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Le château d'Esneval, à Pavilly, est un des rares monuments civils du XVe
siècle qui soit parvenu jusqu'à nous presque sans altérations. Construit
solidement en pierres de taille, il présente un corps carré flanqué de
quatre tours octogones, au toit aigu, et deux ailes de bâtiments sur le même
plan, d'égales dimensions. Il est assis, au milieu d'arbres séculaires, sur
le penchant d'une colline qui s'abaisse en pentes douces pour former le
gracieux et riche vallon arrosé par la rivière d'Esne (aujourd'hui appelée
Sainte-Austreberte), d'où le nom d' Esneval. Un parc très vaste bordé de
hautes futaies, sillonné par les nappes d'argent de la rivière, s'étend au
pied du château et lui forme un cadre verdoyant. C'est dans l'année 1465,
que Robert de Dreux, baron d'Esneval, vidame de Normandie, éleva ce noble
édifice en remplacement du castel féodal ruiné par le temps et surtout par
la terrible guerre de Cent ans. Robert de Dreux était de sang royal, il
descendait par une lignée non interrompue de Louis VI le Gros. Son père,
Gauvain II de Dreux, avait épousé en 1404, Jeanne d'Esneval, dernière
survivante de sa race, et avait ajouté à son nom celui d'Esneval, selon une
coutume perpétuée dans cette famille. Les Dreux d'Esneval ont une noble page
dans l'histoire. Fidèles à la bannière royale et à la patrie, ils avaient
suivi Charles VII dans ses luttes désespérées contre l'Anglais; aussi, les
envahisseurs s'étaient-ils emparés des riches domaines d'Esneval, et les
avaient-ils accordés à l'anglais Ogard, chambellan de Henri VI, auquel les
vassaux étaient forcés de rendre hommage. Après la délivrance de la
Normandie, Charles VII avait restitué à la famille d'Esneval tous ses biens
et Louis XI, confirmant la charte de son père, avait ajouté, en faveur de
Robert de Dreux, le titre de vidame de Normandie à celui de baron d'Esneval,
avec le droit de haute justice dans ses domaines. Robert de Dreux d'Esneval
avait donc, après la paix rendue à la France et à la Normandie, reconstitué
le domaine d'Esneval et édifié le château.
Chose admirable, la famille d'Esneval, "dont l'antiquité se perd dans les
origines de la Normandie", a habité sans interruption le même pays, où elle
se fait encore vénérer et bénir aujourd'hui. On citerait en France peu
d'exemples de ce genre. Si haut en effet qu'on puisse remonter dans leos
annales, on trouve à Pavilly les deux familles d'Esneval et de Pavilly,
distinctes jusqu'en 1280 et réunies alors par le mariage de Robert d'Esneval
avec Marguerite de Pavilly, dernière héritière du nom. Les seigneurs de
Pavilly possédaient un château féodal près du bourg; les sires d'Esneval en
occupaient un autre sur le versant de la colline. "Les bases de deux tours
renversées et des fragments de murailles, ruines du château de Pavilly,
existaient encore en 1710, ainsi que nous l'avons appris par un ancien
dessin de la Bibliothèque nationale; des fouilles ont fait retrouver les
fondements de ces massives constructions, dans l'emplacement occupé par les
halles publiques". Le château actuel nous est représenté dans sa forme
primitive, au XVe siècle, par un ancien dessin très précieux que M. de
Glainville a ainsi décrit: "Quatre tourelles octogones, à toits pointus, et
surmontées de riches épis en plomb, flanquaient un corps de logis splendide.
Le rez-de-chaussée, sorte de galerie en forme de cloître, s'ouvrait sur la
tour par une série d'arcades cintrées; les nervures des voûtes retombaient
sur des consoles, et une autre construction à peu près semblable à la
première, reliait, par un retour d'équerre une vieille chapelle conservée
seule de l'ancienne construction. Une enceinte de murailles formait le
pourtour du manoir, et un moulin placé sur cette petite rivière d'Esne, qui
donne son nom à l'antique famille, complétait, avec quelques bâtiments
devant, les dépendances de la demeure".
Un ancien terrier de la baronnie d'Esneval nous fait connaître que la
corniche qui régnait tout autour de la galerie, était ornée de blasons
enluminés dont il nous donne le détail. On y remarque le blason du roi Louis
XI, de la reine Charlotte de Savoie, sa femme, du Dauphin, les armes de
Normandie, de Bretagne, du comté d'Albret, du comté de Dreux, du comté de
Montfort-l'Amaury, de Louis de Brézé, comte de Maulévrier-en-Caux, de la
baronnie d'Esneval, de la seigneurie de Pavilly, de la seigneurie de
Berville-en-Caux, de Gauvain de Dreux, et celles des nombreuses alliances de
la famille d'Esneval. Cette galerie, si richement ornée, a disparu dans les
modifications subies au XVIIIe siècle par le château. Les annales de la
famille d'Esneval sont inséparables de celles du bourg de Pavilly, qu'elle a
toujours habité et où elle s'est signalée, à toutes les époques, par ses
bienfaits. Dès le VIIe siècle, vers 664, Amalbert de Pavilly, y avait bâti
et fondé un monastère en faveur d'Aurée sa fille; il en donna la conduite à
saint Philibert, premier abbé de Jumièges. qui choisit pour abbesse sainte
Austreberte, à laquelle succéda la pieuse Aurée, qui est comptée par nos
anciens hagiographes au nombre des saintes normandes. L'un des descendants
d'Amalbert, Thomas de Pavilly, mort en 1091, fonda un hôpital, encore
debout, et où repose depuis huit siècles son tombeau, qu'aucune révolution
n'a violé. Ce tombeau est très remarquable: on y voit la statue de Thomas de
Pavilly couchée, les pieds appuyés sur un lion. Il porte son armure de
guerre, l'épée de la main droite, le bouclier de la main gauche; le corps
est couvert d'une cotte de mailles et d'une petite tunique qui s'arrête aux
genoux. Le tombeau et la statue sont demeurés intacts depuis le XIe siècle.
Ce fait, assez rare, prouve la reconnaissance de la population envers son
bienfaiteur. Cet hôpital est probablement aussi l'un des plus anciens de
ceux qui honorent actuellement la charité française; car il n'a cessé,
pendant neuf cents ans, de s'ouvrir aux malades et aux vieillards de la
contrée. L'histoire de la famille d'Esneval serait glorieuse et touchante à
raconter; le savant M. Chéruel l'a résumée en ces termes "Elle a su, dans
une longue carrière, se plier aux formes variées de la société. Puissante
par les armes, lorsque les armes étaient le seul moyen de puissance, elle
s'est plus tard distinguée par la science des lois et l'habileté dans les
négociations diplomatiques". Charles de Prunelé d'Esneval remplit en effet
les fonctions d'ambassadeur de France en Écosse, pendant les années 1585 et
1586. Robert d'Esneval fut envoyé au Portugal par Louis XIV en juillet 1688,
comme ambassadeur ordinaire. Il y conçut le projet de marier l'infante
Isabelle-Louise, filleule de Louis XIV, avec le grand Dauphin devenu veuf en
avril 1690. Robert d'Esneval quitta Lisbonne en octobre 1691, et fut nommé
ambassadeur en Pologne. Il y mourut en 1693. Son grand-oncle, Jacques de
Grémonville, avait été, en 1664, envoyé extraordinaire de Louis XIV à
Vienne, où il avait rendu au roi de tels services, que Saint-Simon n'a pu
s'empêcher d'en parler avec respect. L'aïeul maternel de Robert d'Esneval,
Pompone de Bellièvre, chancelier de France, a été un des plus habiles
négociateurs de la paix de Vervins. Comme magistrats, les d'Esnêval
rendirent d'inoubliables services. Ils avaient séance à l'Échiquier, dès son
origine, en qualité de premiers barons de la province. Le Parlement
constitué, on y trouve, comme conseillers, des membres de cette antique
famille. Au XVIIIe siècle, ils figurent parmi les présidents de l'illustre
compagnie: en 1712, Anne-Claude-Robert Le Roux, baron d'Esneval et de
Pavilly; en 1770, Pierre-Esprit-Robert-Marie Le Roux d'Esneval, connu sous
le nom de baron d'Acquigny.
Le nom d'Esneval, menacé plusieurs fois dans le cours des siècles de
disparaître, fut toujours relevé par d'heureuses alliances. Jeanne d'Esneval,
dernier rejeton de sa race, épouse, en 1404, Gauvain de Dreux. Anne de Dreux
d'Esneval est au XVIe siècle la seule enfant de la famille; elle épouse René
de Prunelé. Les Prunelé d'Esneval vont s'éteindre au XVIIe siècle, avec
Françoise de Prunelé d'Esneval, lorsque Françoise épouse, en 1615, Anne de
Tournebu, président au Parlement de Rouen. Madeleine de Tournebu d'Esneval,
leur fille unique, épouse, en 1644, Claude Le Roux, baron d'Acquigny, qui
relève encore une fois le nom d'Esneval. La famille Le Roux d'Esnêval se
continue jusqu'au commencement du XXe siècle. Le baron d'Esneval laisse en
mourant trois filles, dont l'aînée épouse M. Bezuel, officier supérieur de
la garde royale, chevalier de Saint-Louis, et fils d'un conseiller au
Parlement de Normandie. Les Bezuel occupaient, dès le XVe siècle, des
fonctions de judicature à Neufchâtel-en-Bray, et y comptaient, au XVIIe
siècle, parmi les familles les plus opulentes. Les fils de M. Bezuel, qui
avait épousé l'aînée des demoiselles d'Esneval, furent autorisés par décret
impérial, à porter, eux et leurs descendants, le nom d'Esneval, comme
l'avaient fait depuis le XIIIe siècle, les Dreux, les Prunelé, les Tournebu,
les Le Roux. Madame Henri Bezuel d'Esneval occupait au début du XXe siècle
le château d'Esneval, à Pavilly, et y continue dignement les traditions de
ses aïeux. La lignée masculine se continue par M. Adrien Bezuel d'Esneval,
baron d'Esneval.
C'est à M. Bezuel qu'on doit la nouvelle disposition du parc dont M. de
Glainville a décrit avec poésie les aspects pittoresques, " Un gazon
toujours vert s'abaisse, par une douce pente, jusqu'à la rivière de l'Esne.
De l'autre côté des arbres vigoureux, de vieux saules pleureurs à l'écorce
rugueuse, dont la longue chevelure gémit sous les caresses du vent; le
bruissement lointain que fait entendre la docile rivière se précipitant en
cascade pour faire un point de vue charmant avec le pont jeté dessus". Les
archives nombreuses conservées au château d'Esneval renferment des chartes
des rois de France, et des documents diplomatiques du plus haut intérêt. Il
existe plusieurs dessins anciens du château, mais M. de Jolimont est le
premier qui en ait donné une lithographie dans la Revue de Rouen de 1844.
Sur la gravure on voit, a droite, la vaste chapelle construite au XVIIIe
siècle par le président d'Esneval, baron d'Acquigny. L'autel est un pur
chef-d'œuvre de l'art du bois, il est en forme de console supportée par deux
anges qui découvrent des urnes où sont renfermées d'importantes reliques.
Cette chapelle, où sont inhumés, depuis le XIXe siècle, les membres de lai
famille d'Esneval est pleine de pieux souvenirs, entre autres, de ceux du
cardinal de Bonnechose. Elle a remplacé l'ancien sanctuaire du XVe siècle,
qui s'harmonisait par son style avec le château, mais qui avait reçu du
temps et des guerres religieuses du XVIe siècle, d'inguérissables blessures.
Telle qu'elle est, elle donne à cette maison seigneuriale, où se sont
conservés, pendant tant de siècles, la vieille foi et le vieil honneur
français, son vrai caractère. Ce qu'aucune gravure ne peut rendre, c'est le
charme et la poésie du site de ce magnifique domaine, où, dans les coteaux
verdoyants qui encadrent le parc, le bois épais qui estompe l'horizon, la
jolie vallée dont on voit la naissance, ces grandes pelouses, ces hautes
futaies, cette fraîche rivière aux méandres et aux chutes pittoresques, se
trouvent résumés et comme ramassés les aspects les plus divers de cette
belle et riche Normandie. (1)
Éléments protégés MH : la chapelle ; le corps de bâtiment attenant au nord,
à savoir les façades et les toitures, les logettes sur trois niveaux,
l'escalier d'accès attenant, la pièce lambrissée : classement par arrêté du
2 mars 1970 (2)
château d'Esneval, route de Limésy, 76570 Pavilly, propriété privée, la
chapelle se visite lors des journée du patrimoine
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