|
Joyau de la Renaissance planté au cœur du
haut Quercy, le château de Montal faillit sombrer dans le néant obscur que
propagent les champs de ruines. En effet, il s’en fallut de très peu qu’au
siècle dernier il disparaisse à tout jamais du paysage et par là même,
inexorablement, de la mémoire des hommes. Réduit, par le désir délétère d’un
acquéreur sans scrupule, à l’ombre de lui-même, à demi démantelé, pillé
intérieurement et extérieurement, ses ornements mis aux enchères, il ne doit
qu’à la volonté d’un mécène providentiel d’avoir survécu à ce désastre, et
d’être à nouveau paré de toute sa splendeur. À l’origine, un petit repaire,
appelé Saint-Pierre, s’élève en contrebas du village de
Saint-Jean-Lespinasse. Nous sommes ici sur les terres des barons de
Castelnau. En 1474, une fille de Jean II de Castelnau épouse Robert de
Balsac d’Entragues, originaire d’Auvergne, compagnon d’armes des rois de
France pendant les guerres d'Italie, conseiller et chambellan de Louis XI,
puis, premier sénéchal de l’Agennais. Sans doute pour plaire à sa jeune
épouse Antoinette de Castelnau, Robert de Balsac achète le repaire de
Saint-Pierre au seigneur de Miers. Quand il meurt, en 1503, leur fille
Jeanne hérite de ce fief. Épouse d’Amalric de Montal, seigneur de La
Roquebrou, gouverneur de la Haute-Auvergne, la jeune femme se retrouve veuve
en 1510. Elle décide, vers 1523, de restaurer, d’agrandir et d’embellir
l’austère demeure de Saint-Pierre, qui, dorénavant, portera son nom: Montal.
Elle avait probablement conçu ce château comme un monument dédié à la
mémoire des siens, un mausolée glorifiant les êtres chers à son cœur et
malheureusement disparus, si l’on se réfère à toutes les devises gravées ou
sculptées dans la pierre, dont l’une plus que toute autre exprime le
désespoir absolu qui l’animait: "Plus d’espoir". Car les morts sont partout
présents, leurs bustes figés pour l’éternité sur les deux façades
intérieures: Amalric de Montal, le mari, Jeanne de Montal elle-même, dans
une attitude affligée, Robert de Montal, le fils aîné, mort en 1523 en
Italie, dont sa mère éplorée, rapporte la légende, guettera en vain le
retour du haut d’une fenêtre, pendant des années, Dordet de Montal, le fils
cadet, mort en 1556, Robert de Balsac, le père, mort en 1503, Antoinette de
Castelnau, la mère, disparue en 1494, Dordet de Béduer, abbé de Vézelay,
cousin de la maîtresse des lieux.
Jeanne meurt en 1559. Son petit-fils, Gilles de Montal, disparaîtra quelques
années plus tard, pendant les guerres de Religion, blessé mortellement par
une jeune aristocrate qui menait bataille à la tête de son armée huguenote.
Henri IV, à cette nouvelle, se serait écrié "Ventre saint-gris, si je
n’étais le roi de France, je voudrais être Magdelaine de Saint Nectaire".
Rose de Montal, fille de Gilles, dame d’honneur de Catherine de Médicis,
apportera le château en dot à son époux François de Perusse des Cars. Leur
fils, Jacques, de tempérament violent, sera poursuivi pour l’assassinat de
son oncle Vincent de Montal. Il est tué lors de son arrestation. Leur
descendante vendra le château, en 1771, au comte Jean-Jacques de Plas de
Tanes. Au moment de la Révolution, Antoine de Plas de Tanes représente la
noblesse du Quercy aux États Généraux. Puis il émigre. Le château est alors
saisi comme bien national. Il devient une sorte d’auberge et commence à
subir d'importantes dégradations. En 1835, s’il faut croire les souvenirs du
baron de Taylor et de Charles Nodier dans Les voyages pittoresques du
Languedoc, Montal est transformé en carrière de pierres. De 1838 à 1879, un
banquier de Saint-Céré possède les lieux. À cette date, le château est vendu
à un marchand de biens nommé Macaire, qui va entreprendre un systématique
démantèlement. En 1881, les statues, bustes, lucarnes, cheminées et portes,
démontées, sont convoyées à Paris pour être dispersées, via une vente aux
enchères, aux quatre coins du monde. Si ce vandalisme n’avait pas, ou très
peu, suscité de réactions indignées dans le Lot, un article paru dans le
journal Le Temps, exprime narquoisement l’amertume ressentie dans la
capitale: "les parvenus de la fortune vont avoir une belle occasion ces
temps-ci d’acheter à Paris non seulement des portraits d’ancêtres, mais
même, par morceaux, tout un château de la Renaissance".
Alerté, un homme décide alors, contre vents et marées, de sauver l’édifice.
Issu d’une famille d’armateurs, à la tête d’une entreprise de raffinage de
pétrole, Maurice Fenaille, à la fois érudit et mécène, rachète, après des
années de tractations épineuses, le vieux château, en 1908. Jusqu’en 1914,
il mettra au service de la restauration des lieux toute son énergie, sa
fortune et son entregent. Il parvient à racheter les pièces originelles,
tant dans des musées nationaux, comme le buste de Robert de Montal au musée
de Lyon, ou la grande frise et des lucarnes au musée des Arts décoratifs,
que dans des musées internationaux, comme le buste de Jeanne récupéré à
Berlin, ou chez des particuliers, tel le baron Hirsch qui acceptera de céder
la cheminée au cerf. Seules la porte d’honneur, une cheminée et une lucarne
sont des copies, les originales ayant été conservées, l’une au musée de
New-York, l’autre dans la famille Menier-Lebaudy, et la dernière au musée de
Philadelphie. En 1913, le président Raymond Poincaré, accompagné de diverses
personnalités, est reçu dans le château rendu à toute sa beauté. Pendant la
Première Guerre mondiale, la demeure abrite les grands blessés en
convalescence, et durant la guerre de 1939-1945, il sert un temps de refuge
aux princes de Belgique, avant de devenir une sorte d’annexe clandestine
pour les œuvres du musée du Louvre. En remerciement, l’État français
laissera en dépôt une toile de François Clouet: le portrait d'Henri II, que
l’on peut toujours admirer dans la salle des gardes. À la veille de la
Première Guerre, Maurice Fenaille avait fait don à l’État du château, se
réservant pour lui et ses deux filles, l’usufruit de la propriété.
L'édifice primitif fut donc repris à partir de 1523. Les travaux se sont
échelonnés jusqu’en 1534. Le château est composé de deux corps de logis en
équerre. Trois tours circulaires munies de meurtrières flanquent ses angles.
Une troisième aile devait vraisemblablement fermer la cour intérieure. La
façade nord a conservé son aspect médiéval et austère. Elle comporte un
pavillon rectangulaire en saillie surmonté d’une tourelle en encorbellement
qui abrite l’escalier. Les façades occidentales de la cour d’honneur sont
particulièrement riches en ornementations. Les deux étages sont séparés par
une longue frise représentant des scènes mythologiques entrecoupées de
rinceaux et d’écus. Une seconde frise, plus discrète, court sous la toiture.
Entre les croisées à meneaux du premier étage, des médaillons surmontés de
gâbles en cloches abritent les bustes dont nous avons déjà parlé, qu’on peut
compter parmi les plus belles sculptures de la Renaissance française. La
porte d’accès au château, située à l’angle de la cour, est somptueusement
décorée. Au-dessus de son entablement décoré de rinceaux, des niches
abritent des statuettes couronnées par des coquilles Saint-Jacques. Les
lucarnes des combles sont fastueuses: des candélabres, des écus, des
figurines, des initiales, des bustes en ronde bosse jaillissent de la
pierre. La première et la quatrième lucarne comportent la devise désespérée
de la dame de Montal, "Plus d’espoir", gravée dans la pierre, ainsi que,
pour la première, l’allégorie de la Douleur accompagnée de la devise "Rien
ne m’est plus, plus ne m'est rien". La seconde présente, dans sa partie
inférieure, la salamandre de François 1er, et une Judith tenant un glaive,
surmontée d’un chevalier portant sur une banderole la devise "mort je suis".
La troisième lucarne contient le blason des Balsac et des Montal "D'azur à
trois flanchis d'argent au chef d’or chargé de trois flanchis d'azur, et
d'azur à trois coquilles d'argent posées 2 et 1 en chef d’or". La quatrième
est ornée de la coquille du pèlerin, la croix de Saint-André et la
répétition de la devise "Plus d’espoir".
La décoration des façades de la cour, traitée dans un style extrêmement
raffiné, inventif, qui dut étonner, sinon éblouir les contemporains de cette
province alors plus accoutumés à la fonction défensive et strictement
utilitaire du château, décoration alliant, par ses thèmes répétitifs, une
réflexion philosophique sur la mort empreinte d’un mysticisme moyenâgeux à
une exubérante et somptueuse ornementation italianisante, donne à Montal
toute sa singularité. L’escalier d'honneur, logé dans la tour quadrangulaire
et qui a déterminé la distribution des pièces, est à lui seul un
chef-d’œuvre de l’art de la Renaissance. Il est constitué de larges volées
droites, Séparées par un mur d’échiffre percé de baies. Le revers des
marches est ciselé de motifs en bas relief: losanges, coquillages, sirènes
et feuillages. Les paliers et le sommet de l’escalier sont couverts de
voûtes sur croisées d’ogives. De monumentales cheminées ornent les
différentes pièces. L’une porte un cerf héraldique traité en ronde bosse. Le
linteau d’une autre, dans la salle des gardes, est entièrement sculpté de
rinceaux, d’écus et de candélabres. Des tapisseries datant du XVIe siècle,
réunies par Maurice Fenaille, parent les murs des salles. Aujourd'hui le
château de Montal est ouvert au public des Rameaux à la Toussaint. (1)
Éléments protégés MH : le château de Montal : classement par arrêté du 14
juin 1909. Les terrains contigus au domaine national de Montal : inscription
par arrêté du 9 juin 1955. Le domaine foncier : inscription par arrêté du 22
septembre 1995.
château de Montal 46400 Saint Céré, ouvert au public du 2 mai au 31 août
de 10h à 12h30 et 14h à 18h30, septembre et avril de 10h à 12h30 et 14h à
17h30, fermé les lundis et mardis...
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous. Licence photo©webmaster B-E, photos
ci-dessous interdites à la publication sur internet, pour un autre usage
nous demander.
A voir sur cette page "châteaux
du Lot" tous les châteaux répertoriés à ce jour dans
ce département. |
|