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Le Talou, c'est-à-dire la contrée arrosée par la Telle (aujourd'hui la
Béthune), eut au moyen âge une certaine importance stratégique attestée par
le nombre de forteresses qui défendaient alors le pays. C'était d'abord le
château de Goslain-Fontaine (Gaillefontaine), construit en 1050 et pris en
par Philippe-Auguste sur "les partisans de Jehan d'Engleterre qui maintes
trahisons firent en cette guerre". Drincourt, qui apparaît dans l'histoire
vers 944, avait son château dès 1050. C'était une construction en bois à
trois étages qui, en 1074, reçut Robert Courte Heuse révolté contre son
père. Une forteresse de cette nature pouvait être facilement incendiée.
Aussi, dès 1106, le duc de Normandie, Henri Beauclerc, éleva un "noefchastel"
en pierre, d'où le bourg tira le nom de Neufchâtel qu'il porte aujourd'hui.
Bures avait également son château fort dès le XIe siècle. En 1089, quand
Robert Courte Heuse, afin de se faire des partisans contre son frère
Guillaume le Roux, maria sa fille naturelle avec Saint-Saëns, Bures faisait
partie de la dot de la mariée; mais en 1099 Guillaume le Roux s'empara du
château. Vers 1119 les partisans de Guillaume Cliton, fils de Robert Courte
Heuse, parmi lesquels étaient Henri, comte d'Eu, Hugues de Gournay et
Baudouin à la Hache, comte de Flandre, tentèrent de le reprendre, mais
Baudouin fut blessé sous ses murs et se retira à Aumale où il mourut peu de
temps après. En 1172, Henri le Jeune, fils de Henri II, roi d'Angleterre et
duc de Normandie, tint à Bures son "tinel" ou cour, et cent dix chevaliers
s'y trouvèrent réunis dans la même salle. En 1190 Richard Cœur de Lion y
vint passer les fêtes de Noël. En 1592 le duc de Guise qui y avait établi
son quartier général, faillit y être fait prisonnier par Henri IV.
De 1040 à 1050, Guillaume, comte de Talou, élève "dessus arches une tur" qui
plus tard devint forteresse et devant laquelle se donna la bataille
d'Arques, gagnée par Henri IV, en septembre 1589. De ces fiers châteaux que
reste-t-il? Gaillefontaine n'a conservé que ses enceintes et quelques pans
de muraille. L'emplacement de Drincourt, gazonné et planté d'arbres, sert de
promenade publique aux habitants de Neufchâtel. On en est à se demander où
pouvait s'élever le château fort de Bures, et celui d'Arques n'est qu'une
ruine imposante, achetée par l'État en 1868. Mesnières seul subsiste dans
son intégrité, mais Mesnières date de l'aurore des temps modernes, et,
malgré les large, douves qui l'entourent, est plutôt une somptueuse
résidence qu'une forteresse et, provoquant l'attaque de l'ennemi. Cette
admirable construction fut élevée vers 1540 par Charles de Boissay. Ce
seigneur, quoique possédant plusieurs domaines, n'était cependant pas venu
au monde avec cuiller d'argent en bouche, comme on dit vulgairement. Mais sa
femme Madeleine Le Picard était issue d'une riche famille qui, sous Louis
XI, avait donné un surintendant des finances. L'or des Le Picard qui avaient
déjà fait sortir de terre le château d'Etclan, cette merveille de la basse
Seine, aida beaucoup Charles de Boissay à faire face aux lourdes dépense, ou
l'entraînait son goût pour l'architecture. Le château de Mesnières, campé
sur une petite éminence est la perle de la vallée de la Béthune.
Le visiteur ne se lasse pas d'admirer ces tours couronnées de mâchicoulis,
ces deux ailes décorées des écussons des diverses familles qui se sont
succédé dans la possession de Mesnières, ces belles cheminées de l'aile
droite sortant de grands combles où s'ouvrent de nombreuses fenêtres à
colonnes et des lucarnes de diverses formes, puis au-dessus de ces tours et
de ces combles, la flèche de la chapelle qui domine cet ensemble à la fois
majestueux et riant. Un large perron disposé en éventail donne accès à la
cour d'honneur. A gauche est la salle des quatre tambours, une des mieux
conservées du château. Le plafond est orné d'une peinture représentant la
Paix chassant la Discorde et de deux écussons aux armes de Louis de
Fautereau. Ce seigneur contribua beaucoup à l'embellissement du château et
obtint de la reine régente l'élévation de sa terre en marquisat; mais le
parlement refusa de ratifier la décision royale. On remarque, en outre, dans
cette salle, une vue du château avec son parc au temps des Fautereau, une
peinture représentant le banquet d'Hérode avec les personnages costumés
comme au XVIIe siècle; diverses toiles portent les dates 1654 et 1666, et
surtout un bon petit tableau peint sur cuivre: les Tricheurs. Après la salle
des quatre tambours vient l'ancienne grande salle servant aujourd'hui de
classe aux élèves d'un pensionnat établi dans le château. Au-dessus de la
porte d'entrée de cette pièce se trouve un écusson aux armes de Biencourt.
Il a pour tenants un hibou et un aigle, et pour cimier une licorne. Le tout
est surmonté d'une couronne de marquis.
Dans cette salle sont les blasons des châtelains. Voici l'indication de ces
armoiries avec les noms de ceux qui les portèrent et la date de leur entrée
en possession de la terre de Mesnières. 1128, Tyrel de Mesnières: componé
d'argent et de sable de six pièces. 1307, Renaud de Bray: d'argent au chef
de gueules chargé d'un lion passant d'or. 1320, Jourdain de Valliquerville:
emmanché d'argent et de gueules. 1332, Henri de Bailleul: de gueules à la
croix ancrée d'argent, chargée de 4 billettes de gueules et accompagnée de 4
croisettes recroisettées d'argent. 1370, Jean de Boissay, marié à Mahaut de
Bailleul: d'hermine au lion de gueules brochant... Louis de Gouvis, marié à
Suzanne de Boissay: de vair plein. 1564, François de Fautereau, qui épousa
Françoise de Gouvis: d'azur à 3 croisettes d'or. 1713, Durey de Bourneville,
par acquisition: de sable à un rocher d'argent, surmonté d'une croisette du
même. 1766. Michel-Charles de Biencourt, par suite de vente: de sa ble au
lion d'argent, armé, lampassé de gueules, couronné d'or. A la suite de la
grande salle est la chapelle neuve servant aux élèves et aux orphelins. Dans
cette chapelle, bénite en 1864 par le cardinal de Bonnechose, sont de belles
boiseries sculptées du XVIIe siècle, qui proviennent de l'abbaye de Préaux.
On y remarque aussi une chaire faite dans les ateliers de la maison
d'éducation et de magnifiques verrières dont les principaux sujets sont: la
première communion de saint Louis de Gonzague, d'après un tableau du temps;
le mariage de Joseph et de Marie; l'adoration des Mages; l'atelier de
Nazareth, etc. Ne nous arrêtons pas aux oubliettes qui, par un contraste
frappant, se trouvent près de ce lieu de prière; et traversons la galerie
des cerfs, ainsi appelée de sept statues de cerfs dont les têtes portent de
beaux bois naturels. A l'extrémité de cette galerie nous entrons dans la
chapelle primitive, élégante construction de la Renaissance, où l'on
remarque de belles voûtes et deux confessionnaux creusés dans la muraille.
Dans la partie de droite est la chambre dite de Henri IV. Cette tradition
d'un séjour du Béarnais à Mesnières, a été propagée par Louis de Fautereau,
marié en 1648 à Catherine de Manneville, l'une des filles d'honneur de la
reine régente, le même que nous avons vu obtenir de la mère du roi,
l'érection de la terre de Mesnières en marquisat. Louis de Fautereau
jouissait d'une belle fortune, venant en grande partie de son grand-père,
François de Fautereau, époux de Françoise de Gouvis, qui avait apporté 70000
livres de rente dans la maison de Fautereau. A ses titres ordinaires de
marquis de Mesnières, capitaine de cavalerie dans le régiment de Son Altesse
fils de France, Louis se plaisait à ajouter celui de ce "capitaine des
chasses et plaisirs de Sa Majesté, dans toute l'estendue et ancien ressort,
bailliage et vicomté de Neufchâtel et forêt de Hellet, bois, plaines et
buissons circonvoisins". Il s'occupait beaucoup de l'embellissement du
château qu'il décora avec luxe. Il chargea André Le Nôtre des plantations de
son parc, dans lequel on voit encore des arbres qui datent de cette époque.
Que manquait-il à Mesnières? Le charme des souvenirs. Mais on croit
facilement ce qu'on souhaite, et d'ailleurs, depuis la bataille d'Arques
jusqu'à la journée d'Aumale, le Béarnais ne vint-il pas maintes fois dans le
pays? Ne livra-t-il pas plusieurs combats à Bures? Ajoutons que, l'amour
comme la guerre, devait lui faire désirer de se loger dans la somptueuse
demeure construite par Charles de Boissay; car le manoir de Tourpes, qui est
à quelques portées de mousquet de Bures comme de Mesnières, appartenait aux
d'Estrées, et peut-être la belle Gabrielle y résidait alors. Un écrivain a
fait de Tourpes le berceau de cette beauté célèbre. En réalité, l'histoire
qui va jusqu'à nous faire connaître l'endroit où Henri IV a été conçu, a
négligé de nous apprendre où Gabrielle d'Estrées a vu le jour. Rien
n'indique même qu'un des sept péchés mortels de la famille d'Estrées, soit
jamais venu à Tourpes.
Après la mort de Louis-Joseph de Fautereau, tué a Malplaquet en 1709,
Mesures fut vendu en 1713 à Durey de Bourneville, président au Parlement de
Paris, qui l'acheta 255000 livres Cette vente ne fut pas du goût d'un bâtard
de Fautereau. Quand il l'apprit, dit Potin de la Mairie "le sang lui monta
au cœur comme s'il s'agissait d'un affront. Il partit avec quelques bons
compagnons, fit le siège de Mesnières, s'en empara, et il fallut un autre
siège en règle, pour déloger de sa conquête le bâtard de Fautereau".
Cinquante ans plus tard, en 1763, le petit-fils de l'acquéreur, dissipateur
effréné, vendit cette terre au roi Louis XV, et celui-ci la donna à
Michel-Charles-Louis de Biencourt, marquis de Poutrincourt, en échange de
trois maisons que ce dernier possédait à Paris: deux rue Saint-Honoré et la
troisième rue du Dauphin. Louis XV avait fait cet échange afin de pouvoir
agrandir la grande écurie de son château des Tuileries, dont les bâtiments
étaient insuffisants. La seigneurie de Mesnières avait coûté au roi 500000
livres. Un membre de la famille de Biencourt, Charles-Nicolas, connu sous le
nom de marquis de Mesnières (par abréviation pour marquis de Poutrincourt,
baron de Mesnières), fit exécuter au château de grands travaux de réparation
et d'embellissement. Un pont tournant remplaça le pont fixe qui était devant
la cour d'honneur, et celle-ci fut entourée d'un trottoir dallé de pierres.
Mais Charles-Nicolas de Biencourt étant mort à peu près ruiné en 1833,
Mesnières fut vendu et morcelé. Le château, acquis par la bande noire, était
destiné à disparaître. Heureusement, après devis fait, on s'aperçut que les
frais de destruction et de transport des matériaux absorberaient plus que le
produit de la vente, et l'on attendit. Sur ces entrefaites, l'abbé Eudes se
présenta comme acquéreur, et sauva Mesnières en y installant un orphelinat.
Depuis, les continuateurs de son œuvre, les abbés Frigot, Balavoine, Yvelin,
Arson, Dubloc, Paris et Marquezy, sont arrivés à donner une grande extension
à cette maison d'éducation à laquelle ils ont ajouté une école
professionnelle. (1)
Éléments protégés MH : le château : classement par liste de 1862. L'enclos
castral dans ses limites actuelles : les sols, les éléments subsistants de
la composition et les éléments subsistants de la clôture, à l'exclusion des
parties déjà classées ; les deux colombiers polygonaux ; le bâtiment des
communs, à l'exclusion de l'aile en retour ; la grande chapelle de l'école,
y compris le vestibule, à l'exclusion des aménagements du réfectoire en
sous-sol : classement par arrêté du 12 octobre 1995 (2)
château de Mesnières, Institution Saint Joseph, 76270 Mesnières-en-Bray,
tél. 02 35 93 10 04, visite du château le samedi et le dimanche de 14h à 18h
et visite de groupes, tous les jours, sur RDV. Hébergement et restauration
(repas gastronomique) possibles pour les groupes.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous. Nous remercions chaleureusement Melle
Caro Bee pour les photos du château de Mesnières qu'elle nous a adressées
pour illustrer cette page. Photos du château en cours de restauration.
A voir sur cette page "châteaux
de Seine-Maritime" tous les châteaux recensés à ce
jour dans ce département. |
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