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Cinq cents ans bientôt, c'est un bel âge pour une
maison après tant de printemps sous le ciel d'Angoumois. Pour combien
d'années encore, ce logis construit à chaux et à sable pourra-t-il faire
face aux bourrasques venues de l'Océan, à la neige doucereuse, aux étés
aveuglants? Sans compter les débordements de la Tardoire, les années de
deuils ou d'impéritie, les toitures qui s'effondrent. Reportons-nous aux
origines. Au Moyen-Âge, le souvenir des incursions normandes est encore tout
proche. Sur les décombres de l'empire carolingien, la France se hérisse de
maisons-fortes, de tours édifiées à la hâte à l'abri d'une palissade
confiées à la garde d'un "valet " ou "sergent fieffé". Bientôt, la falaise
qui court sur la rive gauche de la Tardoire, entre Montbron et La
Rochefoucauld se couvre de lieux fortifiés, généralement à la verticale
d'une grotte refuge: Montgaudier, la Chaise (donjon du XIle siècle),
Vilhonneur, Rochebertier, Rancogne (à l'origine Cressiec) la Mirande, l'Age-Baston.
De Bertier, nous ne savons rien d'autre que le rocher qui a gardé son nom.
La tour est mentionnée le jour de la Toussaint 1276; dominica in festo
monius sanctorum, dans un aveu rendu à Philippe Le Hardi par Robert V de
Montbron. A la suite du château de Montbron, l'hommage relève le nom des
forteresses liées à la Couronne à travers le comté d'Angoulême: Manteresse,
Mazerolles, Rochebertier et Rancogne "refugium seu reparium de Rochanbertia
et de Ranconia". La langue romane se cherche à travers le latin décadent; on
lit ailleurs "fortaliciam de Rupesbertini". Refuge, repaire, forteresse,
termes bien solennels pour désigner ces tours de guet assises sur un éperon
rocheux.
D'autres aveux en mentionnent l'existence au cours du XIVe siècle. Mais les
temps s'obscurcissent, le traité de Brétigny reconnaît les droits des
Plantagenêts sur l'Aquitaine. En l'an 1363, le jeudi après l'invention de la
Sainte-Croix, Robert de Matha, tuteur du jeune seigneur de Montbron,
Jacques, rend hommage au "Sérénissime Prince, notre Seigneur Roi
d'Angleterre et duc d'Aquitaine" à cause de son comté d'Angoulême, "pour les
mêmes choses (que le précédent aveu), item la forteresse de Rochebertier et
le ban de blé du mois d'août". Alors, le Prince Noir tient une cour
brillante à Angoulême mais les Godons pillent la campagne vouée à la misère
et se font cordialement détester. Vers la fin du siècle dernier, Adrien et
Gabriel de Mortillet, Fermond découvrent la grotte du Placard en surplomb de
la Tardoire. Ils mentionnent sur les hauteurs qui dominent Rochebertier les
vestiges d'une construction ancienne. Il n'en reste rien aujourd'hui. Passé
le temps des guerres d'Italie, l'artillerie à feu et le déclin de l'esprit
féodal sonnent le glas des forteresses campées sur un rocher. À la requête
des dames, les gentilshommes querelleurs descendent de leur perchoir. Un
rêve passe, inspiré par le ciel d'Italie. La Renaissance, c'est le temps où
ces rudes demeures s'ouvrent à la lumière et se prêtent à la douceur des
eaux vives. La mode se répand, on s'installe en bordure de la rivière.
Est-ce la fin des tours de guet, de l'orgueilleux donjon, du chemin de
ronde? Pas tout-à-fait. Nos gentilshommes installés à demeure, en rase
campagne doivent être en mesure de se défendre contre un coup de main, de
dissuader les bandes en quête de rapine qui traînent encore après la guerre
de Cent
Ans: le pillage est la règle, un mode de survie.
Le logis se barricade à l'abri de murs épais; il est généralement flanqué de
tours, coiffé d'une ou plusieurs girouettes en signe de distinction, ces
tours percées de meurtrières qui permettent de lâcher un coup d'arquebuse
sur d'éventuels fâcheux. Le soupçon demeure et l'architecture est massive,
propre à décourager les importuns. En témoigne la bretèche ouverte au-dessus
de la porte d'entrée. Ainsi à Rochebertier dont le plan de masse respecte
les canons en usage à l'époque. Lorsque les Renouard, seigneurs du lieu,
risquent un pied sur la rive droite de la Tardoire faute de pouvoir s'étaler
au pied du rocher, ils bâtissent leur logis orienté est-ouest au fond d'une
cour fermée qui ouvre sur le chemin par le classique portail charentais. Le
pont ne sera pas construit avant la deuxième moitié du siècle dernier; on
passe la rivière à gué lorsque les eaux le permettent pour accéder au moulin
demeuré sur l'autre rive et rejoindre le chemin d'Angoulême à Montbron en
coupant à travers la garenne. Le corps de logis est flanqué de trois tours
massives et d'une tour carrée de dimensions plus modestes, peut-être ajoutée
par la suite. Car nous ignorons tout ici comme dans tant d'autres maisons,
des ajouts et retranchements apportés au cours des siècles; des portes
condamnées ou des fenêtres ouvertes de plein pied sur les champs lorsque la
quiétude des temps l'autorise. Le témoignage le plus remarquable de ce logis
du XVIe siècle est sans doute l'escalier à vis qui donne accès à l'étage.
Deux cheminées de pierre d'une facture très simple datent de cette époque.
On ne le dira jamais assez, pour nobles qu'ils soient, ces logis ou manoirs
sont de simples demeures des champs que, seuls, leurs tours et leurs
colombiers distinguent de maisons voisines.
Avant 1615, un opulent marchand de la Rochefoucauld, Jean Lériget, est dit
sieur de Rochebertier. Le fief a donc changé de main avant la mort de
Bonaventure de Renouard. Il est assez fréquent à l'époque qu'un nom de terre
soit porté à la fois par le nouvel acquéreur et l'ancien propriétaire. Le
XVIe siècle est l'âge d'or pour ces dynasties de marchands associés chaque
jour plus étroitement aux affaires de la cité. Venus de la Rochefoucauld ou
d'ailleurs, ils font faire des études à leurs enfants, les installent au
Présidial, acquièrent des charges, siègent à l'Hôtel-de-Ville d'Angoulême,
nouent des alliances avec la noblesse avant d'être anoblis eux-mêmes. Jean
Lériget a pour épouse Jacquette de la Combe qui compte parmi les siens
plusieurs maires d'Angoulême. De ce mariage naissent plusieurs enfants
mariés dans des familles proches de l'Hôtel-de-Ville, les Ferrand, Guérin,
Guez, Lambert ou Préveraud. Louise Lériget, la deuxième fille de Jean et de
Jacquette de la Combe reçoit en dot Rochebertier qu'elle apporte à son mari
Jean Guérin, receveur des décimes, maire et capitaine d'Angoulême. Louise
Lériget se retire à Rochebertier après la mort de son mari; elle meurt à son
tour en laissant Rochebertier à l'un de ses neveux, Jean Pasquet, fils aîné
de Pierre Pasquet, avocat fort connu du Présidial. Les Pasquet sont
protestants. Jean, seigneur de Rochebertier, épouse l'une de ses cousines,
Anne Préverauld. Pair de l'Assemblée de ville, il est chargé lors de la
première Fronde de se rendre auprès Louis XIV pour l'assurer de la fidélité
des habitants d'Angoulême.
Antoine Pasquet, écuyer, épouse Suzanne de Chièvres, d'une famille de
maîtres de forges protestants. Les de Chièvres fort éprouvés au temps des
guerres de religion sont demeurés passionnément huguenots. Jacob Pasquet,
son fils, épouse le 2 octobre 1700 (mariage protestant), Anne de Bernon,
d'une famille fort connue de La Rochelle qui se livre au commerce
"triangulaire"; la traite des nègres, et possède une exploitation importante
à Saint-Domingue. Deux enfants naissent de ce mariage, Louis, marié en 1735
à Jeanne du Lau de Cellettes, et Suzanne, mariée à Louis de Corgnol (famille
d'Anais). Louis de Corgnol, fils du précédent, héritier en partie de
Rochebertier du fait de sa mère, rachète la part de son oncle. Il s'éteint
en son logis de Sillac le 14 avril 1785 laissant cinq filles et un seul
garçon, Jean-Guy de Corgnol, né à Anais en 1769. Jean-Guy rejoint l'armée de
Condé sous la Révolution. Amnistié le 22 thermidor An X, il épouse l'année
suivante à Vilhonneur Jeanne Labrousse de Mirabeau qui lui donne dix filles.
Le logis, le moulin, la garenne et les terres de Rochebertier sont vendus
vers la fin du XIXe siècle. (1)
Éléments protégés MH : les façades et les toitures du logis : inscription
par arrêté du 26 mai 1986.
logis de Rochebertier 16220 Vilhonneur, situé au
lieu-dit Pré-du-Logis, propriété privée, ne se visite pas, visible de la
route.
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