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Chateau-sur-Epte est situé presque en face de Saint-Clair-sur-Epte, qui
n'appartient pas à la Normandie, mais rappelle un fait capital de l'histoire
de cette province: l'entrevue de Rollon et de Charles le Simple. On sait
dans quelles circonstances le roi et le pirate s'abouchèrent. Le pays,
ravagé par les incursions des homines du Nord, était désert et les terres
abandonnées ne produisaient que des ronces et de l'ivraie. Le roi Charles,
ému des plaintes de ses sujets, se décida à traiter avec le chef des
envahisseurs et chargea l'archevêque de Rouen, Francon, de sonder les
intentions de Rollon. Celui-ci prêta l'oreille aux propositions du prélat,
et Saint-Clair-sur-Epte fut choisi pour lieu des négociations. C'était une
terre appartenant à l'abbaye de Saint-Denis, mais sur laquelle devait
exister une de ces demeures royales, comme les Mérovingiens et les
Carlovingiens aimaient à en avoir sur les rives de la Seine et de l'Oise. On
montre encore une tour à peu près ruinée, mais laissant voir les débris d'un
four à pain, et, en avant de cette tour, l'entrée voûtée d'un château
flanquée de deux énormes contreforts de forme hexagonale.. C'est là,
vraisemblablement, que le roi de France se rendit avec les évêques et les
principaux de sa cour et, parmi eux, Robert, duc de France, qu'un secret
penchant poussait vers Rollon. Les messagers passaient et repassaient
l'Epte, allant de l'un à l'autre des contractants. Le chef des Normands
était tenace dans ses exigences territoriales. Il envoya Francon dire au roi
que les terres qu'on voulait lui abandonner étaient improductives,
puisqu'elles n'avaient pas subi la charrue depuis longtemps, qu'elles
étaient sans troupeaux, qu'enfin il ne lui serait pas possible d'y faire
vivre les siens et qu'il lui en fallait d'autres pour nourrir ses hommes, en
attendant que celles qu'on lui cédait fussent mises en état de rapporter
quelque chose.
Enfin on s'accorda: Charles donna le territoire depuis l'Epte jusqu'à la
mer. Rollon promit de se faire baptiser et rendit au roi l'hommage simple.
Mais ce fut tout. Quand on lui parla de baiser le pied du roi, il jura qu'il
ne fléchirait le genou devant personne et fit signe à un de ses soldats de
remplir cette formalité à sa place. Soit maladresse, soit malice, le soldat,
prenant le pied de Charles pour le porter à sa bouche, fit tomber le
Carlovingien à la renverse. D'après Orderie Vital, il s'éleva des éclats de
rire et un grand tumulte dans le petit peuple. Après le serment, Charles
retourna joyeusement dans ses domaines, et Robert passa l'Epte avec Rollon
qui l'accompagna jusqu'à Rouen, où eurent lieu les cérémonies du baptême. Le
nouveau duc de Normandie, revêtu d'une aube pendant sept jours, fit
d'importantes donations aux principales églises et abbayes, et le huitième
jour, ayant quitté la robe blanche, il partagea entre ses compagnons les
terres cédées par le roi Charles. La bonne intelligence ne se maintint pas
entre les Francs et les Normands. Louis IV d'Outremer crut trouver dans la
minorité de Richard 1er, petit fils de Rollon, une occasion favorable pour
reprendre le beau pays qu'arrose la Seine; mais, attiré dans un guet-apens,
il vit son armée taillée en pièces à Croissanville, et lui-même fut fait
prisonnier et conduit à Rouen, où, au dire de Guillaume de Jumièges, il fut
soumis à une dure captivité.
A la demande de la reine Gerberge, Hugues le Grand, duc de France, envoya à
Rouen Robert de Senlis pour solliciter la délivrance du roi. Il fut arrêté
que Louis serait mis en liberté si la reine Gerberge consentait à donner
comme otages ses deux fils, Lothaire et Carloman, ainsi que Hildegaire,
évêque de Beauvais, et Guy, évêque de Soissons, ce qui fut accepté. Quelque
temps après, Louis, ainsi libre sous la caution de ses otages, se rendit à
Saint-Clair-sur-Epte pour traiter de la paix. Il confirma le jeune duc dans
toutes ses possessions, tant celles qui avaient été données à son grand-père
par le premier traité de Saint-Clair-sur-Epte, que celles qui avaient été
réunies au territoire normand sous son père Guillaume Longue-Epée. A ces
conditions, les otages furent rendus, à l'exception du jeune Carloman qui
était mort en 946 pendant sa captivité. Un siècle et demi plus tard,
l'attention des Normands se porta sur un point stratégique situé sur la rive
droite de l'Epte, un peu en aval de Saint-Clair. Ce n'est point que les
châteaux fissent défaut sur cette partie de la frontière. Aux cinq que
possédaient les Français: Trie, Chaumont, Bouri, Saint-Clair et la
Roche-Guyon, les Normands en opposaient cinq autres: Gisors, Neaufle, Dangu,
Baudemont et, près de la Seine, Vernon. Mais la nouvelle forteresse, par
l'altitude de l'endroit où l'on se préparait à l'édifier et par sa position
intermédiaire entre Vernon et Gisors, devait non seulement contribuer à
repousser les attaques venant du côté de la France, mais encore, au moyen
des signaux de convention alors en usage, éclairer toute la partie normande
des bords de l'Epte et même servir à se procurer divers renseignements sur
les forteresses situées sur la rive opposée.
La construction fut commencée par Guillaume le Roux vers 1097, en un endroit
nommé Fuscelmont, mais elle fut immédiatement désignée sous le nom de
Château neuf-sur-Epte, ou plus simplement de Château-sur-Epte qu'elle porte
aujourd'hui. Louis le Gros, pour servir les intérêts de Robert Cliton, fils
de Robert Courte-Heuze, avait envahi la Normandie et, après s'être emparé de
Dangu, ou plutôt de ses ruines, il vint, en 1119, mettre le siège siège
devant Château-sur-Epte. Mais, au dire d'Orderic Vital, Gaultier Riblard,
qui commandait la place au nom de Henri II, duc de Normandie, résista
vigoureusement aux attaques du roi de France, et des décharges de traits
firent de cruelles blessures aux assiégeants. Le roi était devant
Château-sur-Epte depuis quinze jours, lorsqu'un courrier envoyé par Amaury
de Montfort, comte d'Evreux, vint lui apporter la nouvelle de l'incendie de
cette ville et lui dire que le comte lui demandait avec instance de venir le
secourir. Louis le Gros leva le siège à la hâte et, avant de partir,
incendia les huttes de ses soldats, ce que les assiégés virent avec de
grands transports de joie. En 1153, Louis le Jeune vint également assiéger
cette forteresse et, après s'en être emparé, donna à l'abbaye de Saint-Denis
le terrain dont elle avait été dépossédée par Guillaume le Roux. Il lui
remit en même temps le château, à condition de le faire garder comme une des
places les plus importantes du royaume. L'année suivante le même prince
accorda à ce lieu un marché tous les vendredis et prit sous sa protection et
sauvegarde tous ceux qui fréquentaient ce marché. L'abbaye ne devait pas
jouir longtemps des dons de Louis le Jeune.
Quelques années plus tard, Henri Plantagenet, duc de Normandie, prit
Château-sur-Epte. En 1180, Martin de la Heuze reçut 40 livres pour les
employer aux réparations des forteresses de Neaufle et de Château-sur-Epte.
A la même époque Josselin Roussel, qui avait la garde de cette dernière
place, s'employa à réparer les bâtiments, la tour et la porte.
Philippe-Auguste, ayant à son tour enlevé Château-sur-Epte à Richard Cœur de
Lion, le rendit à l'abbaye de Saint-Denis qui l'échangea en 1196 avec
Thibaud de Garlande, d'une famille originaire de la Brie, qui a donné trois
sénéchaux de France: Anseau (1108), Guillaume, sénéchal de France et général
de l'armée du roi à la bataille de Brenneville (1119), Étienne, d'abord
évêque de Beauvais vers 1100, puis chancelier de France (1106), ensuite
sénéchal de France (1120), un chancelier en la personne d'Etienne, dont nous
venons de parler, enfin un bouteiller de France, Gilbert (1114 -1126). La
famille de Crarlande, dont le prieuré de Gournay-sur-Marne fut le principal
lieu de sépulture, portait: d'or a deux fasces de gueules. Ces armes sont à
la salle des Croisades du musée de Versailles, à cause de Gilbert de
Garlande dit doyen, qui fit le voyage de la Terre Sainte en 1096. En 1224,
Élisabeth de Garlande par son mariage en secondes noces avec Jean de
Beaumont, chambrier de France, porta la terre de Château-sur-Epte dans la
maison de Beaumont (des comtes de Beaumont-sur-Oise), très ancienne famille
ayant aussi ses armes (d'azur au lion d'or) dans la salle des Croisades, et
dont quatre membres ont été honorés de la charge de chambriers de France:
Mathieu Ier du nom (113g), Mathieu II (1174), Mathieu III (1190), enfin Jean
(1230), qui épousa Elisabeth de Garlande et devint ainsi seigneur de
Château-sur-Epte.
Auguste Le Prévost, dans ses Mémoires et notes pour servir à l'histoire du
département de l'Eure, cite un aveu de 1412 par lequel Jean de la Porte
avoue tenir du roi à cause de "son chastel de Gisors ung fief de haubert
entier dont le chief est assis en la paroisse de Saint-Martin de
Chastel-Neuf-sur-Ecte, en Veulquessin le Normand, auquel fief il y a chastel
et basse court". Lors de la guerre de Cent ans, Château-sur-Epte ne fut pas
plus à l'abri des malheurs de la guerre que les autres châteaux du Vexin. En
1437, Talbot vint l'attaquer à la tête d'un corps de troupes parmi
lesquelles on comptait deux cents lances et s'en empara, mais pour peu de
temps. Bientôt l'expulsion des Anglais rendit pour toujours cette forteresse
à ses possesseurs légitimes. En 1456, Philibert de la Porte est seigneur de
ce lieu et il explique dans un aveu que le possesseur de cette terre a le
droit de la rivière d'Epte un quart de lieue de long, à prendre en aval à
partir du pont de Saint-Clair. Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy,
secrétaire et ministre d'État, qui servit les rois Charles IX, Henri III,
Henri IV et Louis XIII, petit-fils de Nicolas de Neufville, trésorier de
France, qui échangea, en 1518, avec François 1er, la terre des Tuileries à
Paris; sur laquelle devait être édifié le palais des Tuileries, pour celle
de Chanteloup, acheta, en 1587, la terre, fief et seigneurie de
Château-sur-Epte, de Philippe de la Porte, veuve de Charles du Bosc,
seigneur de Rebetz, tué à la bataille de Saint-Denis, en 1557. Dans un aveu
rendu en 1617 par Charles de Neufville, seigneur de Villeroy, Marigny,
Chateau-sur-Epte, il est dit que le possesseur de cette dernière terre a le
droit de prendre une somme de marée et une cloyère d'huîtres sur ce qui
passe par les Bordeaux, hameau de la dite seigneurie, en payant le prix que
pareille quantité de ces denrées sera vendue au marché de Paris, étant le
mareyeur obligé de produire un certificat de vente.
De la forteresse élevée par Guillaume le Roux, il ne reste plus que des
ruines, mais des ruines encore imposantes et qui offrent un très grand
intérêt à ceux qui les visitent. L'enceinte, de forme circulaire, comme
celles du temps de Robert de Bellesme, mesure 90 mètres de diamètre. Elle
est percée de deux portes, dont l'une regarde du côté de la France et
l'autre vers l'ouest. Cette dernière est la principale, c'est par là qu'a
lieu aujourd'hui l'accès à l'intérieur. L'ogive et les contreforts de cette
porte subsistent encore, ainsi que la partie qui servait au jeu de de la
herse, les entailles où venaient s'enclaver les membrures du pont-levis, et
même les écussons accompagnés de leurs supports qui ornent chacun des
contreforts. Dans les tenants des armoiries nous avons cru reconnaître des
sirènes. Le léopard qui allonge sa patte vers l'écu est très bien conservé.
Le donjon, qu'on trouve à droite en arrivant, est aussi en état de résister
encore longtemps aux éléments. Il est haut de plus de 2 5 mètres et
construit à 140 mètres d'altitude sur un monticule rapporté. Sa situation
lui permettait de défendre facilement les parties principales de l'enceinte,
la porte de l'ouest et le château qui s'étendait vers l'est. C'est ce que
prouve la belle défense de Gaultier Riblard, dont nous avons parlé plus
haut. Un escalier circulaire, dont on voit encore les restes, avait été
pratiqué dans l'épaisseur de la muraille. L'attention est aussi attirée sur
une ouverture richement décorée, sur les mâchicoulis, les longues
meurtrières et quelques autres détails de construction. Des meurtrières de
l'enceinte, les unes subsistent encore intactes, tandis que les autres
disparaissent en partie sous les tiges de lierre plusieurs fois séculaires.
Les fortes murailles des bâtiments d'habitation formaient comme une espèce
d'enceinte intérieure. Là étaient le puits, la cour du château et un préau
servant à la garnison. Pour y accéder, il fallait traverser une entrée dont
on peut suivre les détails et qui était munie de son pont-levis et de sa
herse. (1)
Éléments protégés MH : les vestiges bâtis et non bâtis de l'ensemble
castral, les ruines du château et ses abords : classement par arrêté du 16
juin 1998. (2)
château-fort de Château sur Epte 27420 Château-sur-Epte, propriété privée,
vestiges.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous.
Nous remercions chaleureusement Monsieur
Vincent Tournaire du site
http://webtournaire.com/paramoteurparapente.htm,
pour les photos aériennes qu'il nous a adressées afin d'illustrer cette
page. (photos interdites à la publication)
A voir sur cette page "châteaux
de l'Eure" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
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