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Sur le sommet des collines qui partagent les
bassins de l'Orne et de la Rouvre, près de l'endroit ou s'élevait naguère un
télégraphe aérien, on aperçoit de longues lignes de hêtres séculaires, de
brillantes nappes d'eau, de vastes prairies, et, çà et là, des bouquets
d'arbres qui dominent la contrée. Au milieu de ce cadre apparaît l'imposant
château du Repas qui fut bâti d'un seul jet, de 1505 a 1515, s'il faut en
croire le dernier baron de Cheux. La façade principale, vue d'un peu loin,
indique, par son ensemble, la pensée qui présida à la construction de
l'édifice. Après les guerres sanglantes de la Ligue, un homme sage ne
pouvait négliger les moyens de défense. Aussi le Repas possède-t-il des
douves profondes, un pont-levis protégé par de puissants pavillons, et, au
delà, des poternes habilement déguisées et des sauts-de-loup très largement
établis. Une gravure nous le donne sous un aspect différent et permet de
découvrir d'un coup d'œil les parties les plus intéressantes: en haut, les
cheminées monumentales qui émergent des toits pointus; aux ailes, les
lucarnes genre Louis XIII, qui font un heureux contraste avec celles moins
riches du reste du logis; le bel entablement aux modillons réguliers, la
grosse tour d'escalier, et les gracieuses tourelles d'angle encorbellées. Le
visiteur seul peut avoir une idée de la terrasse, des jardins et surtout de
la grandiose magnificence d'un domaine tout sillonné d'avenues.
Dans ce coin de la Basse-Normandie, a dit un seigneur des environs, nous
avons des maisons et des demeures plus ou moins soignées; au Repas il y a un
véritable château; c'est même le seul du pays. Il fut primitivement habité
par les de Sallet, famille autrefois puissante que l'on retrouvait à la
Héraudière, en Saint-Aubert-sur-Orne, au Bois, et autres lieux. Elle fut
maintenue en 1666, lors de la recherche de la noblesse par de Marle. Ses
armes (on les voit au portail de l'église à côté d'un autre écusson qui doit
rappeler une alliance) sont: d'argent à deux roses de gueules en chef et un
cœur de même en pointe. Après avoir bâti, en 1656, près de la demeure
seigneuriale, une modeste église où les fidèles de la région viennent prier
saint Julien le Pauvre, pour les enfants malades, cette famille qui avait
fourni à la France de nombreux et vaillants défenseurs, s'éteignit au milieu
du siècle dernier. Son héritage échut à François-Gabriel de Cheux, qui
devint seigneur du Repas, Chênedouit, Chêne-Sec et autres fiefs. Ses armes
portent une croix de sable ancrée, sur champ d'argent; la devise est: Tout à
Dieu et à l'honneur. Les premiers personnages connus de cette famille, déjà
barons normands, préférèrent une position faite aux éventualités de la
conquête, et eurent le tort de ne point suivre Guillaume le Bâtard dans son
expédition d'Angleterre. Après sa victoire, le terrible duc se vengea en
confisquant, au profit d'un de ses guerriers, la baronnie de Cheux, sise au
delà de Caen, dans le canton de Tilly-sur-Seulles.
Les de Cheux eurent nécessairement pendant des années un rôle amoindri. Vers
la fin du siècle dernier, à la mort de son père, arrivée le 10 janvier 1787,
Charles-Alexandre-Anne, baron de Cheux, était contre-amiral des navires
royaux et chevalier de Saint-Louis. Envoyé par Louis XVI à la recherche du
malheureux La Pérouse, il fut porté, pendant la Révolution, sur la liste des
émigrés, malgré les protestations de ses amis qui firent remarquer que
l'amiral était au service de la patrie. Une partie de ses biens, sis à
Sainte-Honorine-la-Guillaume, furent vendus. Après la tourmente, le baron de
Cheux se retira à Cintheaux, dans l'arrondissement de Falaise. Le château du
Repas, qui avait été pillé, saccagé et vendu, appartenait alors à l'abbé de
Cheux. Il avait été racheté et rendu à ses propriétaires par un intendant
fidèle et dévoué, Guérin d'Arpentigny. L'abbé, nous apprend son épitaphe,
avait été vicaire-général et chanoine de Coutances dans les temps les plus
difficiles. Fidèle à son Dieu et à son roi, il avait suivi l'exemple de ses
ancêtres. Recommandable par toutes les qualités du cœur et de l'esprit, il
fut nommé évêque de Séez. En quittant Cintheaux, où il était venu chercher
les sommes qui lui étaient nécessaires pour son sacre, il tomba de sa
monture et mourut des suites de sa chute le 20 septembre 1816.
Le contre-amiral, son frère et héritier, vint alors se fixer au Repas avec
sa femme Françoise-Charlotte-Emilie, fille du marquis Hébert de Beauvoir,
que l'amiral avait connu dans ses expéditions lointaines. Leur fils,
Jean-François-Charles, devint page de Louis XVIII et officier de carabiniers
sous Charles X. Démissionnaire en 1830, il a passé sa vie au château du
Repas, où il est mort en 1884, âgé de 80 ans. Après sa mort, la fortune et
le titre échurent au baron Georges de Banville. Le jeune baron a
malheureusement trouvé la mort au cours d'une excursion en Algérie. Ses
frères et sœurs, issus du mariage de Aymard de Banville et de dame Berthe de
Beauvoir, sœur du respectable abbé de Beauvoir, curé de Saint-Godard de
Rouen, se refusent à habiter la demeure qui appartint à leur infortuné frère
(1). Le château était pratiquement abandonné lorsque le Comte et la Comtesse
de Bagneux l'acquirent en 1905 et entreprirent sa restauration; leur œuvre a
été courageusement poursuivie par leur fils, le Comte Raoul de Bagneux. Le
corps de logis principal apparaît au fond de la cour d'honneur, bordé à
gauche et à droite par deux ailes plus basses qui aboutissent aux pavillons
flanqués d'échauguettes. Le portail d'entrée est précédé d'une belle allée
rectiligne bordée d'arbres. Edifié entièrement en granit, tiré du sol même
du domaine, le château fut élevé à l'emplacement d'une forteresse du XIIIe
siècle. Il ne reste de cette dernière, en dehors des vestiges dans les
fondations, que le donjon qui marque le centre de la façade sur le jardin,
donjon transformé au XVIIe siècle pour y loger l'escalier et coiffé d'un
dôme à lanternon. Toute la demeure est entourée de douves récemment remises
en eau.
Éléments protégés MH : les façades et les toitures ; les douves (y compris
le pont-levis) ; les perspectives : inscription par arrêté du 30 octobre
1967. (2)
château du Repas 61210 Chênedouit, propriété privée, ne se visite pas.
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