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Sur la route qui, de Pont-l’Abbé, mène à Loctudy, on rencontre la chapelle
de Notre-Dame des Croix, sise justement à un croisement de routes, et dont
l’origine remonte au XIIIe siècle. Au pied de la croix érigée près de ce
sanctuaire, le seigneur de Kerazan recevait chaque année, le jour du Pardon,
l’hommage féodal de son voisin de Kervéréguin. Il se traduisait par
l’offrande d’un gant d’épervier muni de ses sonnettes, d’un pot de vin, d’un
liard de pain et autant de poires. La route en face de la chapelle conduit
au château de Kerazan. À quelques centaines de mètres apparaît sa grille
d’entrée qui s’ouvre sur de larges avenues, un parc, dessiné au temps des
seigneurs du lieu, planté de très beaux arbres et entouré en partie d’une
douve remplie d’eau. L'édifice, rehaussé par ce décor qui le rend plaisant,
manque d'unité architecturale dans l’ensemble: un bâtiment, appelé le Vieux
Manoir, appartient probablement au XVIe siècle avec sa tour carrée couverte
en poivrière, le reste de la construction date du début du XVIIIe siècle,
sans parler des adjonctions ultérieures. Les combles de cette demeure et de
ses dépendances voient le jour par des lucarnes à frontons demi-circulaires
chargés d’urnes, ou simplement triangulaires sans ornement, ou encore par
des œils-de-bœuf. Les plus anciens possesseurs que l’on connaisse de Kerazan
sont les Kerfloux, sergents féodés, héréditaires du Baron de Pont-l’Abhbé.
Un Alain de Kerfloux signe, en 1350, un acte qui a trait à la chapelle du
château de Pont-l’Abbé, et un Christophe du même nom fonde, en 1540, deux
tombes dans l’église de Pont-l’Abbé, lesquelles seront enlevées par la
suite. Les Kerfloux disparus de Kerazan, les Riou de Kernuz et les Drouallen
s’y installent.
En 1637, René Drouallen, fils de Jacques, natif de Plounévez-Quintin,
seigneur de Lesnalec, Lestrenec, Kerandraon et Kerazan, est sénéchal de
Pont-l’Abbé. Dans les années 1690, Louis Drouallen, seigneur de Kerazan, est
Conseiller du Roi et son alloué au siège présidial de Quimper. Puis
Anne-Josèphe Drouallen épouse Yves-René Le Gentil, écuyer, seigneur de
Rosmorduc. Ils héritent de Kerazan. Ce Le Gentil de Rosmorduc est riche en
titres: Chevalier des Ordres royaux militaires et hospitaliers de Notre-Dame
du Mont-Carmel, de Saint Lazare et de Jérusalem, ancien Capitaine au
régiment de dragons de Bretagne. À Logonna-Daoulas existe toujours le vieux
château des Comtes de Rosmorduc. Un membre de cette famille, René-Hyacinthe,
a épousé Catherine-Agathe Fleuriot de Langle, sœur du compagnon de Lapérouse.
Puis c’est la Révolution. Louis-Ange-Aimé, ancien officier, fils aîné de
Yves-René Le Gentil de Rosmorduc et de Anne-Josèphe Drouallen, abandonne le
sol de la liberté, comme disent les administrateurs révolutionnaires, et n’y
remettra les pieds que pour prendre du service dans la Chouannerie. Aussi
quand les officiers publics se présentent à Kerazan, le 4 septembre 1793,
n’y trouvent-ils qu’une paysanne, fermière des Rosmorduc: Marie Poulichet,
femme de Corentin Daniel, qui de surcroît est aveugle. L’inventaire se fait
sans difficulté dans la cuisine. Mais la pièce appelée "les archives" est
fermée à clef et celle-ci est probablement entre les mains de Jacques Royou,
ci-devant comptable des Rosmorduc. On fait encore sauter la serrure d’un
placard: il contient de la vaisselle. Enfin, on inventorie le mobilier de la
chapelle. Deux charrettes sont nécessaires pour transporter ces meubles et
effets. Le mobilier sera vendu au château de Pont-l’Abbé: le grand moulin à
eau de Kerazan, le moulin à vent de Kergolven, la métairie du Dourdy, le
tout acheté par le citoyen Louis Derrien, de Loctudy, pour 42.000 livres. Le
15 thermidor an II (3, le manoir de Kerazan revient au même acquéreur pour
30.000 livres.
En 1814, Louis Derrien, veuf deux fois et remarié, meurt à Loctudy et les
Normant-Derrien héritent du domaine de Kerazan. Edouard Le Normant s'appelle
plus exactement Le Normant de Varannes. Une tradition familiale le fait
descendre de Henri Le Normant, l’un des cinq bourgeois de Calais qui, avec
Eustache de Saint-Pierre, se livrèrent, en 1347, à Edouard III, afin de
sauver leur ville. Cet Henri fut récompensé par Philippe de Valois qui lui
octroya des seigneuries et des charges considérables. Un Jean Le Normant fut
secrétaire de Charles VII. À la même époque, un Regnaudin du même nom rendit
des services au Roi. Un Joseph Le Normant, régent de l’Université d'Orléans,
fut maire de cette ville de 1717 à 1725. Edouard Le Normant est son
arrière-petit-fils. Il a la vocation de bâtisseur. Sous sa direction
s’élèvent des immeubles neufs dans le quartier Mesgloaguen à Quimper, dont
un portera un temps son nom. Il construit vers 1840 de nouvelles halles à
Pont-l’Abbé: deux maisons contiguës et une galerie cédées en 1853 au maître
maçon François-Marie Stéphan. Quant au manoir de Kerazan, il devient la
propriété de René Arnoult, notaire, de Pont-l’Abbé, issu d’une famille qui a
donné deux maires à cette ville: en 1790, Jacques, avocat et en 1829,
Michel, médecin. La fille de René, prénommée Noémie s’unit en 1855 à Joseph
Astor, né en 1824 à Ajaccio, fils d’un autre Joseph Astor, originaire du
Lot, Colonel qui, après avoir fait les campagnes de la Révolution et de
l’Empire, s’était retiré à Quimper, dont il a été maire. En 1901, son éloge
funèbre est prononcé à la tribune du Sénat par Armand Fallières, futur
Président de la République. Il laisse un fils aussi prénommé Joseph, né en
1859 à Quimper. Esprit cultivé, docteur en droit, amateur d’arts, il vit
retiré à Kerazan, avec ses souvenirs, amoureux des arbres et du paysage qui
l’entourent. Il enrichit la collection qu’il tient de sa famille, peintures,
dessins, gravures...
Il meurt en 1928, et, par testament, il lègue tous ses biens, le domaine de
Kerazan et des fermes aux alentours, à l’Institut de France, en précisant :
"je veux, par l’emploi de ma fortune et par une institution utile, rappeler
le souvenir des miens dans le pays, au bien-être et à la prospérité duquel
ils ont consacré une bonne partie de leur vie et le meilleur de leurs
efforts". Joseph Astor, outre la création d’un musée, exprimait le vœu que
soit dispensé à Kerazan un enseignement d’art appliqué et industriel destiné
aux jeunes filles du pays. En 1931, on ouvre à Kerazan un atelier de tapis.
C’est un membre de l'Institut, M. Fenaille, qui a eu l’idée de faire
apprendre ce métier aux bigoudènes. On apprend également à Kerazan la
broderie, spécialité bigoudène, et on compte une vingtaine d’élèves en 1939
sous la direction de deux professeurs, dont Mademoiselle Toulemont qui
s’occupera plus tard du musée. En 1946-47 on enseignera aussi la coupe et la
couture, ce jusqu’en 1966. Le premier conservateur de la Fondation Astor est
M. Georges Souillet, artiste-peintre. Travaillant pour son plaisir, il a
parcouru, à bicyclette, la plupart des régions de France, mais Loctudy le
retient car c’est, dit-il, l'endroit le plus beau qu’il ait trouvé. Kerazan
a l’attrait d’un manoir breton que l’on peut visiter, du moins la partie
ouverte au public: le grand salon, la salle de billard, le salon Arnoult, le
salon vert de Mme Astor. En fait, c’est encore chez les Astor que l’on est
reçu. Le mobilier même parle d’eux. Le connaisseur, l'artiste y verront une
intéressante exposition d'œuvres de maîtres Cottet, Maurice Denis, Steinlen,
Desvallières. Lucien Simon, et autres, comme Auguste Goy qui nous a laissé
d’émouvants témoignages sur le pays de Quimper au siècle dernier. (1)
Éléments protégés MH : les façades et les toitures du corps de logis & de
l'aile en retour Est à l'exclusion des communs du début du XXe siècle
attenants au pignon ouest. Les cinq pièces du rez-de-chaussée, la salle à
manger, le grand salon, la salle de billard, le fumoir, la bibliothèque. Le
parc et ses murs de clôture, y compris les éléments du système hydraulique
du XVIIIe siècle (citerne, vivier, canal) et les douves : inscription par
arrêté du 24 août 2000.
château de Kerazan 29750 Loctudy, propriété d'un
établissement public de l'Etat.
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