|
La commune de Saint-Germain-du-Corbeïs près Alençon,
tire son nom d'un ancien fief appelé Corbie. Il fut divisé entre filles, et
la partie aînée, un demi-fief de haubert, s'appela Chauvigny. Le surplus
paraît avoir formé les fiefs de la Tirelière, de la Grande-Barre et de la
Petite-Barre. En 1280, Guillaume de Chauvigny payait au chapitre de la
cathédrale du Mans trente sous manceaux de rente pour ses vignes de Montsort.
On sait qu'au moyen âge, la culture de la vigne prit une grande importance
en Normandie. La mauvaise qualité de ces vins, la facilité d'en importer de
meilleurs, l'usage de plus en plus répandu du cidre, la destruction des
vignes par les hivers rigoureux de 1684 et de 1709, une fiscalité ruineuse,
firent abandonner la vigne dans ce pays. En 1404, Berthault Alaire, écuyer,
était seigneur du fieu de Chauvigny; ses biens furent confisqués peu après
la conquête de la Normandie par les Anglais, mais ils lui furent restitués,
sauf ceux qui auraient pu être aliénés, par lettres du roi Henri VI, en date
du 26 avril 1423, à Rouen. Trente ans plus tard, Chauvigny passa, par un
mariage, à la famille Desloges, qui le conserva jusque vers la fin du XVIe
siècle. Le 10 mars 1557, noble homme Jean Desloges en rendit aveu au roi, à
cause de son châtel d'Alençon. "Auquel demi-fief il a, dit-il, plusieurs
libertés et privilèges... Item les regards de mariage que l'on appelle
gâteaux, de tous ceux qui tiennent aucuns héritages au dit demi-fief, quand
ils se marient, en quelques lieux que les mariages soient faits, selon
l'usage du dit fief, et en défaut de payer le dit gâteau huit jours après
les noces faites, encourent en quinze sols tournois d'amende et sept sols
six deniers tournois pour le dit gâteau". Jean Desloges reconnaît par ce
même aveu devoir quinze jours de garde à la seconde porte du château
d'Alençon.
En juillet 1592, le roi Henri IV, pour récompenser de ses services René de
Saint-Denis, gouverneur de la ville et bailliage d'Alençon, l'un de ses plus
fidèles lieutenants, réunit et incorpora à la terre de Hertré, dont il
portait le nom, les fiefs de Forges, Feugerets, Chauvigny, la Tirelière, le
Noyer, qu'il possédait également, et les érigea en baronnie sous le nom de
Hertré, pour relever à une seule foi et hommage du château d'Alençon Les
fiefs de Chauvigny et de la Tirelière ne restèrent pas longtemps dans la
maison de Saint-Denis. Le 13 mai 1600, Odet, fils de René, les vendit à
noble Guillaume Cochon, sieur de Morales, président en l'élection d'Alençon;
mais il fut stipulé qu'ils relèveraient désormais de la baronnie de Hertré.
Guillaume Cochon obtint, en 1617, des lettres patentes qui l'autorisèrent à
changer son nom en celui de Chauvigny. Il laissa deux filles, Marguerite et
Madeleine, de son mariage avec Jeanne du Bouchet, fille du seigneur de
Malefre. Marguerite de Chauvigny épousa, en 1618, Georges des Moulins,
écuyer, sieur de la Queutière, maître des eaux et forêts et vi-bailly au
bailliage et duché d Alençon; sa sœur se maria en 1622 avec Charles de
Gruel, chevalier, seigneur de la Peltrie, d'une noble famille du Perche, qui
fut tué au siège de La Rochelle, en juillet 1628. Veuve à vingt-cinq ans,
ayant perdu le seul enfant issu de son union, elle résolut de se consacrer à
Dieu dans les missions de la Nouvelle France, mais elle rencontra une vive
opposition, d'abord chez son père qui voulait l'obliger à se remarier,
ensuite chez son beau-frère qui essaya, sans succès de la faire interdire
comme prodigue. Elle triompha de l'un et de l'autre avec l'aide de M. de
Bernières, seigneur de Louvigny, trésorier de France à Caen, bien connu pour
sa bienfaisance et ses vertus. Le 1er août 1639, elle aborda au Canada,
accompagnée de plusieurs Ursulines de la maison de Tours, sous la direction
de Marie de l'Incarnation, celle qu'au témoignage de Bossuet on appelait la
Thérèse de nos jours ou du Nouveau-Monde.
Après une vie consacrée tout entière aux œuvres pieuses et charitables,
Madame de la Peltrie mourut à Québec le 7 novembre 1671. Avant son départ,
elle avait partagé avec sa sœur la succession de leurs parents (16 avril
1638). Madame des Moulins eut les fiefs de Chauvigny, Baumé, la Tirelière,
les moulins de Gueramé et de Saint-Germain, les terres de Lisle, Baumé, la
Bouesnière, etc. L'histoire de Chauvigny se confond maintenant avec celle de
Lisle. Georges des Moulins appartenait à une famille noble des environs de
Domfront. Il laissa de ce mariage avec Marguerite de Chauvigny, entre autres
enfants, François des Moulins, chevalier, seigneur de Lisle, Chauvigny,
Baumé et La Barre, maréchal des camps et armées du roi, commandant dans la
ville et citadelle de Marseille, où il mourut en 1662, à l'âge de quarante
ans. Son cœur fut rapporté dans l'église des Capucins d'Alençon. Il épousa,
le 17 mars 1654, Marie de la Marck, veuve de François de Godet, chevalier,
seigneur des Marais, Avoise, baron de Hertré, tué au combat du faubourg
Saint-Antoine le 2 juillet I652. Elle était fille naturelle, légitimée, de
Louis de la Marck, marquis de Mauny, chevalier des ordres du roi, premier
écuyer d'Anne d'Autriche, gouverneur de Caen. Elle descendait par conséquent
de Louis de Brézé et de Diane de Poitiers, de Charles VII et d'Agnès Sorel.
Sa mère, Elisabeth Salviati, dame de Taley, était alliée aux Médicis.
Marguerite de Chauvigny avait apporté la richesse aux des Moulins; Marie de
la Marck, tant par elle que par son fils du premier lit, Paul Godet des
Marais, évêque de Chartres (1692-1709), l'ami du duc de Bourgogne et le
confesseur de Madame de Maintenon, leur donna l'influence et les relations
qui contribuèrent puissamment à leur fortune. Louis-François des Moulins,
fils de François des Moulins et de Marie de la Marck, né vers 1659, mort le
5 mai 1728, eut une magnifique carrière militaire.
Déjà M. Eugène de Beaurepaire a fait connaître le Comte de Lille (c'est le
titre qu'il prit d'abord) et ses correspondants. Nous donnons ici un extrait
des lettres patentes portant érection en sa faveur du marquisat de Lisle.
Elles renferment ses états de services jusqu'en 1716: "Il sert l'Etat depuis
quarante ans. Il commença en l'année 1676 dans la colonelle du régiment des
gardes, d'où il fut détaché pour l'attaque du chemin couvert de Valenciennes
et entra des premiers pêle-mêle avec les ennemis dans la place qui fut prise
d'assaut, dont notre cousin le maréchal de la Feuillade rendit compte à la
cour, aussi bien que de sa conduite au siège des ville et citadelle de
Cambray, ce qui fit qu'en l'année 1678, il fut gratifié d'une compagnie dans
le régiment de Normandie et servit au siège de Luxembourg, où il fut détaché
pour l'attaque de la contregarde et poursuivit les ennemis jusque dans le
fossé de la ville, ce qui engagea notre cousin, le mareschal de Créquy, à le
distinguer en l'envoyant en otage dans la ville lors de la capitulation. A
la guerre de 1688, il fut tiré du régiment de Normandie pour estre
lieutenant-colonel de celuy de Limoges et servit au siège de Mons, après
lequel il fut commandé sur les lignes de la Hayne, où il fut honoré du
régiment d'infanterie de Barrois et ensuitte envoyé à l'armée de Piedmont,
commandée par nostre cousin le mareschal de Catinat, et eut l'honneur de
combattre à la tête de son régiment à la bataille de Marsaille et d'en
rapporter sept drapeaux des ennemis. Cette action de valleur fut reconnue
par nostre dit cousin le mareschal de Catinat qui luy fit commander une
brigade à Savillian où estoient les vivres de l'armée, ce qui luy donna
occasion de combattre avec une partie de la garnison une troupe de 1800
hommes sous les ordres du marquis de Parelle, lieutenant-général des troupes
de Savoye, qui voulait s'opposer aux convois qui se faisaient de Savillian à
l'armée.
Le dit sieur de Lisle eut le bonheur de défaire la plus grande partie de
cette troupe et de brûler le reste des fuyards réfugiés dans une maison. Sur
le compte qui en fut rendu, le dit sieur exposant fut gratifié d'une pension
de 15oo livres et fut ensuite détaché pour l'armée de Catalogne sous les
ordres de nostre très cher et bien amé cousin le duc de Vendosme et servit
au siège de Barcelonne, où il eut l'honneur de commander par distinction la
brigade de la marine, et après envoyé à Manrese pour disposer le siège de
Cordoue. La paix fut conclue en 1700 et le sieur de Lisle honoré de l'ordre
militaire de Saint-Louis. En 1702, la guerre fut renouvelée et il fut fait
brigadier d'armée et servit en celle de Flandre utilement à la deffense du
chasteau d'Huy, et y soutint un assaut. Ensuite duquel il fut envoyé au
siège du fort de Kehl et au passage de l'armée en Bavière, et après renvoyé
à l'armée de Flandre. Il passa en Espagne où il fut employé au siège de
Nissa, à ceux de Castel-David, de Portalegro et particulièrement à celui de
Castel-Blanco, où il commanda en chef. Au retour de ces sièges il fut fait
mareschal des camps et armées et son fils commandant du régiment de La Fère,
vacant par la mort du comte des Marais, tué au siège de Verceil en Italie,
neveu du dit sieur de Lisle, qui fut rappellé d'Espagne pour se faire faire
l'opération de la pierre. Dès qu'il fut guery, sa pension fut augmentée de
1500 livres et fut nommé pour l'armée d'Allemagne commandée par nostre
cousin le mareschal de Villars, qui le détacha après la bataille de
Ramillies avec vingt bataillons pour fortifier l'armée de Flandre, où il a
servi jusqu'en 1709, que sa santé ne luy permettant plus de monter à cheval,
il fut envoyé commander a Arras et chargé de la défense de la ville et
citadelle en cas de siège.
A la dernière paix, il a été honoré du commandement des ville, citadelle et
forts de Lille, où il est actuellement. A ces causes et autres à ce nous
mouvans, voulant favorablement traiter le dit sieur de Lisle par ces
présentes signées de nostre main unissons et incorporons en un mesme fief la
dite baronnie de Hertré, les fiefs et seigneuries en dépendant, ceux de
Chauvigny, de Baumé qui compose la terre de Lisle qui relève de Chauvigny,
le fief de la Tirelière relevant de la dite baronnie et le fief de la Petite
Barre qui relève de nous, leurs circonstances et dépendances, lesquels
baronnie et fiefs ainsy unis en un mesme fief, nous avons érigé et par ces
présentes érigeons en titre et dignité de marquisat sous la dénomination de
Lisle, lequel marquisat nous voulons et entendons relever de nous et de
nostre couronne à cause de nostre chasteau d'Alençon à une seule foy et
hommage. Donné à Paris au mois de novembre l'an de grâce 1716 et de nostre
regne le deuxieme, signé Louis et sur le reply, par le Roy, le duc d'Orléans
régent présent, signé Phelipeaux". La famille des Moulins de Lisle portait
d'azur à trois coquilles d'or et une cigale d'argent en cimier. Le marquis
de Lisle fut nommé lieutenant-général des armées du roi le 1 février 1719 et
promu commandeur de l'ordre de Saint-Louis. Il avait épousé, le 8 avril
1687, dans l'église Saint-Léonard, Louise-Catherine de Bougis, fille de feu
Nicolas de Bougis, sieur de la Vallée, trésorier de France au Bureau des
finances d'Alençon, et de Catherine de Bruslay. Leur fils Louis des Moulins,
deuxième marquis de Lisle, né vers 1689, fut aussi un vaillant soldat.
Capitaine dans le régiment de Barrois (15 décembre 1702), commandant du
régiment de la Fère infanterie (5 août 1704), brigadier (2 juillet 1710)
après le siège de Douai où il s'était distingué à la défense de la place,
mestre de camp du régiment de la Fère et capitaine de la seconde compagnie
(15 mai 1722), maréchal de camp (23 décembre 1731), il fut nommé, le 14 juin
1734, inspecteur général de l'infanterie tant française qu'étrangère.
Cette place valait 8000 livres de rente. Il n'eut pas le temps d'en jouir.
Il fut tué le 29 juin à la bataille de Parme. Cette victoire, qui fut très
glorieuse pour l'armée française, commandée par les maréchaux de Coigny et
de Broglie, fut chèrement achetée. Les pertes en officiers surtout furent
considérables. Il s'était marié deux fois. De sa première femme,
Marie-Marguerite de Lèles, il eut une fille qui épousa le comte d'Orsay; de
la seconde, Anne Libert, deux fils et une fille. L'aîné, Louis-Marie des
Moulins, fut le troisième marquis de Lisle. Comme son père et son aïeul, il
embrassa la carrière militaire, mais il n'y eut pas les mêmes succès. Il
servit comme capitaine de cavalerie dans les régiments de Beaucaire et de
Marcieu et, le 2 juin 1757, il fut nommé chevalier de Saint-Louis. Il mourut
au château de Lisle le 3 octobre 1789, à l'âge de 64 ans, et il fut inhumé
dans le cimetière de Saint-Germain-du-Corbeïs. Comme il ne laissait pas
d'enfants de ses deux mariages, ses biens passèrent à son frère puîné,
Aimé-Louis des Moulins, abbé de Lisle, archidiacre et vicaire-général de
Nevers, abbé de Foucaude, prieur de Notre-Dame d'Alençon. Ces différents
bénéfices lui produisaient net environ 11700 livres. Le rôle de l'abbé de
Lisle fut très effacé pendant la Révolution; il prêta les différents
serments qu'on lui demanda, il livra à la municipalité de Saint-Germain les
titres féodaux des différents fiefs composant le marquisat de Lisle, qui
furent brûlés sur la place publique le 11 août 1793. Grâce à sa prudence, il
paraît avoir vécu tranquillement à Nevers. Il mourut à Paris. Il laissait
comme héritière la comtesse de Vendœuvre, née de Launay d'Esterville. La
fille de celle-ci, la comtesse d'Osseville, vendit, le 10 septembre 1819, le
château et une partie de la terre de Lisle à M. Lecointre, dont le
petit-fils les possédait à la fin du XIXe siècle. Le surplus des terres
avait été aliéné antérieurement. Le château de Chauvigny, qui s'élevait dans
un vaste parc gracieusement dessiné, a été complètement incendié le 15
décembre 1873. Le comte Curial l'a fait avantageusement remplacer par une
élégante construction. On remarque à l'intérieur de belles tapisseries de
l'ancienne fabrique de Paris, avant les Gobelins. (1)
château de Chauvigny 61000 Saint-Germain-du-Corbeïs, propriété privée, ne se
visite pas.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous. Propriétaire de cet édifice, vous
pouvez enrichir notre base de données en nous adressant des photos pour
illustrer cette page, merci.
A voir sur cette page "châteaux
dans l'Orne" tous les châteaux répertoriés à ce jour
dans ce département. |
|