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L'origine de ce nom de Millerie vient probablement de ce que la première
habitation élevée dans ce domaine appartenait à une famille du nom de
Milles, sur laquelle nous avons trouvé, dans les papiers du château,
quelques rares renseignements. A la fin du XVe siècle, les héritiers de
Guillaume Milles fondent à Tessy un service de messes pour le repos de l'âme
de leur père. Les débiteurs des rentes consacrées à acquitter la fondation
habitent, dit l'acte, Tessy, Beaucoudrey et Chevry. Peu d'années après,
apparaît dans les actes le titre de sieur de la Millerie, possédé par des Le
Moussu, de race noble, dont l'un, en 1612, était lieutenant général de M. le
bailli de Moyon; un autre, Nicolas, fut enterré dans l'église de Chevry, où
l'on voit encore son tombeau. A côté de lui fut enterrée sa femme,
"demoiselle Louise Germain", que des pièces historiques nous signalent sous
le nom de Louise Germain de la Conté, originaire de Saint-Jean-de-Daye. La
nièce de Louise Germain épousa M. de Boisdavy, mort glorieusement à Lens, et
entra en religion après cet événement. L'histoire de sa vie a été écrite par
son oncle, le Père Le Moussu, jésuite, recteur du collège de Navarre,
probablement né à la Millerie. Le manuscrit existe et sera sans doute publié
quelque jour. En 1658, Nicolas Le Moussu avait obtenu de Monseigneur de
Loménie de Brienne l'autorisation d'ouvrir une chapelle dans sa maison de la
Millerie. De ce sanctuaire familial, il ne reste rien, sinon deux tableaux
qui l'ornaient jadis, et que l'on conserve encore de nos jours. Les Le
Moussu avaient droit de séance et de sépulture au premier rang du côté de
l'évangile, dans la nef de l'église de Saint-Pierre de Tessy, et ce droit a
été transmis à tous les propriétaires subséquents de la Millerie, jusqu'à la
Révolution.
Antoine Le Moussu fut le dernier du nom. Ses deux nièces, dont l'une avait
épousé Antoine Desmarets, écuyer, sieur de Bavent et de Montchaton, et
l'autre, Louis Leroy, écuyer et sieur de la Bretonnière, de la paroisse de
Muneville-le-Bingard, vendirent le domaine de la Millerie à Gilles Raould
Oury, conseiller du roy, en l'élection de Saint-Lo. Une fille de ce dernier,
Magdeleine, épousa M. Laffoley de Sorteval. Ce fut de leur fils,
Philippe-Henri Laffoley, sieur d'Artilly, que Jean-Baptiste Pinel du Hamel,
architecte du roy dans le corps des ponts et chaussées, bourgeois de Torigny,
acquit le domaine de la Millerie. Le nouvel acquéreur, aidé de son père et
de son frère, tous les deux architectes du roy comme lui, s'empressa de
modifier sa nouvelle habitation au goût du jour. Nous n'avons pu recueillir
que des renseignements incomplets sur cette famille d'architectes, qui, si
l'on en juge par les travaux exécutés par eux au château, devaient être
d'habiles gens, rompus aux difficultés de l'art de bâtir. Si l'on pouvait
fouiller les archives complètes des fabriques du pays, il est probable que
l'on retrouverait la main d'un Pinel dans nombre de restaurations ou
décorations exécutées dans le pays, au cours du XVIIIe siècle. Le premier de
la lignée parait être Nicolas, sieur de la Croix. Né à Chevry en 1675, il
habita Torigny, où il avait acquis le droit de bourgeoisie. Nous avons lieu
de supposer qu'il apprit les secrets de l'architecture et de la décoration
en participant aux travaux importants dont le château des Matignon fut
l'objet à la fin du XVIIe siècle. Peut-être collabora-t-il à la décoration
de la "chambre dorée" et de l'aile maintenant détruite.
Les fils de Nicolas, Jacques et Jean-Baptiste, surtout ce dernier, qui
s'intitule après lui sieur du Hamel de la Millerie, ont été du nombre des
clients des ducs de Valentinois. Lorsque Jean-Baptiste Pinel acquit la
Millerie, le prince de Monaco fit remise de partie du droit de treizième dû
au seigneur suzerain, en considération des services qu'il avait rendus à
Monseigneur le prince de Monaco, à Torigny. La remise s'élevait à la somme
de 683 livres 6 sols 8 deniers. Nos trois architectes, qui avaient donné le
plan de plusieurs églises du pays, entre autres du clocher de
Saint-Romphaire, s'employèrent à la construction puis à l'ornementation de
l'église de Chevry. La paroisse de ce nom, siège d'un fief relevant de la
seigneurie de la Roche, dépendait de l'archidiaconé du Val-de-Vire et du
doyenné de Percy. Elle paraît avoir été constituée fort anciennement. En
1271, nous trouvons dans le dénombrement de l'ost de Foix (exercitus
Feixensis) le nom de Guillaume Bertram, détenteur du fief de Chevry. La
suzeraineté de ce fief resta aux mains des comtes de Torigny, héritiers de
la seigneurie de la Roche, jusqu'en 1783, époque à laquelle elle fut cédée à
Jean-François-Christophe Pinel, qui s'intitula, depuis lors, seigneur et
patron de Chevry. Au centre de ce fief s'élevait jadis une église fort
ancienne, dont il ne reste plus que quelques pierres employées à la
construction du presbytère de Chevry. Sur l'une d'elles, on lit une date du
XVIe siècle. On conserve aussi, dans cette église, un bas-relief
représentant Notre-Seigneur en croix au milieu des douze apôtres: ce
bas-relief a été vu et signalé par M. de Gerville, qui en parle dans un de
ses manuscrits inédits. Il est probable que cette vieille église était en
ruines lorsque Nicolas Pinel en entreprit la reconstruction.
Nous savons que, d'accord avec le curé de la paroisse, M. Debon, et en
partie avec les deniers de celui-ci, il fit ériger la tour en 1730. Le
portail occidental fut construit sous la direction de Jean-Baptiste Pinel,
fils de Nicolas, ainsi qu'en témoigne une inscription encore lisible sur les
vantaux de la porte. De son côté, Jacques Pinel donna à l'église un lustre
en bois doré, d'un dessin et d'une exécution assez remarquables. Nicolas
Pinel mourut à Tessy en 1757, six mois après l'acquisition consentie par son
fils du domaine de la Millerie. Il fut enterré dans l'église qu'il avait
reconstruite et on peut lire sur la pierre tombale, qu'il se distingua "par
son zèle pour l'ornement de cette église" Les travaux que Nicolas Pinel et
ses fils ont exécutés a la Millerie peuvent se rapporter à deux époques bien
distinctes. Le salon, la salle a manger qui de leur temps était la cuisine,
et la façade principale peuvent être revendiqués par l'acquéreur de la
Millerie.Le grand fronton central, le bas relief qui le décore, le profil
des entourages des fenêtres, le modèle des mascarons, sont l'œuvre d'un
dessinateur habile, nourri des traditions architecturales en vogue dans la
première moitié du XVIIIe siècle. Quant à l'escalier central et au pavillon
formant corps avancé sur la façade postérieure, le style Louis XVI y
apparaît avec ses lignes verticales un peu raides, ses pilastres cannelés,
le profil de ses moulures, ses ouvertures ovales. Le chambranle et le
linteau de la porte principale de ce côté ne laissent aucun doute sur
l'attribution de cette partie de la construction a celui des Pinel qui
vivait vers 1775. Tout en modifiant profondément le style de leur
habitation, les architectes propriétaires respectèrent l'ordonnance
générale, la silhouette très élégante de l'ancien logis. Celui-ci datait
très vraisemblablement de l'époque de Henri IV. Il avait été construit par
les Le Moussu sur le modèle de gentilhommière qu'avaient dicté aux nobles
normands les terreurs des guerres de religion. Avec ses murs épais, ses
ouvertures rares, ses pavillons d'angle, l'ancien château de la Millerie
était, à la rigueur, à l'abri d'un coup de main.
Les Pinel conservèrent les toits pointus et la solide charpente du vieux
logis. Ils eurent le mérite d'allier, dans une savante harmonie, les travaux
neufs avec l'ancienne bâtisse et donnèrent à tout l'édifice un caractère
d'ensemble que comportent rarement ces maisons élevées à plusieurs reprises,
sous des inspirations très différentes. Il est vrai qu'ils étaient les
maîtres, et qu'ils pouvaient ne prendre de la mode que ce que leur goût
artistique leur dictait. Le fils de Jacques Pinel, qui hérita de son père et
de son oncle, fut comme eux bourgeois de Torigny, mais ne suivit pas leur
carrière. Il acheta la seigneurie et le patronage de Chevry des princes de
Monaco, s'intitula seigneur et patron de la paroisse et prit femme dans la
noblesse du pays. De Mademoiselle de Billeheust de Boëssé, il n'eut qu'une
fille, Marie-Thérèse-Victoire, qu'épousa François-Joseph Leconte, écuyer,
sieur de Sainte-Suzanne, qui devint, sous le premier Empire et la
Restauration, membre du conseil général de la Manche et juge de paix de
Tessy. Il ne laissait qu'un fils, Sigismond, né à Chevry en 1797, qui servit
sous la Restauration comme officier de cavalerie et fut garde du corps de
Charles X. Il épousa, en 1836, Mademoiselle Épron de la Fossardière et
mourut en 1854. Il habitait constamment au château de la Millerie. Son fils
Sigismond-Charles-Joseph mourut célibataire en 1864. Madame de
Sainte-Suzanne, née de la Fossardière, hérita de son fils. Elle mourut en
1884, laissant tous ses biens à ses neveux, MM. Léon et Alfred Prémont, tous
les deux membres influents du conseil général de la Manche. (1)
château de la Millerie 50420 Tessy sur Vire, propriété privée, ne se visite
pas. Le parc possède deux arbres classés au label départemental des arbres
remarquables : un cèdre du Liban d'une hauteur de 20 mètres et d'une
envergure de 10 mètres, daté de 1820, et un cèdre de l'Atlas, haut de 20
mètres et d'une envergure de 13 mètres, daté de la fin du XIXe siècle. Au
milieu du XXe siècle la propriété appartenait à M. Noël.
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