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Le voyageur qui aperçoit, au bout d'avenues séculaires,
au fond d'un parc anglais, une construction basse et allongée, flanquée de
communs énormes, ne se rend compte que très imparfaitement de ce qu'était,
avant la Révolution française, la résidence de Marie-lrançois-Henri de
Franquetot, duc de Coigny, pair de France, grand bailli de Caen, grand
écuyer de Sa Majesté, député aux États généraux, petit-fils d'un maréchal de
France, maréchal de France lui-même, arrière-petit-fils d'une Goyon de
Matignon, et, pour tout dire, l'un des plus puissants seigneurs de
Basse-Normandie, peut-être de tout le royaume. La résidence était, à la fin
du XVIIIe siècle, digne, par son aspect grandiose, de la noble famille qui
l'habitait. Tout y était conçu pour inspirer l'idée d'une opulence digne et
majestueuse. L'élévation des Franquetot fut rapide, mais éphémère. La lignée
masculine de cette race intelligente s'est éteinte sous la monarchie de
Juillet. Anoblis par Henri II, sous le nom de Guillotte, ils s'allièrent aux
familles nobles du pays, entre autres aux de la Luthumière; puis ils
cherchèrent femme dans la noblesse de cour. Louis Guillotte de Franquetot
épousa, sous Henri IV, Diane de Montmorency, et obtint de changer son nom de
Guillotte en celui de Franquetot, l'une de ses seigneuries qu'il avait
formée en réunissant deux fiefs. Peu après l'acquisition du fief et de la
prévôté de Coigny, les Franquetot prirent le nom de Coigny. Le premier qui
le porta fut Thomas. Il inaugura l'illustration militaire de sa race. Blessé
à la bataille de Lens, il fut nommé maréchal de camp. Le petit-fils de
Thomas fut lieutenant général des armées; il obtint l'érection en comté de
la seigneurie de Coigny. En 1648, il épousa Marie-Françoise Goyon de
Matignon. Désormais la race des Franquetot était classée parmi les premières
du royaume. Marie-François-Henry, le vainqueur de Parme et de Guastalla, le
maréchal de France qui prit Wissembourg, assiégea Fribourg, appartient à la
grande histoire. C'est pour lui, en récompense de ses services, que le
comté de Coigny devint duché-pairie. Le maréchal maria son fils à
Marie-Corentine de Nevers, descendante des Mancini, petite-nièce de Mazarin.
Le brillant officier s'était distingué à l'armée pendant la guerre de Sept
ans. Il avait été nommé maréchal de camp en 1761, premier écuyer du roi,
lieutenant général. Son esprit, ses grâces, lui avaient donné une place
distinguée dans l'entourage intime de la reine Marie-Antoinette. Élu député
de la noblesse du Cotentin aux États généraux, il vit avec effroi, dès les
premiers mouvements populaires, les dangers que son loyalisme redoutait pour
la noblesse et la monarchie. Il paraît certain que, dès le 24 juillet 1789,
il chercha à émigrer. Arrêté, menacé de mort par la population du Calvados,
il dut son salut au dévouement et à l'activité d'un magistrat bayeusain,
Philippe de Delleville, qui lui procura, au péril de sa propre vie, le moyen
d'aller reprendre son siège à l'Assemblée constituante. Dans cette
assemblée, le duc de Coigny s'associa à toutes les protestations de la
minorité. Cependant il ne faisait pas à la nouvelle administration une
opposition systématique. Lorsque les magistrats de Carentan lui demandèrent
de leur prêter, dans l'intérêt du maintien de l'ordre public, les illustres
canons pris par le maréchal à Parme, le député de la droite les prêta de la
meilleure grâce du monde, sur la recommandation de son prévôt, M. Caillemer.
En 1791, il réussit à sortir de France, entra dans l'armée des princes, prit
part aux campagnes des troupes du prince de Condé, et fut mêlé à plusieurs
négociations diplomatiques, puis prit du service au Portugal. Esclave de ses
serments de fidélité envers la famille royale, il ne rentra en France qu'à
la Restauration. Il mourut maréchal de France et gouverneur des Invalides.
Il laissait deux enfants: l'un épousa Marthe de Conflans d'Armentières, "la
reine de Paris", comme disait d'elle Marie-Antoinette, l'une des femmes les
plus séduisantes de cette brillante société du règne de Louis XVI, qui
attendait, au sein des plaisirs les plus raffinés, les orages de la
Révolution française. Le prince de Ligne était aussi l'un des admirateurs de
Madame de Coigny. Il lui écrivait, du fond de la Crimée, des lettres dont
quelques unes nous sont parvenues. Dans l'une d'elles, il faisait de sa
correspondante le portrait suivant: "On ne peut pas dire que l'esprit est
dans vous; mais vous êtes dans l'esprit: vous êtes la plus aimable femme et
le plus joli garçon, et enfin ce que je regrette le plus". La spirituelle
maréchale avait une fille que Napoléon maria à l'un de ses compatriotes, le
comte Sébastiani. L'un des enfants issus de cette alliance épousa un Praslin.
Le château et les terres qui l'entourent appartiennent à deux seigneurs
anglais, lord Hamilton et lord Manvers, gendres du dernier duc de Coigny.
Les habitants du pays ont longtemps conservé le souvenir d'une belle jeune
fille aux cheveux blonds qui faisait, avant la Révolution, de longs séjours
au château, et qu'ils voyaient à l'église de la paroisse, préférée par elle
à la chapelle seigneuriale. Cette belle jeune fille, aux allures cavalières,
était la jeune captive d'André Chénier. "Blanche et douce colombe, aimable
prisonnière". Aimée de Coigny était de celles qui, trop nombreuses,
applaudissaient aux symptômes précurseurs du bouleversement social,
encourageaient Beaumarchais et Rousseau. Le poète ne savait pas si bien dire
quand il écrivait ce beau vers: "L'illusion féconde habite dans mon sein".
Cette illusion, hélas trop réelle, ne fut pas féconde. La noblesse sombra
dans l'orage qu'elle avait elle-même fait naître. Avec elle disparut le
duché-pairie, et rien ne put ressusciter un passé glorieux. (1)
Le château de Coigny se voit à peu de distance de l'église. Les bâtiments
existant dans une vaste cour, à gauche de l'entrée de celle du vieux manoir,
leurs portes cintrées, plusieurs de leurs toits élevés et à pente rapide,
leurs cheminées et tous les autres caractères qu'ils présentent, annoncent
la première moitié du XVIIe siècle. La cour d'honneur, où l'on arrivait par
un pont, était entourée de fossés pleins d'eau, cette sentinelle avancée de
toutes les anciennes demeures seigneuriales était défendue par une enceinte
carrée à murailles très épaisses, et à chaque angle s'élevait une petite
tourelle ou vigie dont la partie inférieure était carrée. La façade du
château est au sud, une partie de ses murs est en pierres d'appareil; il
était flanqué, à chaque angle, d'une tourelle dont on reconnaît encore
l'entrée. Plusieurs de ses fenêtres sont divisées par des croix en pierre;
celles du rez-de-chaussée sont de forme elliptique, et la lumière arrive par
voie oblique. Au centre du château qui se composait de deux pavillons
principaux dont l'un a été détruit, se développait un escalier en forme de
fer à cheval. Les appartements auxquels il conduisait s'accèdent par des
portes dont le cintre est bâti en pierres carrées et cannelées, et dont la
clef de voûte est couverte de fleurs ou présente une figure chevelue. On
voit, au rez-de-chaussée, une salle dans laquelle se trouve une piscine
ornée d'une tête d'ange. On remarque deux cheminées dont l'une à pilastres
cannelés et l'autre couverte de figures qui, de leur bouche, laissent tomber
des fruits et des raisins grappés. Une troisième, dans une salle au premier,
qui est très remarquable par les sculptures qui la couvrent; son genre
d'ornementation, et tous ses autres accessoires, annoncent les derniers
temps de l'époque de la renaissance. Aux abords de deux anciens étangs, il
existe des arbres qui ont vu plusieurs siècles peut-être, et présentent une
circonférence de vingt-cinq pieds environ. Les dépendances possèdent un
pavillon au centre et des colombiers aux extrémités. En raison des
nombreuses destructions dues à l'école d'agriculture, installée en 1886
jusqu'en 1920, cet édifice pose question. Néanmoins, la présence
d'embrasures de tir au bas des tours indique son utilité défensive.
Éléments protégés MH : les cheminée Renaissance du premier étage :
classement par arrêté du 30 mars 1978 (2)
château
de Coigny 50250 Coigny, tel. 02 33 42 10 79, propose la location de
deux chambres d’hôtes.
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