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Monsieur Léon Palustre,
dans son grand et magnifique ouvrage sur la Renaissance en France, a ainsi
décrit le ravissant château d'Auffay, bien digne de prendre place parmi les
belles œuvres que le passé nous a léguées. "Transportons-nous sur la haute
colline qui porte le château d'Auffay. Le voyage, bien qu'assez difficile,
en vaut la peine; car là existe, perdue au milieu des bois, l'une des
constructions les plus originales que l'on puisse rencontrer. Les effets de
mosaïques que nous avons déjà signalés au Tréport sont bien dépassés; aux
silex blancs et noirs taillés en cubes, on a ajouté des briques de
différentes couleurs. L'appareil change presque à chaque instant et passe du
spicatum au zigzagué, du losange au réticulé, du chevronné à l'obliqué.
C'est une fête des yeux dont on n'a pas l'idée, et jamais à si peu de frais
on n'est parvenu à égayer des murs qui, sans cela, eussent paru d'une
tristesse morose et d'une insupportable froideur. Cet admirable petit
château se trouve encore aujourd'hui à peu près dans son état primitif; cet
édifice si coquet et si original fait le plus grand honneur au règne de
François 1er". M. Palustre se trompe sur l'époque de la construction du
château d'Aufray qui remonte à Charles VII. La date précise est gravée en
chiffres gothiques au sommet de l'une des tours: 1442. Tout porte à croire
que ce château a été édifié par Jean d'Houdetot, seigneur d'Auffay-la-Mallet,
marié à Marie de la Motte et mort en 1492.
La famille d'Houdetot est l'une des plus anciennes et des plus considérables
du pays de Caux, et possédait dans ses biens la terre d'Auffay-la-Mallet, au
moins dès le XIVe siècle, car nous voyons Richard d'Houdetot, bailli de
Rouen, en 1381, qualifié de seigneur patron de Veauville-sur-les-Baons, de
Oherville et de Auffay-la-Mallet. Le second fils de Jean d'Houdetot,
Guillaume, seigneur d'Auffay-la-Mallet et de Fultot, assista comme capitaine
au siège de Thérouanne et mourut en 1537. La famille, à cette époque, prend
rang à la Cour. Antoine, fils du brave capitaine Guillaume, qualifié, comme
lui, seigneur d'Auffay-la-Mallet et de Fultot, devient l'un des cent
gentilshommes de la maison du roi, et sa sœur Anne, fille d'honneur de la
reine. Ils étaient tous militaires dans cette noble maison, et versaient
volontiers leur sang pour la France. C'est ainsi que Pierre d'Houdetot, fils
d'Antoine, homme d'armes de la compagnie de Montmorency, tomba, comme son
grand-père, sur un champ de bataille. Il fut tué en 1567, à la bataille de
Saint-Denis. Nous devons lui accorder une mention spéciale, car c'est lui,
selon toute apparence, qui remania les fenêtres des étages supérieurs, dans
le style de son temps, et fit construire et orner l'admirable vestibule en
pierre du château d'Auffay. Ce vestibule offre sous sa voûte divisée en
nombreux compartiments de pures merveilles de sculpture. On y lit la date de
1553, et on reconnaît, dans les attributs, les gracieux ornements qui
varient dans chaque caisson, la richesse d'imagination et la finesse de
ciseau des maîtres sculpteurs de cette époque.
François 1er, en bâtissant Fontainebleau, en l'ornant magnifiquement, avait
donné l'exemple. Pierre d'Houdetot, aura voulu avoir, lui aussi, une voûte à
caissons sculptée par l'un des artistes qui embellissaient le château royal.
On trouve parmi les sujets, des arcs, des flèches, des casques, des petits
amours, des oiseaux, des poissons, des fleurs, empreints de cette grâce
élégante qui caractérise la Renaissance. Il faut admirer aussi l'escalier en
pierre de la tourelle qui n'est soutenu que par une légère colonne de 25
centimètres, autour de laquelle il tourne élégamment. Le château demeura,
jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, dans la descendance mâle de la famille
d'Houdetot. Les alliances des d'Houdetot d'Auffay avec les Pontbriand, les
Martainville, les du Fay, les Carrel de Mésonval, etc., attestent l'estime
dont ils jouissaient. Marie-Geneviève-Adrienne d'Houdetot, née le 27 mai
1697, étant devenue seule héritière, épousa Laurent-Paul Le Poulletier de
Motenant, conseiller du roi, maître ordinaire à la Cour des comptes et
finances de Normandie, et mourut le 17 pluviôse an IX, à l'âge de cent
quatre ans. Les Le Poulletier devinrent ainsi propriétaires d'Auffay et en
prirent le nom. Il convient de rappeler au souvenir des érudits, M.
Alfred-Laurent Le Poulletier, comte d'Auffay, qui avait réuni une des plus
riches et des plus curieuses bibliothèque de la Normandie. Les pièces
rarissimes n'y faisaient pas défaut, et l'on y remarquait des reliures de
Gascon, de Capé, de Duru, de Bauzonnet.
La vente du château de cet amateur délicat et distingué, mort en 1861, mit
au jour des livres à peu près inconnus alors, tels que les Menus propos de
P. Gringoire, Paris, 1555; les Élégies et Épigramme de Jean Doublet Dieppoys,
1559; les Premières œuvres poétiques de Jehan Grisel, Rouennois, 1599:
Tragédie de Jeanne d'Arques, dite la Pucelle d'Orléans, native du village d'Emprenne,
près Vaucouleurs en Lorraine, Rouen, 1606; la Vie et les Miracles de
Monseigneur Saint-Ouen, imprimé à Rouen par M. Pierre Olivier, près l'église
de Saint-Vivien, vers 1520; recueil de lettres qui peuvent servir à
l'histoire (1631-1656) et diverses poésies d'Alexandre de Campion, frère de
Henri de Campion dont on a des mémoires, Rouen, Maurry, 1657; une magnifique
entrée d'Henri II à Rouen (vendue 800 francs), l'entrée de Charles IX,
l'entrée de Henri III (vendue 685 francs) et cent autres curiosités
bibliographiques. M. le comte d'Auffay avait formé aussi une précieuse
collection d'autographes de tous les membres de l'Académie française, à peu
d'exceptions près, depuis son origine jusqu'en 1860. Les richesses ont été
dispersées à tous les vents. Elles formaient une des grandes attractions de
ce manoir hospitalier où les érudits trouvaient toujours bon accueil. Des
traditions dont nous n'avons pu vérifier l'exactitude, rattachent au château
d'Auffay des souvenirs historiques dignes de mémoire. C'est ainsi qu'Henri
IV y aurait séjourné dans sa campagne du du pays de Caux; que
Charles-Edouard Stuart aurait habité pendant quelques temps Auffay, avec sa
mère la princesse Marie Sobieska, petite-fille du grand Sobieski, roi de
Pologne, et épouse de Jacques III, et seraient venus répandre leurs prières
dans la chapelle gothique qui occupe une des tourelles du château.
Il est certain que Charles-Edouard a habité la France à plusieurs reprises.
Après le désastre de Culloden, il y était revenu par Morlaix (29 septembre
1746). Louis XV lui fit tout d'abord une réception, royale et parut
favoriser sa cause. C'est alors que les proscrits, qui avaient précédé
Charles-Édouard en France, et ceux qui étaient parvenus à s'échapper avec
lui où après son départ furent enrégimentés. Lochiel, Ogilvie et d'autres
chefs furent nommés colonels de ces corps que le roi prit à sa solde, et
qu'on dirigea sur Dieppe, Boulogne et Calais, où allait s'assembler une
armée d'invasion. C'est probablement en 1747, pendant que les troupes levées
pour cette tentative désespérée traversaient notre région pour se rendre à
Dieppe, que Charles-Édouard se sera fixé pendant quelques jours à Auffay. M.
Louis d'Houdetot, qui avait épousé Mademoiselle Carel de Mésonval, habitait
alors le château, et a pu en faire les honneurs au brillant et infortuné
prince. Le vicomte Walsh, qui affirme la présence de Charles-Édouard et de
sa mère à Auffay, devait être bien renseigné, car il descendait de ces lords
Walsh, les plus généreux et les plus intrépides partisans des Stuarts, dont
ils partagèrent la bonne et la mauvaise fortune. Des notes de la famille d'Auffay,
prétendent même que la reine Marie-Casimire, épouse de Jean Sobieski, était
parente des d'Houdetot d'Auffay. On a donné à l'une des chambres du château
le nom de chambre Sobieski, et les portraits offerts par les princes de
Pologne, se voient encore dans la galerie de la comtesse de Vergès d'Auffay.
Mademoiselle d'Auffay, fille du dernier comte d'Auffay, ayant épousé le
comte de Vergès, colonel au 15e régiment de chasseurs à cheval, mort en
1875, devint propriétaire de la terre et du château d'Auffay, acquispar
Mademoiselle Le Verdier au début du XXe siècle .
Quoi qu'il en soit de ces souvenirs, le château seul suffit à exciter
l'intérêt des archéologues et des artistes. La façade du château se compose
d'un grand corps de bâtiment flanqué de deux tourelles. Cette façade a été
remaniée malheureusement au XIXe siècle. On y a percé de grandes fenêtres
qui n'ont rien de commun avec le style primitif de l'édifice. Les
restaurations entreprises à cette façade par l'avant-dernier propriétaire du
château, n'ont pas été plus heureuses. Elles ont inspiré à M. Palustre, les
réflexions suivantes: "Cet admirable petit château se trouve encore
aujourd'hui à peu près dans son état primitif; mais il est, paraît-il,
menacé d'une restauration complète, qui l'alourdirait singulièrement, sous
prétexte de l'embellir. Il ne perdrait pas seulement ce cachet inappréciable
que le temps lui a donné, mais toutes ses formes seraient altérées, tout son
caractère absolument changé. De grâce, que l'on nous épargne ce nouveau
crève-cœur, et si, pour l'architecte, il s'agit d'une question d'argent,
mieux vaut encore racheter le droit de laisser les choses en l'état, que
d'autoriser une transformation qui équivaudrait à une destruction. A tout
prix, il faut conserver intact un édifice si coquet et si original".
Heureusement pour ce château, il est aujourd'hui la propriété de
Mademoiselle Le Verdier, qui compte parmi ses parentes, dans la ligne
maternelle, Mademoiselle Carel de Mésonval, l'épouse de Louis d'Houdetot, et
qui comprend surtout admirablement la valeur artistique et monumentale de
son domaine. Elle a commence de rendre à la façade, sous la direction de M.
Janet. l'un de nos habiles architectes, son aspect primitif.
Le coté opposé de cette façade est reste intact. On admire l'élégance et la
variété des tours, le mouvement des toits, l'ingénieuses combinaisons de
mosaïques de l'appareil, et l'ensemble harmonieux de la construction. Placé
dans un site pittoresque, entouré de bois avec des vues profondes sur la
charmante vallée de la Durdent, ce château était autrefois entouré de beaux
hêtres touffus qu'on aime à rencontrer dans le pays de Caux, et qui ont
donné sans doute à Auffay son nom "Altifagus"; s'il a été dépouillé dans la
suite des tems de ses vieux compagnons, le château n'en apparaît pas moins
dans un cadre verdoyant, avec un aspect élégant et gracieux, et demeure un
des bijoux archéologiques, légués par le XVe siècle a la postérité. (1)
Éléments protégés MH : le château: inscription par arrêté du 2 février 1932.
Le colombier ; la motte castrale, y compris son fossé : inscription par
arrêté du 6 septembre 1996 (2)
château d'Auffay 76560 Oherville,
tel. 07 50 55 03 82, des visites guidées sont organisées, sur réservation,
pour les groupes à partir de 15 personnes. Visites individuelles des
extérieurs (parc). Propose également la location de salles pour vos
réceptions.
Ce site recense tous les châteaux de France, si vous possédez des documents
concernant ce château (architecture, historique, photos) ou si vous
constatez une erreur, contactez nous. Nous remercions chaleureusement
Monsieur J. Sava pour les photos qu'il nous a adressées afin d'illustrer cet
historique.
A voir sur cette page "châteaux
de Seine-Maritime" tous les châteaux recensés à ce
jour dans ce département. |
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