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Le château d'Ancy-le-Franc date de
l'époque qui vit la France se couvrir de ces superbes manoirs, objet
d'éternelle admiration. Il remonte presque au règne de François 1er, de ce
Roi dont le nom demeure à jamais inséparable de la Renaissance des beaux
arts, du goût et de l'élégance. Projeté durant son règne, Ancy-le-Franc fut
commencé en 1555 sous Henri II, par les ordres d'Antoine de Clermont, dans
la maison duquel était passé le comté de Tonnerre, jusque-là tenu en grand
fief. Ce fut sur les dessins du Primatice d'abord, et sur ceux de Serlio
plus tard, que s'éleva ce magnifique et imposant édifice, achevé seulement
en 1622. On comprend comment un espace de temps si considérable ait pu être
nécessaire pour bâtir et décorer complètement cette gigantesque demeure,
lorsque Chambord, palais favori de François 1er et de Henri II, ne fut
terminé que sous Louis XIV. Le caractère du château d'Ancy-le-Franc est le
type de la régularité la plus parfaite. Le style de l'architecture est
majestueux; le développement de ses quatre façades, entièrement uniformes,
est singulièrement imposant. Toutes les parties du monument offrent entre
elles un tel accord, une harmonie si complète dans leurs détails, qu'il est
difficile de se défendre d'un sentiment de surprise et d'admiration à la vue
de ce grand ensemble. La conservation de l'édifice étonne; et si elle
atteste sa solidité primitive, elle témoigne des soins constants dont il n'a
cessé d'être l'objet depuis son achèvement. Les ornements intérieurs, toutes
ces peintures à fresque si précieuses, qui étaient la décoration obligée des
salles et des galeries à cette époque, sont l'ouvrage de Nicolo Dellabate,
artiste chéri du Primatice, le même qui peignit, sous François 1er, la
galerie de Fontainebleau; d'autres sont dues à Meynassier, moins célèbre,
mais doué d'un incontestable talent. Un peu plus tard nous nous arrêterons
dans celles des pièces du château où se retrouvent les peintures les plus
dignes d'attention.
Soixante-sept ans, avons-nous dit, s'écoulèrent entre le commencement des
travaux et l'achèvement complet de l'édifice; mais on conçoit facilement
qu'il fut habitable bien longtemps avant 1622. C'est qu'en effet
l'achèvement complet indique seulement le moment où furent terminées cette
foule de décorations intérieures. tout à fait distinctes d'une construction
proprement dite. Néanmoins, nous regardons comme impossible que Henri II,
lorsqu'il vint dans le Tonnerrois, ait pu déjà loger à Ancy-le-Franc. Aucune
circonstance historique ne permet d'affirmer que Henri III y ait été reçu.
Mais Henri IV s'y est certainement arrêté plusieurs fois, et notamment en
1591, alors qu'il accourut pour dégager le comte Henri de Clermont qui se
trouvait enveloppé par les troupes de la Ligue. On sait d'ailleurs que ce
seigneur resta invariablement attaché à la cause du Béarnais, et que par
suite son comté devint plusieurs fois le théâtre de la guerre. Henri IV,
avec raison, le considérait donc comme l'un de ses plus fermes appuis, et il
tenait à lui donner des marques de sa reconnaissance. Une date précise est
assignée à la présence de Louis XIII à Ancy-le-Franc: c'est le 30 avril 163o
que Charles-Henri de Clermont l'y reçut. Un dernier sourire de la fortune
était réservé à cette maison de Clermont-Tonnerre si longtemps riche et
puissante, mais déjà déchue, lorsque le 21 juin 1674, le comte François
compta l'un de ces jours qui laissaient alors, dans la mémoire d'un
serviteur dévoué, un souvenir ineffaçable. Il reçut Louis XIV qui, pour la
deuxième fois, venait de conquérir la Franche-Comté. Ce n'était pas une
faveur ordinaire qu'une visite de Louis XIV. Il prodiguait peu sa présence,
qui était toujours une marque de distinction dont le souvenir glorieux se
perpétuait dans les familles. La pierre où il avait posé le pied, le
fauteuil dans lequel il s'était assis, le mot qui s'était échappé de ses
lèvres, recevaient une consécration inaltérable dans la mémoire de ses
hôtes. Si l'on ne peut se mettre à la hauteur de tant d'enthousiasme, à
l'heure où nous vivons, on reconnaîtra cependant que cette adoration pour
l'unité politique personnifiée en Louis XIV n'a jamais été surpassée par
l'attachement qu'ont porté les hommes aux institutions.
Le Roi était à l'apogée de sa gloire quand il parut à Ancy-le-Franc. Le
succès n'avait cessé de couronner ses armes, et toutes ces infortunes
répétées qui l'attendaient au déclin de son règne, ne pouvaient pas même
être pressenties. Séparons-nous un moment de nos idées actuelles;
reportons-nous en 1674, c'est-à-dire au temps où la royauté jetait le plus
d'éclat; rappelons-nous surtout, que Louis XIV était, littéralement parlant,
l'objet d'un culte, et nous comprendrons peut-être la réception vraiment
royale qui attendait le souverain dans ce superbe château d'Ancy-le-Franc.
Tout fut digne et somptueux. La demeure du comte était peuplée d'hommes
considérables, parmi lesquels se remarquaient Vauban, déjà célèbre, quoiqu'à
peine brigadier des armées de Sa Majesté, puis le marquis de Louvois qui,
par ses sages dispositions, avait droit de revendiquer une part de la gloire
que donnait à son maître cette utile et définitive conquête de la
Franche-Comté; le marquis de Louvois, dont le crédit et la faveur
grandissaient, aujourd'hui l'hôte du comte de Clermont-Tonnerre, et à qui la
fortune réservât de devenir bientôt l'heureux possesseur d'Ancy-le-Franc.
Tout fut noble, digne et même somptueux dans la réception ménagée par le
grand seigneur. Mais tout aussi se rapportait au Roi. Ce n'était pas le
comte François, habile courtisan, qui eût voulu, après les fêtes si célèbres
de Vaux, ne pas s'effacer. L'exemple à jamais terrible de l'imprudent
Fouquet était devenu un puissant enseignement. Avec un tel maître le faste
devait conserver une prudente mesure. Il fallait, au milieu même de
prodigalités extrêmes, éviter qu'un seul instant Louis XIV crût à la pensée
d'une rivalité. Malheur au courtisan qui eût pu lui trop rappeler
Versailles! Louis XIV, avant de s'éloigner d'Ancy-le-Franc, témoigna qu'il
était satisfait; et quand le comte le devança à Tonnerre pour lui présenter
les clefs de la ville, le Roi s'empressa de les lui renvoyer en lui disant
qu'il les trouvait en trop bonnes mains pour ne pas les lui laisser.
En 1662, le marquis de Louvois, fils du chancelier le Tellier, avait épousé
Anne de Souvré, âgée de seize ans, la plus belle et aussi la plus riche
héritière de son temps. Dès 1654, le chancelier, qui réunissait aux sceaux
la charge de secrétaire d'État de la guerre, en avait obtenu la survivance
en faveur de son fils, qui venait d'atteindre sa treizième année, mais sans
cesser bien entendu d'en garder les fonctions. Ce ne fut même qu'ên 1666 que
le département de la guerre passa entièrement dans les mains du marquis de
Louvois; il avait alors vingt-cinq ans. On pourrait dire qu'il fut élevé
précisément pour être ministre. Le chancelier, homme grave et sévère, exigea
une application soutenue de celui qui était appelé à lui succéder. Louvois,
fort jeune, commença à travailler avec le Roi; c'était alors un disciple
plein de zèle, d'assiduité et de déférence, plutôt qu'un secrétaire d'État.
Aussi, dans la suite, le pouvoir du ministre reçut un notable accroissement
de cette circonstance, qui laissait à Louis XIV le droit de dire qu'il
l'avait formé. Le marquis de Louvois, aux immenses possessions de sa femme,
ajouta, en 1683, la terre d'Ancy-le-Franc, de Laignes, de Griselles, etc;
l'année suivante il acquit le comté de Tonnerre et ses dépendances. Ces deux
venues lui furent faites par François-Joseph de Clermont. Cet ensemble de
propriétés équivalait, par son étendue, à une véritable principauté; et l'on
conçoit à merveille comment madame de Sévigné, comment le marquis de
Coulanges pouvaient écrire que madame de Louvois parcourait ses États,
lorsqu'elle visitait une contrée qui lui appartenait presque en entier. Plus
tard, après la mort du ministre, elle échangeait Meudon, dont le Roi avait
eu envie, contre Choisy, et 400.000 francs. L'opulence du marquis de Louvois
était prodigieuse; à sa fortune personnelle, à l'énorme patrimoine d'Anne de
Souvré, à la place de secrétaire d'État de la guerre, il avait réuni
successivement une foule d'emplois dont la seule énumération serait une
fatigue.
Nous avons dit précédemment que plusieurs de nos Rois avaient, à diverses
époques, honoré de leur présence le château d'Ancy-le-Franc. Indépendamment
de ces réceptions royales, une foule de personnages illustres furent
successivement les hôtes des possesseurs de ce magnifique château. Dans ces
dernières années encore, il reçut une auguste visite. Mais combien les temps
sont changés! Quelle différence, quel contraste! Nous parcourons le siècle
où les rois s'en vont. Ce ne sera plus Louis XIV au milieu de sa gloire,
fort d'un pouvoir sans limites: le type de la royauté la plus absolue, la
plus obéie, et auquel tout devait sourire durant son séjour. C'est bien
pourtant l'une de ses descendantes que quelques années seulement séparent du
trône de France. Le possesseur actuel du vaste et beau manoir a préparé sans
doute à madame la Dauphine une réception noble et digne, pleine de recherche
et de bon goût, et il se montrera respectueux et empressé. Mais nous sommes
aux derniers jours de juillet 1830: une révolution se prépare, elle
s'accomplit, et ce sera dans ce beau lieu où tout retrace l'âge d'or de la
monarchie française, dans ce somptueux salon qui fut la chambre même où
coucha Louis-le-Grand, que madame la Dauphine apprendra à la fois les
premiers événements de Paris et leur solution. Elle était arrivée presque
reine, elle s'éloigne presque fugitive. La révolution s'était faite à Paris:
Paris qui, depuis cinquante ans, voit tomber et s'improviser sans appel les
royautés!
Conservé, par l'effet de diverses substitutions, dans la famille de
messieurs le Tellier, le château d'Ancy-Ie-Franc, avec les immenses
propriétés qui composaient, il y a cent cinquante ans, le vaste ensemble
dont nous avons parlé, est encore possédé en 1838 par M. le marquis de
Louvois, pair de France. Cependant, si la grande révolution qui suivit 1789
laissa intacts les biens qu'un rare bonheur et des circonstances
exceptionnelles avaient réunis; si une quatrième génération, depuis le
ministre, a pu vivre encore dans ce somptueux manoir, toutefois le mobilier
et les archives, renfermant des documents pleins d'intérêt pour l'histoire,
furent vendus, dispersés ou brûlés dans les mauvais jours de 1793; et
lorsque le possesseur revint à Ancy-le-Franc, il trouva déserte et nue
l'habitation de ses pères. Les galeries étaient vides, les vastes
appartements ne contenaient plus les meubles qui n'avaient cessé de les
orner depuis Louis XIV; car précédemment, il faut le dire, à l'exception de
quelques changements opérés vers 1750, tout était demeuré dans l'état
primitif. En s'occupant de réparer les désastres survenus en son absence, M.
de Louvois, inspiré par un goût toujours sûr, mû d'ailleurs par le désir de
rendre plus commode son habitation, dont les distributions avaient cessé
d'être en rapport avec les habitudes de la génération actuelle, apporta de
notables changements à l'intérieur du château. Mais ces changements furent
constamment exécutés avec la pensée de n'altérer en rien les belles formes
architecturales tracées par le Primatice et ses élèves. Un sentiment
d'artiste dirigea le noble possesseur d'Ancy-le-Franc: tout ce qui devait
être conservé fut religieusement respecté. Ainsi cet immense édifice offrit
des logements plus commodes, plus élégants, sans rien perdre de sa dignité.
La chambre dite du Roi fut transformée en un somptueux salon dont la
richesse dépasse de beaucoup ce que fut jamais cette pièce au temps même où
Louis XIV y logea.
Le goût qui a présidé à sa décoration, tant il est pur, permettrait de
croire à une restauration: c'est une création complète. La dorure se fond à
merveille avec les parties peintes en bleu. Le plafond, composé de grands
caissons,est du meilleur effet: c'est le luxe qui suivit la Renaissance,
mais toujours exempt de l'afféterie du règne de Louis XV. Le chiffre de la
famille, répété à l'infini, s'associe avec bonheur à l'opulente décoration.
De grands tableaux, représentant l'histoire de Judith et Holopherne,
ornaient autrefois les lambris de cette pièce, l'exécution en était
médiocre; ils ont été enlevés et placés dans une galerie voisine. D'autres
peintures, par Nicolo, fresques remarquables, reproduisent la bataille de
Pharsale dans la galerie de ce nom; elles ont de l'effet, de la couleur, de
l'expression, et leur état de conservation ne laisse rien à désirer.
Différentes parties du château témoignent encore de l'heureuse prodigalité
qui présida à sa décoration intérieure. Là, c'est le cabinet dit des fleurs,
le pinceau de l'artiste y a répandu à profusion les formes les plus
flatteuses et les couleurs les plus vives. Pour en compléter la gracieuse
ordonnance, le portrait en pied de Diane de Poitiers y figure avec toutes
les conditions de costume et les luxueux accessoires adoptés par les
peintres du temps. Le plafond est d'une éblouissante richesse. Le chiffre
placé dans les caissons est presque ce lui de Henri II et de cette belle
duchesse de Valentinois; il est à peu près tel qu'on le trouve si souvent à
Chambord. Ancy-le-Franc fut commencé sous ce double règne, mais il fut
terminé plus tard. Ce chiffre serait-il le souvenir, sous forme d'hommage,
d'un grand seigneur courtisan? Était-ce une manière de consacrer en quelque
sorte son manoir, en le dédiant à la divinité du temps, en le plaçant sous
l'invocation non pas d'une sainte précisément, mais sous le patronage de
celle qu'on implora plus d'une fois pour obtenir, et dont l'intercession se
trouva si puissante pendant deux règnes? Je ne sais. Mais le portrait en
pied et la décoration de la pièce sont bien évidemment de la même date; et
puis, ce nom de cabinet des fleurs, ne va-t-il pas merveilleusement à cette
belle duchesse de Valentinois?
Nous voici toujours au même étage (le premier), dans un lieu charmant,
l'ancienne bibliothèque: c'est la pièce dite du Pastorfido. Ici tout est
exquis; la Renaissance n'enfanta rien de mieux. A une certaine hauteur se
trouvent reproduites les diverses scènes du Pastorfido. Ces délicieuses
peintures n'ont nullement souffert: bergers et bergères ont conservé leur
jeunesse première; ils ont encore leurs cheveux blonds, leurs lèvres roses,
leurs mains potelées comme il y a deux cents ans. Et combien les boiseries
ont de prix, quelle délicatesse dans les sculptures. Comment se lasser de
voir et d'admirer ces pilastres élégants, ces chapiteaux ravissants de
légèreté. Quelle finesse de goût, quelle habileté d'exécution. Les panneaux
inférieurs représentent des saints peints, relevés sur or. C'est dans cette
même bibliothèque que madame de Sévigné se plaisait à écrire ses lettres
datées d'Ancy-le-Franç, lorsqu'elle venait visiter Anne de Souvré, sa
parente. Les souvenirs du grand siècle se pressent dans ce beau château,
comme pour ajouter encore à sa splendeur. La chapelle, qu'on trouve dans
l'un des quatre pavillons, au premier étage, appelle un examen particulier.
Sans être vaste, cette chapelle est entièrement peinte et décorée dans le
style de la Renaissance. Sur la partie supérieure, qui se rapproche du
sommet de la voûte en forme de dôme, est retracée l'histoire des Pères du
désert: ces scènes ont de la sécheresse, de la monotonie, et pour tout dire,
cette fresque de Meynassier, datée de 1596, est de beaucoup inférieure aux
figures du même artiste qu'on voit dans les pièces du Pastorfido. Le bas de
la chapelle est revêtu de boiseries; dans chaque panneau, placé entre deux
pilastres élégamment sculptés, un des principaux saints de la légende,
relevé en or, se détache. Cette galerie est d'un excellent effet; le même
fini, la même perfection dans les détails que nous avons admirés dans la
bibliothèque existent ici; seulement il y aurait à restaurer, à retoucher
les boiseries pour leur rendre leur netteté et leur harmonie primitives.
Deux inscriptions gravées sur marbre et placées en face l'une de l'autre sur
les parties latérales méritent d'être reproduites. A droite d'abord, se lit
le bref qui suit: "Notre Saint-Père Clément VIIIe a accordé à messire
Charles-Henri, Comte de Clermont et de Tonnerre, Marquis de Cruzy, premier
Baron de Dauphiné, Capitaine de cent hommes d'armes des ordonnances du Roi,
Conseiller en ses Conseils d'Etat et privé,et son Lieutenant général en
Bourgogne, que tous fidèles pénitents confessés et communiés qui dévotement
visiteront la chapelle du château d'Ancy-le-Franc, le jour de Saint-Pierre
et Saint-Paul de juin dès les premières vêpres jusqu'au lendemain tout le
jour, ils prieront Dieu pour la paix des princes chrétiens, extirpation des
hérésies, exaltation de notre Mère la Sainte-Église, relâchant, à la forme
accoutumée de l'Église, dix ans et autant de quarantaines de pénitence, à
eux enjoints ou autrement, en sorte qu'il soit par eux ( suit un mot
illisible). Fait à Rome sous le scel du pêcheur, le31 octobre 1603, de son
pontificat la 9e année". C'était assurément une insigne faveur, dont on
trouverait bien peu d'exemples, qu'un bref ainsi conçu et accordé à
l'occasion d'une simple chapelle bâtie dans l'intérieur d'un château qui
n'était point royal. Toutefois,la reconnaissance de la Cour de Rome explique
cette marque d'une si haute bienveillance. Les successeurs de Callixte II
n'oubliaient pas qu'au commencement du XIIe siècle, l'un des aïeux de Henri
de Clermont-Tonnerre avait rétabli ce pape sur le trône pontifical après
avoir chassé de Rome l'antipape Burdin.
Mais la seconde inscription qui se lit à gauche et que nous allons
transcrire, comment se l'expliquer? Elle est bien plus qu'étrange: accorder
des indulgences, remettre les péchés à ceux qui prieront pour les maîtres du
château, ceci dépasse toute croyance. Quel abus des choses saintes, quelle
dérision, et cependant, remarquons-le, nous sommes déjà parvenus au
commencement du XVIIe siècle. Nous citons: "En l'honneur de Notre Seigneur
et de la bienheureuse Vierge Marie, cette chapelle a été dédiée par messire
Charles d'Escars, Évêque et duc de Langres, Pair de France, à la requête de
messire Charles-Henri, comte de Clermont et de Tonnerre, et de madame
Catherine-Marie d'Escoubleau, son épouse, a été donnée, à l'honneur et
révérence de Notre Seigneur toutes les fêtes de Notre-Dame et le jour de la
dédicace de la présente chapelle qui est la vigile de Saint-Mathias à tous
ceux et celles qui la visiteront et y feront leurs prières pour ledit
seigneur et madame la comtesse et messieurs leurs enfants, quarante jours de
vrai pardon. Fait le 24 février vigile de Saint-Mathias 1604". On sait que
la sépulture de la maison de Louvois était dans les caveaux de l'église des
Capucines à Paris, qui depuis a été démolie. Pendant la révolution, au mois
de septembre 1792, les tombeaux furent ouverts, et les cercueils en plomb
convertis en balles. Incroyable époque que celle où le délire d'une populace
forcenée pouvait impunément violer le refuge des générations éteintes, sous
le prétexte de créer à la patrie de nouveaux moyens de défense! A gauche de
l'autel, dans un monument simple, mais convenable et tel que le permettait
l'emplacement, se trouve renfermé le cœur de la mère de M. de Louvois, morte
au château le 28 novembre 1822. Son corps a été déposé dans un tombeau élevé
dans le cimetière d'Ancy-le-Franc; il est digne de la piété d'un fils
reconnaissant. Nulle part, les restes de madame de Louvois ne pouvaient être
mieux placés; car à Ancy-le-Franc surtout, le souvenir de sa bienfaisance
vivra: pour l'y perpétuer, il suffirait déjà de la fondation de
l'établissement qu'elle a consacré à l'éducation des jeunes filles de la
ville, témoignage de sa sollicitude pour les générations qui lui
succéderont.
Peu d'objets d'art se remarquent dans le château. Quelques portraits
seulement, par la manière dont ils sont peints, méritent de fixer
l'attention. Celui du maréchal de Souvré en pied, ayant à ses côtés Louis
XIII enfant, ouvrage d'un élève de Rubens, est bien composé; les accessoires
ont du prix, et l'aspect général du tableau plaît par la vérité des poses et
sa couleur franche. Si par leur exécution les autres portraits semblent
quelquefois médiocres, du moins tous sans exception reproduisent des
personnages célèbres: ces diverses figures fixées sur la toile sont comme
autant de pages de nos annales. Les Matignon, aïeux de madame de Louvois, le
duc de Choiseul, son grand oncle, ministre sous Louis XV, ce ne sont pas là
des gens inconnus. Il existe encore, indépendamment d'un beau portrait
d'Anne de Souvré et de ceux du chancelier le Tellier et de Louvois, placés
dans la chambre qu'habitait madame de Louvois la mère, un buste admirable du
chancelier; M. de Louvois a dû aux indications qui lui furent fournies par
M. le premier président Séguier, la possibilité d'acquérir cet objet d'une
grande valeur. Avant de quitter l'intérieur du château, il ne faut point
oublier une bizarrerie architecturale, vraiment curieuse lorsqu'on songe à
son origine: toutes les portes de cet édifice de proportions si fortes sont
incroyablement étroites et n'ont qu'un seul battant. Le dépit d'un grand
seigneur blessé dans son amour-propre est la cause de cette singularité. On
raconte qu'Antoine de Clermont Tonnerre croyait avoir des droits aux deux
battants chez le roi; ces droits ne furent pas reconnus; il se plaignit, il
ne fut pas écouté; l'emportement eût été inutile et peut-être dangereux: la
Bastille existait. Il comprima sa colère, et c'est alors qu'il se promit, au
risque d'être absurde dans l'une des parties les plus essentielles de sa
construction, de se ménager la possibilité de rendre tout naturellement à Sa
Majesté sa royale impolitesse: l'égalité se trouvait ainsi rétablie entre le
Roi de France et le comte de Clermont-Tonnerre. Actuellement même, il
n'existe dans le château qu'une seule porte ayant deux battants, celle qui
conduit au salon, et c'est M. de Louvois qui l'a fait établir.
Quatre escaliers placés aux angles du bâtiment conduisent au premier et au
second étage. Au rez-de-chaussée, des galeries ayant quinze pieds de large
sur soixante de longueur, avec des arcades, règnent de plain-pied sur la
cour intérieure. Chacune des façades donnant sur cette même cour a cinq
fenêtres, et onze extérieurement sur le parc. De vastes communs, des
dépendances considérables existent dans les avant-cours comme complément de
cette noble demeure, qui suppose un grand entourage, le luxe des chevaux,
des équipages et un nombreux personnel de serviteurs de tout genre. Ces
constructions sont postérieures à celle du château; elles furent ordonnées
par le marquis de Louvois aussitôt après son acquisition. Avant cette
époque, les avant-cours n'avaient pas ce caractère de grandeur qui répond si
heureusement à la beauté du manoir qu'elles précèdent. Planté primitivement
dans le système de le Nôtre par les ordres du ministre, le parc, depuis
vingt-cinq ans, a été pour M. de Louvois l'objet de soins particuliers. Aux
lignes sévères, mais tristes et monotones, des grandes allées sans fin, la
forme des jardins paysagers a été substituée. Ces changements fort
considérables ont été exécutés avec un rare bonheur et sous l'influence
d'une étude intelligente des sites. De tels embellissements avaient leurs
difficultés car le vallon dans lequel repose ce magnifique château est très
resserré, l'espace manque. Placé presque à l'extrémité du parc, il se trouve
tellement rapproché de la ville d'Ancy-le-Franc que, sans l'interposition de
massifs habilement jetés, l'œil de ce côté toucherait aussitôt aux limites.
Le comblement des fossés qui entouraient le château est en partie opéré; et
déjà la façade devant laquelle le remblai est effectué a acquis plus de
légèreté, elle se détache mieux du sol; elle a pour ainsi dire grandi. Les
eaux de l'Armançon coulent dans le parc: un pavillon, dont la construction
ne remonte qu'à 1740, s'élève au milieu de la pièce d'eau, fortement appuyé
par des masses d'arbres séculaires. On remarque dans l'intérieur un salon
octogone, décoré récemment avec beaucoup de goût. (1)
Éléments protégés MH : le château et les communs, le pavillon du parc, les
douves, le parc ordonnancé et son mur de clôture: classement par arrêté du 8
mars 1983. (2)
château d'Ancy le Franc 89160 Ancy-le-Franc, ouvert toute l'année pour
les groupes sur réservation et ouvert au public du 22 mars au 16 novembre.
Fermeture hebdomadaire le lundi. L'intérieur renferme des peintures murales
d'après des dessins de Primatice, de Nicolò del l'Abbate, des plafonds à
caissons et des boiseries sculptées.
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