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Un seigneur de Gratot se trouvait,
paraît-il, parmi les compagnons de Guillaume le Conquérant, et un certain
Clerembaut de Gratot (Clerembaldus de Girartot) souscrivit une charte de
l'abbaye de Lessay, en 1126. Cette antique famille disparut, et quand
Philippe-Auguste réunit la Normandie à la couronne, le seigneur de Gratot
était Richard de Creully; resté fidèle à Jean sans Terre, il se vit
dépossédé de son fief, que le roi de France confisqua, sans que nous
sachions à qui il le concéda ensuite. C'est vers 1251, par le mariage de
Jeanne de Gratot avec Guillaume d'Argouges, que cette seigneurie passa dans
cette dernière famille, qui, chose remarquable, l'a gardée presque sans
interruption jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Au XVe siècle, nous voyons
Jean d'Argouges, seigneur de Gratot, céder, pour un chapel de roses
vermeilles, le roc de Granville, dont il était seigneur, au roi
d'Angleterre, pour les constructions de la nouvelle ville qu'il voulait y
édifier, et, en 1750, les d'Argouges de Gratot y conservaient encore
quelques droits seigneuriaux. A cette date, il y eut un baptême de cloches à
Granville, et nous lisons, dans une note contemporaine qui relate la
cérémonie: "La première cloche a été nommée par M. de Saint-Pair-Pigeon,
procureur du Roy audit Granville et la demoiselle épouse du sieur de
Grandmaison-Ganne, un des échevins du dit lieu, et ce, du consentement de M.
de Gratot". Au début du XXe siècle, le château de Gratot fut acquis par M.
Quesnel d'Hectot, et appartient à Mademoiselle Quesnel de la Morinière, son
héritière.
Le château de Gratot ne semble pas avoir gardé longtemps d'importance
militaire; ainsi, pendant la guerre de Cent ans, nous voyons que la plupart
des autres châteaux du pays furent l'objet de fréquents assauts des
envahisseurs anglais ou de tentatives de reprise de la part des seigneurs
normands restés fidèles à leur pays, tandis que nos dépôts d'archives et nos
anciennes chroniques ne nous ont encore rien révélé de semblable pour Gratot.
Aussi bien, l'aspect qu'il a gardé évoque-t-il plutôt l'existence paisible
d'un châtelain vivant dans l'abondance au milieu de ses domaines, dont le
Journal du sire de Gouberville nous a donné naguère un tableau si frappant,
que les sièges, les coups de main et les aventures des petites guerres
féodales. Les membres de la famille d'Argouges qui l'ont reconstruit, eurent
toutefois la prudence de le mettre à l'abri des surprises si fréquentes dans
ces temps troublés; la cour d'honneur, de forme à peu près rectangulaire,
est presque entièrement entourée de constructions massives qui, en servant
de communs, pouvaient aussi aider à la défense. On accède à une porte
carrée, percée de deux profondes poternes, et autrefois munie d'un
pont-levis, par une étroite chaussée jetée sur une large douve qui entoure
tout le château. Le corps du bâtiment principal, élevé sur quelques degrés,
avec ses fenêtres largement ouvertes et ses lucarnes monumentales, a subi
l'influence de la Renaissance; on trouve, à gauche, une tour ronde munie
d'un clocheton, et à droite, une autre tour a pans coupés, carrée et plus
large à son sommet; le style des pignons aigus et des sculptures délicates
qui les accompagnent, en fait un monument de la fin du XVe siècle. Des
traces plus anciennes se retrouvent dans d'autres parties, notamment la fin
du XVe siècle, dans un reste de tour carrée qui surplombe les fossés, à
gauche de l'entrée.
Comme beaucoup de familles anciennes, les d'Argouges se sont plu à attribuer
à la leur une origine merveilleuse. C'est ainsi que, dès le XIIe siècle, on
racontait que Godefroy de Bouillon descendait d'une fée mère de sept jumeaux
ayant la faculté de se changer en cygnes; au XIVe siècle, que les Lusignan
avaient pour aïeule Mélusine, la fée-serpent. Il est difficile de savoir à
quelle date remonte la légende des d'Argouges; voici comment Mademoiselle A.
Bosquet nous la raconte. "Un d'Argouges s'était épris d'une femme d'une
grande beauté, qu'il avait rencontrée à la chasse dans une forêt. Elle
voulut bien consentir à accepter sa foi, mais sous la condition expresse
qu'il ne prononcerait jamais devant elle le nom de la Mort. Le sire d'Argouges
s'observait si bien qu'après plusieurs années de bonheur, le mot désastreux
ne s'était pas encore échappé de sa bouche. Un jour que les deux époux
devaient assister à un tournoi, la dame, occupée à sa toilette, se faisait
trop attendre; elle paraît enfin, mais le sire d'Argouges, qui dévorait
depuis trop longtemps son impatience, ne put modérer tout d'abord
l'expression de son dépit: Belle dame, dit-il à sa femme en l'apercevant,
seriez bonne a aller chercher la mort, car vous êtes bien longue en vos
besoignes. A peine eut-il prononcé cette apostrophe fatale, que la fée jeta
un cri aussi déchirant que si ce mot lui eut, en effet, porté un coup
mortel, puis elle disparut, en imprimant sa main sur la porte du château".
C'est à peu près ainsi qu'on vous raconte encore cette légende à Gratot et
l'on vous montrera une tache noire sur l'appui d'une des fenêtres de la tour
carrée, en vous assurant que c'est l'empreinte du pied de la fée. Des
écussons, maintenant mutilés et dont on voit les traces au château et dans
l'église de Gratot, portaient en cimier une fée, les cheveux épars et un
miroir à la main, et la devise d'armes des d'Argouges était: A la fée.
L'église, dont les parties intéressantes remontent au XVe siècle, mérite
d'être visitée: deux monuments funèbres de cette date, encadrés dans la
muraille, et quelques pierres tombales, quoique mutilés et effacés, sont
encore curieux; ils recouvrent les restes de plusieurs membres de la noble
et puissante famille des d'Argouges. (1)
Éléments protégés MH : les ruines du château ; les façades et les toitures
des communs avec la poterne d'entrée ; les douves: classement par arrêté du
4 août 1970. (2)
château de Gratot 50200 Gratot, en 1968, un chantier de bénévoles fut
entrepris pour la restauration et l’animation du château, vingt années de
folle aventure, un défi réussi grâce à de gros travaux de débroussaillage et
de déblaiement jusqu’aux interventions de maçonnerie les plus complexes
réalisés par des jeunes gens venus de France mais aussi d’autres pays du
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