|
Le donjon de Chambois qui s'élève dans la riante vallée
de la Dives, est l'un des plus curieux spécimens de l'architecture militaire
au XIIe siècle et l'un des plus importants monuments historiques classés
dans le département de l'Orne. Le rare état de conservation de cette
imposante forteresse, à laquelle manquent seuls quelques créneaux écroulés,
permet à la pensée de la restituer telle qu'elle était autrefois, à
l'imagination de la repeupler d'archers et d'hommes d'armes. M. de Caumont
qui, dans la Statistique routière de Basse-Normandie, a décrit le donjon de
Chambois, le présente comme un des mieux conservés qu'il ait jamais
rencontrés en France. Nous ne saurions mieux faire, que de transcrire les
pages consacrées à ce très curieux reste des temps féodaux par le célèbre
archéologue normand. La superbe tour de Ghambois "est en forme de carré
long; elle est garnie aux quatre angles de larges contreforts couronnés par
quatre guérites en pierre. Le grand côté, tourné vers le sud, est en partie
masqué par une tour appliquée", comme il s'en trouve souvent dans d'autres
forteresses; un contrefort central garnit le côté nord. Une galerie crénelée
et saillante, portée sur des modillons, couronne l'édifice entre les quatre
guérites et fait le tour du toit. La porte d'entrée se trouvait à 18 pieds
au-dessus du sol, dans la tour appliquée contre la façade méridionale. Rien
n'annonce qu'on y accédât par un escalier, et les habitants de Chambois
rapportent, avec quelque vraisemblance, qu'on se servait d'une échelle en
fer pour y Monter.
Un vestibule étroit, éclairé par une fenêtre légèrement pointue et divisée
en deux par un meneau, succédait à cette porte, et précédait un vaste
appartement qui occupait à lui seul tout le diamètre du donjon, au premier
étage au-dessus du rez-de-chaussée. Une corniche à modillons règne tout
autour de ce salon; elle devait supporter les solives du plafond. Une vaste
cheminée, dont le manteau est couvert de moulures en losanges, attire les
regards dans le mur du nord, au milieu de ce bel appartement. Deux autres
étages, dont les planchers n'existent plus, n'offraient pas, dans leurs
décors, le même soin que la grande salle du premier. Il est facile de voir
que celle-ci était le lieu de réception, le salon du baron de Chambois et de
sa famille. L'intérieur des tourelles carrées, placées aux angles, avait été
utilisé de différentes manières; un oratoire se trouvait dans la tour du
nord-est; celle qui est orientée au sud-est, renfermait à sa base un cachot
ou prison, dans lequel on descendait par une trappe; enfin, la partie
supérieure de la tourelle était disposée pour servir de colombier.
Nous ne pouvons que rappeler, en cette courte notice, quelques faits
saillants de l'histoire de Chambois. Il y avait dans ce bourg, dès le Xe
siècle, et antérieurement à la construction de la forteresse, une habitation
qui fut concédée, en 1024, au comte de Péronne, par Richard II, duc de
Normandie. Mais le donjon, selon l'opinion de M. de Caumont, doit avoir été
bâti au XIIe siècle. Confisqué par Henri d'Angleterre, en 1113, Chambois fut
compris, en 1204, dans la confiscation et la réunion de la Normandie à la
couronne de France. La seigneurie de Chambois, qui était, en 1210, un fief
du bailliage d'Exmes, resta unie au domaine de l'État jusqu'au moment où le
complice des Anglais, Charles le Mauvais, roi de Navarre, s'en empara; mais,
battu par Duguesclin à Cocherel, en 1364, il dut prendre l'engagement de
restituer le vieux donjon. Le château de Chambois fut-il alors compris dans
la récompense accordée à Duguesclin en raison de ses services? La adition le
veut, mais l'histoire n'autorise pas à attacher à la forteresse
anglo-normande le souvenir de l'illustre connétable. Pendant les guerres du
XVe siècle, Chambois retomba aux mains des Anglais, mais ce fut pour peu de
temps, et la maison de Tilly, sur qui la confiscation en avait été opérée,
rentra promptement en possession de son domaine. Il passa peu après, à la
suite d'une alliance, à la maison de Rosnevinen.
En 1568, la forteresse de Chambois fut occupée par les troupes de
Montgommery. Gaspard de Saulx-Tavannes, qui brûla le bourg, tenta vainement
de réduire le donjon. Il n'en put venir à bout et fut contraint de lever le
siège. Puis le château de Chambois disparaît de l'histoire. Dans la première
moitié du XVIIIe siècle, le domaine appartenait à M. de Graverond, qui
l'avait acquis ou en avait hérité. L'ancienne habitation menaçait alors
ruine; il la fit démolir et construisit à la place un château dans le style
moderne. Le 7 juin 1771, la terre de Chambois fut vendue à M. Demeuve. Le
nouveau propriétaire fit aussitôt construire des pavillons qui formèrent les
ailes du château. Le 20 janvier 1787, il vendit la nue propriété de son
domaine à M. Delessart, trésorier de France, qui la rétrocéda, le 21 juillet
1793, à M. Pierre-Nicolas Collombel. M. Demeuve s'était, par une clause
assez singulière, réservé l'usufruit de sa terre et de son château, où il
continuait à résider. Cet usufruit, d'ailleurs, faillit être, pendant la
Révolution, troublé d'une façon fort dramatique.
Les patriotes de Chambois, offensés par l'aspect de Bastille provinciale que
présentait le vieux donjon, se rendirent au château pour arrêter M. Demeuve;
mais le châtelain était doué d'à-propos et de philosophie. Il avait fait
sculpter, à la place de ses armes, sur le fronton du château, un enfant
ouvrant à un oiseau la porte d'une cage et la légende: HIC LIBERTAS
ITAQUE FELICITAS. Il montra aux envahisseurs cet emblème patriotique et
leur fit entendre que le rôle de l'enfant était fort beau et que le leur
serait assurément fort vilain s'ils emprisonnaient un ami de la liberté. Et
les paysans se retirèrent attendris comme des bergers de Florian. Ils se
félicitèrent d'ailleurs de n'avoir point abattu la forteresse féodale,
lorsque, quelques années après, les chouans menacèrent Chambois. Les
habitants du bourg transportèrent en hâte, sur les créneaux, des pierres et
des poutres pour écraser les assaillants, et retirèrent l'échelle qui
conduisait au premier étage. Les femmes s'étaient réfugiées dans la grande
salle seigneuriale; les hommes, armés de mauvais fusils, entendaient
soutenir un siège, comme les protestants l'avaient fait en 1568; mais les
chouans, dont une bande parcourait les environs de Chambois, n'apparurent
pas sous les murs du donjon. Toutefois, comme, en ces salles vastes et
sonores, l'on éveillait l'écho des anciens bruits de guerre et que les
grands mots venaient à la bouche, l'on appela ce jour de petites angoisses
la journée de l'épouvante et le nom lui en est resté dans la chronique
populaire.
M. Collombel, qui avait réuni l'usufruit de Chambois à la nue propriété à la
mort de M. Demeuve, transmit cet héritage à ses enfants qui le partagèrent.
Le château fut attribué à M. Pierre-Louis Collombel, son fils aîné. En 1829,
le domaine fut vendu, par autorisation de justice, au marquis de Tamisier,
attaché à l'ambassade de France à Londres. Le nouveau propriétaire divisa la
terre, la vendit par fractions et fit démolir le château construit par M. de
Graverond et augmenté par M. Demeuve. M. Renault, maire de Chambois et
notaire, acheta le donjon, le jardin du château et plusieurs pièces de
terre. Il y fit construire, en 1843, une charmante habitation qui, entourée
de fleurs et d'arbres verts, rappelle, par une décoration artistique, les
plus élégantes villas italiennes. Elle est aujourd'hui, ainsi que le donjon,
la propriété de M. Auguste Canivet, membre du Conseil général de l'Orne,
membre de la Société française d'archéologie et de la Société historique et
archéologique de l'Orne. M. Canivet a donc qualité pour veiller à la
conservation de la forteresse anglo-normande. Il le fait avec un soin pieux
et, grâce à lui, le vieux donjon s'élève toujours intact près de la
gracieuse villa qui a remplacé "le bon maneir de Canbai des cuntes de Perune,
le castel du sire de Ferires-Chamboys, le compagnon d'armes de sir John
Falstaff, et le château de M. Demeuve, aux frontons allégoriques". (1)
Éléments protégés MH : le donjon, le portail, la chapelle, l'enclos, le
colombier, l'enceinte et l'écurie : Classement du 22 juin 1901.
château fort de Chambois 61160 Chambois, tel. 02 33 67 64 17, ouvert au
public, visite des extérieurs toute l'année.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous.
source
des photos :
https://www.google.fr/maps
A voir sur cette page "châteaux
dans l'Orne" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
|