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Le château de la Batie d'Urfé est le plus
beau bijou de l'écrin forézien. Malgré d’abominables mutilations qu’un
gouvernement digne de ce nom n’aurait jamais toléré, la Bâtie conserve
encore plus d’une merveille, notamment les façades qui donnent sur la cour
d’honneur. A l’ouest de cette cour, règne une galerie de onze arcades,
plaquée par Jonyllion, l'architecte de Claude d'Urfé. Ces arcades sont
séparées par des pilastres cannelés qui se prolongent jusqu’à l’entablement
et s’amortissent par des chapiteaux corinthiens. Cinq autres arcades
prolongent cette galerie sur l’aile centrale. Au-dessus se développe la
loggia à la mode italienne, que soutiennent de légères colonnes cannelées,
les solives étaient jadis décorées d’entrelacs. Sur cette galerie
supérieure, qui conduit à une tourelle à six pans, au toit aigu, s’ouvraient
de belles portes en bois sculpté avec encadrements de marbre. Une rampe que
supportent des arcades rampantes monte, par une pente douce, de la cour
d’honneur à la loggia et aboutit à un palier carré abrité sous un portique
corinthien. Dans le bas, au départ de la rampe, un sphinx de marbre noir
s’accroupissait sur un piédestal orné de trophées et portait ces mots gravés
sur un cartouche: "Sphingem habe domi". Le premier étage de cette vieille
demeure est en partie occupé par la voûte de la chapelle. L’aile gauche
renferme six pièces voûtées indépendantes. Une grotte curieuse sert de
vestibule à la chapelle, les parois, la voûte, le sol, sont recouverts d’un
cailloutage très fin, sur le fond jaunâtre duquel se détachent des animaux,
des masques, des figures diverses, le tout d’un travail irréprochable et
merveilleux. La chapelle était, au dire d’Anne d’Urfé qui ne paraît pas
avoir exagéré, "la plus belle de France". La porte principale, donnant sur
la cour, était richement décorée. La chapelle mesure 8,13 mètres de long,
sur 4,89 mètres de large et 6,90 de haut. L’ornementation de la voûte, seul
morceau encore en place car on n’a pas pu l’enlever, est très compliquée.
Dans les lunettes de cette voûte sont de bons tableaux italiens. Un
splendide carrelage émaillé paraissait être l’œuvre d'Abaquesne, faïencier
Rouennais. Ces carreaux sont dispersés aujourd’hui un peu partout. De
magnifiques boiseries garnissaient les murs, et au-dessus régnait une frise
portant une inscription en l’honneur du Saint Sacrement. Enfin les
verrières, qui ornent aujourd’hui l’hôtel de Rothschild, à Paris,
garnissaient la fenêtre de la chapelle et celle de l’oratoire des d’Urfé.
Chaque panneau comprenait douze anges musiciens. De gracieux entrelacs et
des bordures grecques complétaient l’ornementation de ces baies.
C’est en 1331 qu’il est question pour la première fois de la Bâtie. Arnulphe
d'Urfé en rend hommage au comte Jean 1er de Forez. Jean, fils d’Arnulphe,
périt en 1418, assassiné avec presque toute sa famille, par ses domestiques
qui voulaient se procurer une somme d’argent préparée pour l’achat de la
terre de Crémeaux. Pierre, l’aîné des fils de Jean, qui se trouvait à Paris
et Antoine, petit enfant au berceau, échappèrent seuls au massacre. Pierre
d’Urfé, nommé bailli de Forez, reconstruisit La Bâtie après 1450. Pierre II,
son fils, fut également bailli de Forez et grand écuyer de France. Claude
d’Urfé, fils du précédent, fut ambassadeur auprès du Saint-Siège, gouverneur
des enfants du Roi, chevalier de l’Ordre de Saint-Michel, bailli de Forez,
etc. Il mourut en 1558 et fut enterré dans l’église de l’abbaye de Bonlieu.
C’est lui qui avait résolu d’élever à La Bâtie, le magnifique sanctuaire,
qui devait rappeler tous les trésors artistiques de l’Italie. Jacques 1er,
son fils, lui succéda. Il fut chambellan du Roi Henri II et bailli de Forez.
En 1554, il épousa Renée de Savoie-Tende, d’une branche légitimée de la
maison de Savoie, petite-fille d’Anne de Lascaris, d’une race impériale qui
avait régné sur Constantinople. De cette union naquirent douze en fants, six
fils et six filles: 1° Anne, né en 1555, bailli de Forez, maître de camp
dans l’armée du Roi. Il épousa Diane Le Long de Chenillac de Châteaumorand,
puis fit annuler son mariage par le Pape et rentra dans les Ordres, fut
prieur de Montverdun, doyen de l’Eglise collégiale de Montbrison, et mourut
le 23 juin 1621; 2° Jacques II d’Urfé, héritier de son frère Anne et après
lui bailli de Forez; 3° Christophe, seigneur de Bussy, comte de Pont de
Veyle et de Châtillon, mort avant le 2 décembre 1597, au service du duc de
Savoie; 4° Honoré, l’immortel auteur de l’Astrée, baptisé à Marseille, le 11
février 1567, destiné à l’ordre de Malte, puis relevé de ses vœux. Il
épousa, le 15 février 1600, Diane de Châteaumorand dont le mariage avec Anne
d’Urfé avait été annulé par le Pape. Honoré mourut le 1er juin 1625, après
une vie bien remplie. Le 8 mars de l’année suivante, Diane mourait à son
tour et était inhumée dans l’église de Saint-Martin d’Estreaux; 5° Antoine,
prieur de Montverdun, abbé de la Chaise-Dieu, évêque élu de Saint-Flour,
mort à vingt trois ans, tué d’un coup d’arquebuse.
Jacques d’Urfé, frère d’Honoré, héritier des biens de sa maison, mourut le 6
mars 1657, à un âge très avancé. De Marie de Neufville, il eut un fils,
Charles-Emmanuel, et une fille, Geneviève, mariée d’abord au duc
Charles-Alexandre de Croy, prince du Saint-Empire, mort tragiquement le 9
novembre 1624, puis à Antoine de Mailly, dont elle eut une fille "aussi
jolie et spirituelle que sa mère": ce fut la petite duchesse de Croy, mariée
en 1652 à Christophe Pach, grand chancelier de Pologne. Charles-Emmanuel
d’Urfé garda le goût des lettres, héréditaire dans sa famille. Il mourut à
Paris, le 2 novembre 1685, ayant eu, de Marguerite d’Alègre, six fils et
trois filles. Quatre des fils entrèrent dans les ordres, dont Louis, sacré
évêque de Limoges le 10 janvier 1677; un autre des fils mourut à trente ans
et ne se maria pas. L’une des filles, Françoise-Marie, épousa le marquis de
La Rochefoucauld de Langeac. Joseph-Marie d’Urfé, qui continue la
descendance, épousa, le 19 septembre 1684, Louise de Gontaut-Biron. Il fut
lieutenant du Roi en Limousin et bailli de Forez. Le 13 octobre 1724 il
mourut et ne laissa pas d’enfants. Le nom d’Urfé s’éteignait en ligne
masculine. Pour le sauver de l’oubli, Joseph-Marie testa en faveur de son
petit-neveu, Louis-Christophe de la Rochefoucauld-Langeac, qu’il avait marié
à Jeanne Camus de Pontcarré, mais à la charge de relever le nom et les armes
des d’Urfé. L’héritier mourut au camp de Tortone, en 1734, et sa veuve fut
cette trop fameuse marquise d’Urfé qui dépensa, à la recherche de la pierre
philosophale, les derniers débris de sa fortune. Elle avait eu deux filles;
elle maria la cadette, qui était sa préférée, à Paul-Edouard Colbert, comte
de Creuilly. Quant à l’aînée, Adélaïde-Marie-Thérèse, qui avait hérité de
son père, elle épousa Alexis-Jean, marquis du Chastellet ou Châtelet. Les
deux époux s’installèrent à la Bâtie, où naquit, le 3 novembre 1759, Achille
du Chastellet d’Urfé. Cette famille portait auparavant: D’or à la bande de
gueules chargée de trois fleurs de lis d’argent.
Pressés par leurs créanciers le marquis et son épouse durent se rendre à
Paris, mais au moment d’y entrer, tout fut saisi: voitures, chevaux, objets
précieux, argent. La tradition rapporte même que deux sœurs colettes du
couvent de Sainte-Claire de Montbrison, qui allaient annuellement quêter à
Paris, rencontrèrent dans la rue et reconnurent le marquis du Chastellet qui
leur demanda 6 livres pour s’acheter des souliers, sollicitant ainsi une
aumône d’un couvent fondé par ses ancêtres, moins de trois siècles
auparavant. Il ne résista pas à tant de malheur, il mourut subitement, et
peu après sa femme devint folle. Au lieu de la recevoir, la douairière, sa
mère, la fit mettre à Charenton. Achille du Chastellet, élevé à la diable,
fit la guerre d’Amérique avec Lafayette, puis revenu en France s’éprit des
idées libérales, se lança tête baissée dans les théories révolutionnaires,
vint s’échouer à la prison de la Force où, le 20 mars 1794, il s’empoisonna
pour échapper à l’échafaud. Cette fois-ci le nom d’Urfé disparaissait pour
toujours avec le vieux blason: De voir au chef de gueules. Dès 1765 les
biens de cette maison avaient été saisis, mis en vente, et adjugés au
marquis de Simiane, chef d’une famille dauphinoise qui portait: D’or semé de
tours et de fleurs de lis alternées d’azur. En 1778, M. de Simiane revendait
la Bâtie, à Louis-François-Germain Puy de Mussieu, qui prit dès lors le nom
de la Bâtie. Louis-François-Germain était fils de Simon Puy de Mussieu et de
Marguerite Charézieu. Baptisé à Montbrison le 1er janvier 1735, il mourut à
Lyon, victime de la Révolution, le 3 janvier 1794.
Le 28 août 1765 il avait épousé Guillemine Préverand de Laubepierre, fille
de Pierre et de Claudine Jacquelot de Chantemerle, dont: 1° Pierre-Claude,
qui suit; 2° Pierre-Germain, baptisé le 19 mars 1772; 3° Josèphe-Marguerite,baptisée
le 30 mars 1766; 4° Elisabeth, mariée le 31 mai 1791 à Barthélemy Chamboduc
de la Garde, fils de Pierre et de Marianne Fourgon. Pierre-Claude Puy de la
Bâtie, baptisé à Montbrison, le 13 mars 1768, épousa à Roanne, le 29
vendémiaire, an V, Angélique-Claudine-Philippe Michon de Vougy, fille de
Jean-Louis et d’Angélique-Julienne de Casaubon, dont: 1° Jean-Louis-Octave,
né à Roanne le 2 pluviôse an VI, mort à Montbrison le 18 septembre 1889,
célibataire, archéologue distingué; 2° Louis-Dominique-François-Ernest,né à
Roanne le 2 floréal an XIII, marié à Joséphine-Marie-Octavie Durand, puis le
14 juillet 1858, à Pierrette-Marie-Anaïs Perrin de Précy, fille de Claude et
de Céleste Bouillet de la Faye. De cette dernière il eut un fils:
Louis-Antoine, né à Montbrison le 19 février 1861. Avec cet enfant, qui
formait le XVe degré de sa maison et qui mourut jeune, et son oncle dont
nous avons parlé, s’éteignait la branche de la Bâtie. En 1836, Pierre de la
Bâtie avait vendu son château à M. Nompère de Champagny, duc de Cadore,
d’une famille qui porte: D’azur à trois chevrons brisés et alaisés d’or,
auquel on ajouta plus tard un chef de gueules semé d’étoiles. Les héritiers
du duc de Cadore vendirent à leur tour le château à M. Verdolin, de sinistre
mémoire, à qui la Bâtie doit la perte de toutes ses merveilles. Des
démarches avaient été faites auparavant pour que le département de la Loire
en fit l'acquisition, mais malheureusement elles n’aboutirent pas. M. le
comte Jean de Neufbourg a sauvé la Bâtie d’une ruine complète en achetant
ses restes. Ses héritiers l’ont vendu à leur tour à la Société de la Diana.
En de telles mains, la vieille demeure pourrait bien être appelée, à bref
délai, à connaître des jours meilleurs. (1)
Les magnifiques jardins du XVIe siècle qui entoure le château de la Batie,
bordés par un canal en amont du Lignon, et aujourd'hui reconstitués comme
aux origines, comprennent des parterres de buis divisé en seize
compartiments géométriques et symétriques, une rotonde, une fontaine de
marbre blanc fontaine de la vérité d’amour, un dédale, une pergola et un
bassin. Une partie de la balustrade a été réalisée à l’identique. Également
disparu, une partie du jardin composée d’un labyrinthe de coudriers. Le
temple, par la perfection de son dessin architectural, est significatif du
tournant plus classique pris par le chantier de la Batie dans les années
1550. Il est décrit dans son état d'origine par L'Astrée: il abritait une
fontaine en marbre et était surmonté d'une statue de Cérès. L'état de
délabrement de la fontaine est mentionné dès 1683. En 1811, elle a disparu
et il ne reste que le pied de la statue (fragment déposé à la Batie). Entre
1951 et 1995, la statue de Bacchus est placée dans le temple. Cette dernière
ayant été remise ne place dans la grotte, une fontaine a été restituée à son
ancien emplacement. Le temple est situé au centre du parterre de carrés du
jardin. Il adopte un plan en rotonde, couvert d'uns coupole supportée par
des fragments d'entablement reposant sur une colonne et un pilier doriques,
dont les chapiteaux sont disposés perpendiculairement. Les supports et la
corniche sont en granite, la coupole, les arcs qui la soutiennent et les
écoinçons sont en brique enduite. Le toit conique est en ardoise. Le décor
sculpté des l'entablement et des chapiteaux était complété par des masques
en terre cuite disposés dans les écoinçons au-dessus des colonnes.
D’importants travaux réalisés par le Conseil général de la Loire depuis 1990
ont permis d’améliorer l’image de la Bâtie et l’accueil des visiteurs. En
sept ans, le Conseil général a engagé pour 1.140.000 euros de travaux pour
redonner vie à ce site majeur de la Loire.
Éléments protégés MH : le château de la Batie-d'Urfé en totalité: classement
par arrêté du 25 octobre 1912. (2)
château de la Batie d'Urfé 42130 Saint-Étienne-le-Molard, tél. 04 77
97 54 68, ouvert de novembre à mars, mercredi, vendredi, samedi et dimanche
de 14h à 17h, en avril, mai, juin, septembre et octobre tous les jours de
10h à 12h et de 14h à 18h, en juillet et août : tous les jours de 10h à 12h
et de 13h à 18h.
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Yann Enjolras pour les photos qu'il nous a adressées afin d'illustrer cette
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dans ce département. |
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