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Du temps que planait sur les campagnes et les cités la
vague terreur des huguenots; du temps que ies Domfrontais sabordaient à
l'aurore en se disant tout bas: "Le donjon est pris" ils virent une grande
lueur poindre et croître à travers les bois qui formaient, sur les coteaux,
l'horizon sourcilleux de la cité. Cette lueur montait de l'orient: les
Jugeries brûlaient. Pour livrer aux huguenots la forteresse, aux flammes le
logis de Itard, l'église Notre-Dame, et la maison des juges, deux
aventuriers avaient suffi: c'étaient les deux frères Lechérissé. Bientôt ils
pendraient à de justes gibets qui vaudraient à Domfront la gloire
proverbiale de ne point épargner plus d'une heure les ennemis publics. Les
ruines des Jugeries redevinrent habitables. Deslandes, sieur de Surlandes,
conseiller du roi les posséda, puis, en 1606 , un sieur Lépinay, en 1670, un
sieur Ledebotté leur attribuèrent assez d'importance pour s'en intituler
seigneurs. Avant 1789, M. d'Oillanson, brigadier des gardes du corps du roi,
devint acquéreur des Jugeries, qu'il n'habita point. En 1820, le
propriétaire M. de Godras, marquis d'Haleine, descendant des Quincé, y fixa
sa maison des champs, et son gendre Louis de Frileuse y bâtit le logis à
deux étages qu'entourent encore aujourd'hui de vieux bois et de vieilles
charmilles. Ce lieu est, par le fait même de sa situation, l'une des
promenades les plus exquises de la banlieue domfrontaise. De quelque côté
qu'on s'y rende, on éprouve les impressions de la fraîcheur et de la
solitude. Si, venu par le nord, on monte la colline appelée "Truble ", on la
voit hérissée d'arbres séculaires. Si l'on vient du sud, on accède aux
Jugeries par un sentier de sable fin qui dissimule longtemps sous les
branches son point d'arrivée mystérieux; l'épi de la tourelle paraît d'abord
en haut de la ravine, puis le faîte ardoisé, puis le mur et le seuil.
Enfin, si l'on vient du côté de l'orient, on s'engage dans un chemin rural
ou plutôt forestier, on aperçoit la file de ces toits inégaux, que découpe
et profile sur l'horizon le féodal Domfront. Tout à coup les barrières
peintes succèdent aux ajoncs, la route devient entenue et même soignée, deux
corbeilles de bégonias rutilent aux yeux, serties dans une fine pelouse et
tout au fond, bleuâtre des ombres vespérales, surgit le château. La forêt s'entr'ouvre
et les grands arbres regardent extasiés cette surprise de la clairière. La
demeure est entièrement revêtue de tapisseries aux tons chavannesques, aux
précisions flamandes. Ce décor est bienséant dans la forêt. Au fond de la
salle à manger, des portraits d'ancêtres ressemblent aux magistrats qui
jugeaient sous les arbres du voisinage. Il était, en effet, dans les
traditions antiques de faire siéger la justice en dehors des villes, afin de
ne point assourdir les oreilles des bourgeois, et de calmer avec la paix des
champs l'acre humeur de ceux qu'on voit s'agiter pour un mur ou pour un
fossé. Drapés dans leurs toges de conseillers, coiffés de leur perruque
poudrée, les magistrats sont debout dans leur cadre, près de leurs épouses,
aux robes à ramages et dont le ton se fane. Les plaideurs, après s'être
agités, se sont tus; on n'entend plus rien que, par la fenêtre, les accents
affaiblis de la cloche de Domfront. C'est une voix qui passe par-dessus la
vallée, s'épure et s'harmonise à travers la distance, s'infiltre de feuille
en feuille, d'une aile de douceur caresse les nids, enfin s'alanguit et
meurt sur la mousse. Celui qui d'aventure passe le soir par ce théâtre
enchanté de quelque histoire future, encore en expectative, aperçoit le soir
l'orbe de la lune intercepté par les bois. Il pense alors aux incendiaires
du XVIe siècle. Mais ce souvenir des guerres de religion ajoute à la paix du
lieu, comme un frisson de tempête lointaine ajoute au calme de la demeure à
l'abri des vents. (1)
château des Jugeries 61700 Domfront, propriété privée, ne se visite pas.
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