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Pont-Saint-Pierre est un joli bourg
situé dans la charmante vallée de l'Andelle. Le touriste qui le vient
visiter, en quittant le Pont-de-l'Arche, traverse Alizai, puis Romilly,
après avoir laissé à sa droite l'antique village de Pitres, et entré dans
Pont-Saint-Pierre, où il rencontre d'abord l'église de Saint-Nicolas, puis
on aperçoit une longue avenue a double rang de grands arbres, à la suite de
laquelle apparaît la façade d'un vieil édifice. C'est le château de
Pont-Saint-Pierre, que le poète Ducis appelle ce "noble manoir, dont l'Andelle
en son cours embrasse de ses eaux les fossés et les tours". Il paraît avoir
été construit à la fin du XVe siècle ou au commencement du XVIe pour
remplacer, mais dans un endroit différent, le château fort de Logempré ou
Longempré, dont il a longtemps aussi porté le nom. Ce fut sans doute du
temps de Philippe-Auguste qu'avait été bâti ce dernier château, que Charles
V fit reconstruire aux frais du trésor royal. Une tour en ruines et des
substructions existant encore au milieu des prairies, en face de Douville,
en rappellent le souvenir. Le donjon était au centre de la forteresse, ce
qui s'explique par sa position au milieu des marais, où elle pouvait être
attaquée de toutes parts. Depuis deux cents ans, la famille de Hangest en
était propriétaire, lorsque Henri V d'Angleterre confisqua, le 1er juillet
1419, les baronnies de Pont-Saint-Pierre et d'Heuqueville pour les donner à
Henri de Noon, son écuyer, et, plus tard, au célèbre Talbot, qui en fit sa
résidence. En 1449, les comtes d'Eu et de Saint-Pol reprirent le château
d'où ils chassèrent les Anglais; ils y mirent le feu et le dévastèrent. Les
Roncherolles, qui en étaient devenus propriétaires par alliance avec la
famille de Hangest, furent alors remis en possession de leurs domaines, et
construisirent un manoir seigneurial rappelant, par quelques parties de son
architecture, les défenses des forteresses.
Il n'a pas un grand développement et a été l'objet de divers remaniements,
mais il a conservé intacte sa curieuse façade, dont l'entrée étroite était
garnie d'un pont-levis et présente, de chaque côté, deux tourelles, souvenir
des bastions qui protégeaient l'entrée des châteaux forts. A la suite, deux
corps de logis, à droite et à gauche, sont flanqués de petites tourelles
d'angle en encorbellement. D'autres bâtiments en retour servent d'habitation
et de communs. Ce manoir doit avoir conservé à peu près le même aspect qu'à
la fin du XVIe siècle, lorsque Henri IV y reçut, en 1589, des mains de Le
Blanc du Rollet, les clefs de Pont-de-l'Arche. Pierre de Roncherolles, dans
un aveu du 5 juillet 1600, en donne la description suivante: "Le manoir
seigneurial de laquelle baronnye est assis en la paroisse dudit
Saint-Pierre, lequel est ung chasteau de pierre à pont-levys, couvert
d'ardoise, vulgairement appelé le chasteau de Logempré, clos et environné de
fossez plains d'eau, circuy de jardins et plants et par devant lequel
chasteau passe la riviere d'Andelle, qui nous appartient en totallité,
dépendante de notre dite baronnye depuis le village de Douville jusques à la
rivière de Sayne et a audict chasteau basse court close de fosseyes, bastie
de plusieurs édiffices, grange, pressoir, collombier à pied, près duquel est
ung parcq clos de murs de pierre, partye en haulte fustaie et autre partye
en terre labourable, qui contient huict acres ou environ, et proche l'esglise
de ladite paroisse Sainct-Pierre avons une petite troque de haulte fustaie,
dans laquelle se remarque l'ancyenne demeure de nos predecesseurs, seigneurs
et barons dudit Pont-Sainct-Pierre; les fossez d'un chasteau à fondz de
cuve, avec les fondements des bastymens qui paroissent encores; le tout,
toutefois, demeure en ruyne des guerres antiennes. A cause desquelz
chasteaulx et demeures avons droict de guet en nostre dit chasteau de
Logempré".
Les ruines dont parle cet aveu comprennent, outre celles du château de
Philippe-Auguste et de Charles V, les vestiges des anciennes fortifications
du XIe siècle, agrandies par Eustache de Breteuil en 1119, brûlées par Henri
1er d'Angleterre, et relevées peu d'années après. Ces vestiges se trouvent
sur deux monticules de terre appelés le Vieux-Port, dont l'un, le Catelier,
est isolé par des retranchements profonds, et l'autre, la Motte du Bourg,
servait sans doute de refuge à la population. Il est probable que ce fut
seulement à l'époque normande que les premières fortifications y furent
élevées pour la défense de la vallée de l'Andelle. Pont-Saint-Pierre avait
été réuni aux domaines des ducs de Normandie. Robert Courte-Heuse, sur la
demande de Guillaume, comte d'Evreux, consentit à le rendre, en 1089, à son
neveu, Guillaume de Breteuil, à la mort duquel son fils naturel, Eustache,
s'en empara. Ce dernier avait épousé Juliane, fille naturelle de Henri 1er
d'Angleterre. C'était un homme violent et un puissant vassal; il voulut se
faire remettre le donjon d'Ivry, ancienne possession de sa famille. Le roi
chercha à gagner du temps et promit de rendre la place un peu plus tard. Des
otages furent échangés: Henri envoya le fils de Raoul Harenc, châtelain
d'Ivry, et Eustache, ses deux filles. Mais Raoul Harenc ayant refusé, sur
l'ordre du roi, de livrer le château, Eustache fit crever les yeux à son
fils, et Harenc, par représailles, fit arracher les yeux et couper le nez
aux deux petites filles du roi. Cette réciprocité de cruautés fut suivie
d'une guerre entre Eustache de Breteuil, Juliane et son père, qui s'empara
de Pont-Saint-Pierre, en détruisit les fortifications et donna ce domaine
avec la vallée de Pitres à Raoul de Tosny. Roger, son fils, l'un des plus
turbulents seigneurs de l'époque, avait relevé les défenses de
Pont-Saint-Pierre et il était prisonnier du roi Étienne, en 1136, lorsque
Thibaut, comte de Blois, vint l'assiéger. La place, défendue par Guillaume
de Fontaines, fut assez forte pour résister pendant un mois aux troupes de
Thibaut, qui dut lever le siège.
Pont-Saint-Pierre passa ensuite dans la maison du Neubourg, Robert dit du
Neubourg, fils de Henri, comte de Warwick, ayant épousé Godechilde de Tosni;
puis dans celle de Poissy par le mariage d'Isabeau de Neubourg, fille de
Henri, grand sénéchal de Normandie, avec Robert de Poissy. Les Tosni avaient
cependant conservé une partie de leur ancien domaine, puisque
Philippe-Auguste en 1206, donna à Raoul de Boulogne tout ce que Marguerite
de Tosni avait à Pont-Saint- Pierre, à Romilly, à Pitres et dans la forêt de
Longboël. En 1204, après la conquête de la Normandie, la famille de Poissy
perdit son domaine de Pont-Saint-Pierre, que Philippe-Auguste donna à Aubert
de Hangest, seigneur de Genlis et de Neuville-le-Roi. La maison de Hangest
conserva la baronnie de Pont-Saint-Pierre, première baronnie de Normandie,
jusqu'à la fin du XIVe siècle. Aubert VI de Hangest, chambellan du roi Jean,
fut tué à la bataille de Poitiers. Aubert VII, chambellan de Charles V,
était mort avant 1399; pendant sa minorité la forteresse de
Pont-Saint-Pierre fut, suivant lettres de Charles V, "arrasée, abattue et
destruite, sans cause raisonnable, par des gens et habitans des pays
d'environ", préjudice évalué à 20000 francs d'or et qui fut réparé aux frais
du trésor royal. Jean de Hangest, conseiller et chambellan du roi, envoyé,
en 1404, en Angleterre, pour ramener la veuve du roi Richard, avait été
pourvu, le 7 décembre 1403, de la charge de grand maître des arbalétriers de
France; il mourut en 1407. Isabelle de Hangest, mariée le 14 mai 1367 à Jean
de Roncherolles, porta la baronnie de Pont-Saint-Pierre dans cette illustre
famille normande, qui tirait son nom du fief de Roncherolles en Vexin,
auquel était attaché le titre de grand bouteiller de Normandie, et
prétendait remonter au IXe siècle et compter parmi ses ancêtres Aimard de
Roncherolles, lequel aurait, en 845, combattu contre les Normands.
La baronnie, confisquée en 1419 lors de l'occupation anglaise, fut rendue,
en 1449, à la maison de Roncherolles qui la conserva pendant trois siècles
et demi et fournit treize seigneurs. Guillaume, fils de Jean et d'Isabelle
de Hangest, chambellan du roi, périt, en 1415, à la bataille d'Azincourt;
Louis, fils de Guillaume et de Marguerite de Léon, fut chambellan de Charles
VI; Pierre, fils de Louis et d'Isabeau de Rouville, chambellan des rois
Charles VII et Louis XI, hérita de son père en 1451. Louis, son successeur,
était chevalier de l'Ordre du roi, son conseiller et chambellan, et
gouverneur de Péronne, Roye et Montdidier. Après lui vint Philippe,
chevalier de l'Ordre du roi, capitaine des villes et châteaux de Caen et de
Pontoise. Il acquit, le 25 juin 1548, de Charles de Luxembourg, seigneur de
Martigues, et de Claude de Foix, la demi-baronnie de Pont-Saint-Pierre qui
n'avait pas été comprise dans la donation faite par Philippe-Auguste à
Aubert de Hangest. Elle était passée dans les familles de Léon, puis de
Rohan, et avait été possédée, au moins en partie, pendant quelques années
par Olivier le Daim, valet de chambre de Louis XI. Philippe de Roncherolles
obtint de Charles IX des lettres de réunion, en 1567. Pierre de Roncherolles,
fils de Philippe, seigneur et baron de Pont-Saint-Pierre, chevalier de
l'Ordre du roi, capitaine de cinquante hommes d'armes de Sa Majesté,
sénéchal de Ponthieu, fut député de la noblesse pour le bailliage de Rouen
aux États de Normandie en 1576, 1583 et 1605, et, en 1614, aux Etats
généraux à Paris, où il prononça une harangue, le 27 octobre, en la salle du
Petit-Bourbon, à l'ouverture des États. Henri III, par lettres patentes de
mars 1577, enregistrées en Parlement, lui avait confirmé la qualité de
conseiller d'honneur-né au Parlement de Normandie, que les barons de
Pont-Saint-Pierre, aînés de la maison de Roncherolles, avaient toujours eue,
et le droit de siéger au Parlement avec voix délibérative.
Pierre constate ce droit dans son aveu de 1600: "a cause de ladite baronnye
(de Pont-Saint-Pierre) et comme aisné de nostre maison, avons droict de
sceance en la Cour de Parlement, à Rouen, comme estant conseiller-né en
icelle, duquel droict nous avons toujours jouy et nos prédécesseurs, barons
dudit Pont-Saint-Pierre, tant du temps de l'eschequier de Normandie que de
toute ancyenneté et jusques à présent, au veu de tous les officiers de Sa
Majesté, sans aucun contredit". Les Roncherolles seuls, dans la noblesse de
la province, avaient conservé cet honneur, dernier reste des "comparences"
des prélats et des barons normands aux anciens échiquiers temporaires. En
vain les barons d'Heuqueville-en-Vexin voulurent-ils le leur disputer. Les
rois et le Parlement se déclarèrent pour les Roncherolles. "Ce privilège
était cher à cette noble famille, dit M. Floquet; l'aîné des Roncherolles,
son père étant mort, le réclamait presque aussitôt et demandait qu'on l'en
mît en possession. Au jour fixé pour sa réception à cette dignité, on voyait
ce descendant des barons de Roncherolles entrer dans la chambre du Conseil,
habillé de noir, revêtu d'un manteau noir, garni de dentelle d'or, au collet
plissé orné aussi de dentelle d'or, ayant sur la tête un chapeau garni d'une
plume blanche. A genoux dans les commencements, debout dans les derniers
temps, la main levée, il prêtait son serment, semblable à peu près à celui
des archevêques de Rouen et abbés de Saint-Ouen, conseillers d'honneur.
Reprenant alors son épée, qu'il avait déposée en entrant, et la ceignant à
son côté, il s'allait asseoir après les présidents, mais au-dessus du doyen
des conseillers et opinait avant lui". Les lettres patentes de Henri III,
confirmées par Louis XIII le 20 mars 1623, le furent de nouveau en février
1692, par lettres de Louis XIV, au profit de Claude de Roncherolles, en
faveur duquel il avait érigé la terre de Pont-Saint-Pierre en marquisat.
Le roi donna ces lettres de confirmation "pour gratifier et favorablement
traiter tous ceux de la maison de Roncherolles très illustre tant par sa
très haute noblesse et son ancienne chevalerie, que par les grandes charges
que plusieurs qui en ont esté ont possédé dans nostre royaume depuis plus de
huit cens ans et les importans services qu'ils ont rendus à nos
prédécesseurs roys et à la couronne avec un zèle et une fidélité toujours
inviolables mesme depuis notre advenement à la dite couronne dans les temps
les plus difficiles". Claude de Roncherolles, chevalier, prenait les titres
de marquis de Pont-Saint-Pierre, premier baron de Normandie, conseiller-né
au Parlement, seigneur baron d'Écouis, seigneur de Pitres, Romilly, Douville,
etc. En 1683, il hérita du marquisat de Mainneville, que lui avait légué
Michel de Roncherolles. Il mourut en 1700. Le 12 mars 1760, Michel-Dorothée
de Roncherolles, lieutenant-général des armées du roi, du consentement de
son frère Edouard, vendit la terre et baronnie de Pont-Saint-Pierre au
marquis de Montesquiou, en réservant, pendant leur vie, à lui et à son
frère, le titre de marquis de Pont-Saint-Pierre, et à toujours pour leur
maison celui de conseiller-né au Parlement de Normandie. Antoine-Louis
Caillot de Coqueromont, chevalier, président en la Cour des comptes, aides
et finances de Normandie, acheta, le 24 septembre 1778, ce domaine qui
passa, par le mariage de sa fille Marie-Louise avec Jean-François d'Houdemare,
chevalier, seigneur de Vandrimare, dans la famille de ce dernier,
représentée à la fin du XIXe siècle par son arrière-petit-fils, le baron
J.-R. d'Houdemare. (1)
château de Pont Saint Pierre 27360
Pont-Saint-Pierre, propriété privée, ne se visite pas, l'édifice semble
abandonné aujourd'hui (photos réalisées en 2020).
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Viviane-Elisabeth Tassel pour les photos qu'elle nous a adressées afin
d'illustrer cette page.
A voir sur cette page "châteaux
de l'Eure" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
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