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En quittant Exmes dans la direction d'Argentan, on aperçoit, au pied de la
colline, au milieu des herbages et des frondaisons touffues, le charmant
logis d'Argentelles, dominé par une haute tourelle du plus pittoresque
effet. Son histoire a laissé dans le pays des souvenirs profonds travestis
par la légende. On voit, dit-on, parfois ses fenêtres s'illuminer la nuit
comme si ses hôtes d'antan venaient tenir en la grande salle une assemblée
mystérieuse. Aucun lieu ne peut être plus favorable aux gracieuses
apparitions et si quelque dame blanche, forme transparente et lumineuse,
hante encore le pays, elle revient de préférence là où elle peut toujours
arrêter ses beaux yeux sur la tendre et touchante devise des Lefranc: Ayme
et sur l'écusson symbolique aux trois cœurs. Le manoir d'Argentelles est
d'un aspect harmonieux bien qu'il appartienne aux époques et aux styles les
plus divers. Sa construction remonte seulement à la fin du XIVe siècle ou au
commencement du XVe. Sa restauration dernière date de 1632, mais il a été
élevé sur les soubassements et sur les ruines d'une antique forteresse
féodale. Le manoir, dont la façade est éclairée par des fenêtres à meneaux,
est flanqué de quatre tourelles dont l'une portait le nom de Mare-Coulisse.
Une tourelle plus élevée, surmontée d'une sorte de belvédère communiquant
avec la chapelle, en défendait l'entrée. La porte du logis est surmontée
d'un tympan ogival chargé au centre d'un écusson. Ses solides battants de
chêne étaient, pour mieux assurer la défense, renforcés à l'intérieur par
des traverses de bois, de même que les fenêtres du rez-de-chaussée étaient
munies de robustes barreaux de fer. Un vestibule donne accès à la cuisine et
à la grande salle. A l'étage on remarque surtout deux vastes chambres, à
cheminées monumentales, dont l'une ne mesure pas moins de cinquante mètres
carrés de superficie. C'est là que se trouvait, il y a peu d'années encore,
un merveilleux spécimen de la sculpture sur bois au XVe siècle, connu par
erreur sous le nom de lit de justice d'Argentelles. C'était une sorte de
dais destiné à surmonter un lit, comme on en rencontre beaucoup au moyen
âge. Le travail plus fini, plus ornementé, paraissait de la même main que
les boiseries de l'église de Saint-Germain-de-Clairefeuille et nous
l'attribuons, sans aucune hésitation, à un imagier de la famille Goujon,
originaire d'Argentelles. Hélas ! ce chef-d'œuvre si précieux, a disparu; il
a été vendu à un riche étranger. Sous le château s'étendent de vastes caves,
et un pigeonnier féodal, élevé sur une motte entourée de douves, s'élève à
peu de distance. Un étang et des fossés enserraient le manoir et le
mettaient à l'abri d'un coup de main.
Le fief d'Argentelles relevait du roi sous la vicomté d'Exmes, et s'étendait
dans les paroisses d'Argentelles, Fel, Omméel, Avenelles et Grebert. Son
possesseur était tenu en vingt jours de garde, en temps de guerre, à la
porte Malza d'Exmes et devait chaque année, à son suzerain, un septier de
froment et deux septiers d'avoine. Là demeurait, au début du XIIIe siècle,
Guillaume d'Argentelles, chevalier et sa femme qui aumônèrent, en 1237, à
l'abbaye de Saint-Wandrille l'église et les dixmes d'Argentelles. Jean d'Argentelles,
fils du précédent, confirma solennellement cette donation, par charte
d'avril 1247. Guillebert d Argentelles, premier-né de Jean fit de même en
1284. Ce seigneur ne parait avoir eu qu'une fille, Colette et, dès le début
du XIVe siècle, le fief est entre les mains d'une famille d'Ouilly. Gilles,
Guillaume, Jehan et Guillot d'Ouilly, s'y succèdent jusqu'en 1417, époque de
l'invasion anglaise. Le seigneur d'Argentelles n'avait pas voulu se
soumettre à Henri V d'Angleterre, fut frappé d'une confiscation immédiate.
Sa terre fut donnée à sir Rolland Leyntall, chevalier, seigneur de Herford,
époux de Marguerite d'Arundel. Une disgrâce enleva Argentelles à Leyntall en
1420, et un autre Anglais, sir Jehan Lanrock, en devin possesseur. En 1449,
au moment de l'expulsion des envahisseurs par Dunois, Richard d'Escalles,
héritier de Guillot d'Ouilly, rentra en possession de son fief. Durand d'Escalles,
fils du précédent, époux de damoiselle Isabeau de Thieuville, lui succéda.
Ce seigneur avait, tant par lui que par sa femme, une fortune considérable
et son époque fut certainement l'une des plus brillantes pour le manoir d'Argentelles.
C'est dans le manoir actuel que fut célébré, le 4 août 1458, le mariage de
sa fille, Catherine d'Escalles, dame du Crocq, avec Georges Rouxel, écuyer,
seigneur de Médavy, capitaine des francs-archers du duché d'Alençon, qui fut
tué à la bataille de Guinegate, le 16 août 1513. Cette alliance appartient à
l'histoire, car le seigneur de Médavy fut l'auteur d'une illustre lignée,
qui brilla dans les armes.
Jean d'Escalles, fils de Durand, allié à Jeanne Levoyer, mourut le 3 août
1538, laissant un fils, Maurice, qui épousa Antoinette de Guéry. A sa mort,
survenue en 1561, la maison d'Escalles tomba en quenouille: cinq filles
mariées aux sieurs d'Orval, de la Heurtaudière, de Bérout, du Plessis et de
la Bornerie la représentaient. Le noble fief d'Argentelles fut donc divisé
et le premier lot, devant constituer la seigneurie en chef et comprenant le
manoir, finit par écheoir, en 1572, après divers arrangements de famille, à
Jean Lefranc, ecuyer, sieur de Bérou, fils de Jean, sieur du lieu, et de
Françoise d'Escalles. M. de Bérou eut comme successeur, son fils, Pierre
Lefranc, sieur de Villeraye, qui avait épousé, avant 1598, Louise de
Saint-Denys, veuve de Nicolas de Champin de Gisnay, sœur d'Odet de
Saint-Denys, chevalier de l'Ordre du Roi, baron de Hertrey, Fresne et la
Tournerie, capitaine des château et ville d'Alençon. A la mort de M. de
Villeraye, son frère, Bonaventure Lefranc, sieur du Désert, acheta le
château de ses enfants mineurs. Le nouveau seigneur d'Argentelles avait
épousé, avant 1624, Marguerite de Louvigny, dont il laissa François Lefranc,
marié à Charlotte Lestendart. Le fils de ce dernier, Pierre, mis en
possession de son fief par la démission de son père, à titre d'avancement
d'hoirie, le 5 mai 1679, contracta trois mariages. Le premier avec Claude de
Droullin, le second avec Anne-Renée de la Pallu, dont il eut dix enfants,
notamment Louis-René-Pierre Lefranc qui suit, le troisième avec
Jeanne-Élisabeth d'Oussy. Louis-René-Pierre Lefranc, écuyer, seigneur
d'Argentelles, garde du corps du roi, vendit sa terre le 26 août 1752, pour
trente mille livres. L'acquéreur, Ange-Hyacinthe de la Motte-Ango, comte de
Flers, baron de Larchamps, châtelain de la Lande-Patry, seigneur de la
Fresnaye, baron et seigneur haut justicier de Messei, réunit la seigneurie
d'Argentelles au fief de Villebadin. Il les vendit, le 6 août 1757, à
Louis-Paul de la Motte-Ango, chevalier de Flers, mestre de camp, exempt des
gardes du roi et chevalier de Saint-Louis. La maison de Flers a possédé le
château d'Argentelles jusqu'en 1888. Quant aux autres démembrements de la
seigneurie formés à la mort de Maurice d'Escalles, ils ont appartenu
successivement aux familles Billard, de Guerpel et du Mesnil. Ils ont été
acquis peu à peu par MM. de la Motte-Ango, qui en possèdent encore une
partie. Tel est l'histoire, trop rapidement esquissée, du manoir
d'Argentelles, qui a eu ses moments de splendeur et a connu le bruit des
armes. (1)
Éléments protégés MH : le manoir, sauf parties classées : inscription par
arrêté du 2 novembre 1926. Les façades et les toitures: classement par
arrêté du 20 octobre 1966.
manoir d'Argentelles 61310 Villebadin, tel. 02 33 39 93 70, ouvert au
public, visites libres des extérieurs et guidée des intérieurs du 1er mai au
1er octobre.
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