|
Ce qui
fait le charme du château de Chambray, ce n'est pas l'élégance de sa
construction: s'il est du XVIIe siècle, époque où l'architecture produisait
encore ses merveilles sous l'habile inspiration de Mansart, il ne reste que
peu de chose de son ordonnance primitive et les murailles sont, à la fin du
XIXe siècle, recouvertes d'un enduit de plâtre et d'un badigeon qui leur
enlèvent tout caractère. Bien que ses toits élevés, ainsi que les
encadrements des fenêtres et les cordons en pierre de taille de la façade
principale lui aient conservé un aspect particulier, c'était surtout à son
origine, qu'il était digne d'être remarqué, à l'époque où, moins important
sans doute, il semblait sortir des eaux du fleuve qui l'entouraient et qui,
par une canalisation habile et gracieuse, baignaient ses murs de fondation
comme pour leur servir de rempart et rafraîchir l'atmosphère ambiante.
C'était alors le séjour du marquis de Crève-Cœur, Adrien de Hanivel, baron
de Chambray, dont la sœur Madeleine de Hanivel avait épousé Georges Langlois
de Colmoulins, fils du baron de la Croix-Saint-Leufroy. Son autre sœur,
Louise de Hanivel, épousa François Aubert, sieur de Vertot, dont elle eut un
fils, René-Aubert de Vertot, qui devint si célèbre dans la littérature sous
le nom d'abbé de Vertot. Nous ne sommes pas surpris que Mademoiselle des
Houllières (non pas Madame des Houllières comme plusieurs l'ont prétendu)
ait chanté dans ses vers les agréments de la vallée d'Eure. Ses belles
relations avec l'abbé de Vertot ne pouvaient manquer de l'attirer au château
de Chambray, ou le marquis de Crève-Cœur lui offrait l'hospitalité.
Quand elle voulut célébrer la paix de Ryswick, elle dut son inspiration à la
générosité de ses hôtes; l'ambassadeur à la paix de Ryswick était
Nicolas-Auguste de Harlay, seigneur de Bonneville, le père de
Claude-Elisabeth de Harlay, qu'Adrien de Hanivel, marquis de Creve-Coeur et
baron de Chambray, avait épousée en 1690. C'est donc du séjour de Chambray
qu'elle parlait, en 1697, quand dans ses stances sur la poésie elle débute
ainsi: "Dans un de ces beaux lieux chéris de la nature, où règne de tout
temps l'innocence et la paix, sur un lit émaillé de fleurs et de verdure,
d'un tranquille sommeil je goûtais les attraits". Le domaine de Chambray
passa bientôt dans les mains de François-Joseph, comte de Clermont-Tonnerre,
qui avait épousé Marie de Hanivel, fille d'Alexandre et seule héritière des
biens de cette famille. Philippe-Armand, comte de Clermont-Tonnerre,
chevalier de Saint-Louis, lieutenant-colonel au régiment d'Anjou, hérita des
titres de son père et devint baron de Chambray; il épousa, le 30 décembre
1706, Geneviève-Armande de la Rochefoucauld de Roye, dame de compagnie de la
duchesse d'Orléans. Il n'eut que trois filles, et donna l'une,
Marie-Charlotte-Félicité, à Hyacinthe-Gaetan, comte de Lannion, qui devint
possesseur du domaine de Chambray, le 20 décembre 1745. C'est sans doute au
comte de Lannion que l'on doit la construction de ces importantes
dépendances qui semblent avoir été aménagées pour mener un train de maison
presque royal. Il y créa une chapelle pour recueillir les restes vénérés des
ancêtres, et une riche bibliothèque composée des meilleurs auteurs du XVIIIe
siècle et des éditions les plus illustrées et les mieux soignées.
Il mourut gouverneur de Port-Mahon en 1762, à l'âge de quarante-quatre ans.
Sa veuve vendit la terre de Chambray à Marie-Thérèse de Mondray, veuve de M.
de la Poupliniere, en 1769. Un an après, celle-ci la remit entre les mains
du marquis de Kerhoent. La marquise de Kerhoent, qu'on appelait la bonne
marquise parce qu'elle nourrissait, chauffait et habillait tous les
indigents du village, se retira dans son château d'Abondant et légua par
testament sa terre de Chalnbray à sa cousine Pulchériè- Tranquille de
Lannion, marquise de Pons, dont la fille, Augustine-Éléonore, épousa le
marquis de Tourzel. Charles-Louis- Yves du Bouchet de Sourches, onzième
marquis de Tourzel et dernier grand prévôt de France, était le fils de
Madame de Tourzel, qui fut la gouvernante des Enfants de France dans ces
jours désastreux où avec sa fille, Mademoiselle Pauline de Tourzel, elles
faillirent payer de leur tête leur dévouement sans bornes aux royales
victimes de la Révolution. La première fois que la marquise de Tourzel vit
la reine en sa qualité de gouvernante, elle en fut saluée par une de ces
paroles où l'infortunée Marie-Antoinette savait mettre toute la gracieuse
délicatesse de son coeur: "Madame, lui dit-elle, j'avais confié mes enfants
à l'amitié, je les confie maintenant à la vertu". La marquise de Kerhoent et
le sire de Pons ne purent échapper au massacre, et le domaine de Chambray
fut livré au pillage. Tous les meubles du château furent vendus à vil prix,
et on emporta à Vernon dix voitures à quatre chevaux remplies de munitions
pour l'armée.
Quand on vit renaître des jours meilleurs, la marquise de Tourzel revint
chercher dans la solitude et le calme que pouvaient lui offrir les frais
ombrages et les gracieux horizons de la campagne, l'oubli de tant d'horreurs
et l'espoir d'un avenir plus heureux. Le château subit alors une
restauration complète et des agrandissements qui lui donnèrent un aspect
plus riant que monumental. Sa façade tout entière se reflète dans une large
pièce d'eau dont les bords arrivent jusqu'à ses pieds. D'habiles travaux de
transformation firent, en même temps, du parc un des plus beaux de la
Normandie. Un pont de briques, d'une légèreté incomparable, que l'on appelle
encore le pont Tourzel, fut jeté sur un des bras dérivatifs de l'Eure. Il
agrémente délicieusement le paysage et l'on ne sait trop ce que l'on doit le
plus admirer de la hardiesse ou de l'élégance avec lesquelles il fut
construit. Le mobilier du château qui ne consiste guère que dans les épaves
oubliées par la Révolution, n'offre rien d'artistique ni de remarquable, si
ce n'est une galerie de portraits de famille très intéressants et de grandes
tapisseries fort estimées. La chapelle, dédiée à la Sainte-Vierge, possède
une statue de la Mère de Dieu, qui n'est pas sans mérite; elle n'a pour
ornementation que les épitaphes des tombeaux qu'elle renferme. La visite
royale des duchesses d'Angoulême et de Berry vint embellir encore ce séjour
l'an 1826. Un sentiment mêlé de vive reconnaissance et de réelle sympathie
devait rapprocher Madame Royale de celle qui avait été pour elle une
gouvernante si affectueuse et si dévouée. Madame de Tourzel laissa ce beau
domaine à sa fille Léonie qui avait épousé le duc de Lorges; et à la fin du
XIXe siècle leur fille, Marie de Lorges, devenue par son mariage princesse
de Croy, conserve avec honneur l'héritage de ses ancêtres, non seulement
celui de leurs domaines, mais aussi celui de leurs vertus. La famille de
Croy blasonnait: écartelé au 1 et 4 à 3 fasces de gueules, au 2 et 3
d'argent à 3 doloires de gueules, les 2 en chef adossees. (1)
Éléments protégés MH : les façade et les toitures de l'ensemble des communs
et du pavillon dit conciergerie, l'église dite chapelle dans sa totalité,
l'orangerie, la grille d'entrée : classement par arrêté du 24 mai 1973. (2)
château de Chambray, grande rue, 27120 Chambray, propriété privée, ne se
visite pas.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous. Propriétaire de cet édifice, vous
pouvez enrichir notre base de données en nous adressant des photos pour
illustrer cette page, merci.
A voir sur cette page "châteaux
de l'Eure" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
|