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Situé à Airel, près de la vieille Vire, à la tête
du pont Saint-Louis, que traverse la route qui va de Bayeux à Périers,
édifié au moyen âge dans un but stratégique, le manoir du Mesnil-Viter
marquait l'extrême limite du Bessin, séparé du Cotentin par ce bras mort de
la rivière. Le nom de Viter, que l'on trouve orthographié de bien des façons
différentes, est apparemment d'origine scandinave et devait désigner le
possesseur primitif, mais les premiers seigneurs du lieu dont on ait
connaissance sont les Fierville; ils apparaissent en 1229, dans une charte
octroyée par Guillaume du Hommet, connétable de Normandie, aux religieux de
Saint-Lô pour leur confirmer, en qualité de suzerain, le don que leur avait
fait Raoul de Fierville, chevalier, du droit de présentation à la chapelle
Saint-Thomas du Mesnil- Viter, située à Moon en Bessin: "Ex dono Radulfi de
Feravilla, militis, capellam Sancti Thome de Mesnil-Witer cum beneficiis et
elemosinis ad eamdem capellam pertinentes" (Mémoires de la Société des
Antiquaires de Normandie, janvier 1863). Nos notes sont muettes jusqu'en
1435, époque où le Mesnil-Viter fut confisqué sur les La Luzerne, et donné,
avec leurs autres biens, par le roi d'Angleterre, à sir John Fastolf,
chevalier, maître d'hôtel du duc de Bedford. Ce grand capitaine, qui a joué
un rôle si important en Normandie, pendant l'occupation anglaise, n'eut rien
de commun avec l'ivrogne épique dont s'est emparée la légende et
qu'immortalisa Shakespeare. La domination étrangère ayant cessé, le
Mesnil-Viter revint à ses anciens maîtres, représentés en 1457 par
"damoiselle Marguerite de la Luiserne, femme de noble homme Robert de
Fréville, escuyer".
Elle vivait encore en 1471, mais quelques années plus tard, vers 1480, elle,
ou sa fille, Jeanne de Fréville, mariée à Geoffroy du Bois, écuyer, seigneur
de l'Epinay-Tesson, vendit le fief à Lucas Acher, administrateur de la
baronnie de Neuilly pour le compte de l'évêque de Bayeux. Le nouveau
seigneur, qui devait être riche, si l'on en juge par le nombre de ses
acquisitions, était de naissance obscure; la possession du Mesnil-Viter lui
conféra la noblesse, grâce à un édit de Louis XI qui déclarait nobles les
propriétaires de francs-fiefs. Lucas Acher dut mourir en 1506; de son
mariage avec Fleurie le Gascoing, il avait eu un fils, Guillaume, qui, en
1518, épousa Marguerite de Pellevé. Dans un acte de 1517, il est qualifié de
seigneur du Mesnil-Viter et de la Meauffe; en 1548, dans un procès qu'il
intente à Rouland de Thère, seigneur d'un autre fief de la Meauffe, il prend
les titres de gentilhomme ordinaire du roi, seigneur du Mesnil-Vitey et de
Villiers. Il était mort en 1570. La noblesse récente des Acher leur faisait
rechercher des alliances que leur richesse rendait faciles; aussi voit-on,
en 1565, Jean, fils de Guillaume, épouser damoiselle Claude du Croq, fille
de Henry du Croq, seigneur du Mesnil-Terribus, Mortefontaine, la Chapelle,
Estables, dans la vicomté d'Arques, et de Charlotte de Montmorency; trois
seigneurs de ce dernier nom signèrent au contrat de mariage. Jean Acher
s'intitulait seigneur et patron du Mesnil-Vitey, de Cartigny,
Montreuil-sur-Vire, Villiers, Auney, la Chapelle et Estables. Il mourut vers
l'année 1576, laissant plusieurs enfants, dont l'aîné, Henry, qui épousa en
1595, Lucrèce de Marguerye, fille du seigneur de la Motte d'Airel.
Allié aux Montmorency, possesseur d'un patrimoine qui semble augmenter
chaque jour, il occupait un rang élevé: gentilhomme ordinaire de la chambre
du roi, comme son aïeul, il était, de plus, chevalier de l'ordre de
Saint-Michel en 1616, capitaine général des côtes maritimes du bailliage du
Cotentin, et portait les titres de seigneur et patron du Mesnil-Vitey, la
Meauffe, Villiers, Montreuil-sur-Vire, Aulnay, Cartigny, la Chapelle,
Estables et la Neufville. Les domaines considérables qu'il tenait en fief de
la baronnie d'Airel lui valurent de nombreux procès avec l'évêché, notamment
pour son droit de séance dans le chœur de l'église d'Airel et
l'établissement d'un marché par semaine et de deux foires annuelles qu'il
voulait faire tenir sur des herbages qui lui appartenaient. Telle est
l'origine des foires et marchés du bourg d'Airel, octroyés par charte royale
en juillet 1613. Ce seigneur mourut vers 1628, laissant, entre autres
enfants, un fils, Jean, qui, en 1630, épousa Hélène, fille unique de Marc de
la Ménardière, seigneur de Cuverville, et de Jeanne de la Serre. Il était
seigneur et patron du Mesnil-Vitey, Montreuil-sur-Vire, Aulnay, la Rocque,
Cuverville, Fontenay-le-Pesnel et la Chapelle. A sa mort, survenue en 1678,
ses deux filles trouvèrent une succession fort embarrassée. Claude, l'une
d'elles, épousa son cousin Jean Regnauld de Segrais, chevalier de l'ordre de
Saint-Michel, gentilhomme de Mademoiselle, duchesse de Montpensier, et l'un
des quarante de l'Académie Française. L'autre, Lucrèce, fut mariée, en 1677,
à Jean-Claude de Croisilles, seigneur et patron de Bretteville, premier
président au présidial de Caen.
Le Mesnil-Viter, conservé ou racheté après la liquidation de la succession
paternelle, échut à Madame de Segrais, dont le mari ajouta à ses
qualifications celles de "seigneur du Mesnil-Vitey et Fontenay-le-Pesnel".
Nous ignorons si le poète habita Airel d'une façon suivie; le cadre de cette
notice ne permet pas, d'ailleurs, de nous étendre sur la vie et les œuvres
de cet écrivain, si célèbre en son temps, et cependant si peu lu de nos
jours, malgré son réel mérite littéraire. Contentons-nous de rappeler que,
né à Caen le 22 août 1624, il y mourut d'une hydropisie le 25 mars 1701. Sa
femme, dont il n'avait pas eu d'enfants, ne lui survécut guère, car son
décès survint, dans la même ville, le 14 novembre de l'année suivante.
Madame de Croisilles hérita de sa sœur, et le Président, déjà possesseur des
fiefs de Bretteville et Vendes, devint seigneur du Mesnil-Vitey, Aulnay,
Montreuil-sur-Vire, Fontenay-le-Pesnel, Houlbec et Saint-Martin-de-F resney.
Bien moins connu que son beau-frère, dont l'éclat paraît l'avoir laissé un
peu dans l'ombre, M. de Croisilles fut cependant un personnage marquant de
son époque, et le Dictionnaire historique publié chez Ménard et Desenne
(Paris, 1821), lui consacre les lignes suivantes: "Jean-Claude de
Croisilles, né à Caen en 1654, servit comme volontaire dans sa jeunesse.
Nommé ensuite échevin de la noblesse, il fut enfermé au château de Caen pour
avoir soutenu les privilèges de cet ordre avec une chaleur qui déplut à la
cour. Peu après, il se justifia, et obtint la charge d'avocat du roi, puis
celle de président au présidial. Après la mort de Segrais, son beau-frère,
il recueillit les membres de l'Académie naissante de cette ville (Caen), et
contribua à lui donner un règlement qui fut sanctionné par le roi. Il mourut
le 21 janvier 1735". Marié en secondes noces à Jeanne-Thérèse Gislain de
Bénouville, le Président avait hérité de sa première femme; ce furent ses
sœurs et leurs enfants qui recueillirent et se partagèrent son importante
succession. La seigneurie du Mesnil-Viter et la ferme de la Chapelle dudit
lieu, sise à Moon, échurent à Marie-Anne Le Bedey, fille cadette d'Olivier
Le Bedey, écuyer, sieur de Vaux, mort en 1727, et de feu Catherine de
Croisilles, sœur du Président. Elle était mariée à Thomas Conseil, écuyer,
seigneur du Mesnil-Richard. L'aînée, Marie Le Bedey, qui avait épousé, en
1735, la même année que sa sœur, Antoine Le Maigre, écuyer, sieur de Lan,
eut dans sa part le manoir du Mesnil-Viter et ses dépendances, situés à
Airel. Elle mourut en 1768, laissant pour héritière une fille unique,
Elisabeth-Thérèse-Julienne, née à Airel le 14 août 1736, mariée en 1751 à
Michel du Boscq, écuyer, sieur de Beaumont, conseiller du roi, receveur des
tailles en l'élection de Bayeux.
Deux ailes reliées par une tour octogone découronnée, quelques pans de murs
crénelés sur le bord du chemin, c'est tout ce qui subsiste du vieux manoir
gothique construit à la fin du XVe siècle par Lucas Acher, sur l'emplacement
probable d'une fortification des premiers temps de la domination normande.
Un plan naïf, daté de 1624, donne à l'édifice complet la forme d'un
rectangle hérissé de tours et entouré d'eau. A l'heure présente, la seule
inspection du terrain fait voir quelle importance stratégique devait avoir
cette tête de pont qui commandait la Vire, dont les eaux, amenées dans les
fossés de l'enceinte, contribuaient à former un camp retranché défendu par
des ouvrages en terre qui ont survécu. Dans cette enceinte, qui doit dater
du manoir primitif, se trouvait une prairie permettant aux assiégés de
nourrir leurs troupeaux, et l'on pouvait tenir longtemps encore dans le
donjon central quand les remparts de terre, palissadés de pieux, étaient
forcés par l'assaillant. Au moment de la Révolution, le manoir et ses
dépendances étaient encore intacts; son aspect féodal le désignait aux
coups, il ne tarda pas à être démantelé. Le donjon, qui était surmonté d'une
plate-forme crénelée, fut, en 1793, pendant la détention de M. et Mme de
Beaumont, à la maison d'arrêt de Torigny, rasé jusqu'à hauteur du toit, par
ordre du district de Saint-Lô. Après la mort de M. de Beaumont, décédé à
Airel en 1826, dans sa centième année, un de ses fils qui hérita du manoir
en fit abattre toute la partie qui longeait la route. Cette aile devait être
encore debout quand M. de Gerville rédigea ses notices sur les châteaux de
la Manche; en tout cas, il semble avoir vu le tout intact avant la
Révolution.
Nous croyons devoir reproduire ici quelques-unes des lignes que M. de
Gerville consacre au Mesnil-Viter: "Ce château situé sur un terrain bas et
uni, près de l'ancien pont de Saint-Louis, sur la Vire, tirait sa principale
force des eaux dont on pouvait l'entourer. Il ne paraît remonter qu'aux
derniers temps de l'architecture gothique, époque où les châteaux étaient
plus ornés que fortifiés. Ses grandes tours, son donjon, ses créneaux,
avaient quelque chose d'imposant; ses ruines même, plus respectées par le
temps que celles de la plupart des châteaux-forts, peuvent servir à donner
une idée des habitations où les seigneurs du XVIe siècle cherchèrent à unir
la beauté à la force. Les Creully de Saint-Clair possédaient le Mesnil-Vité
avant les d'Achier. Pendant la Révolution, on a détruit toutes les armoiries
du château, et l'on a démoli deux tours qui étaient couronnées par des
plates-formes entourées de créneaux" (Mémoires de la Société des Antiquaires
de Normandie, 1829-1830, page 244). De tous les emblèmes dont le manoir
était autrefois orné, subsiste seul, sculpté sur le pignon, un chien qui
tient entre ses pattes un écusson fruste: gardien fidèle d'un passé mort.
(1)
Éléments protégés MH: les façades et les toitures, les vestiges du mur
d'enceinte inscrits par arrêté du 22 novembre 1949 (2)
manoir du Mesnil Vitey 50680 Airel, propriété privée, ne se visite pas.
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