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Château d'O à Mortrée
 
 

  Situé non loin des rives de l'Orne, entre les confluents très rapprochés de la Sennevière et du ruisseau de Blanchelande, baigné de sources vives qui émergent de son sein, le territoire d'O rappelle le souvenir d'anciennes habitations lacustres. Quelques étymologistes, se basant sur la forme extraordinaire de son nom, veulent y placer, dès le IIIe ou IVe siècle, l'établissement d'une colonie Saxonne; mais un mot tout seul à l'orthographe mobile, qu'on trouve écrit Oth, Od, Oo, 0, est insufisant pour établir avec certitude une pareille assertion. En réalité l'histoire de cette localité ne commence qu'au XIe siècle. Elle figure en 1050, avec son église et ses moulins, au rang des aumônes que Robert, Hugues et Arnauld de Grandménil restaurateur de l'abbaye de Saint-Évroult, au pays d'Ouche, donnèrent au nouveau monastère, et que leur confirma par sa charte Guillaume le Bâtard. Son fils, Henri 1er, garantissait, en 1113, la possession des mêmes propriétés, et, un peu plus tard, la bulle d'Innocent III sanctionnait les droits et privilèges. Un seigneur d'O, auquel Masseville donne le nom de Robert, figure dans la liste des chevaliers qui prit part à la première Croisade. Vers 1157, il est question de Guillaume d'O, témoin aux assises de l'Echiquier de Caen. Après lui Robert d'O, chevalier, reconnaît, en présence du roi Henri II d'Angleterre, à l'abbé Robert de Saint-Évroult, le droit de patronage de l'église de Saint-Martin d'O, avec les décimes et autres revenus, et la possession de quelques terres à Mortrée. Il devait, à raison de ces dernières, héberger tous les ans, pour une fois, l'abbé de Saint-Évroult et ses gens. Il confesse en même temps que son frère Geoffroi, présenté par lui à l'abbé, a été nommé curé de Saint-Martin. L'évêque de Sées, Froger, lui a conféré l'investiture canonique. C'est très probablement ce Robert, chevalier, qui figure dans l'obituaire de Silly, à titre d'insigne bienfaiteur. L'an 1184, Raoul, fils d'Herbert, rendait ses comptes pour une demi année à raison de la terre d'O, qui était alors dans la main du roi. Quatorze ans après, un Rahier d'O s'était rendu plège et caution, dans je ne sais quelle affaire, de Foulques d'Aunou, et il fut obligé de verser au trésor royal uns somme de 60 sols.
En 1 211 Robert, archidiacre d'Avranches, sans doute de la famille d'O, fait remise entière à l'abbaye de Saint-Evroult de tout ce qu'il pouvait prétendre sur les dîmes d'O. Salomon d'O figure en qualité de témoin à l'Échiquier de l'an 1213. La possession du patronage de Saint-Martin d'O, est l'objet d'une nouvelle reconnaissance devant Jean des Vignes, bailli du roi, aux assise de Falaise. Robert d'O en faisait encore une fois l'abandon au même monastère; mais il parait n'avoir consenti à ces concessions que contraint et mécontent. De nouvelles difficultés ne tardèrent pas à s'élever relativement à certaines dîmes, et ce nouveau différend fut terminé par un compromis. Robert d'O abandonna ses prétentions sur les dîmes; les moines, de leur côté, renoncèrent au droit de se faire héberger une fois l'an par le seigneur. En 1259, Geoffroi et Robert d'O assistaient aux assises de l'Echiquier, tenues à Falaise par Arnoul de Ville-Ferrand, bailli du roi. L'on trouve encore, à la date du mois de juillet 1260 un accord entre le couvent d'Aunai et frère Robert Paiard, commandeur des maisons du Temple en Normandie, où figure Raoul d'O. Ensuite, pendant un siècle et demi, l'on ne voit plus trace de cette famille. Il nous faut arriver jusqu'aux plus tristes années de l'invasion anglaise pour relever un anneau de la chaîne brisée de ces annales domestiques. Au mois d'octobre 1417, l'un des détachements de l'armée de Henri V paraissait devant le château. Le pont-levis avait été levé; la garnison attendait derrière les fossés profonds et les murailles crénelées. La résistance fut-elle bien longue ? La clémence du vainqueur permet d'en douter. Le 10 octobre, le roi signait, au camp d'Argentan, un sauf-conduit valable jusqu'au 15 suivant en vertu duquel Richard de la Motte, Jean de Cleresville, Jean de Raveton, Guillaume Nicolas Le Saulnier, Jean Huëre, Jean Ameline, Clément Augerais, Jean Dugerie, Fleury Marigny, Jean Radigue, Robert Le Singnelais, Robert de Coudrey, Jean Le Clavier, Jourdain Gillet de Marigny, Guillaume Duval et Alexandre Jourdan, pouvaient sortir du château d'O et se retirer sur les terres du roi de France, où ils voudraient, avec leurs gens, biens, chevaux et harnais à eux appartenant. Le 21 novembre suivant, le roi spoliateur donnait, à Alençon, des lettres à Guillaume Harry, par lesquelles il lui concédait, à lui et à ses hoirs mâles, le manoir d'O, qui avait appartenu à feu Robert d'O, chevalier, avec la clause de reversion à son frère Thomas fils-Harry, si lui-même n'avait pas de fils.
Après la bataille de Formigny (1449), le manoir fit retour à l'héritier de Robert d'O. Etait-ce Jehan qui, en 1486, accompagnait Jehan du Vergier, lorsque celui-ci, porteur des lettres patentes du roi, vint signifier à Etienne Goupillon, se prétendant évêque de Sées, et au chapitre, d'ouvrir le fort Saint-Gervais où ils s étaient retranchés ? En tous cas Jean, chevalier de l'Ordre du roi, seigneur d'O et de Maillebois, sénéchal du comté d'Eu, a laissé un testament qui recommande et honore sa mémoire. Il ordonne que son corps soit enterré dans l'église de Silly et veut que treize pauvres y assistent, habillés d'une tunique et d'un capuce noir de deux aunes et demie de drap, tenant une cire a la main et qu'on leur donne à chacun 5 deniers en argent ou en pain. Il lègue entre autres, à l'Hôtel-Dieu, 60 sous; à l'hôpital Saint- Antoine, 20 sous; au couvent des Cordeliers de Paris, 100 sous; pour doter des filles, 100 livres. Comme exécuteurs testamentaires, il désigne son épouse, Charles et Etienne d'O, ses fils (1503). Jean, son petit-fils, capitaine de la garde écossaise du roi François 1er, vaillant soldat, se distingue dans la guerre de Picardie, aux sièges de Saint-Paul et de Saint-Venant, et fut l'un des défenseurs de Metz avec François de Guise (1552).  Dix ans après, lorsque l'armée royale eut repris Rouen à Montgommery et aux protestants, et que des représailles cruelles menaçaient d'ensanglanter la ville, il apporte la grâce de Valfessières et signifie au Parlement des ordres de la reine. Elle enjoignait de ne point frustrer les particuliers de la grâce que le roi avait accordée, et défendait de juger aucun des prisonniers sans un ordre
exprès de Sa Majesté.
François d'O, l'aîné de ses fils, fut le personnage le plus fameux de sa famille. Seigneur de Maillebois et de Fresnes, maître de la garde-robe de Henri III et l'un de ses mignons, premier gentilhomme de la Chambre, surintendant des finances, gouverneur de Basse-Normandie et de Paris, etc., il a trouve le moyen d'effacer l'éclat de ses titres par le scandale de ses débauches et de ses exactions financières. Digne produit de la Renaissance païenne, il semble avoir quintessencié dans sa vie scandaleuse les rêves luxurieux et les polissonneries du pantagruélisme rabelaisien. Il surpassa en excès et en prodigalités, dit l'Étoile, les rois et les princes; car, jusqu'à ses soupers, il se faisait servir des tourtes composées de musc et d'ambre, qui revenaient à vingt-cinq écus. On trouve l'histoire de sa vie dans les écrivains du temps et dans tous les dictionnaires biographiques: ce n'est pas le lieu de la refaire ici. Une des rares choses dont on puisse le louer, c'est d avoir, en 1593, au nom de la noblesse catholique qui se rangea au parti de Henri IV, fortement conseillé à ce prince de se converti r à l'église romaine, pour donner la paix à la France, et assurer ses droits au trône. D'O mourut le 24 octobre 1594. Cet homme, dit Pierre Faugère, qui avait une existence plus fastueuse que celle du roi, ne laissa après lui que des dettes; ses créanciers, ses parents et ses domestiques n'attendirent même pas qu'il eût rendu le dernier soupir pour faire main basse sur ses dépouilles, en sorte, rapporte encore Sully, qu'il n'y avait plus que les murailles nues dans la chambre où il expira. Il n'eut pas d'enfants de sa femme Charlotte-Catherine de Villequier. L'une de ses sœurs, Jeanne d'O, fut mariée à Louis, seigneur de Maintenon, baron de Meslay, etc., dont elle eut, entre autres enfants, deux fils qui furent nommés successivement à l'évèché d'Angers. Le premier, Jean, étant mort avant d'avoir reçu ses bulles, son frère Jacques fut présenté à sa place. Celui-ci était alors à l'armée d'Italie. Il se hâta d'échanger la cuirasse contre la robe épiscopale et fit son entrée à Angers, le 20 juillet 1608. Il mourut à Moutiers-au-Perche, dont il était prieur, le 16 mai 1647, âgé de 73 ans, après 41 années d'un brillant épiscopat. Un autre frère de François d'O, Charles, fut abbé de Saint-Etienne de Caen et de Saint-Julien de Tours.
Après la mort de François, ses nombreux et impatients créanciers firent saisir ses biens. On trouve aux Archives de l'Orne, à la date de 1612, un extrait du décret de la terre d'O. "Cette seigneurie fut vendue et acquise par Jacques de la Guesle, procureur au Parlement de Paris. Après son décès (janvier 1612), 0 passa à son frère, Alexandre d'O, gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi, conseiller en ses conseils d'Etat et privé, et mestre de camp du régiment de Champagne, en faveur duquel elle fut érigée en marquisat par lettres de mai 1616. Alexandre, mort sans alliance, eut pour héritière sa nièce, Marguerite de la Guesle, seconde fille du procureur général, mariée, en août 1612, à Pierre Séguier, seigneur de Sorel qui décéda en 1638. Leur fille unique, Louise-Marie Séguier, marquise d'O, fut la première femme de Louis-Charles d'Albert, duc de Lu ynes; elle mourut le 13 septembre 1651, ayant vendu, le 3 août 1647, le marquisat d'O à Pierre de Montagu, seigneur de la Brière, conseiller au Parlement de Rouen, fils de Philippe Montagu, écuyer, seigneur de la Palu et de Nicole des Buarts. Pierre épousa Marie en 1612, fille de Pierre Chalon, écuyer et de Catherine de la Palme Carille, dont il eut, entre autres enfants, Pierre de Montagu II, marquis d'O, allié, le 13 août 1637, à Catherine, fille deFernand Lopez-Romère et d'Agnès Chalon. Leur fils, Claude-Hugues de Montagu, marquis d'O, capitaine de vaisseau, épousa, le 11 février 1705, Marie-Camille, fille de Charles Brûlé des Jouys, seigneur de la Baudronnière et de Marie-Marguerite de Forcadel, dont il eut, le 25 février 1713, Marie-Joseph-François-Claude de Montagu, marquis d'O, page du roi". A l'époque où mourut François d'O, le château que, d'après toutes les probabilités, il avait lui-même fait construire, reflétait dans les eaux limpides la blancheur de ses tourelles encorbellées, ses fenêtres et de ses lucarnes. Il dut être une demeure aimée, du moins aux jours de l'été, quand la fraîcheur des sources et les ombres verdoyantes où s'émoussaient les flèches brûlantes de la canicule, concouraient à en faire un paradis de repos et de retraite.
Nous trouvons au château, au mois de juin 1632, "très noble Louyse-Marie de Séguier, fille du très puissant seigneur Messire Pierre de Séguier et de très gracieuse dame Marguerite de la Guesle". Suivant l'usage si profondément chrétien de cette époque, elle se fait honneur de servir de maraine à deux enfants d'humbles tenanciers. Messire Pierre de Montagu, chevalier, seigneur marquis d'O, baron d'Aunou-le-Faulcon etc., et vertueuse dame Marie-Anne de Rabodanges, femme de Messire Philippe de Montagu nomment aussi plusieurs filleuls, spécialement, aux mois de mai, septembre, novembre 1671. Durant les années 1673, 1674, les mêmes faits se reproduisent. Des fêtes domestiques amenaient au château d'O brillante et nombreuse compagnie. Ainsi le 21 juin 1716, Messire Dominique-Barnabé Turgot, évêque de Sées, conseiller du roi en tous ses conseils, et premier aumônier de feu Mgr le duc de Berry, suppléait, dans la petite église Saint-Martin d'O, les cérémonies du baptême à Dominique-Barnabé-Pierre, né le 31 janvier, de Messire Claude-Hugues de Montagu, chevalier, marquis d'O, et de dame Marie-Camille de Brulé des Jouys. L'enfant avait été ondoyé dans l'église Notre-Dame de Mortagne, le 1er février. L'évêque fut son parrain; la marraine s'appelait dame Claude-Angélique de Monnerot, femme de Messire Charles de Brûlé des Jouys, chevalier, écuyer ordinaire du roi. Son frère ainé Marie-Joseph-Francois-Claude de Montagu, y avait pareillement été baptisé le 10 octobre 1713. Plus tard, le 7 juillet 1741, nouveau baptême dans l'église d'O, de Louis-César-Marie-Joseph de Montagu. Plusieurs filles de la même maison y furent aussi tenues sur les fonts par de nobles parrains et marraines.
Les actes de décès fourniront quelques autres renseignements. Le mardi 18 février 1727, Messire Hubert, curé d'O, après avoir fait la cérémonie funèbre de haut et puissant seigneur Messire Claude-Hugues de Montagu, chevalier, marquis d'O, baron d'Aunou-le-Faulcon, capitaine des vaisseaux du roi, conduisait son corps au couvent et abbaye de Silly, le remettait, aux portes du monastère, entre les mains du prieur; les religieux, après une nouvelle cérémonie religieuse, l'inhumaient dans la chapelle de la Madeleine, avec ses ancêtres. Le droit de patronage avec sépulture, à cause de cette chapelle, avait jadis été l'objet de négociations entre Pierre de Montagu et l'ahbé de Silly (1656). La chapelle primitive attenante à l'église, avait été détruite, et l'on avait transféré les restes des seigneurs d'O et leurs tombes "élevées avec figures", dans la chapelle de la Madeleine. Par un accord passé en 1669 fut décidé que les droits des seigneurs d'O y seraient attachés, et qu'on mettrait une plaque de cuivre armoriée des armes des marquis d'O, faisant mention du droit de sépulture. Le dernier seigneur d'O fut Louis-César-Marie-Joseph de Montagu, baptisé le 8 juillet 1741. La Révolution le dépouilla de ses titres de seigneur et de gouverneur des villes et châteaux de Honfleu, de Pont-l'Évêque et du Pays d'Auge. Il mourut à Argentan, rue du Griffon, le 11 mars 1827, à l'âge de 85 ans. Il avait vendu la terre d'O, le 24 mars 1792 pour le prix de 500000 livres. Le nouveau propriétaire, M. Charles-Valentin Roques, ouvrit plusieurs avenues dans le parc et en régularisa les plantations. La plus importante de ses acquisitions fut celle du Moulin-Neuf, situé sur la commune de Macé, avec quelques prairies voisines, faisant partie des biens confisqués sur M. Thiroux de Monregar d, comte de Médavy, lors de son émigration. Il possédait aussi les terres de Marigny et du Mesnil. Par son testament en date du 4 juillet 1810, il institua pour héritier son cousin germain, Claude-Ernest Denormandie, maître des requêtes au Conseil de Monsieur, frère du roi, et secrétaire général de l'administration des Eaux et Forêts. Le légataire, mort en 1815, quelques mois après le testateur, ne put entrer en possession. Sa veuve et ses héritiers mirent sa succession aux enchères.
Le domaine d'O, avec son mobilier et les terres, fermes, bestiaux, instruments de culture, etc., situés dans la paroisse d'O, fut adjugé à M. Antoine Versepuy, de Paris, le 7 septembre 1816, pour la somme totale de 470770 francs 64 centimes. Il le revendit en 1825 à M. Martin Duval, propriétaire des Forges de Breteuil-sur-Iton, moyennant la somme de 750000 francs. Celui-ci se trouva dés lors un des plus riches propriétaires du département, ou il possédait encore la petite forêt de Silly et la terre de Coupigny. Il mourut laissant pour héritiers deux fils et une fille qui devint comtesse d'Albon. Dans les partages, le domaine d'O échut à Guillaume-Martin-Gustave Duval. Mais, prodigue et dissipateur, il fut bientôt obligé de le vendre: sa sœur, qui était l'une de ses principales créancières, lui acheta, par acte du 5 avril 1841, la terre d'O et ses dépendances pour le prix de 900000 francs. La marquise d'Albon mourut au château d'O, le 17 août 1866. Son mari, par une transaction avec M. Édouard Duval, devint l'héritier de ses biens. Il mourut le 26 novembre 1878, laissant, faute d héritiers directs, ses immenses domaines à Abel-Christophe-Raoul d'Albon, son frère, et à sa nièce Su zanne-Joséphine-Marie-Gabrielle d'Albon, fille unique d'un autre frère nommé Léon d'Albon. L oncle et la nièce en prévision des riches espérances qu'ils entrevoyaient et pour ne pas diviser leur fortune, s'étaient maries ensemble. Le marquis Raoul d'Albon mourut à Paris le 28 juin 1879; sa veuve lui survécut jusqu'au 3 décembre 1883; elle laissait deux fils. L'aîné, Guigues, Léon A ilne-Marie-Jac q ues, eut dans son lot la terre d'O. Il ne prit possession de cette belle et historique propriété que pour la mettre aux enchères.
Dans le chartrier du manoir aux antiques souvenirs, s'étaient conservés des monceaux de parchemins et de titres que les gloires ou les douleurs de toutes les générations d'hôtes successifs y avaient entassés. On les fit transporter dans la cour, et, pendant deux jours, ils alimentèrent la flamme d'un sinistre foyer, destructeur de l'histoire. Chacun des riverains se jeta avec ardeur sur le lopin de grasse terre longtemps convoité. Les magnifiques futaies, l'avenue légendaire de grands hêtres, qui conduisait du bourg de Mortrée aux douves du château, tombèrent sous la hache. Dans le compte rendu de la visite faite par les membres de l'Association Normande (1889), M. l'abbé Desvaux a retracé la désolation de ces tristes journées. "La Bande noire est revenue exercer ses ravages. Les pelouses boueuses et piétinées par les chevaux sont transformées en de vraies fondrières, sous le roulis des pesantes charrettes qui viennent enlever les plus beaux arbres, que la spéculation débite en stères de bois. Maintenant le vieux château est dépouillé de ces ombrages mystérieux, qui encadraient si bien ses sombres légendes; on dirait que sa merveilleuse végétation de pierre va s'étioler sous les rayons trop ardents d'un soleil qu'elle connaissait à peine. Il avait résisté pendant plus de trois siècles aux injures du temps; et voilà que tout d'un coup il a revêtu l'aspect d'une ruine". M. le général d'Aubigny fut l'acquéreur des bâtiments du château, d'une partie du parc e quelques prairies adjacentes. Il y a fait avec sa famille que de rares apparitions; O n'est plus qu'un pied-à-terre au début du XXe siècle.
Ce serait pourtant une perte irréparable que la disparition du château. Au point de vue de l'architecture à l'époque de la Renaissance, il est, dans l'Orne, une perle unique. Les artistes restent en contemplation devant la délicatesse achevée de ses sculptures. Lechâteau offre, par terre, un plan rectangulaire. Ouvert du côté du nord sur les jardins, fermé partout ailleurs par un système ininterrompu de constructions, il fut bâti sur pilotis au milieu d'un étang qui se développe librement au nord et à l'ouest et ne conserve, au midi et à l'est que la largeur de fossés toujours pleine d'une eau vive. Malheureusement, l'unité du style qui faisait autrefois de ce château une oeuvre merveilleuse, rivale des splendides demeures de la Loire, a été brisée et déformée par des restaurations exécutées aux XVIIe et XVIIIe siècles. Du côté de l'ouest, il ne reste de l'époque que la gracieuse tourelle d'escalier, à l'angle de la cour, et quelques médaillons, hélas ! très frustes, qui furent plaqués dans la muraille au moment de la restauration. Les deux tours qui flanquent les angles extérieurs ont été relevées par Valentin-Charles Roques, ainsi qu'en témoignait une inscription sur cuivre. La grande façade du midi ne présente plus, sur le parc et vis-à-vis de la grande avenue de Mortrée qu'un alignement de fenêtres rectangulaires couronnées, à la naissance du toit, par une galerie de balustres en pierre, aux faces rectilignes et aux arêtes vives. C'était du grand style. Mais à l'intérieur de la cour, demeure fort heureusement une superbe galerie ou promenoir, ouverte au rez-de-chaussée par des arcades surbaissées que soutiennent des colonnes octogones. Seule la dernière, joignant la grande tourelle de l'est, est cylindrique et frettée.
Les artistes de la Renaissance aimaient les surfaces planes, où ils pouvaient développer a loisir et avec symétrie leurs rinceaux de feuillages. Les faces des colonnes sont couvertes de bas en haut de ces délicats ornements, traités avec le fini le plus achevé. On y rencontre aussi fréquemment les hermines, qui paraissent rappeler les armes de la première maison d'O "d'hermines au chef denché de gueules". Des rosettes de fleurs, fouillées avec la plus scrupuleuse imitation, sont fichées dans les gorges des archivoltes. Les chapiteaux ne sont pas moins élégants. La partie la mieux conservée du travail primitif est l'ensemble de constructions qui ferment le côté de l'est. Tout d'abord se présente, à l'intérieur de la cour, la grosse tourelle polygonale avec sa merveilleuse porte. Ouverte dans toute la largeur d'un côté, qui a été diminué à cette intention, elle est encadrée par deux légers contreforts s'élevant jusqu'au deuxième étage, avec trois retraites successives agrémentées de pinacles. La baie rectangulaire s'ébrase par de légères nervures prismatiques; le linteau est légèrement courbé aux angles par un quart de rond. Dans les gorges de l'archivolte, court une guirlande de feuillage. Une arcade ogivale à redents intérieurs, reçoit, sur les côtés de l'extrados, un gable triangulaire en accolade, garni de choux frisés, couronné au sommet d'un bouquet de semblable feuillage, où le ciseau du sculpteur a voulu lutter de caprice avec la nature elle-même. Des meneaux prismatiques, supportant une balustrade, forment guipure entre les contreforts. Au-dessus s'étagent deux fenêtres et une lucarne, de même dessin général que la porte elle-même, mais qui vont en diminuant de grandeur de bas en haut. Des gables de forme variée les surmontent. On voit aussi sur les autres cotés de cette tourelle d'autres fenêtres de dessin Renaissance, moins riches pourtant dans les détails.
Maintenant franchissons le porche, et allons nous placer à quelques mètres en avant de la façade extérieure. De ce côté se trouvait, dès l'origine, l'entrée du château. Aussi l'architecte y a-t-il déployé plus qu ailleurs la science de ses lignes gracieuses, et le sculpteur, promené sur toutes les surfaces la fantaisie de son ciseau. L'enchevêtrement de plans polygonaux, les pavillons aux toits pointus, les tourelles et les encorbellements sur un angle de maçonnerie, dénotent la curieuse extravagance de ce temps. Les fenêtres, les lucarnes sont de grandeurs et formes diverses, géminées ou simples, surmontées d'enroulements arrondis, de gables en accolade ou de frontons Renaissance. Les lucarnes qui sont restées, présentent surtout, en ce dernier genre, des modèles remarquables. Le porche, assez étroit, s'ouvrait par une haute arcade ogivale, derrière laquelle on voit encore, sur le mur de fond, les rainures où se logeaient les bras du pont-levis, aujourd'hui remplacé par un pont de pierre. Sur la face des tourelles, en regardant l'entrée, deux niches portées sur de riches culs-de-lampe, couronnées de pinacles, abritaient des statues. Une autre niche semblable se voit sous le porche même, à l'angle gauche. Il faut examiner de près les détails de ces sculptures; on y constate un effort de réalisme qui ne fut peut-être jamais poussé à un tel excès. Voyez, par exemple, ce vulgaire colimaçon qui ronge, sur le cul-de-lampe de droite, je ne sais quel feuillage. Tout y est fouillé tellement à fond, que les moineaux ont jugé commode d'installer leurs nids dans le creux de ces buissons de pierre. A cette partie du château se rattachent tout naturellement les souvenirs légendaires. C'est l'une des chambres de ces tourelles que l'on dit avoir servi de prison à la reine Isabeau.
Tous les historiens du château d'O ont crié à la fausseté du fait, mais aucun, jusqu'à ce jour (et je ne ferai pas exception), n'a pu assigner une date à la formation de cette légende: elle doit pourtant se rapporter a quelque étrange événement. Tous les appartements intérieurs ont été remaniés depuis la construction première et n'offrent rien de bien remarquable. On pourra passer dans le salon des Muses peintes sur les murs; mais je doute que l'on y trouve de bien idéales inspirations. La pièce la plus remarquable est la galerie élevée sur le promenoir de la cour intérieure. De grandes scènes, inspirées des monuments égyptiens ou des sites de la campagne romaine, couvrent les murs. Les charpentes magnifiquement ouvrées qui soutiennent les combles, sont à visiter par ceux qui s'intéressent à cette partie de l'art du XVIe siècle. En fait d'autres boiseries, il ne reste qu'une porte en chêne, à six panneaux ornés de fines sculptures Henri III. Elle donne entrée dans un grenier et mériterait une meilleure destination. La paroisse de Saint-Martin d'O a disparu. Mortrée, qui était déjà un centre aggloméré dès le XIIIe siècle, l'a absorbée, ainsi que deux paroisses voisines, Bray et Marigny. Le château lui-même, malgré tant d'anciens et artistiques souvenirs, semble entrer dans une ère de décadence au début du XXe siècle. Mais ce qui ne passera pas, c'est la délicieuse fraîcheur du lieu, la verdure des bois, la végétation des herbages, la fécondité des champs. (1)

Éléments protégés MH : le château ; le pigeonnier ; la vasque ; les façades et toitures du bâtiment parallèle au château : classement par arrêté du 17 septembre 1964. La chapelle ; les façades et les toitures du bâtiment de l'orangerie : inscription par arrêté du 17 septembre 1964. Les façades et les toitures des bâtiments de la ferme du château : inscription par arrêté du 29 août 1977. Le parc du château comprenant : les murs de clôture ; les portails et leurs grilles ; les avenues ; les parterres de gazon ; les jardins fruitiers et potagers et leurs murs ; le système hydraulique comprenant la rivière, les canaux et leurs ponts ; les sauts-de-loup ; les douves et leurs ponts ; l'étang et son île ; le bief du moulin avec ses vannes ; les façades et les toitures du moulin, de la maison du pont et de la charretterie : inscription par arrêté du 22 mai 2002. (2)

château d'O 61570 Mortrée, tél. 02 33 39 55 79, ouvert au public du 12 juillet au 30 août tous les jours sauf dimanche.

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(1)
    source: LA NORMANDIE MONUMENTALE ET PITTORESQUE, LEMALE & Cie. IMPRIMEURS, ÉDITEURS, 1897.
(2) 
  source :  https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/

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