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Château de Clères (Seine-Maritime)
 
 

    Par la position si heureusement choisie qu'occupe le château de Clères, au milieu de cette jolie vallée, où la rivière lente coule en reflétant les grands arbres, on peut juger de l'art et de la science avec lesquels nos aïeux choisissaient les endroits et les sites où il leur plaisait d'édifier leurs seigneuries. Ici, le château de Clères, dominant quatre vallons, gardé en arrière par de larges fossés, était admirablement situé au point de vue stratégique. Avec le château de Longueville, qui a laissé un si vif renom dans nos annales guerrières, il commandait l'ancienne route de Dieppe à Rouen: celle-ci passait alors par ce bourg de Clères, et allait rejoindre Malaunay par Anceaumeville, qui portait alors le nom de Sionville, et par Eslettes. Aussi a-t-on pu avancer, et c'est un fait qu'auraient pu nous révéler peut-être les archéologues érudits, comme MM. César Marette et Lemarchand, qui se sont occupés de l'histoire de la région, que Jeanne d'Arc, conduite de Beaurevoir à Arras, à Eu et à Dieppe, pour être incarcérée au château de Rouen, avait dû s'arrêter au château de Clères. Ce serait un honneur de plus pour le vieux château normand, qui a vu se reposer à l'ombre de ses tourelles, deux de nos rois, Charles IX et Henri IV, et dont l'histoire soulève tant de souvenirs glorieux. L'ancien château de Clères paraît avoir existé dans le voisinage du château actuel, derrière l'église. Sa situation et la direction de sa tour principale, semblent indiquer qu'il devait commander une très ancienne route descendant vers le village de Clères: en arrière, il devait être couvert par des fossés et par la rivière de Clères. Le donjon, comme nombre d'autres constructions de cette époque, entre autres le donjon du château de Gisors, se dressait sur une motte artificielle; tout le parement de ces anciennes constructions, consistant principalement en deux souches de tours circulaires, était en grès: dans la tour voisine de l'église, se trouvait un puits fort profond.
Cet ancien château était contemporain du château d'Arques, et appartenait à la moitié du XIIIe siècle; dans les décombres, parmi les poutres carbonisées, on retrouva des fragments de carrelage, portant des fleurs de lys et les tours de Castille. La destruction de cet ancien château doit dater de 1418 environ, lors de la prise de Rouen par les Anglais. Georges II, sieur de Clères, qui avait été fait prisonnier par les Anglais, à Harfleur, se vit alors dépossédé de ses biens. Une charte de Henri V donna, en effet, le 20 janvier 1420, les terres et les domaines ayant appartenu à Georges de Clères, à Jehan Gray de Heton, à la charge d'une épée à rendre au camp de Rouen, à la Saint-Jean. Ce Jehan Gray, mourut à la bataille de Beaugé, en 1421, et la terre de Clères passa alors à son fils, Henry Gray, qui en resta seul possesseur jusqu'en 1431. Ce jeune seigneur, d'après les Notes sur la prise du château de Rouen par Ricarville en 1432, par M. de Beaurepaire, possédait également le comté de Tancarville, Beaunais, Hugleville, Gitre-Bernard: ces quatre terres lui rapportaient près de 700 écus de revenu annuel. Le domaine de Cléres ne devrait revenir en la Possession d'une famille française qu'avec Georges III, fils de Jehan III, qui, lui aussi, avait été fait prisonnier par les Anglais en 1419, et avait succédé à son père mort à la bataille d'Azincourt. Il ne faudrait pas croire que l'ancien château était tel que les ruines actuelles, couvertes de lierre, le représentent aujourd'hui. Ces vieilles murailles ont été, en effet, pittoresquement restaurées en 1815, par M. Foucher, sculpteur à Rouen: le modèle d'arrangement de ces ruines, avec leurs mâchicoulis figurés, existait dans le cabinet de M. le comte de Béarn, qui fit restaurer l'ensemble du château de Clères. On peut, du reste, facilement se rendre compte de ces modifications, car toutes les parties nouvellement restaurées sont en pierre blanche de Vernon, tandis que les débris anciens sont en grès.
Tout près de l'ancien donjon de Clères, se trouve l'ensemble des constructions du château, formé par plusieurs bâtiments et logis se reliant à angle droit, sur les deux côtés d'une cour intérieure, appelée Cour d'armes. Le château proprement dit, se compose de deux constructions, qui ont subi de véritables remaniements en modifiant profondément l'aspect. L'une d'elles a même été, en 1865, complètement construite à neuf dans le style du XVIe siècle. Seuls, les murs de base en grès, flanqués de courts contreforts, existaient de ce côté, et étaient prolongés le long des fossés par un muret en grès, jusqu'au bâtiment d'un ancien pressoir, aujourd'hui disparu. Le corps de logis ancien, comme l'ensemble du château, a subi, lui aussi, des modifications. Tel qu'il existait en 1865, il semblait, par sa construction, avoir appartenu au XIVe siècle. Édifié de deux étages en grès sur un plan carré, sous un comble se terminant par deux pentes, ses ouvertures et ses baies, ainsi que cela eut lieu pour de nombreuses demeures seigneuriales, durent être remaniées au XVIe siècle; on élargissait alors les fenêtres et les parties trop étroites, et par des placages et des raccords habiles, on décorait de sculptures les parties de la construction ainsi modifiées; c'est très vraisemblablement ce qui s'est produit pour cette partie ancienne du château de Clères. A l'extérieur, du côté sud, ce logis carré était mis en communication, avant la restauration de 1865, par un pont-levis avec chaîne traversant un fossé. On pouvait, à cette époque, apercevoir encore les vestiges apparents des rainures où venaient s'appliquer les bras du pont-levis, soutenant le tablier en bois, ramené à l'aide de chaînes. Ce pont-levis, aujourd'hui disparu, donnait accès sous une porte en arcade, s'ouvrant sur une galerie basse, divisant en deux le rez-de-chaussée.
Les deux étages, tant à l'extérieur que sur la Cour d'armes, étaient percés de fenêtres à meneaux: celles de l'étage supérieur se terminaient par un couronnement triangulaire surmonté par un bouquet et flanqué de légers pinacles, encadrant une frise avec bas-reliefs et monogrammes sculptés. Du côté sud, on a ajouté une sorte de petite galerie saillante en pierre, de balcon supporté par des mâchicoulis décoratifs. A l'un des angles extérieurs de ce bâtiment ancien se trouve, également abritée sous un dais sculpté, une statuette de la Vierge, avec l'inscription "Posuerunt me custodem": cette statue tournée vers la route, est également une adjonction moderne, due à M. Foucher, sculpteur. Il en est de même pour les deux hautes souches de cheminée en briques, décorées à leur couronnement de légères arcatures en pierre; elles encadrent, avec un parti très décoratif, une lucarne à pignon sculpté, qui s'ouvre sur la pente du toit. A l'intérieur ce corps de logis primitif est divisé, au rez-de-chaussée, par une galerie voûtée qui, de l'extérieur, aboutit dans la Cour d'armes. A droite, sur des caves voûtées, se trouve la cuisine avec une cheminée; à gauche une salle voûtée, qui devait être l'office des gens du commun. On accédait au premier étage par une tourelle extérieure, située dans la Cour d'armes et qui renfermait l'escalier d'honneur. Un grand vestibule, situé au premier, donnait accès dans trois pièces. La première, appelée la chambre d'Henri IV, à cause du séjour qu'y aurait fait le Béarnais, occupe l'angle des logis vers le village; elle renferme une cheminée à hotte, refaite dans le style du XVIe siècle, avec des panneaux et des bois sculptés provenant du château, et une sorte de cathedra ou trône, d'agencement moderne fait avec les fragments en bois sculpté d'un tambour carré en bois, qui provenait d'un bâtiment voisin, le Bâtiment de la Justice.
Le second étage, auquel on peut accéder par un escalier de service, situé extérieurement dans un petit pavillon hexagonal, contient plusieurs chambres. A ce logis ancien, fait suite une autre construction fort décorative, mais entièrement moderne. La seule partie ancienne est, sur la Cour d'armes, la tourelle d'escalier dont nous avons parlé et qui, elle-même, a été fort remaniée, lors des travaux de 1862. Elle est construite en grès, sur un plan hexagonal, et percée sur ses faces de plusieurs archères à moulures; elle se termine par un toit polygonal en ardoises, que surmonte un épi portant un pennon. La porte, surmontée autrefois d'une simple accolade, a reçu, lors de la restauration, une ornementation riche et pittoresque. Aujourd'hui on y accède par un perron de quelques marches, menant à un palier porté extérieurement, en encorbellement, et que décore une balustrade droite, à panneaux ajourés et flamboyants. La porte elle-même, en anse de panier, dont les voussures retombent sur des culs-de-lampe formés par des angelots, s'encadre entre deux pinacles dont les fûts, torses à leur base, s'effilent en pyramides à clochetons et à crochets. Toute cette entrée, très pittoresque, est abritée par un auvent triangulaire en charpente, faisant saillie et supportant un épi. Dans le tympan, que recouvre cet auvent, se détache dans un médaillon circulaire, le mascaron en haut-relief d'une tête de portier, qui s'enlève sur le champ de la muraille, décoré d'un semis polychrome de fleurs de lys et de rinceaux peints. Tout cet ensemble de la porte d'entrée rappelle une des portes du château de Blois, qui a été reproduite également dans un des hôtels du boulevard Malesherbes. Très curieuse et fort particulière est la disposition intérieure de l'escalier qui occupe cette tourelle: cet escalier en vis de Saint-Gildas, à noyau plein central, se présente avec sa coquille composée d'une suite d'arcs formant voûte; mais, ce qui est particulièrement intéressant comme construction et surtout comme appareillage, c'est le raccord des murs latéraux avec l'intrados de la voûte, relié par toute une série de petits triangles en briques bien appareillées.
La construction "moderne" du château, comprend un bâtiment carré à deux étages, entre deux pignons, sous un toit à deux pente portant une crête en plomb ajourée. La façade donnant sur la Cour d'armes s'élève au-dessus d'un soubassement percé de deux éclairs et décoré de boulets de grès, en bossage, comme au château de Dieppe Une ordonnance de quatre fenêtres décoratives, séparées par des meurtrières et des archères, indique les étages. Les fenêtres du rez-de-chaussée, en pierre, sont à meneaux et en accolades avec choux et crochets. Celles du premier étage forment lucarnes; elles sont carrées et flanquées de deux pinacles portés en saillie et encadrant un gâble à crochets, dont le tympan plein, au-dessus d'une frise carrée, porte les écussons ou les armoiries des seigneurs de Clères. Au-dessous du chéneau du toit, sur lequel s'ouvrent des lucarnes triangulaires en bois, règne sur toute la façade une large bande, disposée en pierre et briques, en damier. C'est une disposition qu'on retrouve au château de Saint-Maurice-d'Etelan. Sur le comble, que surmonte une crête en plomberie, se détachent deux petites souches de cheminées cylindriques en pierre, avec mitres. Le pignon d'angle est d'une architecture fort mouvementée et très curieuse: il est flanqué de trois contreforts d'angle, dont les pentes et les vigoureux profils animent la base; le contrefort du milieu, qui se termine en pinacle, sépare les deux hautes fenêtres à meneaux horizontaux du rez-de-chaussée et celles du premier étage, dont les allèges sont formées par des arcatures ajourées. A hauteur du chéneau, règne sur le pignon un balcon crénelé, dont les merlons sont bordés d'un cordon et décores de légers panneaux d'arcatures aveugles. Ce balcon, à ses deux extrémités, vient se briser sur deux corbeaux d'angle, soutenus par des grotesques accroupis, flanqués de gargouilles saillantes, et se couronnant par un petit pinacle. Sur ce balcon s'ouvrent deux baies, avec arc et cordon en accolades, séparées par la souche en briques et pierre d'une cheminée fort décorative, portée en encorbellement. Cette cheminée s'enlève sur le champ triangulaire du pignon qu'ornemente une décoration de briques et pierre, en damier, rompant la monotonie d'une surface plane.
A l'intérieur, cette partie entièrement nouvelle du château renferme au rez-de-chaussée un grand hall, très décoré et fort vaste, et au premier étage, toute une série de chambres. La construction de ce hall, a donné lieu à un procès assez compliqué entre le propriétaire et le constructeur, procès né à la suite d'une contestation sur la mauvaise qualité des poutres et des solives du plancher. La partie ancienne du château dont nous venons de parler, ainsi que son adjonction moderne, se relient aux différents services annexes, par une petite construction élevée de deux étages, en grès, percée, sur chacune de ses faces, de deux fenêtres carrées à meneaux, et traversée au rez-de-chaussée par un couloir assez large, servant d'entrée dans la Cour d'armes. Ce petit bâtiment, qui se termine par un petit pignon à redans, servait à faire communiquer le logis seigneurial avec le bâtiment de la Justice. Il porte le nom de Passage des hauts et puissants seigneurs. Dans ce couloir de communication, existait tout un dallage de carreaux vernissés jaunes et rouges, aux armes des seigneurs de Clères, aux armes mi-parti des seigneurs de Clères et de Brézé, leurs alliés par suite du mariage en premières noces de Georges IV, baron de Clères qui, le 10 octobre 1490, avait épousé Anne de Brézé, fille de Jacques de Brézé et de Charlotte de France, fille naturelle de Charles VII et d'Agnès Sorel. Dans ce dallage, dont des spécimens existent au musée des Antiquités de Rouen, figurait un troisième pavé portant un monogramme. Par suite de la différence de hauteur du terrain, ce passage des Hauts et puissants seigneurs, venait aboutir sur une terrasse assez étroite, construite sur des murs de soutènement avec chapes de pierre et décoration en damier de pierre et de briques. Une balustrade droite à panneaux ajourés, entrecoupée par des pilastres, vient s'y buter à une petite tourelle en forme de lanternon, contenant un escalier permettant d'accéder de la Cour d'armes au terre-plein. Ce lanternon, édifié dans le style du XVIe siècle, sur une base polygonale à damier de briques et pierre, est décoré de plusieurs baies ouvertes et couvert d'un toit en pierre, polygonal, dans le goût d'une des tourelles du Palais de Justice de Rouen. C'est là que se trouve placée la cloche d'appel.
Sur cette partie du terrain, dallée en grès, se trouve le Bâtiment de la Justice, à trois étages en grès, percé de fenêtres carrées à meneaux de pierre et couvert d'un vaste toit. A l'une des extrémités, vers le château se trouve une demi-tourelle à toit en poivrière, portée sur une terrasse crénelée demi-circulaire, qui contient l'escalier menant du premier au second étage. Pour gagner le premier étage du bâtiment de la Justice, il fallait monter par un autre escalier situé en arrière du Bâtiment des Communs et suivre un vestibule particulier. Au rez-de-chaussée, ce bâtiment de la Justice renfermait la grande salle de Justice, où les seigneurs venaient juger les différends. Le premier étage était occupé par deux grands appartements carrelés avec pavages, et ornés de lambris en bois. C'est là que se trouvait ce tambour en bois qui fut utilisé pour la chaise ou le trône qui figure dans la chambre d'Henri IV. Au deuxième étage se trouvait le Chartrier, qui renfermait de nombreuses pièces abandonnées et les ornements religieux de l'oratoire et de la chapelle. A la suite de l'oratoire, s'allonge sur le terre-plein élevé de quelques marches, le bâtiment des Communs à un étage, en pans de bois du XVIe siècle, avec briquetage varié. Sur le comble apparent à deux pentes, avec enfaîteau au faîte, s'ouvrent deux lucarnes en saillie, en pans de bois. Dans les salles du premier étage, il existait une décoration peinte de paysages, dont le style semblait indiquer l'époque de Louis XIII. On pouvait également y relever des armoiries d'azur au chevron d'argent à trois maillets. Les Communs se terminaient en arrière par deux tours polygonales en briques et charpente, près desquelles se trouvait un puits fort ancien. Au-dessous de ce bâtiment existent des caves voûtées en berceau sur arcs-doubleaux, que M. l'abbé Cochet attribue au XIIIe siècle. Tel est le château de Clères, dont le style du XVIe siècle rappelle l'élégance somptueuse du Palais de Justice de Rouen, et peut compter, avec les adjonctions apportées, parmi les plus beaux édifices de la région.

Il nous reste à indiquer quel fut le rôle et la vie des seigneurs qui, pendant de longues années se succédèrent en cet admirable château. Ainsi que l'a fort justement écrit M. J. Félix, dans une monographie du château de Cléres consacrée surtout à ses seigneurs: "C'était une illustre famille que celle des barons et comtes de Clères: leurs alliances avec les plus grandes maisons, leur vaillance, comme leur fidélité au monarque, les avaient placés au premier rang de la noblesse normande et les mêlèrent à tous les événements importants, qui intéressaient la province ou le royaume". Députés de leur ordre aux États de Normandie, tenant leur rang quelquefois contesté à l'Échiquier, et plus tard au Parlement, associés à la fortune militaire de la France, pour laquelle ils bravèrent la captivité, la confiscation, la mort, ils ont conquis dans notre histoire une place d'honneur. Le premier des sires de Clères est Godefroy, comte de Brionne et d'Eu, fils naturel de Richard 1er, duc de Normandie, qui vivait vers 921; il eut plusieurs fils, et entre autres Richard, seigneur de Clères et de Bienfaite, chevalier, qui avait épousé la fille de Gautier, comte de Longueville et d'Amicie Flaittel. Roger, son fils, comte de Clères, fixa le nom et les armes: ce fut lui qui, autorisé par son seigneur Guillaume, duc de Normandie, fit donation à l'abbaye de Saint-Ouen de divers biens. Un Gilbert de Clères, fonda alors la branche anglaise des comtes de Cléres-Pembroke, en Angleterre. Guillaume 1er, fils de Roger, en 1037, laissa ses biens au prieuré de la Madeleine, près de Vernon: il eut entre autres enfants de son mariage avec Amicie de Glocester, Renaud, sire et baron de Clères, qui accompagna Guillaume le Bâtard à la conquête de l'Angleterre en 1066 et qui, à son retour de la guerre, aumôna ses biens à l'abbaye de Saint-Victor-en-Caux, et à celle de Saint-Amand.
Voici encore, parmi ces défenseurs fidèles du pays, Mathieu 1er, fils de Guillaume 1er, qui en 1099, conformément au vœu de son père, aumône, lui aussi, ses biens en faveur de l'abbaye de Saint-Victor. C'est lui qui, à Clères même, fonde le prieuré de Saint-Sylvestre, qu'il donne à l'abbaye de Tiron, dans l' Eure-et-Loir, prieuré qui, aujourd'hui, a été transformé en grange. Ce pieux personage, qui avait été fait prisonnier par les Sarrasins, avec lesquels il s'était vraisemblablement rencontré à la troisième croisade, sous les ordres de Philippe-Auguste et de Richard Coeur de Lion, abandonna 5 acres de terre pour bâtir l'église paroissiale, qu'il aumôna depuis avec ses appartenances à l'abbaye de Tiron, près de Chartres. Il avait épousé Luce de Hangest, fille du seigneur d'Hugleville. A leur fils Mathieu II, qui avait épousé Richère de Longchamp, sœur de l'évêque d'Ely, Guillaume de Longchamp, l'illustre chancelier d'Angleterre, revient l'honneur d'avoir fondé le marché de Clères le mardi de chaque semaine. Une charte datée de Tours, du 26 juin 1195, signée de Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre et duc de Normandie, accorde ce droit à perpétuité. Mathieu II s'était marié deux fois: de son premier mariage avec Marie de Montmorency, il eut Jean 1er, sire et baron de Clères, seigneur de Gruchy, Nezay et Hugleville; en 1222, il abandonnait ce fief de Gruchy et la cure de Notre-Dame-du-Tot, à l'abbaye de Sainte-Catherine-du-Mont, à Rouen. Son fils aîné, Jean II, en 1260, réunit les fiefs de la Houssaye, Bérenger et du Bocasse à Clères, et fit, en 1286, appointements avec les religieux de Sainte-Catherine, pour le ban de son moulin de Clères. Tous ces seigneurs de Clères aimaient fort le conjungo: si Jean II et Mathieu II s'étaient mariés deux fois, Georges 1er, sire et baron de Clères, de Beaumets et de La Croix-Saint-Leufroy, se maria trois fois: avec Marguerite de La Heuse, fille du châtelain de Bellencombre; avec Jeanne de Mallemains, et avec Mahaut d'Estouteville; il fit de nombreuses aumônes au couvent des Jacobins de Rouen, y fonda une messe et y fut inhumé.
Il avait été un des otages livrés aux Anglais par le traité de Brétigny, en 1360, pour le rachat du roi Jean, fait prisonnier en 1356, à la bataille de Poitiers. Il avait assisté aussi, en compagnie du roi Jean le Bon, à l'un des actes les plus dramatiques de son règne, l'arrestation et la mort des seigneurs normands, qui encourageaient les Rouennais à ne pas sanctionner l'impôt voté par les États généraux de 1355. Il avait vu, le samedi qui précédait les Rameaux, en l'an 1356, le roi, venu de Gisors par des chemins détournés, entrer par une poterne du donjon de Rouen, pénétrer dans la grande salle et faire arrêter son gendre Charles le Mauvais, roi de Navarre et comte d'Évreux, transféré au château d'Arleux, son chancelier Friquet de Friquans et son écuyer Colinet Doublet, le comte d'Harcourt, Jean Mallet, sire de Graville, Maubué de Mainnemare. Tous furent conduits au Champ-de-Pardon et décapités. Un des fils de Georges 1er, Georges II, à ses titres de seigneur de Clères, joignit ceux de Lincheux, Bornoy, Neufville et d'Aupegard. Pris par les Anglais, à Harfleur, en 1415, avec Guillaume de Clères, son frère, il fut obligé de vendre ses biens pour acquitter sa rançon. C'est vers cette époque que fut détruit l'ancien château de Clères, qui avait été donné, ainsi que nous l'avons dit, à Jehan Gray de Heton, par Henri V d'Angleterre, le 20 janvier 1420. Rentré à Clères, Georges II y avait fondé une chapelle en l'honneur de saint Jean et de saint Maur. Il avait épousé Marguerite de Namps, mais n'en ayant pas eu d'enfants, ses biens passèrent au fils de son frère Jean III, pannetier de Charles VI, qui avait épousé Isabelle de Hellaud, à l'abbaye du Bec, et fut tué à Azincourt. Figure belliqueuse et martiale aussi, que celle de ce Georges III qui allait hériter du domaine de Clères, restitué par les Anglais à son possesseur.
Resté en minorité, après la mort de son père, ayant pour tuteurs ses oncles, Renaud de Chartres, chancelier de France, et Guillaume de Hellande, archevêque de Reims, il prit part également aux guerres contre les Anglais et fut fait prisonnier. Il augmenta son domaine de la terre de Panilleuse, que lui avait donnée sa tante Jeanne de Clères, mariée à Philippe de Calleville, seigneur de Douville et de Panilleuse. Son fils fut Georges IV, que l'on retrouve mêlé dans toute l'histoire de Rouen en compagnie du sénéchal Louis de Brézé: il avait, en effet, épousé sa sœur Anne de Brézé, le 10 octobre 1490, fille de Jacques de Brézé, comte de Maulévrier, baron du Bec-Crespin et de Mauny, seigneur du Bosc-Achard, maréchal héridital et grand sénéchal de Normandie, et de Charlotte de France, fille naturelle de Charles VII et d'Agnès Sorel. Georges IV, qui mourut le 25 septembre 1539, avait épousé, en secondes noces, Isabeau de Mailly, dont il eut, entre autres enfants, Jean IV. Ce Jean IV qui, en 1547, avait épousé Anne de Fourquesolles, fille du sénéchal du Boulonnois, prend part au siège de Rouen, en octobre 1562: il y est blessé, mais ne s'arrête point pour cela, et se jette dans la ville de Caudebec, d'où il expulse les huguenots. Pour témoigner a ce fidèle serviteur son estime et sa reconnaissance, Charles IX, tout jeune, part de Dieppe le 11 août 1563, et passe la nuit au château de Clères, d'où le lendemain il se rend à Rouen, pour y faire son entrée solennelle, accompagné de Catherine de Médicis, qui va faire déclarer la majorité de son fils dans une séance royale, à laquelle assistent les princes du sang, Henri, duc d'Anjou, plus tard Henri III, Henri de Navarre, notre futur Henri IV, le prince de Condé, les Montmorency, le duc de Longueville, le duc de Montpensier, le chancelier de l'Hospital, Michel de Montaigne et Brantôme. Quand Charles IX quitte Rouen, quelques jours après, Jean IV le suit en Basse Normandie, où il trouve la mort en intervenant dans une querelle que son neveu d'Auzebose s'est attirée avec deux gentilshommes, dont l'un put s'enfuir et dont l'autre est conduit au supplice.
De son second mariage avec Marguerite de Louvigny, Jean de Clères avait eu un fils, Jacques, qui, lui aussi, aima les folles aventures de la guerre. A peine âgé de quinze ans, il prend part au siège de Rouen, puis il guerroie contre les protestants: il est à Moncontour sous les ordres de Brissac, en 1569, puis sous les ordres de Carouges, gouverneur de Normandie. Retiré dans son château de Clères, il oublie peu à peu les ardeurs catholiques de sa jeunesse et il offre, dans son manoir, l'hospitalité à ses anciens adversaires, à M. du Maine, à Villars, et à Henri IV lui-même. Une première fois le monarque s'arrête à Clères en 1590; au retour de sa campagne contre Farnèse, duc de Parme, le Béarnais vient s'y reposer et soigner la blessure qu'il avait reçue devant Aumale. La chronique galante ajoute que le monarque découcha pour aller entretenir la belle Gabrielle d'Estrée, dans son manoir de Tourpes, près de Bures, une vieille construction qui rappelle singulièrement le château des Loges. Ce séjour du Vert-galant à Clères, a été du reste rapporté par le brave Sully, en ses Économies royales. "Il se mit aux trousses du duc de Parme, et l'ayant suivy jusqu'au Pont-Dormy, il s'en retourna à Neufchâtel et de là loger à Claire. M. de Claire, comme notre amy et allié, nous fit donner une petite chambre dans le château, où nous demeurames (avec un valet de chambre, un page et un laquais seulement), auprès du roy qui se faisoit encore panser de sa blessure". Ce brave Jacques de Clères, avait épousé en 1569, Louise de Balzac, fille de Guillaume d'Entragues, dont il avait eu plusieurs fils: Jacques, mort du vivant de son père au siège d'Amiens, en 1595, sans s'être marié; Charles, né en 1575, fut tout d'abord pourvu du prieuré de Beaubec.
Marié à Claude de Combaut, il eut deux fils qui moururent jeunes, et deux filles, Marie, qui épousa François Martel, seigneur de Fontaine et Bellencombre, et Louise de Cleres, qui épousa, en 1614, Adrien d'Arcona, seigneur d'Heubecourt, dont elle eut cinq fils morts jeunes et une fille, Louise d'Arcona, qui, après avoir épousé Hubert de Champagne, se remaria, en 1628, avec Henri de Préteval, dont elle eut René de Préteval, marquis de Clères et de Panilleuse. Jusqu'alors la transmission des héritages s'était faite dans la même ligne, mais le 31 octobre 1626, la mort de Charles de Clères, fait entrer le domaine de Clères dans la famille des Fontaine-Martel, François de Fontaine-Martel ayant épousé Marie de Clères. D'après Toussaint Duplessis, la seigneurie fut alors divisée en deux parties, en marquisat et comté, par lettres patentes de mai 1631. Selon un aveu du 14 août 1673, la baronnie de Clères était divisée en deux parties. La première dite la Moitié de l'Ainée, érigée en marquisat en 1651, sous le nom de marquisat de Claire et Panilleuse, donnant droit de présentation aux cures de Frichemesnil, Grugny, Houssaye, Bérenger, Ormesnil-sur-Cailly et Panilleuse. Ce marquisat appartint à Louise de Clères, remariée à Henri de Presteval, seigneur de Sainte-Poix. La seconde moitié, était dite la Moitié à la Cadette, et porta le titre de comté: elle donnait le droit de présentation à la cure des Authieux-sur-Claire, Bocasse, Claire-Cordelville, Val-Martin, à la chapelle Saint-Jean et Saint-Maur. Ce comté était à Marie, la seconde fille du baron Charles, femme de François de Fontaine-Martel, seigneur de la Campagne, Fontaine, Bolbec et Brétigny. Originairement les seigneurs de Clères auraient été comtes, si l'on en croit un mandement de Philippe-Auguste de 1204; depuis 1066, leur seigneurie aurait été érigée en baronnie: les armes des seigneurs de Clères étaient: d'argent à une fasce d'azur, chargée de deux lions et d'une aigle à deux têtes, le tout d'or.
En 1650, François II Martel, rendit aveux de son nouveau domaine. De son mariage avec Marie de Clères il eut un fils, Charles Martel, marié à Anne de Beauquemare, veuve de Marc-Anthoine d'Orléans, comte de Rothelin. Ce Charles Martel, belliqueux, comme tous ses ancêtres, prit part à toutes les agitations de la Fronde. Un beau jour, l'an 1649, il s'avisa d'aller mettre le siège devant le château du Neubourg et de l'enlever à ce curieux original, Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac, le grand seigneur machiniste, fondateur de l'opéra en France. Ce beau fait d'armes appelait une revanche: elle n'eut garde de se faire attendre, et peu de temps après, Sourdéac, accouru en hâte, s'emparait à son tour du château de Clères et imposait au village le logement des troupes qu'il avait amenées. Charles Martel, qui mourut à Paris, en 1669, en son hôtel de la rue Saint-Honoré, eut trois fils, Henri Martel, mort lieutenant-colonel d'un régiment de marine, Adrien Martel et Charles II Martel, qui, en 1643, épousa Suzanne d'Orléans de Rothelin, et qui eut une fille, MarieFrançoise, qui épousa son cousin, Charles III Martel d'Emalleville. Celui-ci fut vraisemblablement le dernier des Martel, seigneur de Clères. En 1725, il était maréchal de camp de gendarmerie, à l'âge de 27 ans, quand il mourut des suites d'un accident. En montant à cheval, à deux kilomètres de Clères, dans les bois de Grugny, il s'était enfoncé son épée dans le corps. Il y a quelques années, dans la chambre royale du château, on voyait encore son portrait. Sa jeune veuve Madame de Fontaine-Martel, devint célèbre par ses relations avec le roi-Voltaire. Ce dernier des Fontaine ne laissait qu'une fille, Louise-Suzanne-Edmée Martel de Clères, qui fut mariée le 19 février 1760, à Armand-J oseph de Béthune, duc de Charost, pair de France et maréchal de camp.
Pour la seconde fois, le domaine de Clères changeait de seigneurs. En 1779, Edmée Martel de Clères, duchesse de Charost, mourut, laissant ses biens à son mari, tuteur de son fils, Louis-François-Edme comte de Béthune-Charost, qui monta sur l'échafaud le 29 avril 1794. Par suite de la donation mobile faite par sa femme Henriette de Béthune-Sully, qui était sa cousine, son père hérita de la terre de Clères, qu'il laissa à sa seconde femme, née de Bouchet de Sourches de Tourzelle, qui mourut sans enfants. Elle laissa alors le domaine normand à sa sœur, dont le mariage avec Luce de Galard de Brassac, comte de Béarn, fit encore passer le château de Clères dans de nouvelles mains. C'est ainsi qu'il devint la propriété, dès 1839, de Louis-Hector, comte et prince de Béarn marquis de Brassac, comte de Galard, sénateur du second Empire, chargé de missions diplomatiques, mort en 1870 à Bruxelles. C'est au comte de Béarn qu'on doit la restauration de ce château, dont les travaux furent exécutés d'après les plans de M. Henri Parent, l'habile architecte du musée d'Amiens, le restaurateur du château de Bonnétables et d'Ancy-le-Franc, par M. Foucher, le sculpteur rouennais qui a donné tant de preuves de ses connaissances approfondies et variées de la Renaissance. L'entrepreneur fut M. Chaboux, de Rouen; la ferronnerie fut exécutée par M. Roy, de Paris. Quant au parc qui entoure le château, dont la création amena certains vallonnements et la dérivation des eaux de la rivière, il a été dessiné et tracé par M. Bussigny, de Paris. Avec ses grands arbres qui ombragent les toits des bâtiments, il encadre le château dans ses verdures luxuriantes et en rehausse encore la beauté sévère. (1)

Éléments protégés MH : l'ensemble du bâti historique du château, à savoir les deux ailes de bâtiments entourant la cour : château, communs et manoir avec la terrasse sur laquelle ils sont situés , avec la motte et les ruines, ainsi que le portail et la maison du régisseur, tel que délimité sur le plan annexé à l'arrêté (bâti en vert, terrasse et motte en jaune), situé avenue du parc : inscription par arrêté du 9 mai 2017 (2)

château de Clères, 32 avenue du Parc, 76690 Clères, tél. 02 35 33 23 08, parc ouvert au public de 10h à 18h 30 en mars et en octobre, de 10h à 19h d'avril à fin septembre et de 13h30 à 17h en février et novembre.

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Crédit photos : Raphodon sous licence Creative Commons
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(1)
    source: La Normandie Monumentale et Pittoresque, (Manche) Lemale & Cie. Imprimeurs, Éduteurs, achevé d'imprimer le 25 septembre 1897.
(2)    source :  https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee

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(IMH) = château inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques, (MH) = château classé Monument Historique
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