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Château de Gaillon (Eure)
 
 

  e magnifique palais de Gaillon, que le premier cardinal dAmboise avait fait élever de 1502 à 1510 et qui devint la résidence favorite de ses successeurs au siège archiépiscopal de Rouen, ses parcs et ses jardins, n'existai ent plus à la fin du XIXe siècle. Saisis comme propriété ecclésiastique, à la suite du décret de la Convention du 20 août 1792, ils ne tardèrent pas à devenir la proie des spéculateurs. Quelques amis des arts essayèrent bien, en l'an V, de sauver cette merveille des rives de la Seine, et l'ingénieur en chef du département de l'Eure fut chargé de faire un rapport sur leurs réclamations. Mais le chef-d'œuvre des grands artistes de la Renaissance et les bâtiments construits plus tard, sur les dessins de l'architecte Mansart, ne parurent à ce fonctionnaire qu'un assemblage gothique; dont on avait tort de demander la conservation; ils furent condamnés à être vendus. Les statues, les marbres, les menuiseries disparurent dans un encan général. Alexandre Lenoir obtint seulement d'acheter, en 1802, pour le compte du gouvernement; le portail et les belles galeries de la cour principale, encore en place à cette époque, les boiseries de la chapelle et diverses sculptures, qui furent transportés à Paris, au musée des Petits-Augustins, devenu depuis le Palais des Beaux-Arts. Quelques débris employés dans sa construction sont les derniers restes des galeries, dont la plus grande partie, longtemps délaissée dans les chantiers des Petits-Augustins, a fini par être détruite; mais on peut admirer dans la cour de ce palais le portail de Gaillon, qui en est l'un des principaux ornements. Les superbes boiseries de la chapelle ont été arrangées et utilisées pour la restauration de l'église abbatiale de Saint-Denis.

Un grand bas-relief en marbre représentant saint Georges terrassant le dragon, et la partie supérieure de la fontaine du jardin ont été recueillis au Louvre dans le musée de la sculpture française. Le touriste qui voudrait visiter à la fin du XIXe siècle la place où s'élevait la demeure des archevêques de Rouen, n'y rencontrerait plus guère que le pavillon d'entrée, avec ses tourelles et ses bas-reliefs, maintenant fort altérés, une chapelle basse, où la savante combinaison des nervures en pierre des culs-de-lampe aux armes d'Amboise et plusieurs figurines appellent l'attention, et une tour qui plonge dans les fossés. Les ingénieurs chargés en 1812 des travaux de construction nécessaires pour transformer les ruines de Gaillon en une maison de détention, s'étaient attachés à modifier entièrement ce qui restait debout et à supprimer la grande galerie, qui tout entière avait échappé jusque-là aux destructeurs. Ce n'est donc plus que dans les anciens documents, les peintures et les vieilles gravures que revivent les souvenirs et les traces de ce château vraiment royal, dont Androuet du Cerceau et Israël Silvestre ont donné de curieux dessins et de jolies vues, que Piganiol de la Force a visité et décrit vers 1715 et sur lequel M. Deville a publié, en 1850, un important ouvrage, avec les comptes des travaux exécutés par les ordres de Georges 1er d'Amboise.

Au XIIe siècle, Gaillon avait une forteresse que Philippe-Auguste enleva à Thomas Braket pour la donner, en récompense de ses services, à Cadoc, chef de routiers à sa solde. Châtelain d'abord, puis propriétaire définitif du château, Cadoc en fit graver sur son sceau une vue évidemment incomplète, avec le donjon et l'enceinte des murailles, qui devaient, comme dans les autres châteaux normands, être défendus par des tours et des fossés. Philippe-Auguste était à Gaillon lorsqu'il partit pour aller au siège du Château-Gaillard; il y revint en 1207 et en 1208, et, quelques années après, se brouilla avec son ancien compagnon d'armes, dont la rapacité causa la ruine. Cadoc, ayant refusé de payer 14200 livres, fut jeté en prison et n'en sortit que sous la minorité de Saint Louis, en 1227, en abandonnant au roi sa forteresse et en lui restituant toutes les chartes des donations qui lui avaient été faites. En 1262, Saint Louis, en échange des moulins et du vivier que les archevêques de Rouen possédaient dans cette ville et de 4000 livres tournois, céda à son conseiller et ami, l'archevêque Eudes Rigaud, le château et la ville de Gaillon, en se réservant le droit d'y mettre garnison, en cas de guerre en Normandie. Le registre des visites pastorales de Rigaucl constate qu'il visitait souvent son nouveau château, où il reçut Saint Louis le 16 décembre 1263, en 1264 et plusieurs autres fois, le légat du Pape, Simon, cardinal de Sainte-Cécile, en janvier 1260, et l'évêque d'Albano, représentant le Saint-Siège, en juin 1269, et où il mourut en 1275. Guillaume de Durefort, en mai 1320, y donna l'hospitalité au roi Philippe le Long. Mais la tranquille possession des archevêques fut troublée au XVe siècle par les Anglais, qui assiégèrent Gaillon, en 1424, et le prirent, après une faible résistance.

Tout ce que l'archevêque Jean de la Roche-Taillée put obtenir du duc de Bedford fut que son habitation personnelle, les salles et les chambres seraient conservées; quant au donjon et autres tours, aux murailles, ponts, tourelles et guérites, ils furent rasés et les fossés comblés. Le château resta en ruines jusqu'en 1456, où le cardinal d'Estouteville en fit déblayer les décombres pour jeter les fondements d'un nouveau manoir, auquel on travailla pendant plusieurs années. Le cardinal d'Amboise réalisa, sur des plans beaucoup plus grandioses, les projets de son prédécesseur et consacra aux dépenses de construction, d'après les comptes de l'archeveché, 153600 livres, somme équivalente, en tenant compte de la valeur relative de l'argent, à environ trois millions de la monnaie de nos jours. Georges d'Amboise, devenu archevêque de Rouen, en 1494, suivit peu après Charles VIII en Italie, et à l'avènement de Louis XII, les affaires de l'Etat l'absorbèrent trop pour qu'il pût s'occuper beaucoup de Gaillon. Ce ne fut réellement qu'en 1502 que les grands travaux commencèrent, pour prendre un développement extraordinaire, surtout à partir de 1507, et finir à la mort du cardinal, arrivée le 25 mai 1510. Les deniers versés par les Génois, en expiation de leur révolte, et que Louis XII abandonna à son ministre, contribuèrent, dit-on, au paiement des constructions; mais, si l'on excepte trois artistes italiens et quelques français, le monument fut l'œuvre presque exclusive des sculpteurs, des architectes et des peintres normands, de Rouen et des environs, qui surent le bâtir et l'orner avec les formes les plus élégantes de la Renaissance et du style ogival.

Georges II d'Amboise, auquel son oncle laissa par testament deux millions d'or et les meubles de Gaillon. Le château et la terre restant la propriété de l'archevêché, ne paraît avoir eu à dépenser, pour l'achèvement du palais, que des sommes peu importantes, si l'on en croit les comptes de son trésorier. Ce palais, construit sur une pointe de terre élevée, avait une forme triangulaire. Entouré de fossés de toutes parts, il communiquait à l'extérieur par un pont-levis placé entre deux tours basses plongeant dans les fossés et la porte d'un pavillon carré, flanqué de tourelles et appuyé à droite et à gauche sur des corps de bâtiments. La façade extérieure de ce pavillon, qui existe encore en partie, se fait remarquer par la richesse de la composition et de l'ornementation. Aux deux côtés de l'arcade servant d'entrée à une première cour, de forme irrégulière, deux colonnes à fût cannelé supportent une longue architrave avec chimères et arabesques. A gauche de cette porte, une petite poterne basse est percée dans un panneau, dont le surplus est couvert par des pilastres. A droite, une fenêtre à croisillons est couronnée par une coquille. Deux fenêtres superposées, à croisillons avec pilastres, s'ouvrent aux deux étages supérieurs; une arcade surbaissée se dessine entre elles, et c'est probablement là, dans deux niches, séparées par des colonnettes à jour, que se trouvaient les deux figures de Louis XII et de Georges d'Amboise. Trois autres fenêtres, également superposées, couronnées de coquilles et reliées par une chaîne de pilastres, servent à éclairer les deux ailes de cette façade, détachées en avant-corps. La décoration de la façade intérieure ne diffère pas sensiblement de celle que nous venons de décrire. Deux figures d'anges, dans la niche du deuxième étage, supportaient un écusson, mutilé en 1793.

Les ornements contemporains de Georges d'Amboise ont fait place, dans l'arcade, à une longue inscription latine que Nicolas Colbert y a fait graver, à la fin du XVIIe siècle. Elle rappelle les souvenirs de Saint Louis, d'Eudes Rigaud et du cardinal d'Estouteville, et célébré les beautés de Gaillon, créées par Georges d'Amboise et augmentées par le cardinal de Bourbon et François de Harlay. A gauche de la première cour, se trouvaient les murailles et la tourelle de l'ancien corps de logis du cardinal d'Estouteville, que Pierre Delorme fut chargé de remanier pour les harmoniser avec les constructions nouvelles. Deux figures d'anges et un couronnement ogival festonné surmontaient la porte de la tourelle. On passait de cette cour dans la grande cour par le portail, qui a été transporté au palais des Beaux-Arts. Il n'était pas dans une position isolée, comme on le voit actuellement, mais faisait partie d'un corps de bâtiment dont il formait l'entrée. Les ouvertures latérales, accompagnant l'arcade centrale étaient les fenêtres du bâtiment lui-même. M. Deville, dans les dessins de l'atlas de son ouvrage, a restitué à l'arcade supérieure sa première ornementation. Cette arcade, au lieu d'être à jour, servait d'encadrement à un écusson portant les armoiries du cardinal d'Amboise. L'harmonie de la composition de ce portail, œuvre du rouennais Pierre Fain, est en rapport avec la délicatesse et le fini de ses ornements. Commencé en 1508 et achevé au mois de septembre 1509, il était au point de partage des deux cours et formait la clôture de la cour "où est l'entrée de Gennes", long bas-relief en marbre, représentant la bataille de Gênes, en avril 1507, et la reddition de cette ville, à laquelle Georges d'Amboise eut la plus grande part.

Dans la grande cour était le principal corps d'habitation, appelé la "grant maison", qui en constituait l'un des côtés, regardant le sud-ouest. Les principaux appartements se composaient, d'après les indications des comptes, de la grande salle, la chambre de cuir doré, la chambre de parement et celle de velours vert. Sur sa façade étaient sculptés de petits piliers, coupant une chaîne d'archivoltes à anses de panier, garnies de nacelles renversées. Du côté regardant la campagne, il présentait une riche galerie à jour surmontée d'une terrasse. Huit piliers en marbre, à bases et chapiteaux en pierre de Vernon, en supportaient les arceaux et "neuf anticquailles envoiées par Prégent", ou médaillons en marbre de personnages de l'antiquité, somptueusement encadrées, accompagnaient les archivoltes des arcades. On accédait à ce bâtiment par deux escaliers extérieurs placés à deux angles opposés de la cour. Une grande tour ronde, aujourd'hui dénudée et privée de sa toiture élancée, flanquait ces bâtiments du coté des fossés. Dans cette tour, on avait établi la chambre et le cabinet du cardinal d'Amboise, avec leurs merveilleuses boiseries, éblouissantes d'or et d'azur. La chapelle se dressait à l'opposé; on y entrait par la galerie, qui partait de la tour et du cabinet des archevêques, et par l'escalier appelé "la grant viz", placé à l'un des angles de la cour centrale et dont on admirait la décoration et les sculptures extérieures, avec le saint Georges en cuivre qui en couronnait le faîte et les pendentifs intérieurs. Cette chapelle était cruciforme, son abside ronde mordait sur le fossé. Au centre s'élançait un clocher, surmonté d'un campanile à jour, nommé la Syrène. Plus bas étaient rangées des Sibylles. Trois de ces figures avaient été exécutées, en 1509, par le rouennais Guillaume de Bourges. Dix-huit fenêtres à rangs superposés étaient ornées de vitraux peints, dont Félibien, au commencement du XVIIIe siècle, vantait la beauté et dont on a attribué l'exécution à deux maîtres verriers, Antoine Chenesson, d'Orléans, et Jean Barbe, de Rouen.

Les murailles de cette chapelle avaient été enrichies de peintures par André Solario, peintre milanais, élève de Léonard de Vinci, que le cardinal d'Amboise avait appelé en Normandie. Douze figures d'apôtres, en albâtre, dues au ciseau d'Antoine Just, étaient placées dans la nef, tandis que le grand bas-relief en marbre de Michel Coulombe, qui est au musée du Louvre, décorait l'autel, tout en marbre et couvert des plus riches sculptures. Les stalles en menuiserie étaient les plus beaux ornements de la chapelle. Le bâtiment regardant le nord-est dans la cour, s'appelait maison de Pierre Delorme, du nom du maître maçon qui l'avait construit. Cet architecte y avait allié l'ancien style au nouveau et garni l'entre-deux des fenêtres de médaillons avec cartouches. Un pavillon carré à l'angle de la cour portait le même nom et était destiné à servir de communication entre la cour du château, le jardin et le parc. Il était flanqué, du côté du jardin, de deux grosses tours, et, du côté de la cour, de deux tourelles en encorbellement, terminées par un toit aigu et un épi en plomb. Quatre élégantes lucarnes alternant avec ces quatre clochetons, donnaient un aspect des plus pittoresques à la toiture en plomb travaillé de ce pavillon. L'ensemble des bâtiments de la cour principale était complété par deux corps de galeries en regard, ouvertes au rez-de-chaussée et fermées à l'étage supérieur, qui s'étendaient, l'une de l'escalier de la tour au pavillon et l'autre du grand escalier de la chapelle à la maison Pierre Delorme. Au rez-de-chaussée ouvert de la première galerie, onze colonnes, semées de fleurs de lys, supportaient des arcades, au-dessus desquelles on voyait le long bas-relief en marbre représentant la bataille de Gênes et l'entrée des Français dans cette ville. Dans la galerie basse étaient fixées des têtes de cerfs en bois, peintes au naturel, qui se détachaient sur un fond de verdure, travail du peintre rouennais Richard du Hay, qui avait aussi rehaussé d'or les caissons du plafond. L'artiste et Pierre le Plastrier avaient également été chargés de peindre et de dorer la galerie haute "les courbes, les ogives et les rencos d'or et d'azur, les rondeaux et les lettres, qui sont et seront semés en toute ladite gallerie et d'estoffer le manteau de la cheminee" qui se dressait à l'une de ses extrémités. A l'extérieur, les trumeaux des fenêtres étaient garnis de médaillons en marbre, entourés d'une riche bordure et représentant les douze Césars et les impératrices, en compagnie desquels paraissaient Louis XII et le cardinal d'Amboise, dont les noms étaient écrits sur des cartouches. Un peu plus haut se dressaient des lucarnes pyramidales, chargées de clochetons, de crères et de dentelles.

Dans la seconde galerie, on retrouvait la même richesse d'ornements et les médaillons terminant la série des douze Césars, mais avec quelques différences. Au lieu de colonnes fleurdelisées, des pilastres prismatiques, semés d'arabesques sur leurs pans, portaient de doubles arceaux, divisés par une tête de pilastre, suspendue à vide, en forme de pendentif. Une frise à enroulements, mariés à des figures allégoriques, courait au-dessus de ces arceaux. Les fenêtres à croisillons de la galerie supérieure, encadrées de pilastres couverts d'arabesques, s'appuyaient sur cette frise. Une double corniche, dans le même style, régnait dans la partie supérieure. Au point central de la cour, s'élevait une superbe fontaine de marbre. Elle se composait de deux vasques superposées portées par des colonnes contre lesquelles étaient adossés des groupes de femmes nues aux formes élégantes. En sortant du château, on se trouvait sur une vaste esplanade, qui le séparait des jardins. De là l'œil découvrait la vallée de la Seine, des coteaux chargés de vignes et de bois et une étendue de pays de plusieurs lieues. Andely et le Château-Gaillard apparaissaient dans le lointain. Le jardin d'agrément ou parterre était fermé sur deux de ses côtés par un mur, et sur les autres par une suite de bâtiments et une immense galerie de cinq arcades ou portes monumentales avec trente-six fenêtres, surmontées de riches lucarnes en pi erre. L'intérieur était garni de lambris en bois admirablement sculptés. Lyenard de Feschal et Jehan Testefort, de Rouen, avaient peint et doré toutes les murailles de cette galerie, ainsi que la volière du jardin, les murs, les poteaux et les treilles, moyennant la somme de 1500 livres tournois. Un immense parc s'étendait à la suite des jardins et couronnait les hauteurs voisines.

Retenu par les affaires de l'Etat, le premier cardinal d'Amboise ne résida guère dans ces somptueux bâtiments. On peut même dire, si on ne consulte que les registres de ses comptes, qu'il ne fit que les entrevoir, dans de courts voyages et une douzaine de fois. En janvier 1505, il y attendait la venue de Louis XII, qui devait passer avec lui le jour des Rois; en octobre 1509, il y tomba sérieusement malade et en repartit à la fin de novembre pour n'y plus revenir. Il n'en fut pas de même de son neveu, Georges II, qui sortait peu de son château. Le 19 juin 1523, François 1er lui écrivait pour se plaindre de ce qu'il n'avait reçu aucune lettre de lui depuis son départ de la Cour. "Vous povez considérer, lui disait-il, si je me doy contenter aussi de ce que ne bougez de Gaillon et deveriez estre à Rouen pour faire diligenter l'affere qui me touche et à mon royaulme plus que vous ne pensez". Il s'agissait de subsides demandés pour la guerre d'Italie au clergé de Normandie, qui faisait la sourde oreille et finit par s'exécuter, le roi ayant passé des prières aux menaces. Le successeur du second cardinal d'Amboise, Charles de Bourbon, le roi de la Ligue, faisait également de Gaillon sa résidence ordinaire. A l'automne de 1566, il y reçut Charles IX et sa mère, Catherine de Médicis, et fit représenter devant eux, dans le grand pavillon du parc, appelé pour la circonstance l'Ile heureuse, des pièces allégoriques: Thetys, Francine, Les Ombres, comédie en cinq actes; Les Naïades ou Naissance du Roy, Charlot, et la Lucrece en cinq actes. Ces pièces avaient été composées, à la demande du cardinal de Bourbon, par un poète rouennais, Nicolas Filleul. On les imprima à Rouen, chez Georges Loyselet, avec dédicace à Catherine de Médicis, sous le titre: "Les Théâtres de Gaillon à la Royne".

Plus tard, en 1578, Henri III fut aussi l'hôte du cardinal. L'ambassadeur vénitien Lippomano, qui l'accompagnait, appela Gaillon un lieu de délices et le compara aux palais enchantés de Morgane et d'Alcine. Le cardinal de Bourbon fit faire des travaux et des embellissements à Gaillon. La vaste esplanade, qui séparait le corps du château du jardin, fut fermée à son extrémité nord-est par une galerie basse. Androuet du Cerceau, qui vit élever ces constructions, en 1576, parle de cette terrasse "que Monsieur le cardinal de Bourbon à présent fait approprier d'édifices tant au niveau dudit logis que au pied de la terrace, adjoustant à ce bas une gallerie d'assez belle ordonnance, selon l'antique, qui regarde le val". Le même cardinal avait fondé dans le voisinage une chartreuse, l'une des plus belles de France, connue sous le nom de Chartreuse de Gaillon. Ce fut dans le riche et élégant pavillon, appelé d'abord la Maison Blanche, puis l'Ile heureuse, où Charles IX avait entendu les pastorales rimées du poète Filleul, et qui avait donné asile à Henri III en 1578 et en 1584, que fut résolue la Ligue. On l'appela alors Pavillon de la Ligue, nom auquel on substitua plus tard celui de Parnasse de Gaillon. Enlevé quelques années après à son château, le roi de la Ligue alla de prison en prison s'éteindre à Fontenay-le-Comte, le 15 mai 1590. Son neveu, le cardinal de Vendôme, lui succéda et mourut lui-même, en 1594. Henri IV, qui avait pu apprécier les beautés de Gaillon, dans un séjour qu'il y fit en février 1590, désira, après la mort du second cardinal de Bourbon, se faire céder ce château; mais la négociation, conduite par Sully, ne réussit pas, et le roi nomma au siège de Rouen, son frère naturel, Charles III de Bourbon. Il revint à Gaillon, en octobre 1596, avec les princes de Conti, de Montpensier, de Nemours, de Mayenne et autres seigneurs et, en août 1603, avec la reine Marie de Médicis. En novembre 1596, le cardinal de Florence, légat du Pape, y reçut l'hospitalité, avant de se rendre à Rouen, pour assister à l'entrée de Henri IV.

Les successeurs des princes de Bourbon, qui ont laissé le plus de traces de leur séjour à Gaillon, sont le cardinal de Joyeuse, qui répara les désastres que le feu avait fait subir à la Chartreuse, dont il réédifia l'église, François de Harlay, arrière-neveu des cardinaux d'Amboise, et Nicolas Colbert. François de Harlay, en novembre 1617, reçut à Gaillon Louis XIII et son frère Gaston, qui, avant de se rendre à Rouen pour l'Assemblée des notables, y passèrent dix jours et s'y donnèrent les ébats de la chasse, dit le Mercure François. Le 21 décembre 1639, le chancelier Séguier, le maréchal de Gassion et leur suite, envoyés en Normandie par le cardinal de Richelieu pour châtier les gens de Rouen, s'arrêtèrent quelques jours à Gaillon. Logés et régalés avec une magnificence incroyable, raconte le secrétaire du chancelier, ils ne se pressèrent pas de partir. Le chancelier resta chez l'archevêque, pour y attendre les députations du Parlement et du corps de ville de Rouen. Il se promenait dans le château et le parc, et se récréa fort à voir certaines machines... Le 20 février 1650, François de Harlay fit les honneurs de son château à Louis XIV, à sa mère Anne d'Autriche, et au cardinal Mazarin, qui venaient pacifier la Normandie. François de Harlay vivait habituellement à Gaillon, travaillant de sept à huit heures par jour au milieu de ses livres et de sa belle bibliothèque. L'archevêque Nicolas Colbert, fils du ministre de Louis XIV, exécuta à Gaillon des travaux considérables, qui portèrent sur les bâtiments accessoires du château. Mansart en donna les dessins. La galerie basse, construite par le cardinal de Bourbon, fut surmontée d'un étage avec arcade à jour et flanquée à l'une de ses extrémités d'un pavillon carré, et à l'autre d'une orangerie en amphithéâtre contenant, en 1715, plus de trois cents orangers. Le Nôtre traça le plan d'un nouveau parc, pour l'établissement duquel il fallut abattre près de 2800 pieds de vieux chênes. Le chapitre de Rouen avait voulu s'opposer à la destruction de ces arbres superbes, âgés de deux cents ans, mais Nicolas Colbert s'adressa à Louis XIV. Le roi, sur le rapport d'experts, qui déclarèrent que l'exécution des projets de Le Nôtre ferait du parc de Gaillon l'un des plus beaux du royaume, accorda, le 10 novembre 1691, l'autorisation demandée. Le plan, dressé et gravé en 1748, par Le Tellier, nous montre ce parc avec ses longues avenues parallèles et diagonales disposées et taillées à la française, son rond-point, d'où rayonnaient douze allées, chacune plantée d'arbres d'une essence unique, dont elle portait le nom, ses maisonnettes de gardes et sa ferme appelée la Ménagerie. Le château de Gaillon reçut encore, en 1785, la visite de Franklin, qui fut l'hôte du cardinal de La Rochefoucauld, et, en 1786, celle de Louis XVI. Ces visites furent les dernières dont on ait conservé le souvenir. La Rochefoucauld avait fait peindre par Hiibért Robert une grande vue du château de Gaillon, tableau de 9 pieds 6 pouces sur 12 pieds 8 pouces, qui est encore dans la salle des États, à l'archevêché de Rouen. A quelques années de là, le dernier archevêque de Rouen qui ait habité Gaillon, devait partir pour l'exil et mourir sur la terre étrangère (1).

Le château de Gaillon sera vendu comme bien national et connaîtra la pioche des démolisseurs. Alexandre Lenoir, conservateur du Musée des Petits Augustins, fera remonter différentes pièces de l’édifice dans la cour des Beaux Arts. La merveille allait devenir par les soins de Napoléon 1er, un pénitencier signant ainsi sa déchéance. En 1901, fermeture du centre pénitencier, place à l'armée. En 1925, le château est vendu aux enchères par les soins de l'État. C'est à ce moment qu'il est acquis par un propriétaire privé. Puis la seconde guerre mondiale venue, le château de Gaillon servira à nouveau de prison sous l'occupation allemande. En 1949, le château est vendu aux enchères à différents propriétaires privés, le 13 mai 1970 acquisition du château par l'État, expropriation de la propriétaire du moment, et en 1977 le château de Gaillon renaît de ses ruines.

Éléments protégés MH: le château : classement par liste de 1862. Le terrain situé au nord-ouest du château qui faisait partie de la composition de l'ancien parc : classement par arrêté du 8 septembre 1965. L'assiette foncière des anciens jardins et les éléments subsistants de la clôture, ainsi que les vestiges archéologiques connus ou à découvrir, y compris la partie de parc vendue avec le château en 1797, à l'exclusion des parties déjà classées : inscription par arrêté du 8 février 1996 (2)

château de Gaillon 27600 Gaillon, tel. 02 32 53 08 25, ouvert au public, visites d'avril à octobre, horaires, voir le site du château de Gaillon : http://www.chateaugaillon.com.


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(1)
     source: La Normandie Monumentale et Pittoresque, (Eure) Lemale & Cie. Imprimeurs, Éduteurs, achevé d'imprimer le 25 septembre 1897.
(2)    source :  https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/

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