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Ce qui reste de cette importante et élégante
demeure seigneuriale porte les traces d'une démolition systématique, opérée
de sang-froid, nous dit la tradition locale, dans la première moitié du XIXe
siècle. La tour démantelée, la plus grande partie du logis principal rasée
au niveau du sol, l'autre partie éventrée et découverte, la porte
monumentale, encore intacte, qui donnait entrée dans une vaste cour
d'honneur, laissent pourtant deviner ce qu'était, il y a peu d'années, ce
spécimen des constructions civiles normandes à la fin du XVe siècle. Comme
le château de la Rivière, avec lequel il n'est pas sans analogie, Montfort
peut être rangé parmi ces monuments de la première époque de la Renaissance
française, dus à des artistes qui mêlaient, dans un style aussi original
qu'intéressant, les formules architecturales du moyen âge et les données
d'importation italienne. L'escalier en vis de Saint-Gilles, respecté par les
démolisseurs, les cheminées à large manteau, le profil très accentué des
pignons encore debout, appartiennent à la tradition de l'art ogival, mais
les ouvertures rectangulaires à meneaux en pierre, certains détails d'une
ornementation très sobre, une baie de porte voûtée en accolade, écrivent
d'une façon précise, à défaut des documents d'archives, l'âge de notre
château. Il a dû être édifié entre 1490 et 1510; et, lorsque, en 1552, le
seigneur de Montfort y recevait l'évêque de Coutances, Etienne Martel, il
lui offrait, tout porte à le croire, l'hospitalité dans un logis récemment
aménagé. Cet évêque, qui signait à Montfort les lettres par lesquelles il
instituait grand vicaire de son église, Guillaume de Grimouville, était le
beau-frère de son hôte: Gilles Le Marquetel avait épousé Marie Martel, sœur
du prélat coutançais.
Qui sait s'il n'y a pas une relation entre la construction du château et
l'alliance du seigneur avec l'une des Martel, évidemment riche et bien
apparentée? La coïncidence des dates de ces deux événements de famille
paraît, dans tous les cas, intéressante à noter. La famille Le Marquetel
était en relations suivies avec le clergé et la magistrature de Normandie.
Plusieurs de ses membres ont figuré au grand bailliage du Cotentin. Henry Le
Marquetel était, en 1718, grand prévôt de Normandie, et une Madeleine Le
Marquetel épousa Pierre Soyer, seigneur d'Intraville, conseiller au
Parlement de Rouen. Charles prit pour femme Anne de Troismonts. Ce nom de
Troismonts était celui d'une famille qui plusieurs fois fournit des
héritières à la noblesse cotentinaise. Les Le Marquetel sont plus connus par
leurs générosités aux églises, par l'établissement d'une chapelle, de la
confrérie du Rosaire en l'église de Remilly, que par les prouesses
militaires des représentants du nom. On ne trouve pas de trace d'un rôle
quelconque joué par un Le Marquetel, soit dans les guerres contre
l'étranger, soit dans les troubles suscités par le protestantisme. Si nous
en croyons le genre de construction de leur château, d'une élégance à la
fois sobre et sérieuse, le choix des familles avec lesquelles ils
contractaient alliance, ils appartenaient à cette société de gens de robe,
plus préoccupés des choses de l'esprit, plus soigneux aussi de la prospérité
de leurs affaires, que n'était en général la petite noblesse d'agriculture
ou d épée. Nous voyons, en effet, de génération en génération, la glèbe
primitive s'arrondir, les pertes résultant du partage entre les enfants se
combler par d'heureux mariage, et il est possible de constater ce fait digne
de remarque, que, depuis le XVe siècle jusqu'au début du XXe siècle, le
domaine de Gilles Le Marquetel, le premier du nom dont l'histoire nous ait
laissé le souvenir, n'est pas sorti de la descendance directe de son premier
propriétaire.
En 1739, le nom des Le Marquetel s'éteint, et la dernière fille de la race
épouse Pierre-Gabriel-Jacques Lempereur, chevalier, seigneur et patron de
Saint-Pierre-Langers, la Bellière, la Rochelle, Coigny et autres terres et
seigneuries. Les Lempereur fournirent des serviteurs à l'armée dès le début
du XVIIIe siècle, et le dernier seigneur qui ait habité Remilly,
Hervé-Louis-Gabriel, suivait les traces de plusieurs de ses ancêtres quand
il entra aux gardes du corps du roi; c'est là que nous le trouvons, avec le
grade de capitaine de cavalerie, en 1779. Il était à Montfort lorsqu'éclata
la Révolution française. Bien qu'il n'eût pas émigré, il vit ses titres
brûlés, et fut même incarcéré à Coutances. Grâce au dévouement d'un de ses
gardes, il put s'évader à temps pour n'être pas compris dans une de ces
fournées qui pourvoyaient le tribunal révolutionnaire. Après le 9 thermidor,
il put faire lever le séquestre qui frappait ses biens. Il mourut en 1816,
laissant ses biens à ses deux frères, dont l'un fut député de la Manche à
l'Assemblée constituante, en 1848. Celui-ci laissa deux fils, dont l'un fut
préfet, sous l'Empire, puis membre du conseil général de la Manche. Le
second représenta la Manche à l'Assemblée nationale de 1871. Montfort
n'appartenait plus, depuis le début du XVIe siècle, à la branche aînée des
Le Marquetel. Cette branche avait reçu en partage le fief de
Saint-Denis-le-Gast, acquis par Gilles 1er, en 1540, Disons en passant que
c'est du fils aîné de Gilles 1er et de Marie Martel qu'est issu Charles de
Saint-Denys de Saint-Évremond, le spirituel et sceptique auteur du Discours
sur les Belles-Lettres, du Parallèle entre Turenne et Condé, l'un des plus
fins parmi les littérateurs du grand siècle. Qu'aurait pensé l'évêque de
Coutances, s'il avait pu prévoir que de sa sœur naîtrait un écrivain cher
aux "libertins" et aux protestants, l'un des précurseurs des ennemis du
trône et de l'autel?
De quelle famille venait aux Le Marquetel ce domaine de Montfort? Ils ne
paraissent l'avoir possédé que depuis la fin du XVe siècle. Nous trouvons,
au XIIe siècle, un Geoffroy de Montfort (Galfridus de Monteforti), qui,
d'après une pièce existant aux archives de la Manche, traite avec les
religieux de Lessay, conjointement avec Gervaise de Sai, au sujet du
patronage des églises de Gouville et de Quettreville. Plus tard, en 1265, un
Guillaume de Montfort était curé de Gouville; en 1316, Jean de Montfort
tenait le même bénéfice, et, dans un procès qu'il soutenait contre l'abbaye
de Lessay, Raoul de Montfort figura comme arbitre. En 1327, Guillaume de
Montfort tient en l'honneur de Marigny son fief à Remilly. L'identité entre
la famille des plaideurs des XIIe et XIVe siècles et celle dont un membre
rend hommage à Richard de Courcy, est prouvée par la constatation d'une
communauté d'intérêts entre le patron de l'église de Quettreville et
Gervaise de Sai, qui, au XIIe siècle, était seigneur de Marigny et suzerain
du seigneur de Remilly. C'est probablement Geoffroy de Montfort qui a donné
son nom à notre fief. Le plateau sur lequel s'élève le château, au confluent
de la Vanloue et du Lozon, ne justifie pas, par sa situation topographique,
les noms de mont et de fort. Cette famille de Montfort, sur laquelle nous
n'avons que des données incomplètes, a eu probablement pour dernière
représentante une fille qui, vers la fin du XVe siècle, aura apporté, par un
mariage, ses biens au premier connu des Le Marquetel. Au début du XXe
siècle, le château de Montfort appartenait à M. Vermont, à l'obligeance
duquel l'auteur de cette notice est redevable de documents utiles et
précieux. (1)
Éléments protégés MH : le château de Montfort (ensemble des ruines) :
inscription par arrêté du 29 décembre 1978 (2)
château de Montfort 50570 Rémilly-sur-Lozon, tel. 02 33 55 30 11,
musée de l'art du bois, ouvert au public d'avril à octobre, les samedi et
dimanche après-midi, en juillet et août, tous les après-midi.
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