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En bordure du chemin qui prend au village de
Stang-ar-Bacol, sur la route de Quimper à Plonéour-Lanvern, et conduit au
bourg de Tréméoc, on ne peut manquer l’entrée du château de La Coudraie.
Elle se signale en effet par une clôture comportant huit piliers monumentaux
fort curieux, à double corniche, surmontés de vases, décorés de personnages
diaboliques, d’un lion héraldique, d’une couronne comtale que l’on peut
attribuer aux Charmoy, le tout indiquant le XVIIe siècle. Il s'agit de
l'ancienne terre seigneuriale dépendant de la baronnie du Pont, qui avait
son siège à Pont-l’Abbé. L'acte le plus ancien en faisant mention remonte à
la Réformation de 1426 et un nom nous est révélé dans un aveu de 1478: celui
de Jehan de La Coudraye. Cette famille porte "vairé d’argent et de sable au
baston de gueules brochant sur le tout" (armes représentées jadis sur un
tombeau dans le chœur de l’église de Pont-l’Abbé). Les seigneurs primitifs
du dit nom disparaissent et, en 1551, La Coudraie devient la propriété de
Hervé Le Vestle, seigneur de Keraret en Nizon et de Poulguinan, qui blasonne
"de sable au grelier d’argent enguiché d’or accompagné de trois merlettes de
même". A la montre noble de 1562, le sieur de La Coudraye dit fournir deux
arquebusiers à cheval. Hervé Le Vestle trépasse en 1572 et La Coudraie reste
entre les mains de Marie-Guyonne de Kerouant, que le défunt avait épousé en
secondes noces. Pendant les guerres de religion, les Kerouant sont devenus
huguenots, c’est-à-dire qu’ils ont embrassé le parti du baron du Pont,
Toussaint de Beaumanoir, dont la dame de La Coudraye est vassale.
Pont-l’Abbé tient pour Henri IV, mais Quimper s’est rallié à la Ligue, le
parti catholique, rangé derrière le duc de Mercœur, Gouverneur de Bretagne.
En 1590, le baron du Pont participe au siège d’Ancenis, laissant le
commandement de la place à un sergent dénommé Trongat, "jeune tête éventée",
qui pousse l’outrecuidance jusqu’à faire des incursions aux abords de
Quimper. Des représailles sont à craindre: la dame de Kerouant quitte La
Coudraie par mesure de précaution et se réfugie au Château de Pont-l'Abbé,
ainsi que son frère, Jean de Kerouant, sieur de Kernuz (en Plomeur), qui
arrive avec famille, meubles et bagages. En fait, les Quimpérois s’en
viennent à Pont-l’Abbé "comme à des noces", ayant à leur tête le Capitaine
Le Prestre de Lézonnet. Au Château, Trongat risque un œil par une petite
lucarne. Il reçoit un mauvais coup d’arquebuse et en meurt. Ses gens se
rendent. Jean de Kerouant est parmi les prisonniers. Poursuivant leur
entreprise de pacification, des Compagnies vont à La Coudraie où logent des
hommes d’armes du parti huguenot. Ceux-ci sont pris et le château pillé,
comme le sera celui de La Palue, dans les faubourgs de Quimper, propriété
aussi de la dame de Kerouant. On n'y laisse "aucuns meubles ni grilles de
fenêtres".
Marie-Guyonne, veuve d'Hervé Le Vestle, a un fils prénommé Charles, décédé
en 1617 et, l’année suivante, elle s’éteint à son tour. La Coudraie revient
alors à Nicolas de La Haye, seigneur du Plessix au Chapt (dont la mère est
Ester Le Vestle, sœur de Charles). Mais Hervé Le Vestle avait eu une fille,
Claude, de son premier mariage, dont descend un noble bourguignon, Sylvestre
de Charmoy, qui se porte héritier. Les deux parties entament un procès qui
durera plus de vingt ans, pendant lesquels La Coudraie se délabrera. C’est
Sylvestre de Charmoy qui finit par s’y installer en 1643. Il est fortuné
mais, en fait de noblesse, il est débouté en 1670, faute de pouvoir produire
des titres suffisants. Il rétablira la situation à son avantage par la suite
et pourra faire graver cette couronne comtale qui se voit sur un pilier à
l’entrée de La Coudraie restauré. Sylvestre de Charmoy a épousé Marguerite
Autret, nièce de Guy Autret de Missirien, hagiographe et généalogiste. Elle
lui donne onze enfants qui meurent à l'exception d’un seul, Guy, né en 1645.
Ce dernier s’unit en 1675 à Bonne-Prudence Raoul et, après le décès de
celle-ci, à Yvorée Querguiris. Son fils Jacques, seigneur de Keraret,
Lezoualch et La Coudraye, né en 1680, continue la lignée. Il se marie avec
Gilonne de Quélen. Jacques était violent et autoritaire, un jour que le
recteur de Tréméoc, à la fin de la messe, se plaint devant les fidèles de
son sonneur de cloche qu’il menace de remplacer, Keraret se lève furieux, va
vers l’autel, frappe sur la balustrade, disant qu'il n’a pas le droit de
disposer ainsi de ce serviteur de la paroisse. Le recteur, qui ne paraît pas
non plus être un modèle de patience, rétorque au sieur de Keraret que ce
n'est pas son affaire et qu’il devrait "songer plutôt à chasser les voleurs
qui sont chez lui". Se mêle la dame de Keraret, Gilonne, qui lance au curé
"et vous de chasser la putain que vous avez dans votre maison". Le recteur,
qui ne s’embarrasse pas non plus des moyens, s’approche de la châtelaine,
"la prend par le nez et la met hors de l'église, la menaçant de la faire
enfermer aux Madelonnettes le reste de ses jours". Epilogue de cette
histoire, la servante devient l'épouse du frère du curé.
Jacques de Charmoy disparaît en 1729, sans laisser d'héritier direct. La
Coudraie revient à son neveu François de Talhoët qui, habitant l’évêché de
Vannes, vend, au prix de 120.000 livres, manoir et terres, à Marguerite
Milon, veuve de Robert Guérin, ancien Conseiller du Roi à l’île de
Saint-Domingue. En 1733, la veuve Guérin se remarie et vend La Coudraie à
Paul Mascarenne, sieur de Rivière, établi à Pontivy, mais d’une famille
languedocienne, qui porte "d’argent au lion de gueules, armé et lampassé
d’or, accompagné de trois étoiles de sables rangées en chef". Paul
Mascarenne, époux de Jeanne de La Pierre du Hénan, fait de La Coudraie sa
résidence d’été car il a son hôtel à Quimper. L’aîné de ses enfants,
Jean-Paul-Mathieu, frère du futur amiral, marié à Angélique Henry de Bohal,
hérite de La Coudraie et, après lui, son fils Paul-François, chef de nom et
d’armes, époux d’Adélaide-Claudine d’Andigné. Pendant la Révolution,
Paul-Françcois, Capitaine de Vaisseau, émigre. Son oncle, Charles-Joseph, né
en 1738 à La Coudraie, nommé Amiral et, en 1720, Commandant de la Station
des Iles du Vent et du vaisseau "La Ferme", entre en dissidence et, en 1792,
est décrété coupable de haute trahison. Leurs biens sont placés sous
séquestre. Les Mascarenne de Rivière ont leur hôtel à Quimper et le mobilier
de La Coudraie est relativement modeste. Il est vendu aux enchères les 27 et
28 thermidor an II (14 et 15 août 1794). Il y a là une trentaine
d’acheteurs, dont Louise Renaud, dite "Louison", revendeuse, que l’on trouve
dans les ventes de la région, où elle fait des affaires. Elle est en outre
rétribuée, en tant que connaisseuse, pour fixer les mises à prix. La vente
rapporte 3.098 livres. S’y ajoutent 1.138 livres représentant la valeur de
la literie et des objets en métaux précieux mis en réquisition par la
Nation. Différents acquéreurs se partagent aussi les terres de La Coudraie.
L'un d’eux, le dénommé Huard, deviendra propriétaire du manoir en 1810. Il
s’agit de Jean-Baptiste Huard, né à Viessoix (Calvados) le 16 décembre 1774,
de Jean et de Anne Patard. Défenseur de la patrie, il s’est engagé au 7e
Bataillon du Calvados en qualité de Capitaine le 22 septembre 1792. Il doit
aux hasards de la vie militaire et de la guerre d’être en Bretagne. Il sert
en l’an III au 3e Bataillon de la 14e demi-brigade, en garnison à Brest,
incorporé à l’armée placée sous le commandement du Général Moreau,
Morlaisien qui, avant d’être impliqué dans le complot de Cadoudal, chasse le
Chouan. Jean-Baptiste Huard a dépensé environ trente mille francs pour
entretenir et améliorer le domaine de La Coudraie. Il y fait des
plantations, dont l’allée de tilleuls qui donne accès à la propriété, et
décide de faire rebâtir le manoir. Les premiers travaux sont entrepris le 17
septembre 1817, sur les plans de l’architecte Eloury, de la famille des
faïenciers de Locmaria à Quimper, et qui sera maire de cette ville de 1833 à
1835. En 1818, le couvreur Autret exécute la toiture et, en février 1819,
les planchers et boiseries sont mis en place. Il faut attendre la fin de
1820 pour voir l’achèvement des travaux. L'intérieur, de style Empire, doit
au maître plâtrier Philippon, de Brest, de beaux plafonds, notamment celui
de la salle. L'architecte n’a pas cherché de complications. L'édifice est
une grande maison carrée, en pierres de taille, comportant un étage pourvu
de sept fenêtres. La façade principale est soulignée par une corniche à
modillons et la porte, en haut d’un perron, est ornée d’un fronton
classique. Deux ailes de bâtiments de service bordent la cour. La plus
ancienne a été rebâtie ou remaniée au début du XVIIIe siècle. Chacune de ses
lucarnes de pierre porte des dates différentes: 1675, 1710 et 1721. L’autre
aile a été construite en 1821, c’est-à-dire en même temps que le manoir,
lequel coûta trente-six mille francs. Jean-Baptiste Huard est nommé par le
Préfet, maire de Pont-l’Abbé en mai 1833, il reste en fonction jusqu’en
septembre 1837.
Huard a cinq enfants, un fils prénommé, comme son père, Jean-Baptiste, et
quatre filles: Marie-Michelle, épouse de Charles Le Bihan-Durumain,
propriétaire à Pont-l’Abbé, Aline-Yvyonne, femme de Louis-Jacques Nicou,
propriétaire au Stang en La Forêt-Fouesnant, Aline-Alexandrine, épouse de
Armand-René Maufras Duchâtellier, à l’époque propriétaire à Quimper, et
Françoise-Yvonne, demeurant aussi à Quimper. Jean-Baptiste, dit Baptiste,
est né en 1796 à Pont-l’Abbé. Son père, qui voit en lui son successeur,
tient à ce qu’il fasse de solides études. Il l’envoie au Lycée de Rouen,
puis à Pontivy. Baptiste se signale par son esprit dissipé. Son père le
rappelle près de lui vers 1815, voulant l’intéresser au commerce. Mais il
quitte la maison pour s’engager dans un régiment de hussards. On paie un
remplaçant. Le jeune homme revient à Pont-l’Abbé où il poursuit ses
désordres de noceur. En 1834, il veut s’établir à La Valette (Charente),
puis à La Rochelle. Son père lui envoie de l’argent en le morigénant: "Je
désire que tu trouves à t’occuper, car l’oisiveté engendre tous les vices.
Si la raison t’est revenue, tu dois regretter d’avoir longtemps méprisé mes
conseils". Baptiste dilapide encore cet argent. Il se présente à Quimper
chez sa sœur Duchâtellier qui l’habille de pied en cap. Elle entreprend,
ainsi que son mari, de le réconcilier avec son père. Mais celui-ci, qui
refuse de le recevoir, consent à aider pécuniairement à son installation à
Bréal, près de Rennes, où les Duchâtellier ont des relations. Cependant,
Baptiste Huard n’a pas changé. Il passe ses nuits dehors en beuveries.
Après le décès de sa mère survenu en 1839, Baptiste paraît se corriger. Il
revient au pays et épouse, contre le gré de son père qui craint pour
l’avenir, une demoiselle d’excellente famille. Hélas celle-ci décède un an
seulement après leur mariage. Huard père tenait à ce que la terre de La
Coudraie restât le plus longtemps possible dans la famille et, en
conséquence, elle est évaluée à dix-huit mille francs. Le hasard, qui
voulait bien faire les choses, désigne, lors du tirage par lots, le nouveau
propriétaire en la personne de Baptiste. Il s’installe au manoir et s’y
ennuie sans doute car, vers 1849, sa sœur Yvonne (Françoise) fait bâtir une
maison pour lui à Pont-l’Abbé. Cette construction achevée, il refuse de
l’habiter. Il continue donc à vivre à La Coudraie, entouré de mauvais
compagnons qui lui rendent la vie dure, ce qui ne l’empêche pas d'arriver à
l’âge de 83 ans. Le 9 mai 1879, un médecin est appelé au manoir, Baptiste
vient de se donner un coup de couteau dans le ventre, disant que la vie lui
est impossible et qu’il faut en finir. Baptiste Huard meurt des suites de sa
blessure dans la nuit du 28 mai. Au début du siècle, le Comte Henry Le
Nepvou de Carfort acquiert La Coudraie, de M. et Mme Bois, descendants de
Huard. Capitaine de Frégate, ancien attaché naval à l’Ambassade de France à
Rome, né en 1851 à Rennes, il appartient à une très ancienne famille du pays
de Quintin qui blasonne "de gueules à six billettes d'argent au chef du
même". Le Commandant de Carfort partageait son temps entre son manoir de la
Forest en Loctudy et Paris. La Coudraie est aujourd’hui la propriété du
Comte Maurice de Pourtalès et de Madame, née Le Nepvou de Carfort. Les
Pourtalès sont d’une famille protestante, originaire des Cévennes, qui
émigra lors de la Révocation de l’Edit de Nantes et se fixa à Neuchâtel sous
le Gouvernement du Roi de Prusse. Ils ont donné à l’Allemagne et à la
Suisse, des banquiers, des diplomates. Un Pourtalès était Ambassadeur
d’Allemagne en Russie en 1914. Une branche de cette famille est française.
Le Comte Maurice de Pourtalès, né en Suisse, est Français depuis la guerre,
ayant combattu dans l’armée française. (1)
Éléments protégés MH : le château, les façades et les toitures des communs,
le portail et la clôture d'entrée en bordure du C.D. 240 : inscription par
arrêté du 18 décembre 1967.
château de la Coudraie
29120 Tréméoc, propriété privée, ne se visite pas.
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jour dans ce département. |
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