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Le château d'Ételan, situé à dix
kilomètres de Lillebonne, est un des monuments de l'arrondissement du Havre.
Ce bel édifice date de la fin du XVe et du commencement du XVIe siècle; il
fut construit pour la famille Picard d'Estelan, et a été habilement
restauré, à la fin du XIXe siècle, par M. Simon, architecte a Rouen, membre
de la Commission des Antiquités de la Seine-Inférieure. "Tout répond à une
structure, à une ornementation gracieuse, dans l'aspect extérieur du château
d'Ételan; les fenêtres à meneaux, les hautes lucarnes ogivales, historiées,
surmontées de pinacles, les grandes croisées surbaissées, largement
cintrées, qui s'ouvrent sur un côté du bâtiment, la galerie découpée qui
borde les combles, dit avec raison M. Antony Valabrègue (Les environs de
Rouen), rappellent par quelques détails le Palais de Justice de Rouen". Mais
la partie la plus intéressante du château d'Ételan est, sans contredit, la
chapelle. Notre savant maître, l'illustre archéologue, l'abbé Cochet, qui la
visita en 1846, la décrit ainsi dans ses Églises de l'arrondissement du
Havre: "Nous ne pouvons passer sous silence cette jolie chapelle que nous
appellerons le bijou de l'arrondissement du Havre. Si l'abbaye de Fécamp en
est la merveille, cette chapelle en est véritablement la perle. Tous les
jours on entreprend de coûteux voyages pour visiter sur les bords de la
Loire des châteaux de la Renaissance et de charmantes chapelles du XVIe
siècle. Nous avons admiré avec plaisir les chapelles des châteaux, d'Amboise
et de Chenonceceaux, de Blois et nous ignorions que dans notre Normandie,
sur les bords de Seine qui nous a vu naître, se trouvait une petite
merveille digne en tout point de leur être comparée, digne peut-être de
l'emporter sur elles".
C'est un joli édifice de la fin du XVe ou du commencement du XVIe siècle. Ce
qu'on doit le plus admirer dans cette chapelle, ce n'est ni l'appareil, ni
les contreforts, ni les fenêtres, ni les voûtes, ni les vitraux même,
ailleurs on retrouve toutes ces choses; mais ce que l'on ne retrouve nulle
part, c'est l'ameublement complet d'une chapelle du XVIe siècle. Les
innovations du temps, les réformes des propriétaires, les améliorations
introduites par les chapelains, les ravages de la guerre et surtout la
Révolution de 93, ont détruit dans nos églises tous les objets-meubles des
anciens temps. Mais à Ételan, le mobilier est resté intact, et l'on peut s'y
faire une idée complète d'une chapelle catholique du XVIe siècle. Le pavage
en terre cuite est composé de petits carrés couverts de différentes
armoiries; l'écusson le plus souvent répété est à trois piques, armes
parlantes des Picard d'Estelan. Le bénitier est une jolie cuve de la
Renaissance, recouverte de la plus fine dentelle de pierre. La p isci ne est
également sculptée avec élégance; l'autel est une table de pierre sous
laquelle fut peut-être une peinture de Jésus au tombeau; le pourtour des
murs jusqu'à deux mètres de hauteur est recouvert d'un lambris en bois de
chêne, dont les panneaux séparés par des contreforts à pinacle sont
couronnés par une sculpture à jour de la plus grande délicatesse. Le même
huchier aura sans doute ouvré le banc seigneurial et le lutrin découpés dans
la forme gothique. Le lutrin est un pupitre creux comme celui de Boileau,
s'élevant ou s'abaissant à volonté à l'aide d'une vis d'une grande
dimension.
L'abbé Cochet complète son intéressante monographie de la chapelle du
château d'Ételan par la description des fresques de l'abside, des statues en
pierre et des cinq vitraux anciens qui ornent cet édifice religieux, et le
savant archéologue fait des vœux pour la conservation de tous ces trésors
artistiques du moyen âge. Ces vœux ont été exaucés, car nous avons visité
cette chapelle le 4 décembre 1892, et nous avons été heureux de constater
que tous les objets si fidèlement décrits par l'abbé Cochet existent encore,
grâce aux soins éclairés de Madame Auguste Desgenétais, propriétaire du
château d'Ételan, qui a eu l'heureuse idée de faire restaurer habilement
cette chapelle en 1880 par M. André Felz, peintre ornemaniste, sous la
direction de M. Navarre, architecte. le château de Saint-Maurice d'Ételan
est intéressant pour l'archéologue, il ne l'est pas moins pour l'historien.
Les chroniques de Normandie nous apprennent que le 2 août 1563, Charles IX,
après avoir repris la ville du Havre sur les Anglais, vint à Ételan avec
Catherine de Médicis. C'est de cet endroit que furent écrites, le 4 août
1563, les lettres de convocation du parlement de Rouen pour déclarer la
majorité du roi, ce qui fait supposer à plusieurs historiens que le célèbre
chancelier de l'Hospital séjournait au château d'Etelan à cette époque. De
1383 à nos jours, le domaine d'Estelan ou d'Ételan a été possédé
successivement par les familles dont voici les noms d'après la liste qui est
placée dans le vestibule du château: 1383, Guillaume Picard d'Estelan. 1402,
Guillaume Picard d'Estelan, dit le Poulain, chambellan du roi Charles VI.
1463, Guillemette Picard d'Estelan, femme de messire Jean Bastard de
Graville.
1468, Guillaume Picard d'Estelan, conseiller du roi Louis XI. 1499, Louis
Picard d'Estelan. 1515, Francois Picard d'Estelan. 1531, Madeleine Picard,
veuve de Jean d'Esquetot. 1555, Charlotte d'Esquetot, femme de Charles de
Cossé, comte de Brissac, maréchal de France. 1564, Timoléon de Cossé, comte
de Brissac, grand fauconnier de France. 1569, Charles II de Cossé, duc de
Brissac, maréchal de France. 1602, Jeanne de Cossé-Brissac, femme de
Francois d'Épinay Saint-Luc, comte d'Estelan, maréchal de France. 1622,
Timoléon d'Epinay, marquis de Saint-Luc, comte d'Estelan, maréchal de
France. 1644, François d'Epinay, marquis de Saint-Luc, comte d'Estelan,
lieutenant général. 1670, François d'Epinay, marquis de Saint-Luc, comte d'Estelan.
1694, Marie-Anne-Henriette d'Epinay-Saint-Luc, femme de François, marquis de
Rochechouart. 1714, Charles-J ean-François Hénault, président au parlement
de Paris. 1770, François-Pierre-Charles Bouchard d'Esparbès de Lusson d'Aubeterre,
comte de Juzac. 1774, Jean-Baptiste-Joseph Belhomme de Glatigny. 1809, Marie
Belhomme de Glatigny, épouse de Adrien-Charles Deshommets, marquis de
Martainville, gentilhomme de la chambre du roi Charles X, maire de Rouen.
1853, Charles-François-Emeric Deshommets, marquis de Martainville. 1858,
Adrien- Siméon-Paul des Champs de Boishébert. A la fin du XIXe siècle, le
château d'Ételan appartenait à Madame A. Desgenétais, surnommée à juste
titre la bienfaitrice de Lilleonne. M. Auguste Desgenétais, conseiller
général du canton de Lillebonne, chevalier de la Légion d'honneur, décédé en
1882, est aussi connu par sa bienfaisance et surtout par sa belle conduite
pendant la guerre de 1870-1871, pour que nous fassions son éloge.
Parmi les anciens possesseurs du château d'Étel an, nous remarquons
Charles-Jean- François Hénault, président au Parlement de Paris, membre de
l'Académie française, auteur d'un Abrégé chronologique de L'histoire de
France, et de plusieurs autres ouvrages estimés, qui fut l'ami intime et
souvent correcteur des travaux historiques de Voltaire. Nous devons au
président Hénault la conservation de La Henriade, et voici dans quelles
circonstances: au moment où Voltaire lisait le commencement de ce poème, on
l'impatienta par quelques objections, et aussitôt il jeta son manuscrit au
feu, d'où Hénault s'empressa de le retirer, ce qui lui coûta une belle paire
de manchettes, comme nous l'apprend une de ses lettres. Cet acte de
dévouement méritait certainement une récompense; c'est sans doute pour cela
que Voltaire fit l'éloge de son ami Hénault dans ses biographies des grands
écrivains du siècle de Louis XIV et qu'il adressa à ce magistrat historien,
qui était aussi poète à ses heures, les vers suivants: Hénault, fameux par
vos soupés, Et par votre chronologie, Par des vers au bon coin frappés,
Pleins de douceur et d'harmonie. Le président Hénault fut, paraît-il, très
froissé de voir entrer ses soupers pour quelque chose dans sa réputation, et
Voltaire remplaça ces vers par ceux-ci: Les femmes l'ont pris fort souvent,
Pour un ignorant agréable, Les gens en us pour un savant, Et le dieu joufflu
de la table, Pour un connaisseur très gourmand. Nous pensons que Voltaire a
dû venir au château d'Ételan, car, en 1723, c'est-à-dire au moment où le
président Hénault, l'ami qu'il "idolâtrait" habitait ce manoir, l'auteur de
La Henriade séjourna quelques temps à Rouen, à Déville et à la
Rivière-Bourdet.
Le château d'Ételan vit naître au XIVe siècle un des héros de la guerre de
Cent ans, "monseigneur Pierre d'Estelan", comme l'appelle l'auteur de la
Chronique des quatre premiers Valois (1327 -1393). Il périt à cette néfaste
bataille navale de l'Écluse qui fut pour la marine et la chevalerie
normandes une défaite, mais dont l'héroïsme des vaincus fit une défaite
triomphante. Les vainqueurs y perdirent dix mille des leurs, dont quatre
comtes, vingt-quatre barons et plus de cent chevaliers. "Et s'il n'en reste
qu'un, je serai celui-là", a dit Victor Hugo des Français qui refusèrent
après le coup d'État de prêter serment à l'Empire. A l'Écluse, le combattant
qui refusa jusqu'à la fin de se rendre fut Pierre d'Estelan "Monseigneur
Pierre", dit le chroniqueur contemporain que nous citions tout à l'heure,
"ce tint tout le dernier en un château d'une barge où nul n'osoit ni ne
pouvoit de lui approcher, ni devant lui nul, tant fût-il hardi, n'osoit
arrêter. Tout entour de lui étoit la barge couverte de gens morts, et il
occist de sa main plus de cent Anglois. On ne vint à bout d'Estelan qu'en
l'attaquant par derrière, et il succomba les armes à la main". Comme nous le
disait si justement le très regretté M. Siméon Luce, membre de l'Institut,
l'éditeur de la Chronique des quatre premiers Valois, la statue du héros de
l'Ecluse, ce Normand dont la force colossale et la bravoure irrésistible
rappellent les prouesses de Tancrède à la première croisade, décorerait bien
la façade du magnifique château d'Etelan. La famille d'Estelan a encore
donné à l'armée et à la marine de brillants officiers dont le souvenir n'est
pas perdu dans nos annales. Après monseigneur Pierre d'Estelan, le plus
illustre fut Guillaume Picard d'Estelan, gouverneur général de l'artillerie,
conseiller et chambellan de Louis XI, bailli et capitaine de Rouen, général
des finances. Ces marins ont été nombreux, et le capitaine de frégate Picard
d'Estelan, héritier d'un des plus vieux noms de France, continue cette
tradition de dévouement absolu au pays. (1)
Éléments protégés MH : le château d'Etelan en totalité : inscription par
arrêté du 16 avril 1941. (2)
château d'Etelan 76330 Saint-Maurice-d'Etelan, tél. 02 35 39 91 27,
ouvert au public, entre le 15 Juin et le 13 juillet et entre le 1er et le 30
septembre le samedi et dimanche et entre le 15 juillet et le 31 août le
samedi, dimanche, lundi et mardi (en 2017, ouverture exceptionnelle le
Vendredi 14 Juillet). Groupe (12 personnes minimum / 60 personnes maximum)
sur demande, entre Pâques et la Toussaint. Pour les particuliers visite
libre du parc et de la chapelle (sans guide), le matin, entre 11h et 13h.
Visite guidée par l'un des Propriétaires, l'après-midi, de 15h à 19h (durée
1 h), visite toutes les heures (dernière visite à 18h).
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Nous remercions chaleureusement Monsieur J. Sava pour les photos qu'il nous
a adressées afin d'illustrer cet historique.
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jour dans ce département. |
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