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Le château de Méniljean, construit au bord d'un vallon
dont les pentes rocheuses descendent brusquement à l'Orne, est l'une des
plus agréables résidences des environs d'Argentan. Il s'élève au centre d'un
vaste parc, où de larges avenues et des sentiers remplis d'ombre conduisent
à des sites pittoresques et légendaires: la Pierre aux Fées, le Chêne à la
Vierge. La paroisse de Ménil Jean contenait autrefois deux fiefs distincts
relevant tous les deux de la baronnie de Lougé La Papionnière et la Touche.
Le château de Méniljean occupe aujourd'hui la place du vieux manoir
seigneurial de la Papionnière. Ces deux fiefs furent, en 1691, réunis en
plein fief de haubert en faveur de Philippe de la Broise. Ils avaient
appartenu auparavant à des familles diverses dont les premières furent
celles de Méheudin, de Fontenay et de Beaumais. Puis, comme il faut que
l'illustre maison d'Harcourt apparaisse en toute histoire féodale de
Basse-Normandie, Marie d'Harcourt était, en 1573, dame de la Papionnière.
Elle donna son fief, le 3 juillet de cette même année, à Charles d'Harcourt
qui, le 7 août suivant, le vendit à Guillaume Le Chevalier. Ce nouveau
seigneur appartenait à une maison noble, qui avait possédé primitivement la
terre de Venoix, aux environs de Caen. Guillaume Le Chevalier fut le
compagnon d'armes de son voisin et ami, le poète Jean Vauquelin de la
Fresnaye. Barthélemy Le Chevalier, gentilhomme ordinaire de la Chambre du
Roi, frère de Guillaume, eut, après lui, le domaine de Méniljean. Il le
laissa à son second fils, Charles Le Chevalier, un bandolier, qui vit, après
de dramatiques aventures, son fief confisqué au profit de sa suzeraine,
Catherine-Angélique d'Harcourt, baronne de Lougé. Mais Claude Le Chevalier,
troisième fils de Barthélémy, racheta, en 1630, le domaine confisqué et
rentra ainsi en possession de la seigneurie paternelle. Sa sœur Diane, à sa
mort, hérita de ses biens et la maison Le Chevalier finit ainsi en
quenouille. La fille de Diane, Marguerite, qui était, depuis 1650, la femme
de Nicolas de la Broise, apporta Méniljean à une famille nouvelle.
Cette maison était originaire de l'Avranchin, où les La Broise, barons d
Ardevon, jouissaient des privilèges du Mont-Saint-Michel et des droits
honorifiques en qualité de chevaliers. Philippe de la Broise, fils de
Nicolas, vit, nous l'avons déjà dit, réunir en plein fief de haubert les
deux fiefs de son domaine. Méniljean passa après lui à son second fils,
Jacques-Philippe de de la Broise, qui le laissa à sa sœur cadette,
Marguerite-Françoise de la Broise. Mademoiselle de la Broise, ne s'étant pas
mariée, eut pour héritier Nicolas-Charles-Camille d'Orglandes, descendant du
second fils de Nicolas de la Broise. Nicolas d'Orglandes était issu d'Antoine-Louis-Camille
d'Orglandes, comte de Briouze, grand bailli d'épée d'Alençon, et de
Marie-Henriette-Cécile de la Broise. Il n'était âgé que de cinq ans en 1750,
quand il hérita de la terre de Méniljean, et il ne cessa pas de résider avec
son père au château de Briouze. La baronnie de Briouze avait été apportée à
sa famille, en 1548, par Catherine du Pont-Bellanger, épouse de François d'Orglandes.
Nous n'avons pas à retracer ici l'histoire de la maison d'Orglandes, l'une
des plus anciennes de la province, où elle était comptée parmi les illustres
familles. Nicolas d'Orglandes, qui avait épousé, le 20 octobre 1765,
Marguerite du Four de Cuy, fut enlevé au château de Briouze, en mars 1766,
par des fièvres paludéennes, quelques jours après son père. Sa veuve,
bientôt mère d'un fils posthume, François-Dominique d'Orglandes, comte de
Briouze et seigneur de Méniljean, se retira au château de Cuy. M. d'Orglandes
épousa, en 1791, Mademoiselle d'audlau, fille d'Antoine-Henri d'Andlau,
comte du Saint-Empire, et de Geneviève-Adélaïde Helvétius. Il vendit, en
1809, le château de Cuy à M. de Choiseul d'Aillecourt et se fixa
définitivement au château de Lonné qu'il avait acquis quelques années
auparavant.
Il ne cessa pas cependant de s'intéresser à la terre de Méniljean et il y
faisait de fréquents voyages. Nous ne saurions présenter, dans cette courte
étude, sa carrière politique. Rappelons toutefois que, conseiller général
depuis le 29 pluviôse an IX et député de l'Orne en 1815, le comte d'Orglandes
obtint la pairie par ordonnance du 23 décembre 1823. Il mourut à Paris, le
24 avril 1857, et, dans sa succession, la terre de Méniljean fut attribuée à
sa seconde fille, Madame Clémentine-Adélaïde d'Orglandes, comtesse de
Champagne-Bouzey. Elle était alors veuve du comte Charles-Gabriel de
Champagne-Bouzey, lieutenant des gardes du corps, compagnie de Noailles, ce
qui, sous la Restauration, équivalait au grade de maréchal de camp. Il
tenait à la maison de Champagne, l'une des plus anciennes de la
Franche-Comté, qui remonte à Eudes ou Odon de Champagne, à qui l'empereur
Frédéric Barberousse donna les terres de Lisle et de Quingey. Ces terres
étaient restées, jusqu'à la Révolution, la propriété de la maison de
Champagne. Les Champagne étaient alliés aux principales familles de la
Franche-Comté et de la Lorraine, et ne comptèrent pas moins de onze
chevaliers de Saint-Georges. Le premier avait été Simon de Champagne, reçu
chevalier en l'an 1 502. La terre d'Igey fut érigée en marquisat, en faveur
de François-Xavier de Champagne, qui, le 7 octobre 1750, avait épousé
Marie-Thérèse de Gouzey, fille de Nicolas de Bouzey, maréchal de Lorraine et
du Barrois. Le comte de Champagne, gendre du comte d'Orglandes, avait, en
1830, fait, avec son beau-frère, le comte de Chateaubriand, partie de
l'escorte qui accompagna fidèlement le roi Charles X, quand il se rendit à
Cherbourg.
Élevée à Paris, dans cet hôtel d'Orglandes, où les traditions, les usages de
la vieille aristocratie française avaient été scrupuleusement observés et
maintenus, la comtesse de Champagne les transporta à Méniljean, dont elle
fit sa résidence préférée, et elle sut les y conserver intacts. Le salon de
l'hôtel d'Orglandes à Paris était, dans une publication récente, appelé avec
justesse le modèle des salons d'antan. Et il paraît que Méniljean, dès que
la comtesse de Champagne y vint chaque été passer quelques mois, présenta
aussi un parfait modèle de ce que nos pères appelaient la vie de château:
existence très grande, simple et bienfaisante, sans autres soucis que de
faire autour de soi le plus de bien possible, sans autres ressources (à part
les visites de quelques amis d'élite) que celles d'une famille très unie et
très nombreuse. Après s'être fidèlement rendue, pendant trente années, dans
sa demmeure de Méniljean, Madame la comtesse de Champagne s'y est éteinte,
le 4 janvier 1887, à l'age de quatre-vingt-onze ans. Le château de Méniljean
avait été, par ses soins, l'objet d'une restauration complète. Une chapelle
gothique, l'une des œuvres les plus gracieuses de l'architecte Parent, fut
attachée à l'un des pavillons. Il existe, semble-t-il, entre certaines
demeures et ceux qui, sur cette terre, les ont particulièrement aimées, des
liens que la mort même est impuissante à rompre; le souvenir de Madame la
comtesse de Champagne reste ainsi attaché au château de Méniljean, encore
aujourd'hui tout rempli de sa mémoire.
Ayant hérité de cet amour pour la terre de Méniljean, son fils, M. le
marquis Henri de Champagne, se plaît à embellir chaque année et le parc et
le château. Il a transformé l'un des anciens salons en une vaste et superbe
bibliothèque où sont classées, dans un ordre parfait, les anciennes archives
du château de Méniljean. Celles de la maison de Champagne-Bouzey y ont été
jointes et elles remontent à une donation faite en l'an 1249 par Étienne de
Champagne et sa femme Pétronille. Le livre de raison de Louise de Beaujeu,
qui épousa en 1534 Philippe de Champagne, orné de délicates et très
curieuses miniatures, est déposé, près de là, dans une vitrine. Mais le
fonds le plus précieux du chartrier de Méniljean provient de la comtesse
Gabrielle de Bouzey, dame de cour de l'impératrice Marie-Thérèse. Il
contient en effet, outre un recueil inestimable de lettres de la grande
impératrice, la volumineuse correspondance de la comtesse de Bouzey avec les
reines et les archiduchesses, filles de Marie-Thérèse. Dans la pièce, où
sont conservés ces augustes souvenirs, un beau portrait de Marie-Thérèse
occupe, et c'est justice, la place d'honneur. De récents travaux, d'une
véritable importance, ont encore accru le charme du domaine de Méniljean. De
nouveaux et pittoresques sentiers serpentent dans la vallée de l'Orne, une
spacieuse orangerie s'élève à l'entrée des jardins et un svelte campanile
domine les toits du château. Et c'est ainsi que, par une très heureuse
fortune, le Ménil des temps anciens, transformé en manoir vers le XVIe
siècle, gentilhommière encore à la fin du siècle dernier, est devenu l'un
des plus grands et des plus beaux châteaux de Normandie. (1)
château de Ménil Jean 61210 Putanges-le-Lac, propriété privée, ne se visite
pas.
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