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Le bourg de Ducey est situé sur la Sélune, dont les
rives sont pittoresques et variées. L'étranger qui traverse cette localité
où tout semble respirer la tranquillité, se figurerait difficilement que ce
fut autrefois un des centres les plus redoutables du calvinisme en
Normandie. Les seigneurs de Ducey, les Montgommery, furent en effet mêlés, à
la fin du XVIe siècle, à des scènes sanglantes de notre histoire et leur nom
a encore conservé je ne sais quoi de redoutable. On se rappelle, tout
d'abord, ce grand tournoi du 29 juin 1559, où Henri II, ayant voulu rompre
une lance avec Gabriel 1er, comte de Montgommery, un des capitaines de ses
gardes, reçut de lui un coup mortel. Catherine de Médicis garda rancune au
comte de Montgommery de ce meurtre involontaire et ne put supporter sa vue.
Froissé dans son amour-propre, Montgommery se retira à Ducey et adhéra avec
passion au parti protestant. Il forma, dès 1562, avec le prince de Condé,
Coligny et les Chàtillon, cette funeste coalition qui sema la ruine dans une
partie de la France. Ce n'est pas le lieu de passer en revue les exploits de
ce partisan d'un caractère si étrange, et dont l'existence, comme on l'a dit
si souvent, appartient aussi bien à la légende qu'à l'histoire. Pris à
Domfront, Gabriel de Montgommery fut décapité en cette ville, le 26 juin
1574. Une plaquette du temps, intitulée: Discours de la mort et exécution de
Gabriel de Montgommery, se termine par ces lignes: "Voilà, comme depuis
treize ou quatorze ans en ça, Montgommery par cinq diverses fois a pris les
armes contre son prince et aussi comme il en a esté à la fin salarié, ce que
doivent attendre tous conspirateurs et rebelles s'ils ne se recognoissent et
amendent". Nous ne dirons rien non plus du rôle que jouèrent ses fils
Jacques et Gabriel II de Montgommery, nous contentant de décrire en quelques
lignes le château et de rappeler les noms de ses propriétaires.
Ducey eut, très anciennement, un castrum qui fut détruit, dit un ancien
aveu, "par les actes et hostilités des Navarrois, il y a environ quatre
cents ans, sous les règnes du roi Jean et Charles, son fils". Le premier
seigneur connu, écrit M. l'abbé Pigeon, est Robert de Ducey qui, vers 1135,
donna au Mont Saint-Michel la terre de Fougeray en Bacilly. Son fils
Guillaume fut regardé comme le troisième fondateur de Montmorel. Il donna à
cette abbaye l'église de Ducey, sa chapelle, la dîme de son moulin,
l'ermitage du bois d'Ardenne, une terre assez considérable entre deux gués
de la Sélune, et tout le sable nécessaire pour construire l'église. Après
cette famille, nous trouvons à Ducey, les Husson, les de Laval, les de
Pontbriant et les de la Boissière. C'est par cette famille que nous voyons
les de Montgommery devenir propriétaires de Ducey. Une Claude de la
Boissière épousait, au commencement du XVIe siècle, Jacques 1er de
Montgommery, officier distingué et de vieille noblesse écossaise. Il avait
pris une part importante à la défense de Mézières et au siège de Pavie. Il
se maria trois fois. De son premier mariage avec Claude de la Boissière, il
eut deux fils, Gabriel 1er et François; de son second mariage avec Suzanne
de Sully, il eut également deux fils, Jacques et Louis; enfin, de son
troisième mariage avec Charlotte de Maillé, il eut une fille, Claude de
Montgommery. Gabriel 1er de Montgommery avait épousé Isabeau de la Touche,
dont il eut quatre garçons: Jacques, Gilles, Gabriel et Gédéon, et deux
filles, Suzanne et Elisabeth. Ce fut Gabriel II, gentilhomme ordinaire de la
chambre du roi, capitaine de cinquante hommes d'armes, gouverneur de la
ville et du château de Pontorson, seigneur de Cherencey et de Champcervon,
qui éleva le château.
Bien qu'inachevée, cette demeure vraiment seigneuriale, avec ses grands
toits, ses hautes cheminées, construite dans un style particulier, qui tient
à la fois et de la Renaissance et du XVIIe siècle, aurait mérité d'être
respectée; malheureusement, il y eut un temps peu éloigné, où l'on ne paraît
pas avoir compris l'intérêt que présentait cette construction. Non seulement
l'ouverture de la route de Ducey à Saint-Hilaire amena la destruction d'une
partie des communs et du prêche, mais, de plus, les propriétaires
abattirent, au décut du XXe siècle, la moitié du corps principal qui
comprenait la Salle des Gardes, la Chambre dorée et la Chambre dite des
Nourrices. M. Le Héricher a visité et décrit le château de Ducey avant
toutes ces mutilations et les détails qu'il fournit sont intéressants pour
tous ceux qui ont le culte des anciens monuments. "La Salle des Gardes était
la plus vaste château. Ses poutrelles portent des traces de cartons a
peintures blafardes. La cheminée est riche: des consoles de granit portent
un entablement de bois, orné de trophées. Un tableau remplissait le trumeau.
La Chambre dorée a dû mériter son nom. Les solives sont ornées d'arabesques,
avec de petits pendentifs en cuivre. Une frise peinte court au haut des
parois, et en bas règne un lambris à compartiments, représentant
alternativement un paysage ou des figures mythologiques et des arabesques;
de médiocres grisailles assombrissent les flancs de la cheminée. Celle-ci
est fastueuse: huit colonnes se superposent par deux; les unes en marbre
rouge, les autres en marbre noir, pour soutenir le manteau dont le trumeau a
conservé une mauvaise peinture mythologique. Le cabinet voisin est fort
intéressant pour ses briques peintes ou ornées. Au-dessus de ces
appartements est une pièce qu'on appelle la Chambre des Nourrices".
Le corps central du château a conservé la porte d'entrée avec l'écusson des
Montgommery et de belles colonnes ioniques. On y accède par un perron de
granit orné de colonnes corinthiennes. L'escalier en spirale est
remarquable. Quatre grands piliers carrés, qui vont des caves aux combles,
supportent les marches et les paliers. Au-dessous de cette partie du château
et du pavillon se trouvent de grandes caves, bien éclairées et formant
rez-de-chaussée. Elles servaient jadis de cuisine, de salle de bain, etc. Le
grand pavillon renferme, au premier étage, une vaste pièce, désignée par M.
Le Héricher sous le nom de Grand Premier. On y remarque une cheminée et un
tableau qui représente un guerrier devant une place forte. Comme on le voit
par ces simples indications, le château de Ducey répondait, par l'importance
de sa construction, à l'étendue de son domaine, que plusieurs aveux
conservés aux archives de la Seine-Inférieure font suffisamment connaître.
C'était un plein fief de-haubert avec justice et juridiction, plaids,
gage-plège, cour et usage, etc. D'après un aveu, rendu au roi en 1608, par
Gabriel II de Montgommery, on voit que ce fief s'étendait sur les paroisses
de Chérencey-le-Héron, Champcervon, Boisyvon, la Chapelle-Cécelin,
Sainte-Cécile, Saint-Pierre-du-Tronchet, Notre-Dame de Beslon, Husson, Sacey,
Lessay, Juilley, Bourguenolles, Lengronne et Cérences. A Ducey, Gabriel II
de Montgommery avait, à cause de la motte ou place de château ancien démoli
par les guerres, droit de guet et de garde aussi bien la nuit que le jour,
par ses hommes et ses tenants, tant dans la paroisse de Ducey que dans les
paroisses de Chérencey-le-Héron, Boisyvon, Saint-Martin-le-Bouillant et
Champcervon.
Le domaine non fieffé, d'une étendue de 600 acres de terre environ,
consistait en manoir, maisons, motte et place de château, jardins, prés,
terres labourables, bois de haute futaie, garennes, pêcheries. Le domaine
fieffé, de 700 acres environ, consistait en plusieurs aînesses et autres
terres. Mais un des avantages les plus importants de cette seigneurie était
le droit de pêche. Ce droit nous est indiqué, d'une façon très précise, par
un aveu rendu par Louis de Montgommery. On y lit ce passage: A cause du même
fief "nous avons droit de pescheries et de pêcher avec bateaux, filets et
autrement, pour tout le cours de la rivière de Sélune, depuis le lieu
communément appelé la Roche qui Boit, jusqu'à la Grande Rue de Genets,
suivant les anciens aveux et possessions immémoriales". La famille de
Montgommery, qui avait tenu une si grande place à Ducey, devait disparaître
de cette paroisse au commencement du XVIIIe siècle. Louis de Montgommery
était mort en 1682, laissant deux enfants: Louis II et Suzanne. Louis II
servit dans l'armée de Turenne et mourut à la guerre; il avait épousé Anne
de Machecoul. Sa sœur hérita de la terre de Ducey. Veuve du comte de
Quintin, Suzanne de Montgommery épousa, en secondes noces, le comte de
Mortagne. Vers 1714, la terre de Ducey fut vendue à un sieur Bonnier et
devint, peu après, la propriété de la famille de Poilvilain qui la possédait
encore en 1789. Au début du XXe siècle, une enseigne d'hôtel rappelait
seule, à Ducey, le souvenir des Montgommery (1). En 1920, les propriétaires
d'alors mettent le château en vente et il est acheté par la Société Mabit et
Jardin qui va installer dans le parc du château une distillerie pour la
fabrication de cidre. Le 1er octobre 1984 la ville acquiert l’e bâtiment et
commence des travaux de restauration...
Éléments protégés MH : le château : classement par décret du 20 janvier
1923. Les façades et les toitures du petit pavillon et des communs :
inscription par arrêté du 14 juin 1990. (2)
château de Montgommery, rue du Gal Leclerc 50220 Ducey, tél : 02 33 60 21
53, ouvert au public, visite accompagnée les mardis, jeudis et samedis en
juillet et en août à 15h, au départ de l'Office de Tourisme.
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