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Le château de Gaprée se recommande à
l'attention des touristes par sa construction sur pilotis au milieu d'une
pièce d'eau et par ses fameux carrosses du XVIIe siècle, véritables
monuments d'un autre âge, que les châtelains ont eu le bon esprit de
conserver. Gaprée se trouve sur la route de Sées à Moulins-la-Marche. On y
garde le souvenir du passage de saint Benoît Labre, qui y aurait reçu
l'hospitalité. Si l'on en juge par le cahier des doléances et remontrances
de la paroisse de Gaprée en 1789, cette route devait être en fort mauvais
état et les carrosses, contemporains du grand roi, à la construction massive
et solide, en rendent eux-même témoignage. Le plus ancien seigneur de Gaprée,
dont l'histoire ait conservé le souvenir, est Osmond de Gasprée, très noble
et très brillant chevalier, dit Orderic Vital, tué le 1er septembre 1088, au
siège de Ballon et transporté à l'abbaye de Saint-Évroult par le moine
Ernault, par les soins duquel il fut inhumé sous le porche, devant les
portes de l'église. Quelques années plus tard on rencontre Richard de
Gasprée, fils de Gérold. C'était un beau jeune homme faisant les fonctions
de page près de l'évêque de Sées, Girard 1er, qui pour rétablir la paix
entre deux de ses plus puissants diocésains, Robert de Bellême et Hugues de
Grantménil, en guerre l'un contre l'autre, s'était rendu, quoique malade, à
l'abbaye de Saint-Pierre-sur-Dives et de là près du château de Courcy,
assiégé par Bellême. Cette démarche, faite dans un but de conciliation ne
reçut pas l'accueil qu'elle méritait. Non seulement Bellême refusa d'écouter
ces conseils pacifiques, mais comme le page du prélat, Richard de Gasprée,
s'était permis, à la manière des jeunes gens de son âge (il n'avait pas
encore de barbe au menton et pouvait passer pour un simple clerc), de faire
caracoler son palefroi dans son camp, il le fit descendre de cheval, le fit
jeter en prison et se saisit de sa monture. Orderic Vital ajoute que ce qui
détermina Robert de Bellême à cet acte de violence, c'est que les parents du
jeune homme avaient eu de vifs débats avec lui et qu'il cherchait l'occasion
de se venger.
L'évêque de Sées, informé de l'affaire, manda à Robert de Bellême que s'il
ne lui rendait pas sur-le-champ son clerc, il jetterait l'interdit sur toute
son armée. Richard de Gasprée, à la suite de cette sommation, fut rendu à la
liberté. Quant à l'évêque, dont la maladie s'était aggravée, il fut ramené à
Sées, où il mourut le 23 janvier, et fut inhumé dans sa cathédrale. Presque
à la même date (1096), Herbert de Gasprée, avec plusieurs autres seigneurs
du pays fut témoin de la reconnaissance faite devant l'Échiquier de
Normandie d'un accord conclu entre les religieux de Saint-Martin de Sées et
Guillaume de Sévilly, au sujet du moulin du Val. La terre de Gaprée passa
plus tard aux du Merle. On voit par une bulle du pape Innocent III, du 25
mai 1199, que le chapitre de Sées y possédait deux gerbes de dîme sur le
fief de Hugues de Francheville. En 1243, Guillaume du Merle, auquel certains
documents conservés dans le chartrier de la famille du Merle, donnent le
titre de ce grand vavasseur héréditaire en Normandie, paraît avoir cédé à
Geoffroi de Mayet, évêque de Sées, ses droits sur le patronage de l'église
Saint-Sulpice de Gasprée. Foulques du Merle, son fils, n'en eut pas moins
deux procès avec Foulques d'Aunou, successeur de Geoffroi de Mayet, au sujet
de la dîme de Gasprée et du patronage de la cure. Il avait prétendu, en
effet, attacher cette dîme aux prébendes établies dans la collégiale de
Merlerault et il s'en suivit un procès en 1271, au témoignage de M. l'abbé
Rombault, qui ne nous fait pas connaître quelle en fut l'issue.
Une discussion plus grave s'éleva entre l'évêque de Sées et le seigneur de
Gasprée deux ans plus tard. Elle fut terminée par une sentence arbitrale
rendue dans l'assise royale tenue à Bonsmoulins, au mois de mai 1273. Le
seigneur revendiquait le patronage de la cure. Des jurés furent nommés pour
examiner les prétentions des parties, à savoir Guy de Gacé, choisi par
l'évêque, Guillaume de Courcy, choisi par le seigneur, et Jean de
Criquebœuf, bailli de Verneuil. Le seigneur de Gasprée obtint en partie gain
de cause, puisque les arbitres conclurent au partage de la cure en deux
portions, la première à la présentation du seigneur, la seconde à celle de
l'évêque. Suivant d'autres documents la première portion était sous le nom
de Saint-Sauveur, et la seconde sous celui de Saint-Sulpice. Il y eut
également deux presbytères dont l'un était situé dans la cour même du
château de Gaprée. Un nom illustre apparaît dans la liste de ces seigneurs,
dont les tombes même ont disparu. Foulques du Merle, le même, dit-on, qui,
comme on l'a vu, avait eu des contestations avec l'évêque de Sées, au sujet
des dîmes et du patronage de Gaprée, fut créé maréchal de France par
Philippe le Bel, en récompense des services qu'il avait rendus à la couronne
en s'opposant, en 1295, à une descente des Anglais en Picardie, en 1303 à
une révolte des Flamands. Trois ans après, en 1306, il obtint la concession
de la baronnie de Briouze et de la seigneurie de Bellou-en-Houlme. Après
avoir guerroyé encore pendant dix ans en Flandre et dans le Dauphiné,
Foulques du Merle mourut vers la fin de 1314. Après sa mort, un partage de
ses fiefs, tombés en quenouille, paraît avoir été opéré. C'est ainsi que le
1er août 1451, Michel d'Estouteville, fils de Louis d'Estouteville, grand
bouteillier de France, qui avait épousé une fille de Nicolas Paynel, marié à
l'une des héritières des du Merle, reçut l'aveu de Foulques du Merle pour le
fief du Bois-Barbot.
Jean du Merle, seigneur de Bois-Barbot et des Planches, épousa, en 1474,
Marie Leconte, dame de Blancbuisson, issue de Jean Le Gris. Il rendit aveu
pour le même fief à Jacques d'Estouteville, son cousin, le 12 octobre 1484.
Nous croyons également utile de mentionner une autre alliance, celle
d'Olivier de Beauvoisien, bailli d'Alençon sous Charles VIII, qui avait
épousé Marie Le Gris, dame de Gasprée. Un autre démembrement du fief eut
lieu en 1503, par suite de la vente faite par le sieur d'Estouteville,
seigneur du Merlerault, à Robert des Mottes, écuyer, de la moitié du
patronage de l'église de Gaspée, dont l'autre moitié appartenait l'évêque de
Sées. Une alliance porta alors la terre de Gasprée dans la famille de Silly
par le mariage de Renée de Beauvoisien, veuve de Charles d'Alençon,
capitaine de cette ville, avec René de Silly, sieur de Vaux, bailli
d'Alençon de 1624 à 1558, fils de Jacques de Silly, seigneur de Lonray,
maître de l'artillerie de France, et d'Anne de Pré-en-Pail. Renée de
Beauvoïsien mourut le 4 octobre 1541 et fut inhumée dans l'église de Gennes.
Jacqueline de Silly, sa fille, dame de Gasprée, de Sainte-Colombe et de
Billion, épousa Denis d'Angennes, seigneur de la Loupe, et mourut le 2
septembre 1552. Quoique le titre de seigneur de Gasprée ait été
successivement porté par plusieurs familles considérables, il n'en est pas
moins certain que le fief qui donnait droit à la présentation à la première
moitié de la cure appartenait en dernier lieu à des gentilshommes qui
donnèrent leur nom à ce fief lui-même. En 1539, en effet, Robert des Mottes,
écuyer, présenta à cette cure, en qualité de seigneur du fief des Mottes;
mais n'ayant laissé que trois filles, Roberde, Isabeau et Jeanne dont l'une
fut mariée au sire de Prestal, le fief fut partagé en trois et le sire de
Prestal en eut un tiers. Nicolas de Prestal, écuyer, un de ses descendants,
racheta les deux autres tiers, et son fils, Guillaume de Prestal, écuyer,
sieur du Tertre, vendit le tout à Philippe Labbé, sieur de la Barre, par
contrats des 6 et 18 mars 1621. Philippe Labbé, sieur de la Barre et des
Mottes, son fils, obtint, au mois d'avril 1643, des lettres patentes portant
rétablissement du fief des Mottes dans son intégrité.
On voit par l'enquête qui fut faite à cette occasion, que le fief des Mottes
était un fief de haubert, qui s'étendait sur les paroisses de Gasprée,
Saint-Léonard-des-Parcs, Sainte-Colombe-la-Petite, la Mussoire et
Saint-Germain-le- Vieux. La famille de Labbé était représentée, au
commencement du XVIIIe siècle, par Antoine Labbé, seigneur et patron de
Gasprée, qui épousa Barbe Le Vallois, à une date qui nous est inconnue. Ils
eurent pour enfants Richard-Philippe Labbé, écuyer, seigneur des Mottes;
Louis-Alexandre Labbé, écuyer, seigneur de Boishardrey; Antoine Labbé,
écuyer, seigneur du Mesnil. L'aîné, Richard, avait épousé noble demoiselle
Élisabeth du Buat. Dans un acte de constitution de rente, du 8 octobre 1768,
on lui attribue tous les titres honorifiques de la famille; il y est
qualifié de chevalier, seigneur et patron de Gasprée, des Mottes, de
Boishardrey, du Bois-Barbot, seigneur suzerain de la Mussoire, haut
justicier, patron et présentateur de Bazoches. L'un de ses frères entra au
service du roi, en 1771 et mourut officier de dragons. On trouve aussi dans
les archives de la famille, qu'une demoiselle Labbé des Mottes, religieuse,
qui fut appelée à remplir les fonctions de prieure en l'abbaye des
Bénédictines de Monsort d'Alençon. Richard des Mottes eut pour fils unique,
en 1754, Gabriel-Philippe-Charles-Alexandre Labbé de Bazoches, qui épousa
Jacqueline-Louise Duchemin de Préménil. Il fut naturaliste distingué et
mourut à l'âge de quatre-vingt-sept ans, laissant après lui une collection
précieuse d'entomologie, conchyliologie, fossiles et minéraux. Il eut trois
enfants: Eugène Labbé de Bazoches et une fille, morts tous deux sans
postérité. La troisième, Maximilienne Labbé de Bazoches, épousa le baron
Noël-Frédéric André de la Fresnaye, ornithologiste bien connu dans le monde
savant et l'un des collaborateurs au grand dictionnaire d'histoire naturelle
de d'Orbigny.
De ce mariage naquit Louise-Emmanuelle André de la Fresnaye, mariée en 1838
à Léonce Boistard de Glanville, morte en 1841, laissant une fille unique,
Marie-Valentine-Ysaure Boistard de Glanville, veuve de Louis-Ernest Rioult,
marquis de Neuville, seule descendante de la famille Labbé de Bazoches, et
propriétaire de la terre de Gasprée à la fin du XIXe siècle. Le salon du
château renfermait autrefois un meuble complet Louis XIV, en bois de noyer
richement sculpté, qui a été transporté ailleurs, avec quelques tableaux de
famille; on y voit encore cependant les portraits de Barbe Le Vallois,
épouse d'Antoine des Mottes, et celui d'Élisabeth du Buat. Dans la salle à
manger, un magistral buffet en bois de chêne et le portrait de Rabelais,
accroché à une muraille, couverte d'une tenture représentant des rosaces
imprimées en rouge, au poncif, sur une toile écrue, composent toute
l'ornementation; mais si on monte quelques marches dans l'escalier de
pierre, se contournant en vis autour d'un noyau central, on arrive à la
chambre principale, qui a conservé toute sa décoration primitive. Un grand
lit, aussi large que long, y est encore garni d'une courte-pointe, du
ciel-de-lit et des rideaux en satin bleu, brodé à la main en soies de
différentes couleurs, représentant des oiseaux avec des fleurs variées, et
des panneaux de tapisserie ancienne occupent, comme autrefois, tout le
pourtour de cet appartement. Les voitures du temps de Louis XIV, sous la
remise du château, sont, comme on l'a déjà dit, un objet de haute curiosité
qui mérite d'être particulièrement signalé aux amateurs et aux touristes.
(1)
château de Gaprée 61390 Gaprée, lieu-dit le vieux château, propriété privée,
ne se visite pas.
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