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Dans les nuits que la lune éclaire, lorsque la
douzième heure sonne aux horloges lointaines et que la brise seule agite les
feuilles du bois de Miqueu, il n'est pas rare, dit-on, d'entrevoir à travers
les arbres la silhouette confuse d'un promeneur solitaire qui parcourt
silencieuse ment les sentiers. Peu à peu, la forme indéterminée de ce
fantôme devient plus distincte; des habits pontificaux recouvrent ses
épaules, une croix d'or brille sur sa poitrine. Le singulier visiteur qui
s'avance ainsi sous ces arbres a subi l'horrible supplice de la
décapitation. C'est l'Archevêque de Livran; il porte d'une main sa propre
tête coupée par le bourreau; de l'autre, il tient son bréviaire, qu'il
récite dévotement. Tel est le récit que font depuis maintes années les
hommes de labeur attachés à la terre de Livran. Pour notre part, nous
n'irons pas rechercher à quel grand crime impuni ou à quelle catastrophe
inexpliquée il faut rapporter cette sinistre apparition de l'Archevêque sans
Tête du bois de Miqueu; il nous a suffi de faire connaître une des plus
piquantes et des plus singulières superstitions de ce pays étrange, qui
devient aux heures nocturnes le domaine de tout un peuple de revenants, de
loups-garous et de sorciers. Le château deLivran et le bois de Miqueu qui
l'avoisine, furent, au moyen âge, la propriété, non pas précisément d'un
prince de l'Église, ainsi que cette légende pourrait donner à le croire,
mais d'un homme qui tenait cependant de fort près à l'un d'entre eux,
puisqu'il portait le nom d'Arnaud Guarsies de Gout, ou de Goth, tout comme
le pape gascon Clément V, qui vivait à la même époque.
Ce rapprochement est trop curieux pour que nous ne fassions pas connaître
les documents qui s'y rattachent: Le chevalier Arnaud Guarsies de Goth, nous
apprend l'auteur des Variétés Bordelaises, était, suivant un titre du 10
octobre 1310, seigneur du lieu et château de Livran et de Grayan. Ce
chevalier était frère de l'archevêque de Bordeaux, Bertrand de Goth, qui fut
élu pape en l'année 1305. Il fallait, sans doute, observe le même historien,
que la seigneurie de Livran fut dès lors un objet considérable, pour qu'un
proche parent d'un pape l'ait acceptée, ou en ait fait l'acquisition.
Oihenart, de son côté, nous dit qu'Arnaud Guarsies était frère du pape
Clément V; il ajoute de plus qu'il était vicomte de Lomagne dès l'année
1310. Son fils, Bertrand de Goth, lui succéda dans la vicomté; il eut une
fille nommée Régine qui épousa Jean, comte d'Armagnac, et lui apporta en dot
le château de Livran. Comme cela arrivait parfois aux seigneurs de cette
époque, qui aimaient à changer de maître, pour vivre plus indépendants,
grâce aux conflits de pouvoir que leur défection occasionnait, le comte
d'Armagnac embrassa probablement la cause de la France, et fut sans doute
dépossédé pour ce fait; toujours est-il que Guarsies Ferrand, damoiseau, qui
habitait près de La Réole, et y avait rendu des services au roi
d'Angleterre, fut gratifié, en 1324, du château de Livran, situé dans la
paroisse de Saint-Germain en Médoc, quoiqu'il appartint au comte d'Armagnac,
comme époux de Regine de Goth. Il était dans la destinée du château de
n'avoir pas longtemps les mêmes seigneurs. Depuis qu'il était sorti des
mains du frère de Clément V, il tomba successivement dans celles du Soudan
de Latrau, en 1351; de Jean Ferrand, en 1454; de Jean de Bordeaux, en 1516;
de Guillaume de Bordeaux, de 1564 à 1580, de la famille de Bordeaux, il
passa d'abord dans la maison de Maniban de Rams, et plus tard, dans celle de
Dupérier de Larsan, qui l'occupait en 1789.
Plus heureux que beaucoup d'autres, le château de Livran a conservé ses
derniers maîtres. Ce domaine était au milieu du XIXe siècle la propriété de
l'un de nos plus estimables concitoyens, M. Dupérier de Larsan, membre du
Conseil Général de la Gironde jusqu'en 1851. L'ancien château, dont une tour
rasée, il y a environ quatre vingts ans, indiquait encore la place et la
vieille origine, n'existe plus. Le château moderne est situé dans une
charmante position, à l'extrémité d'une belle avenue, non loin de la route
de Lesparre à Bordeaux. L'architecture en est simple. On arrive à un salon
garni de boiseries et de portraits de fa mille, par un escalier très
remarquable, dont les belles proportions font ressortir la mesquinerie des
escaliers en spirale que l'on construisait de au XVIIIe siècle. Au nord de
l'habitation est un magnifique vivier, alimenté par plusieurs fontaines qui
jaillissent des terrains situés sous les murs même de Livran. Non loin du
château, dans le petit village de Liard, on voit encore une vieille maison
de paysan, dont la porte cintrée offre un curieux spécimen des constructions
du XVIe siècle. Avant la Révolution, un pignon à girouette surmontait cette
humble demeure, à laquelle la tradition rattache un souvenir historique.
Henri IV, lorsqu'il n'était que roi de Navarre, avait l'habitude de chasser
dans les environs de Bordeaux, et poursuivait souvent ses courses jusque
dans les bois du Médoc. C'est ainsi qu'un jour il vint, dit-on, se reposer
avec sa suite dans le village de Liard. Depuis cette époque, la maison qui
avait un instant abrité le futur roi de France, a été constamment désignée
sous le singulier nom d'Houstaou dou rey Grand Nas; la route qui y conduit
est d'ailleurs connue par tous les paysans sous celui de Camin dou rey. (1)
château Livran, route de Brie, 33340
Saint-Germain-d’Esteuil, tel. 05 56 09 02 05, propriété vinicole.
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