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Près de l'église
commence la longue rue qui aboutit au château. Est-ce là que les troupes de
Talbot, poursuivies sans répit par Dunois, élevèrent tout en hâte ces
barricades qui, arrêtant l'élan des Français, permirent au généralissime de
se réfugier dans la forteresse? Voilà une question que l'on se pose
naturellement si l'on a lu l'article consacré à Harcourt par Gadebled dans
son Dictionnaire du département, de l'Eure. Il convient de faire remarquer
que le fait, ainsi présenté, n'est pas exact. Ce ne fut pas au milieu des
rues d'Harcourt que se barricada le grand capitaine, mais dans la plaine, à
une demi-lieue du bourg. Il était allé de Breteuil à Beaumont-le-Roger;
apprenant que Dunois le poursuivait, il continua sa route vers Harcourt, et
c'est alors qu'à deux reprises différentes ses troupes furent approchées des
Français, malheureusement trop fatigués pour combattre. La nuit permit aux
Anglais de se retirer à Harcourt d'où, le lendemain matin, ils coururent à
Rouen sans débrider. Le château d'Harcourt, appartenait au début du XIXe
siècle à la Société nationale d'agriculture de France. Cette savante
compagnie poursuit dans les vastes dépendances du domaine les belles
expériences de sylviculture inaugurées par le précédent propriétaire, M.
Delamarre, ancien procureur au Châtelet. Un grand nombre d'arbres exotiques
aujourd'hui répandus dans notre pays ont été plantés pour la première fois à
Harcourt, dont le climat humide et le sol siliceux conviennent parfaitement
à des tentatives de ce genre. A la fin du XIXe siècle, le vieux château se
montre entouré de vastes plantations où dominent les résineux, mais où l'on
rencontre aussi des individus appartenant aux espèces et aux genres les plus
variés et les plus rares.
L'histoire du domaine d'Harcourt pendant le cours du XIXe siècle est
proprement celle des progrès de l'arboriculture en France: elle est tout
entière dans les nombreux rapports présentés à la Société d'agriculture,
depuis celui d'Héricart de Thury en 1827 jusqu'à celui de M. Bouquet de la
Grye en 1898. Les noms, des spécialistes les plus éminents, Michaux, Adolphe
Brongniàrt, Pépin, Chatin, y demeurent attachés, sans oublier celui de
l'initiateur, Louis-Gervais Delamarre. Selon le vœu de ce dernier, Harcourt
est devenu "une école théorique et pratique de la culture des bois, de leur
aménagement, de leur exploitation et des nombreux emplois d'utilité dont ils
sont susceptibles". Mais la Société ne s'en est pas tenue là: le programme a
été élargi, momentanément du moins, Harcourt est devenu en même temps un
magnifique champ d'essai et d'acclimatation, et Barrai, dans les années
1870, a pu dire sans exagérer que c'était le séjour des plus admirables
végétaux de l'Europe.
L'historien La Roque attribue la construction de la forteresse à Robert Ier
d'Harcourt, qui vivait à la fin du XIe siècle, et combattit à Tinchebray en
1106. C'était le frère d'Errand ou Enguerrand d'Harcourt, l'un des
compagnons de Guillaume le Bâtard en Angleterre. L'origine romane du château
ne peut, d'ailleurs, être un seul instant mise en doute. Toutes les
constructions, il est vrai, ont été renouvelées sans exception depuis cette
époque, mais le plan demeure absolument caractéristique. Il comprend une
basse cour et un château proprement dit. Des travaux exécutés à la fin du
XVIIe siècle l'ont malheureusement modifié et ne permettent plus de se
rendre compte de la configuration exacte du château primitif. Mais on peut
considérer comme à peu près certain que les deux parties de la forteresse
avaient la forme de deux circonférences de diamètre inégal, la plus petite
pénétrant l'autre. L'ensemble devait offrir une certaine analogie avec les
chateaux forts de Baudemont et d'Avrilly (Eure), de Peray et de
Saint-Rémy-du-Plain (Sarthe). Placé à l'extrémité du plateau, sur le bord
d'un vallon très profond, sorte de gorge boisée qui va rejoindre la petite
vallée du Bec, le château ne constituait pas un point stratégique
exceptionnel; mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque de sa fondation, les
moyens d'attaque étaient relativement rudimentaires, et qu'une forteresse
comme celle-ci, bien garnie d'hommes et de munitions, environnée de profonds
fossés et protégée, en outre, d'un côté, par une défense naturelle, avait
une grande importance et se trouvait en état de résister aux assaillants les
plus déterminés. Ici, en effet, comme à Arques, la présence du vallon
n'avait pas empêché d'établir une circonvallation complète.
C'est sans doute dans la seconde moitié du XIVe siècle, sous le comte Jean
VI, beau-frère de la reine Jeanne de Bourbon, que fut entreprise la
reconstruction totale qui donna au château d'Harcourt; abstraction faite des
remaniements opérés au XVIIe siècle, l'aspect que nous lui voyons
aujourd'hui. Nous en trouvons la preuve dans la disposition de l'appareil,
composé de silex avec chaînes horizontales de pierre blanche de distance en
distance, et surtout dans la forme des meurtrières, munies à mi-hauteur d'un
élargissement circulaire, parfois même ovale, propre a passer l'extrémité
d'une arme à feu, arquebuse ou bombarde à main. Ces ouvertures pouvaient
donc servir indifféremment a lancer des flèches ou des projectiles selon le
nouveau système. Quelques-unes cependant conservent encore la disposition
plus simple de l'époque précédente. Une telle remarque fait qu'on se demande
si les autres n'ont pas été modifiées après coup, mais l'examen ne confirme
pas cette hypothèse. Toutes les meurtrières dont nous parlons se trouvent
dans les tours de la basse cour; quant à celles qui contribuaient à la
défense du château proprement dit, les travaux du XVIIe siècle n'en ont
laissé subsister aucune. Huit tours, et non douze, comme on l'a imprimé et
répété, flanquent les murailles de la première enceinte. Ces tours, de forme
semi-circulaire, ne sont pas de dimensions considérables; elles mesurent à
peu près cinq mètres de diamètre extérieur. Aucune ne possède de voûte, du
moins dans les étages subsistants. Deux d'entre elles encadraient chacune
des deux portes, ménagées aux extrémités de l'enceinte, de manière à ce que
l'accès pût en être commandé à la fois par les courtines de la basse cour et
par le château, disposition adoptée dans beaucoup de forteresses situées en
plaine et composées comme Harcourt de deux enceintes successives, par
exemple à Yèvre-le-Châtel et à Baudemont.
De la porte du nord, il ne reste que des ruines. Celle du sud, qui sert
encore de porte d'entrée au château, dut être en partie reconstruite, avec
les matériaux primitifs, à une date qu'il n'est pas facile de préciser,
peut-être à une époque avancée du XVIe siècle. L'on en profita pour
introduire dans les pieds-droits, à l'extérieur et à l'intérieur, des croix
de Lorraine formées de briques très larges et très épaisses. (La branche
aînée des comtes d'Harcourt s'était, en effet, rendue dans la maison de
Lorraine par le mariage, en 1417, de Marie d'Harcourt avec Antoine de
Lorraine, comte de Vaudemont). L'entrée se compose de deux couloirs en
berceau brisé, dont là voûte surbaissée manque tout à fait d'élégance,
placés dans le prolongement l'un de l'autre, et séparés par un intervalle
recouvert d'un simple plafond. Chacun de ces corridors possédait sa herse
particulière. On franchit aujourd'hui le fossé sur une chaussée construite
en pierre et silex et bordée de parapets, qui ne date, comme la porte
elle-même, que d'une époque relativement moderne. La porte opposée parait
avoir conservé plus longtemps son pont-levis, dont les piles ont laissé des
vestiges dans le fossé. Elle était protégée, en outre, par un poste
extérieur, peut-être une barbacane, défense en terre encore sensible sous
les taillis. Le revers de la porte méridionale fut modifié aussi bien que la
façade. De ce côté, le mur du bâtiment auquel sont adossées les deux tours
subit une notable diminution de hauteur. L'extrémité orientale du même
bâtiment, celle qui regarde le château, forme un pignon, devenu irrégulier
par suite de ces travaux, mais dans lequel on remarque encore, au premier
étage, une fenêtre comprenant deux lancettes accolées et un oculus, encadrée
à l'extérieur par un arc en tiers-point et à l'intérieur par un arc bandé.
Nous supposons que cette baie, à l'aspect mi-civil, mi-religieux, surmontait
l'autel d'une chapelle installée au-dessus de la porte, comme dans nombre de
châteaux du moyen âge. L'orientation nord-est sud-ouest, identique à celle
de l'église et de l'ancienne chapelle de l'hospice, viendrait à l'appui de
cette opinion. Mais il faut faire remarquer que la chapelle paraît avoir
changé de destination à une époque déjà ancienne, ainsi qu'en témoignent
deux cheminées au caractère malheureusement trop peu accusé pour permettre
de proposer une date. Tout ce que nous pouvons rappeler, c'est qu'en 1667 le
comte d'Harcourt présenta un nouveau cartulaire à "la chapelle de
Saillt-Thonlas, dans le château d'Hat-court". Cette mention, empruntée au
grand pouillé du diocèse d'Evreux, est-elle exacte? Sommes-nous en présence
de la chapelle en question? Nous ne saurions le dire. Autour de la première
enceinte, dont les murs en ruines conservent encore une hauteur de six ou
sept mètres au-dessus du sol intérieur, étaient appuyés les communs:
écuries, magasins, logements des soldats, etc. On voit encore les corbeaux
de pierre qui aidaient à porter la charpente de ces constructions. Lors de
la brillante campagne qui chassa définitivement les Anglais de la Normandie,
Harcourt était armé de canons, probablement de petites pièces installées sur
la terrasse des tours, ainsi que semble l'indiquer ce fait, rapporté par les
Grandes Chroniques de France, qu'un Anglais fut tué par un boulet "sur le
portail de la basse court". Les murailles ne tinrent pas une heure sous le
feu des batteries de Dunois, et les assiégés durent immédiatement songer à
composition. En 1418, la résistance des Français n'avait guère été plus
longue. Bréquigny nous a conservé le traité de capitulation de cette époque,
dont le texte est des plus curieux.
Le château, l'habitation seigneuriale, appartient, nous l'avons dit, à la
même date que l'enceinte extérieure. On y trouve le même appareil, le même
glacis de silex au pied des murailles. Mais c'est tout ce que cette partie
de la vieille forteresse a gardé de son aspect du moyen âge. Dans les
dernières années du XVIIe siècle, des travaux considérables furent entrepris
qui la transformèrent de font en comble. Le comté appartenait alors à
Alphonse-Marie-Charles de Lorraine, plus connu, comme son père, sous
le nom de prince d'Harcourt. Ce personnage, qui vivait séparé de sa femme,
Françoise de Brancas, avait complètement abandonné à celle-ci la jouissance
d'Harcourt, où pendant de longues années il ne parut jamais. La princesse
trouva les bâtiments dans un état voisin de la ruine. Elle voulut les rendre
habitables. Dans ce but, le corps de logis reçut une nouvelle façade vers le
parc, tandis que les murailles du côté de la basse cour étaient trouées de
larges fenêtres à la place des baies plus étroites de l'époque primitive; le
donjon et l'enceinte vers le nord; dont la disposition nous est inconnue,
furent démolis, les fossés comblés, et sur l'emplacement ainsi dégagé on fit
une terrasse, une cour d'honneur et un parterre. Harcourt eut alors de
nouveau un lustre qu'il ne connaissait plus depuis longtemps. Mais cette
résurrection fut de courte durée. Françoise de Brancas disparue, tout rentra
dans la solitude, et lorsqu'en 1802, M. Delamarre acquit l'antique demeure
des comtes d'Harcourt, les plus anciens du pays ne se rappelaient même pas
d'y avoir vu venir les derniers propriétaires. Depuis, M. Delamarre et la
Société d'agriculture ne purent qu'entretenir les bâtiments habités des
réparations indispensables.
A l'intérieur du château, on ne trouve partout que les résultats de
l'aménagement du XVIIe siècle: grand escalier à rampes droites, en fer ou en
bois, se développant sur toute la hauteur du logis, parquets quadrillés,
lambris sobrement décorés, chambranles de cheminées assez simples de style
Louis XIV. Au milieu des grands appartements, la pensée se reporte
naturellement vers les choses d'autrefois, le passé renaît sans effort dans
l'imagination. Mais ces visions sont fugitives, et tout nous ramène au
présent sans poésie. Nous sommes bien à la fin du XIXe siècle, dans un
château inhabité, reste désolé, témoin muet de temps à jamais évanouis. Et
cependant, malgré toutes les dévastations, nous nous prenons à nous
féliciter de ce que le souffle impitoyable des révolutions, qui n'a respecté
ni Gaillon, ni Bury, ni tant d'autres chefs-d'œuvre de l'art, ait épargné le
château plus modeste d'Harcourt; nous voudrions disputer au temps ces
vestiges imposants, nous qui ne pouvons contempler ni les splendeurs
architecturales du Bec, ni même ce beau prieuré du Parc, l'objet de la
prédilection constante des seigneurs d'Harcourt, disparu, lui aussi, avec
ses riches tombeaux, ne laissant d'autres traces que quelques fragments de
son mobilier, aujourd'hui dispersés en des localités éloignées, les stalles
à Gou'pillières, les cloches à Évreux et jusqu'à Saint-Ymer, dans le pays
d'Auge. (1)
Éléments protégés MH: le château en totalité : classement par liste de
1862.
château de Harcourt 27800 Harcourt, tél : 02 32 46 29 70, ouvert au
public, visites du 1er mars au 15 juin de 14h à 18h sauf mardi, du 15
septembre au 15 novembre de 14h à 18h sauf mardi du 16 juin au 14 septembre
de 10h 30 à 18h 30 tous les jours.
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Vincent Tournaire, du site
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pour les photos aériennes qu'il nous a adressées. (photos interdites à la
publication) A voir sur cette page "châteaux
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dans ce département. |
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