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Orderic Vital
nous apprend que, vers la fin du XIe siècle, on voyait au Grand-Andelys, sur
la rive droite du Gambon, non loin de l'église, un manoir seigneurial avec
fortifications, appartenant à l'archevêque de Rouen, Guillaume Bonne-Ame. Ce
manoir fut pris par Louis le Gros, qui en chassa les troupes de Henri 1er,
roi d'Angleterre, en 1119, peu de temps avant la bataille de Bremulle.
L'année suivante, par le traite de Gisors, Andely revint aux Anglais; mais,
en 1167, Louis VII incendia la ville pour en chasser les troupes de Henri II,
roi d'Angleterre. La lutte reprit avec plus d'ardeur sous Philippe-Auguste
et Richard Coeur de Lion. Par le traité de paix signe le 5 décembre 1196,
les deux monarques remirent le fief d'Andely à l'archevêque Gautier de
Coutances, sous certaines conditions. Ce prélat n'admettant pas le traité,
jeta l'interdit sur cette partie de la Normandie; mais, comme il ne put
s'entendre avec Richard sur le partage de ce qui leur révélait, tous deux
sollicitèrent l'intervention du pape, Célestin III, qui leva l'interdit le
29 avril 1197. Pendant les négociations, Richard avait fait des
retranchements et jeté les fondations de la forteresse qui devait s'appeler
plus tard le Château-Gaillard. L'archevêque de Rouen céda le domaine d'Andely
à Richard et, par le traité du 16 octobre 1197, il reçut en échange les
domaines de Dieppe, Bouteille, Louviers, la foret d'Aliermont et les moulins
de Rouen qui appartenaient au roi d'Angleterre: cet échange fut approuvé par
une bulle du pape Innocent III, datée du 26 avril 1198. Richard commença par
donner plus d'importance aux retranchements que l'archevêque Gautier avait
établis dans une île en face du Petit-Andely; il y fit faire des logements
pour une garnison, le tout entouré d'une enceinte de murs de près de deux
mètres d'épaisseur, formant une ligne brisée de vingt-deux côtés: dans le
sens de la longueur, le diantre de la citadelle mesure 70 mètres, et dans la
largeur 47 mètres.
Les murs entourés de fosses, aujourd'hui rebouches, étaient protégés à
l'ouest par une haute palissade sur talus, au centre duquel devait exister
un petit mur se reliant aux portes; on voit encore le fossé et ce talus, qui
renferme des fondations en moellons dont la présence serait difficile à
expliquer autrement. Un pont de bois jeté sur les deux bras du fleuve, pour
unir l'île aux deux rives, et deux portes défendues chacune par deux tours,
permettaient à la garnison d'aller et de venir. Nous avons pu retrouver
l'emplacement de ces tours, qui sont aujourd'hui recouvertes de près d'un
mètre de terre. Par les très basses eaux on voyait encore, il y a quelques
années, une pile qui servait à attacher contre l'île le pont du côté de
Bernières. On voit également, un peu au-dessus du niveau du cours de la
Seine, la base de l'éperon qui servait à maintenir l'autre partie du pont
contre le quai du Petit-Andely: cet éperon mesurait 21 mètres de longueur et
20 de saillie; sur le côté sud était un escalier qu'on retrouverait sous les
terres d'alluvion: cet escalier et cet éperon, qui gênaient le halage des
bateaux, furent rasés en 1850. Sur le terre-plein fermant la vallée du
Gambon, Richard fit tracer, en 1196, une vaste enceinte qui renferma bien
vite quelques milliers d'habitants. Elle répondait à peu près au
Petit-Andely actuel, mais à cette époque elle portait le nom de la Coulture,
qui devint ensuite Andely-le-Jeune. C'était un quadrilatère défendu à
l'ouest par la Seine: le mur de ce côté allait du pied de la falaise,
c'est-à-dire de la porte Saint-Jacques, au pied du Château-Gaillard. La
route de Vezillon se trouvait fermée en cet endroit par la porte Pinaude,
dite Hasard: elle était défendue par deux tours dont les fondations
existaient encore vers 1850.
Le mur d'enceinte remontait à angle droit pour se rattacher, près de la tour
du Colombier, à l'ensemble de la forteresse; mais une autre partie
s'avançait à quarante mètres plus loin, jusqu'au chemin qui conduit au pont
actuel: on a construit récemment sur ses fondations un mur qui sert de
limite aux jardins conquis sur l'ancien bras du Hamel. Le long de ce bras de
la Seine et le mur existait un chemin pavé qui a été retrouvé en 1893. A
l'est, le mur était défendu par le Vivier, qui couvrait toute la partie
inférieure de la vallée et dont les eaux se déversaient dans la Seine par
deux bras traversant le Petit-Andely et passant sous deux ponts, qui furent
encastrés dans le quai construit au commencement du XIVe siècle par
Enguerrand de Marigny. L'un correspond au pont actuel de l'hospice, et à
cinquante mètres de l'éperon du Pont-de-l'Isle, se trouvait un autre canal
voûté portant encore, dans ces dernières années, le nom de barbacane; quant
à l'autre, c'est le pont actuel sous lequel débouche le Gambon dans la
Seine. Cette embouchure fut modifiée par Richard lorsqu'il établit le
moulin. Près de ce pont et du moulin, on voit encore les vestiges du mur
d'enceinte qui remonte le long du chemin du Château-Gaillard. Une chapelle
était adossée à ce mur; elle servit de prison jusqu'à la Révolution. Un peu
plus haut, on voit les fondations d'une tour carrée dont la partie haute a
été transformée. Le mur d'enceinte redescend, mais il se perd près du
cimetière du Petit-Andely. Ces quelques murailles n'auraient pas suffi à
arrêter une armée nombreuse; c'est pourquoi Richard avait choisi la colline
abrupte qui prit, à cause de sa situation, le nom de Château de la Roche.
Il fit d'abord pratiquer dans le promontoire qui communique avec la plaine
une large tranchée de 16 mètres de large et d'environ 13 mètres de
profondeur. A l'extrémité sud et en dedans du fossé, il éleva une première
enceinte triangulaire de 47 mètres de longueur sur 28 de largeur, ayant à
ses trois sommets et sur ses flancs de très fortes tourelles. Au Sud-Est,
dans la grosse tour qui porte, on ne sait pourquoi, le nom de tour de la
Monnaie, on voit au centre les traces d'une porte ainsi qu'un escalier en
spirale: il était construit dans l'épaisseur du mur et devait servir aux
défenseurs à porter rapidement au sommet des murs les projectiles destinés à
défendre ce point, le plus vulnérable de toute la forteresse: c'est le seul
escalier en maçonnerie dont on ait retrouvé les traces. Le diamètre de cette
tour est de 3 m 80 et l'épaisseur des murs de 4 mètres; près de cette tour
on voit encore une large fenêtre à embrasure. Dans l'angle Est de l'ouvrage
existait une porte défendue par une petite tour qui lui était accolée et qui
a pu servir à abriter un escalier; dans ses murs on voit encore la cheminée
qui servait à chauffer le corps de garde attenant. Cette porte avait
l'orientation et les dimensions de celle qui se voit dans la seconde
enceinte. On se demande où pouvait s'appuyer le pont qui couvrait le fossé,
lequel a près de vingt mètres de largeur; on ne voit pas non plus de traces
pour le passage des flèches de bascule, ce qui ferait croire qu'à cette
porte, comme à celle de la seconde enceinte, on avait établi un pont volant
en bois qui pouvait être détruit à la première alerte. Près de cette porte,
M. Malençon a découvert, en 1885, les bases d'un escalier en hélice qui
conduisait aux murs supérieurs. Quant à l'angle ouest de cet ouvrage, il
pouvait être défendu par une tour; mais les démolitions opérées au début du
XVIIe siècle ont tellement altéré même les fondations, qu'il est impossible
de s'y reconnaître.
Néanmoins, puisque le côté oppose est resté plat à l'est, on peut aussi
supposer qu'il n'y avait rien à l'ouest; les deux tours d'en face
suffisaient, du reste. A l'intérieur de cet ouvrage avancé existaient
quelques logements dont on retrouve les fondations et une sorte de silo. Un
large fossé séparait ce premier ouvrage de la forteresse proprement dite; ce
fossé fut continué sur le flanc ouest pour rendre cette partie du coteau
tout à fait inaccessible; un pont volant en bois reliait l'ouvrage avancé
avec la citadelle. La partie de la première enceinte de la citadelle située
le long de ce fossé avait une épaisseur de près de 9 mètres et de 2 m 60
seulement sur les côtés; les angles étaient protégés par des tours très
épaisses de trois mètres de diamètre: on reconnaît parfaitement leurs
fondations à l'est, tandis qu'à l'ouest, les deux moitiés des murailles
s'appuient l'une contre l'autre. Le mur se prolongeait à l'ouest, en ligne
droite, jusqu'en face du donjon, où il s'insérait à la moitié d'une tour
carrée de six mètres de côté avec des angles abattus, percés de meurtrières
évasées. Le mur longeait ensuite à peu près parallèlement la base de la
seconde enceinte, à cinq mètres de distance. Presqu'en face du donjon devait
se trouver une petite porte permettant de descendre à la Seine par un chemin
taillé dans le roc. De ce côté, on voit encore un pan de mur s'insérant dans
les rochers près des tours carrées: quoique ce côté soit abrupt, on l'avait
rendu imprenable au moyen de ces murailles. C'est contre ce mur et près de
la tourelle que se voient plusieurs logements, destinés sans doute aux
officiers; la partie supérieure est désignée comme ayant servi de chapelle.
Ces constructions étaient éclairées par une double rangée de fenêtres dont
trois petites et une quatrième plus large. Selon Guillaume le Breton, cet
édifice était le plus haut du château, et il avait été construit par Jean
sans Terre.
La première enceinte se poursuivait à l'est, mais c'est à peine si les
fondations apparaissent au bord des fossés. Une tour carrée pouvait protéger
le pilier d'abatage du pont de la seconde enceinte et faire pendant à celle
qui existe à l'ouest. De même qu'au nord, à vingt mètres environ de son
point d'insertion avec les tours carrées, il pouvait se trouver une tour;
mais dans l'éboulis et les larges fondations, il est impossible de la
reconnaître. Le point de contact de cette première enceinte se voit encore
très distinctement, ainsi que les corbeaux de pierre qui soutenaient le
chemin de ronde se rendant par la petite poterne, dans la seconde enceinte.
Au-dessus de la pile d'abatage du pont, on voit un chemin pavé qui s'arrête
en face de la porte de la seconde enceinte et se trouvait encastré entre
deux murailles; il va de ce point vers le nord sur une longueur de 27
mètres; il a été découvert en 1885, lors des fouilles de M. Malençon. Au
fond du fossé qui sépare la première de la seconde enceinte et dans la paroi
sud existent encore de très belles caves taillées dans le roc et supportées
par dix-huit piliers dont l'un est octogonal: de chacun de ses côtés
partent, en rayonnant, des arcs-doubleaux. Ces caves très pittoresques ont
un véritable attrait pour le visiteur; elles portaient primitivement le nom
de Basse-Cour. Deux caveaux plus longs, aujourd'hui bouchés par des
éboulements, se voyaient dans la partie ouest; M. Deville, dans son Histoire
du Château-Gaillard, prétend les avoir vus en 1820. Au-dessus et en arrière
de ces caves, dans la cour, se voit une cavité rebouchée: c'est là que se
trouvait le puits destiné à alimenter la garnison, et dont la profondeur
devait être d'environ 80 mètres. Il en existait un semblable dans la
citadelle, non loin de la porte.
La seconde enceinte est remarquable par ses bossages, qui sont au nombre de
dix-sept: ce sont des segments de cercle ayant trois mètres de corde et qui
sont séparés par des portions de courtine ayant un mètre, et formant à
l'intérieur une série de pans coupés. Ces murailles, de quatre mètres
d'épaisseur et qui devaient avoir au moins dix mètres de hauteur, étaient
surmontées de mâchicoulis ou de bretèches. On retrouve sur quelques points
des consoles de pierre qui ont dû servir à supporter des chemins de ronde en
bois. Cette disposition en bossages a été employée également au XIIe siècle
à Cherbourg. La porte d'entrée principale était défendue par une double
herse, ainsi que par des vantaux et gardée par deux postes intérieurs encore
très bien conservés. Cette porte est formée d'une arcade en tiers-point,
ornée d'un simple rang de claveaux à l'extérieur et de quatre rangs de
voussures prismatiques à l'intérieur. Primitivement, on franchissait le
fossé sur une arche naturelle ménagée dans le roc, nous dit Guillaume le
Breton; plus tard, Philippe-Auguste la démolit et la remplaça par un pont
mobile en bois; c'est ce qui explique pourquoi on ne voit pas les ouvertures
pour le passage des flèches de bascule du pont-levis. La pile que M.
Malençon a retrouvée en face de la porte a pu servir à supporter ce pont de
bois, pour lui donner une portée un peu moins longue, cette distance étant
d'environ sept mètres. Pour pénétrer dans cette enceinte, on a installé un
escalier qui monte à une petite poterne destinée primitivement à la faire
communiquer avec le chemin de ronde de la première enceinte. Cette porte se
compose d'une archivolte en ogive, d'un tympan uni et d'un linteau supporté
par deux consoles à moulures reposant sur deux pieds-droits carrés. Les
dernières marches du haut, qui sont taillées dans le roc, datent de la
construction et conduisaient à droite aux deux appartements du gouverneur;
ils avaient un second étage. On remarque encore deux cheminées et la seconde
rangée de fenêtres du second étage.
On pouvait descendre, du côté ouest, à la première enceinte, par un escalier
de dix-neuf marches taillées dans le roc, ou descendre au moyen d'une
échelle dans les tours carrées du nord et de là gagner la tour du
Pigeonnier. Près de la petite poterne, on voit encore deux tours carrées; le
rez-de-chaussée de la première était affecté aux besoins intimes, tandis que
le premier étage, éclairé par deux meurtrières, communiquait avec
l'appartement du gouverneur et lui permettait de surveiller et de défendre
le côté nord, la première enceinte et la poterne. Une tour plus large était
adossée sur le devant; elle faisait saillie sur la première enceinte; à
l'intérieur se trouvait un escalier permettant de descendre sous la première
enceinte du côté de l'ouest et de se rendre au Pigeonnier. Il est bien
difficile d'attribuer une destination aux appartements qui occupaient toute
la cour; leurs fondations ont été retrouvées en 1885, lors des fouilles de
M. Malençon. A droite de la porte, dans les tas de terre et de blocage
provenant des démolitions, il découvrit plusieurs squelettes et des débris
de poterie en grès du XIe ou XIIe siècle, ainsi qu'une vingtaine de disques
en métal uni qui ont pu servir de poids, si on en juge par les points qui
devaient correspondre à des numéros. Pour compléter la défense, un donjon
circulaire fut construit à l'intérieur de la cour; il est composé d'une tour
engagée à l'ouest dans le mur de la seconde enceinte; sa partie Est,
renforcée par un éperon rectangulaire, est située en face de la porte. Le
mur de ce donjon a environ 6 mètres d'épaisseur sur ce point et 4 mètres
dans les autres parties. De plus, on remarque des contreforts dont la forme,
d'après
Eugène Viollet-le-Duc, serait
due à Richard; ils sont plus larges au sommet qu'à la base, s'appuient sur
une surface inclinée de haut en bas, et vont en s'élargissant à la partie
inférieure, ce qui favorisait les ricochets des projectiles.
Un escalier faisait communiquer le donjon avec les appartements du
gouverneur par la porte-fenêtre du premier étage. Le rez-de-chaussée était
éclairé par une seule fenêtre en tiers-point située à l'ouest, et le premier
étage avait deux fenêtres semblables, séparées chacune par un meneau en
pierre et divisées par des barreaux de fer dont on voit encore les
scellements. Au niveau du premier étage partait le chemin de ronde crénelé
qui dominait les murs et contournait le logement du gouverneur. D'après
Viollet-le-Duc, un second étage existait au donjon et contenait les
munitions; enfin un troisième étage; crénelé et couvert, commandait le
chemin de ronde et servait de poste d'observation; ces trois étages étaient
séparés par des planchers et on y accédait par un escalier en bois. C'est
sans doute du haut de ce donjon que Richard, émerveillé de son travail et
voyant l'étendue de terrain qu'il dominait, se serait écrié: "Qu'elle est
belle, ma fille d'un an !". Au pied du château et perpendiculairement au mur
qui descend du Pigeonnier, existait une muraille très épaisse au pied de
laquelle était un chemin pavé, tous deux retrouvés en 1894, le long de la
route actuelle. Un peu en avant du mur se trouvait la porte Pinaude dont
nous avons parlé précédemment. Pour empêcher les bateaux de descendre la
Seine, Richard fit planter dans le fleuve, à partir de ce point, une triple
rangée de pieux. Afin d'augmenter encore l'importance de ces fortifications,
une motte fut créée en amont de Cléry; elle porte aujourd'hui le nom de
Muret. Sur le milieu s'élevait une tour construite en moellons et silex avec
angles en pierre; un pont venait s'abattre sur un terre-plein édifié au
nord; il a été en partie nivelé. On distingue encore les fondations de cette
tour; le fossé qui l'entoure est aujourd'hui rempli d'eau de source.
La forteresse que nous venons de décrire s'appelait primitivement le Château
de la Roche, nom qui devint successivement le Château-Gailard, Galard,
Guallard et Gaillard, parce que, peu après sa construction, Richard s'était
écrié, parait-il, à la vue de cette hardie construction: "C'est un château
gaillard". Philippe-Auguste, averti de la dérogation faite au traité
d'Issoudun, accourut et installa un fort dans l'Ile aux Bœufs, en face
Notre-Dame de l'Isle. On en voit encore les fossés et les talus. Cette
forteresse portait le nom de Goulet (Guletus, Goleton), nom qui est resté au
village construit en face, sur la rive gauche de la Seine. Ce fortin fut
démoli en 1422 par Henri V, roi d'Angleterre. Pour répondre aux menaces de
son rival, Richard fit construire à 4 milles du Petit-Andely, à la limite
des deux provinces, au bord de la Seine, un petit fort auquel il donna le
nom de Boutavent. Certains pans de murs se voient encore non loin du château
moderne et en face du donjon rectangulaire de l'île de Tosny. En septembre
1198, Philippe-Auguste vint mettre le siège devant le Château-Gaillard; mais
il fut surpris par Richard auprès de Courcelles en Vexin, et poursuivi
jusqu'à Gisors. Dans leur fuite, les troupes du roi se pressaient tellement
en arrivant à Gisors que le pont se rompit et le roi fut précipité avec ses
hommes dans l'Epte où il faillit se noyer. Par le traité de paix signé aux
environs de Port-Mort, le pape Innocent III obtint des deux monarques une
trêve de cinq années. A peine Richard avait-il tourné ses pas du côté de
l'Aquitaine que Philippe-Auguste construisit, sur la falaise qui fait face
au village de Notre-Dame-de-la-Garenne, un fortin qui prit le nom de
Chàteau-Neuf et dont on retrouve encore quelques pans de murs. Quelque temps
après, Richard mourait en avril 1199, blessé au siège de Chaluz, dans le
Limousin.
Suivant l'usage du temps, le corps du roi, après avoir été privé de ses
intestins, fut salé et enterré près de celui de son père, à l'abbaye de
Fontevrault; son cœur fut placé dans une urne de plomb et déposé à la
cathédrale de Rouen. Gautier de Giseborn et J. Raveneau, moine de
Saint-Wandrille, ont prétendu que Richard aurait été tué devant le
Chateau-Gaillard qui avait été pris par surprise par Philippe-Auguste en
1199. Mais cette version nous paraît rien moins que certaine. Le
Chateau-Gaillard n'avait pas changé de mains, puisque Jean sans Terre, frère
de Richard, a daté une charte de la Roche d'Andely au mois d'août de la même
année et que, le même jour, il eut une entrevue près de Port-Mort avec
Philippe-Auguste. Jean sans Terre ayant refusé de comparaître devant
Philippe-Auguste à la suite du meurtre d'Arthur de Bretagne, le roi en
profita pour le citer à sa barre, et n'ayant pas reçu de réponse, il se
servit de cet acte de félonie pour venir assiéger Boutavent, dont il
s'empara après trois semaines, en août 1203, et qu'il détruisit de fond en
comble. Pour faire diversion, il prit successivement les châteaux de
Longchamp, Lyons, Gournay, Argueil, La Ferté en Bray, Conches et Verneuil.
Ayant ainsi isolé le Château-Gaillard, il se présente devant cette
forteresse; son armée était massée entre Bernières et Tosny. Le pont qui
faisait communiquer les deux côtés de la rivière fut détruit aussitôt par
les Anglais. Afin de permettre à ses bateaux de descendre la Seine,
Philippe-Auguste fit rompre, sous les traits des assiégés, la triple
palissade qui barrait le cours du fleuve. A l'aide de péniches coulées à
fond et de pieux, il parvint à reconstruire un pont un peu au-dessous des
remparts du château, à la pointe de l'île, et fit passer sur la rive droite
une partie de son armée pour aller se ravitailler dans le Vexin.
Il installa ensuite en face de cette enceinte, sur quatre gros bateaux, de
hautes tours d'où ses hommes criblaient de flèches l'intérieur de la
forteresse. Jean sans Terre, remis de sa première émotion, vint à bout
cependant de rallier ses vassaux et de former une armée destinée à
ravitailler le fort de l'île et à briser le ponton. Il profita de la nuit
pour attaquer, près de Bernières, le camp de Philippe-Auguste, dont
l'escorte, qui était en état d'ivresse, ne résista pas. Cependant le roi
survint, aidé de ses lieutenants, et rallia les fuyards; mais les Anglais
voulaient rompre le pont, et c'est avec beaucoup de peine qu'à la lueur des
torches et, après des efforts inouïs, Philippe parvint à repousser l'ennemi.
A peine l'armée française avait-elle pu se reposer quelques heures, qu'aux
premières lueurs du jour, les sentinelles annoncèrent la flotte anglaise qui
remontait rapidement la Seine. Se tenant au milieu du fleuve, elle put
s'approcher du ponton, et, sans des prodiges de valeur et de grosses poutres
qui furent lancées des tours sur les bateaux et les firent couler, c'en
était fait du ponton. Aussitôt quelques braves dont Gaubert était du nombre,
poursuivirent les bateaux Anglais et arrivèrent à prendre deux navires. Ce
guerrier, qui s'était déjà signalé, vint rendre le plus grand service. Ayant
garni de bitume des charbons ardents qu'il enferma dans des vases et les
ayant attachés autour de lui, il plongea secrètement et vint les placer à la
pointe orientale de l'île sur la double palissade de pieux qui entourait la
forteresse. Le vent aidant, ces pieux s'embrasèrent si bien que le feu gagna
les tours, et la fumée, chassée dans les murs, força les assiégés de sortir.
Ceux-ci se précipitèrent dans des barques vers le Petit-Andely; mais
poursuivis immédiatement par les Français, tous sont faits prisonniers; les
autres, qui étaient demeurés dans l'intérieur des murs, se rendirent.
Aussitôt, le roi fit éteindre le feu, et son premier soin fut de faire
réparer les dégâts occasionnés au château par le siège; il y mit ensuite une
garnison. Les habitants du Petit-Andely, voyant ces préparatifs et peu
confiants dans leurs remparts, abandonnèrent leurs maisons et montèrent
s'enfermer dans la citadelle. Philippe alors s'empara de la ville et y logea
une partie de son armée; il fit ensuite creuser un double fossé à une
certaine distance pour entourer la forteresse. Ces fossés, existent encore
sur les arêtes des deux coteaux voisins et dans le petit bois qui domine le
château. Entre ces fossés, sur un massif de terrain, s' élevaient à égale
distance quatorze tours de bois; le roi les garnit de soldats ainsi que les
intervalles, où le reste de l'armée se construisit des huttes pour hiverner.
Ainsi cerné, le gouverneur de la citadelle, Roger de Lasci, fit sortir une
première fois cinq cents personnes dont la présence était inutile pour la
défense. Philippe-Auguste informé, décida qu'à l'avenir on ne laisserait
sortir personne afin qu'en consommant ses vivres la garnison fût amenée à se
rendre plus vite. Cependant les ressources diminuaient si rapidement que le
gouverneur, après avoir examiné ceux qui pouvaient seuls lui être utiles,
fit encore sortir douze cents personnes de tout âge et de tout sexe. A peine
ceux-ci avaient-ils dépassé les portes, qu'elles se refermèrent sur eux et
qu'ils furent repoussés du camp opposé par les flèches des assaillants. Les
malheureux vinrent heurter aux portes pour rentrer, mais ils furent tenus à
distance des murs à coups de pierre. Alors commença pour eux pendant trois
mois une existence atroce; chassés des deux côtés, sans vivres et sans abri,
sous la pluie et le froid, ils se réfugièrent au fond d'un vallon étroit où
ils furent réduits à se nourrir d'herbes, puis de chiens; ils en vinrent
même à dévorer un enfant dont une malheureuse femme était accouchée.
Un jour Philippe-Auguste, en venant de Gaillon, passa auprès d'eux en
inspectant les travaux du blocus: ils se jetèrent à ses genoux et le
supplièrent de mettre fin à leurs misères. Le roi, saisi de pitié, ordonna
de leur distribuer autant de vivres qu'ils en désireraient et de leur donner
leur liberté; mais leur estomac avait tellement souffert de la faim que
beaucoup moururent. Cependant, lassé de voir les opérations traîner aussi
longtemps, le roi ordonna de tenter l'assaut; pour cela il fit établir un
chemin couvert, de façon à s'approcher de la grosse tour située au sud et
fit combler les fossés du château avec des fascines et des mottes de gazon,
en ayant soin de protéger les ouvriers par des palissades. Il fit
construire, avec de gros arbres abattus dans les bois voisins, un beffroi
monté sur quatre roues; du haut de cette tour, qui dominait même les
murailles de la forteresse, Blondin, Périgues et d'autres archers très
habiles criblaient les assiégés de traits meurtriers. D'autres, munis de
leurs frondes, lançaient des pierres; le roi lui-même encourageait leur
ardeur et revint plus d'une fois son bouclier tout hérissé de flèches. De
l'intérieur du château, un pierrier et un mangonneau lançaient sur les
assaillants des grêles de pierres et les archers renvoyaient les flèches qui
leur étaient adressées. Lorsque le fossé fut à peu près comblé, les
assaillants appliquèrent leurs échelles vers l'autre bord du talus,
au-dessus duquel était bâtie la grosse tour d'angle dont nous avons parlé
ci-dessus. Mais les échelles se trouvèrent beaucoup trop courtes même pour
arriver au pied des murailles. Alors, fichant leurs poignards dans la
pierre, ils arrivèrent à se hisser jusqu'au pied des murailles; puis, se
couvrant de leurs boucliers, ils aidèrent leurs amis à monter et
commencèrent à miner le pied des murs, les soutenant avec des pièces de bois
pour empêcher qu'ils ne vinssent à s'écrouler sur eux.
Dès que la brèche fut assez profonde, ils mirent le feu aux boiseries et se
retirèrent. Quelque temps après, l'enceinte s'écroulait avec un fracas
formidable. Cadoc, un des plus braves officiers de Philippe, se précipita
alors sur les ruines au milieu de la poussière, et planta sa bannière sur le
point le plus élevé. Mais, malgré leur élan, les assaillants furent arrêtés
par un fossé et une autre enceinte dans laquelle la garnison de Roger
s'était précipitamment enfermée. Cependant les servants d'armes, Bogis,
Eustache, Manassés, Ori, Gravier et autres, cherchaient le moyen de pénétrer
dans ces murs. A l'ouest, le roi Jean avait fait construire, l'année
précédente, un bâtiment contigu à la muraille; la partie basse servait à
divers usages et l'étage supérieur de chapelle. Justement, dans la partie
basse s'ouvrait une large fenêtre. Bogis, se hissant sur le dos de ses
collègues et s'accrochant aux pierres, arrive à la fenêtre, et, pénétrant
dans l'appartement, attache une corde pour faciliter l'escalade du reste de
la troupe. Mais les portes étant fermées, ceux-ci les frappent avec leurs
épées, en poussant de grands cris. Pour chasser les assaillants, des
fascines sont mises contre les murs et contre les portes: les flammes
montent jusqu'aux toits, mais brusquement le vent les pousse dans
l'enceinte. Les portes étant tombées sous l'action des flammes, les
assaillants se précipitèrent dans l'enceinte. Aveuglés par la fumée et les
flammes, les assiégés se réfugièrent en toute hâte dans les caves, près des
fossés. Pendant ce temps, Bogis et ses compagnons coupent les attaches du
pont-levis, ce qui permet aux assiégés d'envahir l'enceinte et de forcer
ceux qui s'étaient réfugiés dans les caves de se sauver et de regagner en
toute hâte la seconde enceinte. A la suite de ces divers assauts, la
garnison de Roger se trouva réduite à cent quatre-vingts hommes. Les
assaillants, excités par leurs succès et les pertes de leurs adversaires,
lancent aussitôt des poutres contre la porte qui donnait accès dans la
dernière enceinte; mais une mine faite par les assiégés les force à se
retirer.
Cependant Philippe fait approcher d'abord un mantelet pour couvrir ses
mineurs et une catapulte, laquelle, à force de battre les murs, les
disloque, et élargissant la mine que les assiégés avaient faite, arrive à
faire une brèche qui permet de tenter l'assaut. Il fut aidé dans ce travail
par le pont taillé dans le rocher que Richard avait malheureusement laissé.
Un corps à corps général se produisit: accablé par le nombre, Roger fut
obligé de se rendre, le 6 mars 1204. A cause de sa bravoure, il obtint du
roi, lui et ses compagnons, sa liberté. Aussitôt la bannière royale aux
fleurs de lis d'or, en se déployant au sommet du donjon, annonce que cette
forteresse était passée aux mains des Français. Les diverses enceintes
souffrirent beaucoup du feu et de la mine, cependant, après la prise du
château, le roi mit peu de temps a le remettre en état de défense, ce qui
prouverait que les dégâts n'étaient pas très importants. Le roi
d'Angleterre, à la nouvelle de cet échec, fit démanteler les forteresses de
Pont-de-l'Arche, de Moulineaux et de Montfort, et ayant fait ses adieux a
ses troupes, il s'embarqua pour l'Angleterre. Après la prise du château, un
certain nombre de faits intéressants se passèrent dans ses murs. On voit,
dans le recueil des historiens des Gaules, que la reine Marguerite de
Provence, épouse de Louis IX, séjourna au Château-Gaillard entre la
Chandeleur et l'Ascension de l'année 1234. A son retour de la croisade, en
mars 1256, le roi y vint encore et y signa une charte en faveur d'un de ses
sergents. Au mois d'août de la même année, il y revint encore, ainsi qu'aux
mois d'août 1261 et 1262, où il signa de nouvelles chartes. Le roi Philippe
IV, dit le Bel, séjourna aussi au Château-Gaillard en août et septembre 1306
et en juin 1311.
En 1314, ses trois belles-filles furent accusées d'adultère: Jeanne de
Bourgogni fut reconnue innocente, mais ses belles-soeurs Marguerite et
Blanche furent enfermées au Chateau-Gaillard, recouvertes de vêtements
grossiers, tondues et jetées dans un cachot. Louis X le Hutin, étant monté
sur le trône et ayant voulu se remarier, le clergé n'admit pas son mariage
avec Clémence de Hongrie. Mais, après quelques intrigues avec le pape, il ne
résolut rien moins pour recouvrer sa liberté que de faire mourir sa femme
Marguerite. Il envoya donc quelques émissaires dévoués qui, s'étant
introduits auprès d'elle, et malgré ses vingt ans, sa beauté, ses larmes et
ses prières, l'étranglèrent avec le drap qui devait lui servir de linceul.
Les pénitents d'Heurgival, près Vernonnet, vinrent prendre le corps de la
reine et lui firent de pompeuses funérailles dans leur chapelle. Cette mort
tragique a été contestée, quoique la plupart des historiens du temps la
confirment. Charles IV, étant devenu roi, obtint son divorce avec Blanche,
sa femme, en juin 1322. Quatre mois après, il épousait la fille de
l'empereur Henri VII. Blanche resta encore quelque temps au Chateau-Gaillard,
qu'elle ne quitta que pour se rendre au château de Gavrai, en
Basse-Normandie, et de là à labbaye de Maubuisson, près Pontoise: lieu qui
avait été le théâtre de ses amours adultères; c'est là quelle mourut en
1326. Quant à Philippe et Gautier d'Aulnay, séducteurs des deux jeunes
princesses, ils furent écorchés vifs sur la place publique de Pontoise; les
autres personnes qui avaient été accusées d'avoir favorisé ces amours
criminelles subirent la torture. En 1334, David Bruce, fils de Robert Bruce,
roi d'Écosse, jeune homme d'environ treize ans, et sa femme, soeur du roi
d'Angleterre, furent conduits secrètement en France pour éviter les
poursuites de leurs adversaires, le roi d'Angleterre et Édouard de Bailleul.
Le roi de France, Philippe de Valois, qui les reçut, fit faire pour eux
quelques réparations au Chateau-Gaillard, où ils demeurèrent sept ans.
En 1355, le roi Jean ayant fait saisir Charles II le Mauvais, roi de Navarre
et comte d'Évreux, le fit enfermer aux Andelys. Après avoir été occupée
pendant deux siècles par les Français, cette forteresse retomba aux mains
étrangères. Le 18 janvier 1417, après la prise de Rouen, le roi
d'Angleterre, Henri VI, vint l'assiéger ainsi que la Roche-Guyon; cette
dernière se rendit après deux mois de siège; mais le Château-Gaillard
résista seize mois, grâce au courage du capitaine Olivier de Mauny et des
comtes Huntingdon et de Kent: ceux-ci ne se rendirent que lorsque toutes les
autres places fortes se furent soumises. La garnison dérisoire qui était
affectée à la défense se composait, en 1423, de onze hommes d'armes, dont
six à cheval et cinq à pied; trente-trois archers, douze à cheval et vingt
et un à pied, sous les ordres d'un capitaine élu généralement pour un an et
sous la direction du duc de Bedfort. Mais il se commettait tant de
brigandages aux environs que le roi de France vint mettre le siège de
nouveau devant la forteresse, après une douzaine d'années d'abandon. Malgré
les précautions employées par les Anglais pour la défense, ils en furent
chassés quelques semaines après par Estienne de Vignolles, dit Lahire, qui,
sorti de Louviers avec ses hommes, escalada les murailles en 1429. Quoique
la garnison laissée par le vainqueur fût très faible, le due de Bedfort, qui
vint assiéger la forteresse, ne s'en empara que par la famine, après sept
mois de siège (1429-1430). Nous arrivons enfin au moment où les Anglais
furent définitivement chassés, non seulement de la Normandie, mais aussi de
toute la France, sauf Calais. Partant de Louviers, le roi Charles VII vint
mettre le siège devant le Château-Gaillard un lundi du mois de septembre
1449. Le sénéchal de Poitou, Pierre de Brezé; messires Philippe de Culant,
maréchal de France, Jean de Brezé, Denys de Chailly, se distinguèrent dans
ces opérations.
Tous les soirs, le roi retournait à Louviers, et revenait diriger pendant la
journée les travaux de fortification et des bastilles. Pierre de Brezé et de
Chailly restaient à garder les travaux de défense pendant la nuit, avec cent
archers. Le dimanche 23 novembre 1449, les Anglais se rendirent au roi après
six semaines de siège. Le capitaine du château recevait, à la date de 1460,
deux cent six livres par an. Le 20 juillet 1468, l'ancien favori de Louis
XI, Charles de Melun, fut emprisonné et jugé dans cette forteresse par le
grand prévôt Tristan l'Ermite, entouré de deux assesseurs, Thomas Triboulet
et Jean Mautonnet. Le 22 août, il eut la tête tranchée sur la place du
Petit-Andely. Le 16 avril 1562, la garnison du Château-Gaillard fut sommée
par le comte de Montgommery, lieutenant du prince de Condé, de se rendre aux
protestants. Le 23 avril 1675, le roi Henri III passant par les Andelys pour
gagner la Basse-Normandie avec son armée, réquisitionne tout le pays. Malgré
les offres faites au mois de mars 1590 par Henri IV à la ville des Andelys,
qui avait pris le parti des Ligueurs, celle-ci n avait pas voulu se rendre
au roi; mais, le 6 juin 1591, la ville de Louviers s'étant rendue, le
gouverneur du Chateau-Gaillard, Moy de Richebourg, en ouvrit les portes à
Henri IV, le 10 du même mois, et le soir même le roi vint coucher dans cette
forteresse. Des tentatives furent faites par les catholiques pour la
reprendre; aussi le 2 décembre 1598 les États de Normandie firent des
remontrances au roi pour le supplier de faire démolir le Château-Gaillard et
la forteresse de Pont-de-l'Arche. Dès le 11 février de l'année suivante, le
roi, se rendant aux vœux des Etats, fait don à Charles de Bourbon,
archevêque de Rouen, des démolitions du Château-Gaillard pour être employées
tant à son château de Gaillon qu'à la Chartreuse de Bourbon, peu éloignée.
Le 13 juin 1603, mêmes faveurs sont accordées aux Capucins du Grand-Andely
pour des réparations à faire à leur couvent, ainsi qu'aux clôtures de
l'église. Le 8 mai 1610, les Pénitents du Petit-Andely obtinrent par lettres
patentes de participer au partage des démolitions du Chateau-Gaillard. Mais
les Capucins n'ayant pu s'entendre avec les Pénitents de l'ordre de
Saint-François sur ce qui devait revenir à chacun d'eux dans les démolitions
de la forteresse, ceux-ci en référèrent à Louis XIII qui leur expédia des
lettres patentes datées du 17 novembre 1610, donnant aux requérants le
privilège de prendre les premiers, dans les pierres, charpentes, tuiles, ce
qui pourrait leur convenir. Malgré la lettre très explicite du roi, ils n'en
tinrent aucun compte et, des difficultés nouvelles étant survenues, les
Capucins, pour éviter d'en venir aux mains, durent céder leurs privilèges a
leurs confrères. Le 12 janvier 1611, sur les ruines mêmes, les pères
Capucins et les pères du Tiers-Ordre de Saint-François signèrent une
convention pour le partage des démolitions ainsi désignées: "toutes les
pierres abattues qui sont dans les fossez du Grand-Andeli depuis la brèche
et tranchée qu'ont faict les pères du troisième ordre, dans le dit fossé et
remontant en amont de Cléri, jusqu'aux grosses murailles qui sont encore
debout vis-à-vis desquelles les pères Capucins ont aussi faict un chemin
pour jecter leurs pierres au pied de la coste, et l'abattage de deux tours
et de deux pandz de murailles, sans comprendre la grosse tour dite de l'espéron,
etc". Par cet accord, les Pénitents s'étaient fait la part du lion; les
Capucins s'en aperçurent trop tard. En effet, ils ne pouvaient prendre les
pierres tombées qui, cependant, étaient en très grand nombre; on les forçait
de les enlever aux murs encore debout, ce qui était pénible et dangereux.
Le syndic et les échevins du Petit-Andely, pour rappeler aux Pénitents la
permission accordée par Louis XIII en 1610, les citèrent le 19 août 1611
devant le lieutenant général du bailli de Gisors, séant aux Andelys, pour
s'entendre condamner à une amende. Le 20 août, les Pénitents furent de
nouveau assignés, parce qu'ils continuaient à enlever des matériaux pour
leur couvent de Rouen. Les Pénitents en appelèrent devant le Parlement de
Rouen qui, naturellement, leur donna gain de cause par arrêté du 2 mai 1614.
Permission leur fut octroyée, a eux et aux Pénitents de Rouen, d'enlever les
matériaux du Château-Gaillard et défense fut faite de les troubler dans leur
œuvre. Malgré cette défense, les habitants du Petit-Andely s'emparèrent des
matériaux et s'opposèrent par menaces et injures à la continuation des
constructions faites par les Pénitents de leur ville. En 1603, on avait à
peine touché aux ruines et on ne s'était attaqué qu'à l'ouvrage avance et
aux crêtes des remparts; dans les années qui suivirent, les Pénitents et les
Capucins attaquèrent la première enceinte. Sans les menaces des habitants du
Petit-Andely, très probablement nous ne verrions plus aujourd'hui la seconde
enceinte. Le roi, craignant de voir tomber entre les mains de ses ennemis la
vieille forteresse, encore redoutable malgré ses mutilations, écrivit de
Tours, le 5 février 1616, aux membres du Parlement de Rouen pour les charger
d'en poursuivre la complète destruction: ceux-ci s'assemblèrent les 22 et 24
sans résultat. Le 15 janvier 1649, ordre est donné par la Cour du Parlement
dc Rouen aux échevins d'Andely de mettre une garde bourgeoise dans le
Château-Gaillard pour le service du roi. A partir de cette époque jusque
pendant le règne de Louis XIV, on voit souvent des dignitaires prendre le
titre de gouverneur du Château-Gaillard et des Andelys; mais rien ne prouve
qu'une garnison y subsistait encore.
Le 7 octobre 1677, le gouverneur du château nomma, à l'ermitage voisin de la
forteresse, le frère Jacques de Saint-Anthoine, "à condition de ne laisser
entrer... femmes ny fılles dans la chambre ny cellule du dit hermitage".
Dans l'expertise de la seigneurie des Andelys, faite au mois d'avril 1719,
pour servir à réévaluation des domaines échangés en faveur du comte de
Belle-Isle, il est dit: "Quant à ce qui reste des vestiges et débris des
bâtiments de Château-Gaillard tombés en ruines, ils n'ont aucune valeur".
Nous sommes donc bien certain qu'à cette époque, la forteresse n'était pas
capable d'abriter une garnison. Cependant, en 1765, Pierre de Rémon,
seigneur de Suzai, de Farceaux et de Neuville, prend encore le titre de
gouverneur des Andelys et du Chateau-Gaillard. Le 20 janvier 1774,
permission est donnée à une dame Cuési, veuve de Mengin de Bionval, de faire
établir des moulins à vent au Château-Gaillard sur un espace de 5 acres, 2
vergées, 34 perches, mais en réservant l'emplacement du donjon. Fort
heureusement, cette autorisation ne fut pas suivie d'exécution, et nous
retrouvons les ruines à peu près dans l'état où les ont laissées les
Pénitents et les Capucins sous le règne de Louis XIII. Malgré la rigueur des
hivers, c'est à peine si quelques pierres se détachent de cet ensemble
pourtant bien maltraité au XVIIe siècle. Vers 1860, quelques réparations
urgentes furent apportées aux tours carrées qui dominent la Seine, ainsi
qu'au pigeonnier qui demanderait encore à être consolidé. Mais, il faut bien
l'avouer, on n'a tenté aucun travail d'entretien, et encore moins de
restauration. (1)
Éléments protégés MH : les ruines du château Gaillard : classement par liste
de 1862. Les parcelles de terrain avoisinantes : classement par décret du 24
août 1926. La parcelle de terrain avoisinante : classement par décret du 24
août 1926. La parcelle sur laquelle s'élèvent ces ruines : classement par
arrêté du 23 octobre 1926. (2)
château Gaillard 27700 Les Andelys, tél. 02 32 54 04 16, visites
extérieures toute l'année, et visites guidées du 15 mars au 15 novembre de
10h à 13h et de 14h à 18h.
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photos ci-dessous sont interdites à la publication sur Internet, pour
un autre usage nous contacter.
Nous remercions chaleureusement Monsieur Vincent
Tournaire du site
http://webtournaire.com/paramoteurparapente.htm,
pour les photos aériennes qu'il nous a adressées. (photos interdites à la
publication) A voir sur cette page "châteaux
de l'Eure" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
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