisiens que s'adressa
Louis Gouffier pour concevoir l'ornementation picturale dont le cabinet des
Muses, la chambre et la salle du roi offrent le meilleur exemple. Le
Pavillon du Roi n'est que l'amorce d'un projet plus ambitieux de
reconstruction de la moitié ouest du château, en même temps que la cour
était ouverte du côté de l'entrée en détruisant la poterne; l'accès du
château se fera désormais par la majestueuse avant-cour bordée de murs et
flanquée de deux pavillons que nous voyons encore.
A la suite du décès prématuré de son fils, c'est à son petit-fils Artus III,
ami intime de Blaise Pascal, qu'échoit la seigneurie. S'étant retiré du
monde en 1667, il donne Oiron à sa sœur Charlotte, épouse de François
d'Aubusson, comte puis duc de la Feuillade. Avec lui s'achève la dynastie
des Gouffier, mais son beau-frère renoue avec la passion des bâtiments et
entreprend, à partir de l'œuvre inachevée de Louis Gouffier, de faire de
Oiron un grand palais classique en lui conférant une symétrie qu'il n'avait
jamais eue. Il rhabille les constructions de la Renaissance, en particulier
l'escalier et la chapelle, pour terminer le corps central et obtenir, en
pendant du Pavillon du Roi, un autre pavillon d'angle, dit Pavillon des
Trophées en raison des groupes sommant la balustrade qui le couronne; en
effet, contrairement au grand comble du pavillon précédent, celui-ci est
couvert d'une fausse terrasse, à l'imitation de la façade sur les jardins de
Versailles, nouvellement édifiée par Le Vau et d'Orbay. En symétrie de la
galerie Renaissance, là où Louis Gouffier avait prévu une aile, il crée un
portique ouvert, portant une terrasse de plain-pied avec les appartements de
l'étage. Palais inachevé et gigantesque, loin d'une cour désormais fixée à
Versailles, Oiron manque une première fois de disparaître en 1699, lorsque
son fils Louis, dépravé et criblé de dettes, le vend à une bande noire;
c'est l'année où l'érudit Gaignières effectue un voyage en Poitou dont il
rapporte une vue du château où transparaît l'abandon des lieux par le
négligé qui règne dans les jardins, en même temps qu'il y achète une partie
des collections, dont le célèbre portrait de Jean le Bon, aujourd'hui au
Louvre.
La marquise de Montespan, disgraciée et éloignée de la cour, sauve le
domaine d'une ruine certaine en le rachetant en 1700 pour son fils légitime,
le duc d'Antin. Menant une vie retirée et pieuse, elle poursuit l'achèvement
intérieur du Pavillon des Trophées pour y installer ses appartements, tandis
qu'elle parachève la composition de la cour d'honneur en élevant la tour des
Ondes, en pendant de celle du Connétable, à l'extrémité de la galerie de
François d'Aubusson. L'œuvre architecturale des Gouffier atteint alors son
plein accomplissement et les dessins réalisés en 1713 pour le duc d'Antin
nous montrent le château dans sa perfection, au milieu d'un immense parc aux
vastes perspectives. Mais la décoration est loin d'être achevée à sa mort,
en 1707, et les carreaux vernissés bleus et blancs qu'elle avait commandés à
Nevers, qui évoquent le Trianon de porcelaine que Louis XIV avait fait
élever pour elle, ne seront jamais posés. Oiron entame une lente décadence:
le duc d'Antin, surintendant des bâtiments du roi, se désintéresse de cette
propriété trop éloignée, qui est revendue après sa mort, en 1739, au marquis
de Villeroy, lequel n'y viendra jamais. En 1772, le domaine est racheté par
Pierre Jacques Fournier de Boisairault, passant ainsi d'une grande lignée,
proche de la cour, à une famille de la noblesse locale. Dès lors, ses
propriétaires habiteront sur place et entretiendront tant bien que mal les
bâtiments, mais n'auront jamais le train de maison correspondant à une
demeure aussi démesurée. La Révolution met à mal les décors intérieurs, et
les Boisairault récupèrent en 1799 un domaine bien amoindri. Malgré deux
campagnes de restauration dans les années 1820, puis de 1869 à 1873, les
difficultés successorales marquent cruellement le domaine, dont le parc est
définitivement démembré en 1906. Proche de la ruine du fait de
l'impécuniosité de la dernière vicomtesse de Oiron, héritière des
Boisairault, il est racheté par l'Etat, en 1941, pour assurer sa sauvegarde.
C'est une coquille vide et délabrée que le Service des Monuments Historiques
s'attache depuis un demi-siècle à restaurer. (1)
Éléments protégés MH : le château avec la cour d'honneur, les grilles et le
petit parc qui l'entoure, y compris le terrain situé entre les douves et
l'église paroissiale : classement par arrêté du 2 octobre 1923. Les
parcelles cadastrales situées dans le champ de visibilité du château :
inscription par arrêté du 17 juillet 1943.
château
d'Oiron, 10 rue du Château, 79100 Plaine-et-Vallées, tél. 05 49 96 51 25,
ouvert au public, visite tous les jours (week-end compris) du 1er octobre au
31 mai de 10h30 à 17h du 1er juin au 30 septembre de 10h30 à 18h.
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