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Château d’Ancy le Franc (Yonne)
 
 

    Le château d'Ancy-le-Franc date de l'époque qui vit la France se couvrir de ces superbes manoirs, objet d'éternelle admiration. Il remonte presque au règne de François 1er, de ce Roi dont le nom demeure à jamais inséparable de la Renaissance des beaux arts, du goût et de l'élégance. Projeté durant son règne, Ancy-le-Franc fut commencé en 1555 sous Henri II, par les ordres d'Antoine de Clermont, dans la maison duquel était passé le comté de Tonnerre, jusque-là tenu en grand fief. Ce fut sur les dessins du Primatice d'abord, et sur ceux de Serlio plus tard, que s'éleva ce magnifique et imposant édifice, achevé seulement en 1622. On comprend comment un espace de temps si considérable ait pu être nécessaire pour bâtir et décorer complètement cette gigantesque demeure, lorsque Chambord, palais favori de François 1er et de Henri II, ne fut terminé que sous Louis XIV. Le caractère du château d'Ancy-le-Franc est le type de la régularité la plus parfaite. Le style de l'architecture est majestueux; le développement de ses quatre façades, entièrement uniformes, est singulièrement imposant. Toutes les parties du monument offrent entre elles un tel accord, une harmonie si complète dans leurs détails, qu'il est difficile de se défendre d'un sentiment de surprise et d'admiration à la vue de ce grand ensemble. La conservation de l'édifice étonne; et si elle atteste sa solidité primitive, elle témoigne des soins constants dont il n'a cessé d'être l'objet depuis son achèvement. Les ornements intérieurs, toutes ces peintures à fresque si précieuses, qui étaient la décoration obligée des salles et des galeries à cette époque, sont l'ouvrage de Nicolo Dellabate, artiste chéri du Primatice, le même qui peignit, sous François 1er, la galerie de Fontainebleau; d'autres sont dues à Meynassier, moins célèbre, mais doué d'un incontestable talent. Un peu plus tard nous nous arrêterons dans celles des pièces du château où se retrouvent les peintures les plus dignes d'attention.

Soixante-sept ans, avons-nous dit, s'écoulèrent entre le commencement des travaux et l'achèvement complet de l'édifice; mais on conçoit facilement qu'il fut habitable bien longtemps avant 1622. C'est qu'en effet l'achèvement complet indique seulement le moment où furent terminées cette foule de décorations intérieures. tout à fait distinctes d'une construction proprement dite. Néanmoins, nous regardons comme impossible que Henri II, lorsqu'il vint dans le Tonnerrois, ait pu déjà loger à Ancy-le-Franc. Aucune circonstance historique ne permet d'affirmer que Henri III y ait été reçu. Mais Henri IV s'y est certainement arrêté plusieurs fois, et notamment en 1591, alors qu'il accourut pour dégager le comte Henri de Clermont qui se trouvait enveloppé par les troupes de la Ligue. On sait d'ailleurs que ce seigneur resta invariablement attaché à la cause du Béarnais, et que par suite son comté devint plusieurs fois le théâtre de la guerre. Henri IV, avec raison, le considérait donc comme l'un de ses plus fermes appuis, et il tenait à lui donner des marques de sa reconnaissance. Une date précise est assignée à la présence de Louis XIII à Ancy-le-Franc: c'est le 30 avril 163o que Charles-Henri de Clermont l'y reçut. Un dernier sourire de la fortune était réservé à cette maison de Clermont-Tonnerre si longtemps riche et puissante, mais déjà déchue, lorsque le 21 juin 1674, le comte François compta l'un de ces jours qui laissaient alors, dans la mémoire d'un serviteur dévoué, un souvenir ineffaçable. Il reçut Louis XIV qui, pour la deuxième fois, venait de conquérir la Franche-Comté. Ce n'était pas une faveur ordinaire qu'une visite de Louis XIV. Il prodiguait peu sa présence, qui était toujours une marque de distinction dont le souvenir glorieux se perpétuait dans les familles. La pierre où il avait posé le pied, le fauteuil dans lequel il s'était assis, le mot qui s'était échappé de ses lèvres, recevaient une consécration inaltérable dans la mémoire de ses hôtes. Si l'on ne peut se mettre à la hauteur de tant d'enthousiasme, à l'heure où nous vivons, on reconnaîtra cependant que cette adoration pour l'unité politique personnifiée en Louis XIV n'a jamais été surpassée par l'attachement qu'ont porté les hommes aux institutions.

Le Roi était à l'apogée de sa gloire quand il parut à Ancy-le-Franc. Le succès n'avait cessé de couronner ses armes, et toutes ces infortunes répétées qui l'attendaient au déclin de son règne, ne pouvaient pas même être pressenties. Séparons-nous un moment de nos idées actuelles; reportons-nous en 1674, c'est-à-dire au temps où la royauté jetait le plus d'éclat; rappelons-nous surtout, que Louis XIV était, littéralement parlant, l'objet d'un culte, et nous comprendrons peut-être la réception vraiment royale qui attendait le souverain dans ce superbe château d'Ancy-le-Franc. Tout fut digne et somptueux. La demeure du comte était peuplée d'hommes considérables, parmi lesquels se remarquaient Vauban, déjà célèbre, quoiqu'à peine brigadier des armées de Sa Majesté, puis le marquis de Louvois qui, par ses sages dispositions, avait droit de revendiquer une part de la gloire que donnait à son maître cette utile et définitive conquête de la Franche-Comté; le marquis de Louvois, dont le crédit et la faveur grandissaient, aujourd'hui l'hôte du comte de Clermont-Tonnerre, et à qui la fortune réservât de devenir bientôt l'heureux possesseur d'Ancy-le-Franc. Tout fut noble, digne et même somptueux dans la réception ménagée par le grand seigneur. Mais tout aussi se rapportait au Roi. Ce n'était pas le comte François, habile courtisan, qui eût voulu, après les fêtes si célèbres de Vaux, ne pas s'effacer. L'exemple à jamais terrible de l'imprudent Fouquet était devenu un puissant enseignement. Avec un tel maître le faste devait conserver une prudente mesure. Il fallait, au milieu même de prodigalités extrêmes, éviter qu'un seul instant Louis XIV crût à la pensée d'une rivalité. Malheur au courtisan qui eût pu lui trop rappeler Versailles! Louis XIV, avant de s'éloigner d'Ancy-le-Franc, témoigna qu'il était satisfait; et quand le comte le devança à Tonnerre pour lui présenter les clefs de la ville, le Roi s'empressa de les lui renvoyer en lui disant qu'il les trouvait en trop bonnes mains pour ne pas les lui laisser.

En 1662, le marquis de Louvois, fils du chancelier le Tellier, avait épousé Anne de Souvré, âgée de seize ans, la plus belle et aussi la plus riche héritière de son temps. Dès 1654, le chancelier, qui réunissait aux sceaux la charge de secrétaire d'État de la guerre, en avait obtenu la survivance en faveur de son fils, qui venait d'atteindre sa treizième année, mais sans cesser bien entendu d'en garder les fonctions. Ce ne fut même qu'ên 1666 que le département de la guerre passa entièrement dans les mains du marquis de Louvois; il avait alors vingt-cinq ans. On pourrait dire qu'il fut élevé précisément pour être ministre. Le chancelier, homme grave et sévère, exigea une application soutenue de celui qui était appelé à lui succéder. Louvois, fort jeune, commença à travailler avec le Roi; c'était alors un disciple plein de zèle, d'assiduité et de déférence, plutôt qu'un secrétaire d'État. Aussi, dans la suite, le pouvoir du ministre reçut un notable accroissement de cette circonstance, qui laissait à Louis XIV le droit de dire qu'il l'avait formé. Le marquis de Louvois, aux immenses possessions de sa femme, ajouta, en 1683, la terre d'Ancy-le-Franc, de Laignes, de Griselles, etc; l'année suivante il acquit le comté de Tonnerre et ses dépendances. Ces deux venues lui furent faites par François-Joseph de Clermont. Cet ensemble de propriétés équivalait, par son étendue, à une véritable principauté; et l'on conçoit à merveille comment madame de Sévigné, comment le marquis de Coulanges pouvaient écrire que madame de Louvois parcourait ses États, lorsqu'elle visitait une contrée qui lui appartenait presque en entier. Plus tard, après la mort du ministre, elle échangeait Meudon, dont le Roi avait eu envie, contre Choisy, et 400.000 francs. L'opulence du marquis de Louvois était prodigieuse; à sa fortune personnelle, à l'énorme patrimoine d'Anne de Souvré, à la place de secrétaire d'État de la guerre, il avait réuni successivement une foule d'emplois dont la seule énumération serait une fatigue.

Nous avons dit précédemment que plusieurs de nos Rois avaient, à diverses époques, honoré de leur présence le château d'Ancy-le-Franc. Indépendamment de ces réceptions royales, une foule de personnages illustres furent successivement les hôtes des possesseurs de ce magnifique château. Dans ces dernières années encore, il reçut une auguste visite. Mais combien les temps sont changés! Quelle différence, quel contraste! Nous parcourons le siècle où les rois s'en vont. Ce ne sera plus Louis XIV au milieu de sa gloire, fort d'un pouvoir sans limites: le type de la royauté la plus absolue, la plus obéie, et auquel tout devait sourire durant son séjour. C'est bien pourtant l'une de ses descendantes que quelques années seulement séparent du trône de France. Le possesseur actuel du vaste et beau manoir a préparé sans doute à madame la Dauphine une réception noble et digne, pleine de recherche et de bon goût, et il se montrera respectueux et empressé. Mais nous sommes aux derniers jours de juillet 1830: une révolution se prépare, elle s'accomplit, et ce sera dans ce beau lieu où tout retrace l'âge d'or de la monarchie française, dans ce somptueux salon qui fut la chambre même où coucha Louis-le-Grand, que madame la Dauphine apprendra à la fois les premiers événements de Paris et leur solution. Elle était arrivée presque reine, elle s'éloigne presque fugitive. La révolution s'était faite à Paris: Paris qui, depuis cinquante ans, voit tomber et s'improviser sans appel les royautés!

Conservé, par l'effet de diverses substitutions, dans la famille de messieurs le Tellier, le château d'Ancy-Ie-Franc, avec les immenses propriétés qui composaient, il y a cent cinquante ans, le vaste ensemble dont nous avons parlé, est encore possédé en 1838 par M. le marquis de Louvois, pair de France. Cependant, si la grande révolution qui suivit 1789 laissa intacts les biens qu'un rare bonheur et des circonstances exceptionnelles avaient réunis; si une quatrième génération, depuis le ministre, a pu vivre encore dans ce somptueux manoir, toutefois le mobilier et les archives, renfermant des documents pleins d'intérêt pour l'histoire, furent vendus, dispersés ou brûlés dans les mauvais jours de 1793; et lorsque le possesseur revint à Ancy-le-Franc, il trouva déserte et nue l'habitation de ses pères. Les galeries étaient vides, les vastes appartements ne contenaient plus les meubles qui n'avaient cessé de les orner depuis Louis XIV; car précédemment, il faut le dire, à l'exception de quelques changements opérés vers 1750, tout était demeuré dans l'état primitif. En s'occupant de réparer les désastres survenus en son absence, M. de Louvois, inspiré par un goût toujours sûr, mû d'ailleurs par le désir de rendre plus commode son habitation, dont les distributions avaient cessé d'être en rapport avec les habitudes de la génération actuelle, apporta de notables changements à l'intérieur du château. Mais ces changements furent constamment exécutés avec la pensée de n'altérer en rien les belles formes architecturales tracées par le Primatice et ses élèves. Un sentiment d'artiste dirigea le noble possesseur d'Ancy-le-Franc: tout ce qui devait être conservé fut religieusement respecté. Ainsi cet immense édifice offrit des logements plus commodes, plus élégants, sans rien perdre de sa dignité. La chambre dite du Roi fut transformée en un somptueux salon dont la richesse dépasse de beaucoup ce que fut jamais cette pièce au temps même où Louis XIV y logea.

Le goût qui a présidé à sa décoration, tant il est pur, permettrait de croire à une restauration: c'est une création complète. La dorure se fond à merveille avec les parties peintes en bleu. Le plafond, composé de grands caissons,est du meilleur effet: c'est le luxe qui suivit la Renaissance, mais toujours exempt de l'afféterie du règne de Louis XV. Le chiffre de la famille, répété à l'infini, s'associe avec bonheur à l'opulente décoration. De grands tableaux, représentant l'histoire de Judith et Holopherne, ornaient autrefois les lambris de cette pièce, l'exécution en était médiocre; ils ont été enlevés et placés dans une galerie voisine. D'autres peintures, par Nicolo, fresques remarquables, reproduisent la bataille de Pharsale dans la galerie de ce nom; elles ont de l'effet, de la couleur, de l'expression, et leur état de conservation ne laisse rien à désirer. Différentes parties du château témoignent encore de l'heureuse prodigalité qui présida à sa décoration intérieure. Là, c'est le cabinet dit des fleurs, le pinceau de l'artiste y a répandu à profusion les formes les plus flatteuses et les couleurs les plus vives. Pour en compléter la gracieuse ordonnance, le portrait en pied de Diane de Poitiers y figure avec toutes les conditions de costume et les luxueux accessoires adoptés par les peintres du temps. Le plafond est d'une éblouissante richesse. Le chiffre placé dans les caissons est presque ce lui de Henri II et de cette belle duchesse de Valentinois; il est à peu près tel qu'on le trouve si souvent à Chambord. Ancy-le-Franc fut commencé sous ce double règne, mais il fut terminé plus tard. Ce chiffre serait-il le souvenir, sous forme d'hommage, d'un grand seigneur courtisan? Était-ce une manière de consacrer en quelque sorte son manoir, en le dédiant à la divinité du temps, en le plaçant sous l'invocation non pas d'une sainte précisément, mais sous le patronage de celle qu'on implora plus d'une fois pour obtenir, et dont l'intercession se trouva si puissante pendant deux règnes? Je ne sais. Mais le portrait en pied et la décoration de la pièce sont bien évidemment de la même date; et puis, ce nom de cabinet des fleurs, ne va-t-il pas merveilleusement à cette belle duchesse de Valentinois?

Nous voici toujours au même étage (le premier), dans un lieu charmant, l'ancienne bibliothèque: c'est la pièce dite du Pastorfido. Ici tout est exquis; la Renaissance n'enfanta rien de mieux. A une certaine hauteur se trouvent reproduites les diverses scènes du Pastorfido. Ces délicieuses peintures n'ont nullement souffert: bergers et bergères ont conservé leur jeunesse première; ils ont encore leurs cheveux blonds, leurs lèvres roses, leurs mains potelées comme il y a deux cents ans. Et combien les boiseries ont de prix, quelle délicatesse dans les sculptures. Comment se lasser de voir et d'admirer ces pilastres élégants, ces chapiteaux ravissants de légèreté. Quelle finesse de goût, quelle habileté d'exécution. Les panneaux inférieurs représentent des saints peints, relevés sur or. C'est dans cette même bibliothèque que madame de Sévigné se plaisait à écrire ses lettres datées d'Ancy-le-Franç, lorsqu'elle venait visiter Anne de Souvré, sa parente. Les souvenirs du grand siècle se pressent dans ce beau château, comme pour ajouter encore à sa splendeur. La chapelle, qu'on trouve dans l'un des quatre pavillons, au premier étage, appelle un examen particulier. Sans être vaste, cette chapelle est entièrement peinte et décorée dans le style de la Renaissance. Sur la partie supérieure, qui se rapproche du sommet de la voûte en forme de dôme, est retracée l'histoire des Pères du désert: ces scènes ont de la sécheresse, de la monotonie, et pour tout dire, cette fresque de Meynassier, datée de 1596, est de beaucoup inférieure aux figures du même artiste qu'on voit dans les pièces du Pastorfido. Le bas de la chapelle est revêtu de boiseries; dans chaque panneau, placé entre deux pilastres élégamment sculptés, un des principaux saints de la légende, relevé en or, se détache. Cette galerie est d'un excellent effet; le même fini, la même perfection dans les détails que nous avons admirés dans la bibliothèque existent ici; seulement il y aurait à restaurer, à retoucher les boiseries pour leur rendre leur netteté et leur harmonie primitives.

Deux inscriptions gravées sur marbre et placées en face l'une de l'autre sur les parties latérales méritent d'être reproduites. A droite d'abord, se lit le bref qui suit: "Notre Saint-Père Clément VIIIe a accordé à messire Charles-Henri, Comte de Clermont et de Tonnerre, Marquis de Cruzy, premier Baron de Dauphiné, Capitaine de cent hommes d'armes des ordonnances du Roi, Conseiller en ses Conseils d'Etat et privé,et son Lieutenant général en Bourgogne, que tous fidèles pénitents confessés et communiés qui dévotement visiteront la chapelle du château d'Ancy-le-Franc, le jour de Saint-Pierre et Saint-Paul de juin dès les premières vêpres jusqu'au lendemain tout le jour, ils prieront Dieu pour la paix des princes chrétiens, extirpation des hérésies, exaltation de notre Mère la Sainte-Église, relâchant, à la forme accoutumée de l'Église, dix ans et autant de quarantaines de pénitence, à eux enjoints ou autrement, en sorte qu'il soit par eux ( suit un mot illisible). Fait à Rome sous le scel du pêcheur, le31 octobre 1603, de son pontificat la 9e année". C'était assurément une insigne faveur, dont on trouverait bien peu d'exemples, qu'un bref ainsi conçu et accordé à l'occasion d'une simple chapelle bâtie dans l'intérieur d'un château qui n'était point royal. Toutefois,la reconnaissance de la Cour de Rome explique cette marque d'une si haute bienveillance. Les successeurs de Callixte II n'oubliaient pas qu'au commencement du XIIe siècle, l'un des aïeux de Henri de Clermont-Tonnerre avait rétabli ce pape sur le trône pontifical après avoir chassé de Rome l'antipape Burdin.

Mais la seconde inscription qui se lit à gauche et que nous allons transcrire, comment se l'expliquer? Elle est bien plus qu'étrange: accorder des indulgences, remettre les péchés à ceux qui prieront pour les maîtres du château, ceci dépasse toute croyance. Quel abus des choses saintes, quelle dérision, et cependant, remarquons-le, nous sommes déjà parvenus au commencement du XVIIe siècle. Nous citons: "En l'honneur de Notre Seigneur et de la bienheureuse Vierge Marie, cette chapelle a été dédiée par messire Charles d'Escars, Évêque et duc de Langres, Pair de France, à la requête de messire Charles-Henri, comte de Clermont et de Tonnerre, et de madame Catherine-Marie d'Escoubleau, son épouse, a été donnée, à l'honneur et révérence de Notre Seigneur toutes les fêtes de Notre-Dame et le jour de la dédicace de la présente chapelle qui est la vigile de Saint-Mathias à tous ceux et celles qui la visiteront et y feront leurs prières pour ledit seigneur et madame la comtesse et messieurs leurs enfants, quarante jours de vrai pardon. Fait le 24 février vigile de Saint-Mathias 1604". On sait que la sépulture de la maison de Louvois était dans les caveaux de l'église des Capucines à Paris, qui depuis a été démolie. Pendant la révolution, au mois de septembre 1792, les tombeaux furent ouverts, et les cercueils en plomb convertis en balles. Incroyable époque que celle où le délire d'une populace forcenée pouvait impunément violer le refuge des générations éteintes, sous le prétexte de créer à la patrie de nouveaux moyens de défense! A gauche de l'autel, dans un monument simple, mais convenable et tel que le permettait l'emplacement, se trouve renfermé le cœur de la mère de M. de Louvois, morte au château le 28 novembre 1822. Son corps a été déposé dans un tombeau élevé dans le cimetière d'Ancy-le-Franc; il est digne de la piété d'un fils reconnaissant. Nulle part, les restes de madame de Louvois ne pouvaient être mieux placés; car à Ancy-le-Franc surtout, le souvenir de sa bienfaisance vivra: pour l'y perpétuer, il suffirait déjà de la fondation de l'établissement qu'elle a consacré à l'éducation des jeunes filles de la ville, témoignage de sa sollicitude pour les générations qui lui succéderont.

Peu d'objets d'art se remarquent dans le château. Quelques portraits seulement, par la manière dont ils sont peints, méritent de fixer l'attention. Celui du maréchal de Souvré en pied, ayant à ses côtés Louis XIII enfant, ouvrage d'un élève de Rubens, est bien composé; les accessoires ont du prix, et l'aspect général du tableau plaît par la vérité des poses et sa couleur franche. Si par leur exécution les autres portraits semblent quelquefois médiocres, du moins tous sans exception reproduisent des personnages célèbres: ces diverses figures fixées sur la toile sont comme autant de pages de nos annales. Les Matignon, aïeux de madame de Louvois, le duc de Choiseul, son grand oncle, ministre sous Louis XV, ce ne sont pas là des gens inconnus. Il existe encore, indépendamment d'un beau portrait d'Anne de Souvré et de ceux du chancelier le Tellier et de Louvois, placés dans la chambre qu'habitait madame de Louvois la mère, un buste admirable du chancelier; M. de Louvois a dû aux indications qui lui furent fournies par M. le premier président Séguier, la possibilité d'acquérir cet objet d'une grande valeur. Avant de quitter l'intérieur du château, il ne faut point oublier une bizarrerie architecturale, vraiment curieuse lorsqu'on songe à son origine: toutes les portes de cet édifice de proportions si fortes sont incroyablement étroites et n'ont qu'un seul battant. Le dépit d'un grand seigneur blessé dans son amour-propre est la cause de cette singularité. On raconte qu'Antoine de Clermont Tonnerre croyait avoir des droits aux deux battants chez le roi; ces droits ne furent pas reconnus; il se plaignit, il ne fut pas écouté; l'emportement eût été inutile et peut-être dangereux: la Bastille existait. Il comprima sa colère, et c'est alors qu'il se promit, au risque d'être absurde dans l'une des parties les plus essentielles de sa construction, de se ménager la possibilité de rendre tout naturellement à Sa Majesté sa royale impolitesse: l'égalité se trouvait ainsi rétablie entre le Roi de France et le comte de Clermont-Tonnerre. Actuellement même, il n'existe dans le château qu'une seule porte ayant deux battants, celle qui conduit au salon, et c'est M. de Louvois qui l'a fait établir.

Quatre escaliers placés aux angles du bâtiment conduisent au premier et au second étage. Au rez-de-chaussée, des galeries ayant quinze pieds de large sur soixante de longueur, avec des arcades, règnent de plain-pied sur la cour intérieure. Chacune des façades donnant sur cette même cour a cinq fenêtres, et onze extérieurement sur le parc. De vastes communs, des dépendances considérables existent dans les avant-cours comme complément de cette noble demeure, qui suppose un grand entourage, le luxe des chevaux, des équipages et un nombreux personnel de serviteurs de tout genre. Ces constructions sont postérieures à celle du château; elles furent ordonnées par le marquis de Louvois aussitôt après son acquisition. Avant cette époque, les avant-cours n'avaient pas ce caractère de grandeur qui répond si heureusement à la beauté du manoir qu'elles précèdent. Planté primitivement dans le système de le Nôtre par les ordres du ministre, le parc, depuis vingt-cinq ans, a été pour M. de Louvois l'objet de soins particuliers. Aux lignes sévères, mais tristes et monotones, des grandes allées sans fin, la forme des jardins paysagers a été substituée. Ces changements fort considérables ont été exécutés avec un rare bonheur et sous l'influence d'une étude intelligente des sites. De tels embellissements avaient leurs difficultés car le vallon dans lequel repose ce magnifique château est très resserré, l'espace manque. Placé presque à l'extrémité du parc, il se trouve tellement rapproché de la ville d'Ancy-le-Franc que, sans l'interposition de massifs habilement jetés, l'œil de ce côté toucherait aussitôt aux limites. Le comblement des fossés qui entouraient le château est en partie opéré; et déjà la façade devant laquelle le remblai est effectué a acquis plus de légèreté, elle se détache mieux du sol; elle a pour ainsi dire grandi. Les eaux de l'Armançon coulent dans le parc: un pavillon, dont la construction ne remonte qu'à 1740, s'élève au milieu de la pièce d'eau, fortement appuyé par des masses d'arbres séculaires. On remarque dans l'intérieur un salon octogone, décoré récemment avec beaucoup de goût. (1)

Éléments protégés MH : le château et les communs, le pavillon du parc, les douves, le parc ordonnancé et son mur de clôture: classement par arrêté du 8 mars 1983. (2)

château d'Ancy le Franc 89160 Ancy-le-Franc, ouvert toute l'année pour les groupes sur réservation et ouvert au public du 22 mars au 16 novembre. Fermeture hebdomadaire le lundi. L'intérieur renferme des peintures murales d'après des dessins de Primatice, de Nicolò del l'Abbate, des plafonds à caissons et des boiseries sculptées.

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(1)      Notice sur le château d'Ancy-le-Franc par Claude-Étienne de Chaillou des Barres. Imprimerie de F. Didot frères à Paris (1838)
(2)   
   source :  https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/

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